28nov 05
Interview accordée au magazine L’Optimum – octobre 2005
DRÔLE D’ENDROIT POUR UNE RENCONTRE : JEAN-LUC MELENCHON SUR LE PARVIS DE NOTRE DAME
DEPUIS LA VICTOIRE DU « NON» AU DERNIER RÉFÉRENDUM, JEAN-LUC MÉLENCHON A CHANGÉ DE DIMENSION. LE POIL À GRATTER DU PS QUI SE COMPLAISAIT DANS LA POSITION D’ÉTERNEL MINORITAIRE EST DEVENU UNE FIGURE À PART ENTIÈRE DE LA« GAUCHE DE LA GAUCHE ». CONFESSIONS D’UN SÉNATEUR SPIRITUEL DANS TOUS LES SENS DU TERME.
Propos recueillis par Yves Deray
Pourquoi un laïc militant aime-t-il autant flâner sur le parvis de Notre-Dame ?
Il y a des lieux « inspirés» dans Paris. Ici, je suis confronté à quelque chose de beaucoup plus grand que moi, ce qui me met dans une attitude de prise de distance. Cet endroit, avant d’être dédié au culte catholique, est une ode au génie humain. Quelle science, quelle patien¬ce a-t-il fallu pour construire un tel chef-d’oeuvre! A la base du pilier central, sont sculptés les principaux arts et sciences tels qu’on se les représentait à l’époque. J’aime bien cette image: l’échelle pour monter au ciel, c’est le savoir.
Je ne vais pas vous confesser mais je crois que vous avez reçu une éducation catholique.
Je vis une spiritualité laïque. Je suis un mécréant qui a des élans du c?ur au contact de certains textes ou de certaines ?uvres. « Les palais seront un jour rayés de la surface de la terre mais pas les écrits de notre esprit », a écrit un scribe du VIlle siècle avant notre ère. C’est une phrase qui me parle.
Dans l’une de ses dernières chansons, Alain Souchon se demande s’il y a quelqu’un là haut. Cela vous arrive aussi ?
Ce type de question débouche forcément sur une impasse. J’ai choisi d’autres pistes de réflexion depuis longtemps.
Vos ex-amis trotskistes vont vous chambrer s’ils lisent L’Optimum …
Oubliez-les. J’ai été trotskiste pendant trois ans et socialiste pendant vingt-sept ans et on ne me parle que des premiers. Je suis un peu las d’être stigmatisé par cette période de jeu¬nesse. Ça commence à dater! Mais il est vrai que quand je dis à mes copains: « Tiens, je vais aller un peu me détendre devant Notre¬Dame », ils font des yeux ronds. Tant pis. C’est mon histoire intime.
La provoc’ vous amuse aussi…
Oui, évidemment. Mais je suis très conscient de ma responsabilité de représentant du peuple. Je sais que je ne m’appartiens pas totalement. Je suis laïque et républicain et je ne veux pas laisser croire qu’en secret, je suis autre chose. L’idée était drôle de se rendre ici, au moins pour vous surprendre.
Que pensez-vous du nouveau pape Benoît XVI qui vient de tendre la main aux catholiques traditionalistes?
Benoît XVI est un intégriste lui-même. Je vous rappelle qu’aux côtés de Jean-Paul II, c’est lui qui jouait le rôle de gardien du dogme. Mais comme je ne veux pas heurter la foi des catholiques, notamment des cathos de gauche, je n’irai pas plus loin. Mais je n’en pense pas moins!
C’est d’un pape dont vous avez besoin actuel¬lement au PS ?
Surtout, ne me parlez pas d’homme providentiel. Les institutions de la Vème République ont amené cette idée que la France dépend des surhommes, ceux qu’on appelle aujourd’hui les « présidentiables », qui surplombent la politique. Pour être entendu, il faut être candidat à l’élection présidentielle. Si bien qu’à l’heure où nous parlons, il y a déjà vingt cinq postulants connus pour l’échéance du printemps 2007 ! Bien évidemment, ces gens très respectables ne sont pas tous capables de guider notre peuple et de présider la nation française. Pour eux, ce n’est pas grave, ce qui compte, c’est d’être sur la photo.
Et vous? Vous ne voulez pas « être sur la photo » ?
