24fév 06

DIFFERENCE INDIGENE ET DROIT A LA RESSEMBLANCE POLITIQUE

Dans la presse ce matin comme hier, le sujet qui tient la une, c'est le refus par les USA de donner un visa d'entrée aux Etats-Unis pour une des ministres du gouvernement de monsieur Moralès alors qu'elle se préparait à répondre à l'invitation d'une université étatsunienne. C'est un camouflet qui est fort mal vécu et qui commence le processus de confrontation que le gouvernement Bush va organiser avec le gouvernement Moralès.

La droite locale s'abstient sur ce sujet. Les Etats-Unis sont particulièrement détestés ici en raison du nombre des exactions et crimes commis par les gouvernements du passé qu'ils ont approuvés, encouragés ou suscités. Et des pressions grossières qu'ils ont exercées sur toutes les élections, avec une telle arrogance que le président Moralès estime avoir reçu d'eux l'un des meilleurs encouragements dans l'opinion avant les élections.
Cependant c'est la décision d'Evo Morales hier d'engager la décentralisation qui fait la matière première des débats de l'Assemblée nationale au moment où les députés sont en train de discuter la loi de convocation de l'Assemblée constituante. Comme il faut une majorité des deux tiers pour obtenir ce vote, conformément à l'actuelle Constitution, les groupes parlementaires doivent trouver un consensus pour que le texte soit adopté car il n'y a actuellement aucune majorité de cette ampleur disponible au parlement. Quatre articles sont en débat particulièrement ardent. A présent s'ajoute la question de la décentralisation. La droite veut lier les conditions de la convocation de la Constituante à la loi organisant la décentralisation. En effet, elle reproche à la proposition de Moralès d'engager le démembrement de la nation en proposant plus de 1000 structures de collectivités ayant un degré d'autonomie, et d'aggraver son cas en proposant que les référendums sur ce thème soient d'application départementale, quoique ce soit exactement ce que demandait le comité civique de Santa Cruz que j'ai rencontré avant-hier. Il est frappant de voir que ce sont les élus de Santa Cruz qui semblent dorénavant scotchés à ce dont ils pensaient faire un thème de propagande contre le gouvernement. Tout cela cependant m'intéresse moins que la question de l'articulation entre la reconnaissance de droits spécifiques aux indigènes et la préservation d'un Etat commun à tous les boliviens. D'une façon très personnelle, je reconnais sans discussion la réalité de l'oppression et du racisme dont ont eu à souffrir les indigènes et je reconnais qu'il n'existe pas d'autre issue que leur reconnaissance préalable en tant qu'acteurs spécifiques de la vie nationale. Mais cela ne fait pas de moi quelqu'un qui approuve le système de valeur et le mode de fonctionnement des communautés indiennes. Comme je n'en voudrais pas pour moi, je n'ai pas l'hypocrisie de la trouver acceptable pour d'autres. Cette tolérance aveugle pour les us et coutumes que l'on n'a pas à endosser soi-même est à mes yeux une des formes les plus pernicieuse de racisme des différencialistes chez les occidentaux, même s'il est à mon avis, le plus souvent, totalement inconscient. Lorsque j'ai rencontré le ministre de l'éducation nationale de la nouvelle équipe, je m'attendais à un discours fortement identitaire dans la mesure où il est un sociologue et un anthropologue très brillant, ardemment engagé dans l'indigénisme culturel et politique. Je comptais observer en quoi consisterait ce qui s'en déduisait pour l'organisation du système éducatif bolivien. Ce n'est pas du tout le tour qu'a pris notre entretien. Son objectif est de faire face à l'inégalité, et ce qu'il m'en a dit n'intégrait pas par priorité les angles identitaires. « Nous voulons que les indigènes accèdent aux mêmes possibilités que les autres et que chacun dans ce pays le puisse quelque soit la couleur de sa peau, son sexe ou sa religion » « C'est l'idéal républicain des français » lui dit le premier conseiller de notre ambassade. « C'est le nôtre, répond sobrement le ministre ». Naturellement ce serait totalement mensonger de laisser croire que l'indigénisme militant s'est dilué dans le pouvoir. Ni même qu'il ne fournisse plus la base d'une théorisation avancée dans certains secteurs politiques au pouvoir. Cependant, ce que je note, c'est que prévaut une volonté de trouver des passerelles concrètes entre les deux systèmes de vie culturelle, sociale et politique davantage qu'une exaltation idéologique. Et cette façon de faire devrait pouvoir avoir son efficacité. Par exemple, le pouvoir prévoit de réserver des circonscriptions spécifiques aux indigènes. Faute de quoi leur répartition sur le territoire les éliminerait une nouvelle fois de la représentation. Le mode de vote sera dans ces circonscriptions le même que pour n'importe quelle autre et toutes les garanties de pluralisme sont reconnues à quiconque, se déclarant indigène, veut se présenter soit au titre d'un parti, soit au titre d'une communauté, soit personnellement. Notez ce détail qui a son importance : est indigène qui se déclare comme tel. Du moins pour l'instant. C'est une ouverture que je crois décisive. Mais ce n'est pas si simple ni si généreux qu'il y paraît d'abord. Madame Jenny Cardenas, chanteuse célébrissime en Bolivie et conseillère municipale de La Paz m'explique qu'elle s'est déclarée indigène Aymaras pour le recensement dans la mesure où, en tant que métis de diverses origines, elle ne se reconnaissait dans aucune des autres cases proposées par le formulaire officiel. J'ai dit que j'espérais bien que personne ne m'obligerait jamais à un tel mode d'identification personnelle dans mon pays et j'ai dit pourquoi selon moi ce modèle chez nous serait offensant pour la liberté individuelle. Les autres personnes qui étaient là regardaient dans le vide à ce sujet. Mais tous nous étions d'accord pour dire que la discrimination raciste était parvenue à un tel point qu'il n'y avait pas d'autres moyens de réintégrer politiquement les indigènes dans la vie démocratique. Cependant, pour en revenir aux circonscriptions indigènes, au moment de mettre en place la campagne électorale, il ne sera mis aucun obstacle à ce que les communautés élisent dans leur sein les candidats à présenter selon leurs us et coutume, c'est-à-dire soit par vote public à main levé soit par formation de files, à l'exception de toute désignation par des conseils de lignages des chefferies traditionnelles qui en réalité ne concernent que deux ou trois cas très particuliers. Discutable en bien des points, ce système ne fait pas que percuter le système démocratique mais aussi celui de la structure de décision traditionnelle indigène. Cependant la méthode ouvre un pont, permet une convergence et élargit la base de légitimité démocratique aussi bien des élus que des décisions qu'ils auront à prendre. L'idée de partir de la tradition indigène pour lui donner une connexion avec la tradition démocratique est réaliste. Qui voudrait agir autrement n'en aurait pas les moyens. Nombre de communautés indiennes sont tout simplement hors du monde étatique. Le droit coutumier qui s'y applique est le seul qui soit praticable en l'état. Qui est prêt à organiser deux jours de marche pour aller chercher la justice d'Etat s'il faut juger un voleur de poules du village ou une querelle de voisinage ? Ce sont pourtant des questions décisives dans une vie villageoise et le fondement de l'autorité et de la vie commune est le respect strict des règles de vie reconnues par la tradition qui protège le groupe humain contre l'imprévu. De quel Etat indivisible parler à cet homme qui déclare à un officiel en tournée « Bienvenue ! Vous nous faites un grand honneur. Nous sommes fiers de votre venue. Vous êtes le premier représentant de l'Etat que nous ayons vu ici au cours des quarante dernières années ? »


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  1. Jean-Charles dit :

    Confrontation avec les Etats-Unis et la politique de Bush.......c'est récurrent en Amérique du Sud.......sauf encore en Colombie ou le pouvoir en place.....et son président d'ultra droite Alvaro Uribe...semble ne pas être touché par ce mouvement de grande ampleur. Il remet tout de même en jeu "sa légitimité" lors des élections législatives du 12 mars prochains.

    Un mot encore ; l'Union des gauches est également en marche en Colombie puisque l'on note avec grande satisfaction le lancement du P.D.A - pôle démocratique alternatif - autour entre autre de Carlos Gaviria, Lucho Garzon (maire de Bogota), Navaro Wolff,.....

    Une alternative crédible aux paramilitaire, aux Farc et aux mafieux de tous ordres qui sévissent là-bas !


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