Non. Je cultive mon originalité en ne présentant pas ma candidature à la présidentielle …
Il n’empêche que Laurent Fabius, l’homme qui a dit « non» au traité constitutionnel européen, est devenu votre leader naturel.
Effectivement. Il y a, dans l’histoire d’un pays, des circonstances exceptionnelles où un individu se révèle. Le dernier référendum a été un moment particulier où Laurent Fabius a montré beaucoup de courage et combattu le conformisme ambiant.
Vous n’avez jamais été traversé par l’idée qu’il aurait pu faire ce choix par opportunisme?
Je ne suis ni prêtre, ni psychanalyste. Je ne sonde pas les âmes et les c?urs. J’ai constaté, comme d’autres qu’il avait posé un acte politique fort.
Et vous pensez que Laurent Fabius, chef de l’Etat, combattrait la mondialisation libérale ?
On lui demande d’abord qu’à la fin du processus de ratification du traité, il continue de dire « non », qu’il respecte la parole du peuple français. Avec ce refus, une logique idéologique se déroule. Laurent Fabius a compris que la mondialisation n’avait pas tenu ses promesses en matière de développement humain. Il a montré ainsi qu’il était capable d’évoluer.
Pourquoi y a-t-il autant de querelles de personnes au PS ? Vous-même, étiez l’allié de Julien Dray avec qui vous vous êtes fâché. Vous vous êtes ensuite associé avec Henri Emmanuelli avant de vous disputer et aujourd’hui, vous vous êtes mis à votre propre compte …
Vous simplifiez trop la politique. Nos débats sont présentés dans les médias comme des conflits de personnes. En fait, le mal est bien plus profond. Comme beaucoup de partis sociaux-démocrates, le PS n’arrive pas à choi¬sir entre deux lignes: l’accompagnement de la mondialisation
libérale ou le combat contre cette mondialisation. Tony Blair a tranché, il est le caniche de Washington. Schroder, c’est pire car il attaque à la hache les progrès sociaux que ses prédécesseurs ont instaurés. C’est ça le fond du problème. Le mouvement socialiste est pris à la gorge par la mondialisa¬tion libérale.
Dans quel état d’esprit abordez-vous le pro¬chain congrès du PS ?
Avec un optimisme absolu. C’est un grand rendez-vous avec les Français. Si Qn n’aligne pas le parti sur le « non », on ne sait plus ce qu’on fait ni qui l’on est. J’ai peur qu’on passe à côté.
Vous ne craignez pas la scission souhaitée par Michel Rocard et Bernard Kouchner ?
Si. Ce serait un désastre pour nous. Je trouve lamentable qu’ils disent: si ce ne sont pas nos hommes et nos idées qui dirigent le parti, nous le quitterons. Quelle arrogance dans cette gauche fatiguée! Moi, j’ai été longtemps minoritaire et je n’ai jamais déserté le bateau ou menacé de le faire.
Lors de la campagne du printemps dernier, vous avez noué des liens avec les leaders de « la gauche de la gauche », Marie-Georges Buffet, Olivier Besancenot et José Bové. Comptez-vous continuer à avancer ensemble?
D’abord, il s’est passé quelque chose du domaine de l’affectif. Nous avons fait corps contre les belles personnes, les importants, les satisfaits. A force de se retrouver un soir sur deux sur la même estrade, on a sympathi¬sé, sans rien s’épargner. J’ai été impressionné par Marie Georges Buffet. J’ai eu des discus¬sions très animées avec Bové. Il est paysan, j’appartiens à une tradition ouvrière, nous ne sommes pas dans le même registre. Est-ce que politiquement, cette force peut trouver une orientation? Ça n’est pas évident.
Moi, je veux la projeter vers un avenir gouvernemental mais je ne suis pas sûr qu’Olivier Besancenot voit les choses de la même manière. Pour l’instant, tout cela reste un peu confus.
Pourquoi Olivier Besancenot plaît-il autant aux Français ?
C’est un rebelle sympa, bien structuré, malin, une sorte de Tintin de la politique. J’avoue que je suis un peu jaloux.
Qui sera le candidat socialiste en 2007 ?
Deux personnalités sortent du lot, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn.
Et Jospin ?
Il a ma tendresse éternelle: il a fait de moi un ministre. Mais il a pris sa retraite.
Vous êtes candidat au poste de premier secrétaire du PS ?
C’est un rêve secret mais je crois, malheureusement, que ça n’est pas encore mon heure.