21juin 09
PS en chute libre, percée des Verts, UMP en tête des suffrages et Front de gauche à 6,5% : quelles sont les leçons politiques que tous tirez du dernier scrutin ?
Jean-Luc Mélenchon. La première, c’est évidemment l’abstention. Indifférence ? Désintérêt ? J’y vois plutôt une censure des institutions européennes et d’une façon générale des mécanismes démocratiques dans notre pays. Le bilan est lourd. La démocratie n’est pas qu’un idéal. C’est surtout le mode concret pour régler les problèmes quotidiens de la vie en société. Ce mécanisme de base est désormais enrayé. C’est un avis de tempête à venir ! Il faut aussi s’y préparer. La seconde leçon de cette élection, c’est bien sûr la faillite de l’orientation du PS. Nous en payons tous l’ardoise. Le PS entraîne toute la gauche dans le trou. C’est le même cas dans toute l’Europe. Le PS français paye ainsi son alignement sur la social démocratie européenne depuis François Hollande. Dans ces conditions, l’émergence du Front de gauche est réellement la chance de la gauche française. C’est la seule force de gauche autonome et unitaire qui soit apparue à temps. Je dis « à temps » en pensant à l’exemple de ce qui s’est passé en Italie, où les camarades de l’autre gauche, ont trop attendu pour proposer une alternative autonome. Ils ont été balayés aux dernières élections législatives. A présent, faute d’union de l’autre gauche divisée en deux listes, ils ont aussi perdus tous leurs députés au Parlement européen! Ces deux désastres doivent nous servir de leçon.
Une « chance » que les classes populaires n’ont pas investi en masse, comme vous le leur avez proposé sans cesse pendant cette campagne en les appelant à « une révolution dans les urnes ».
Jean-Luc Mélenchon. Le bilan du Front de gauche est en effet contrasté. Nous devons reconnaître que nous n’avons su entrainer vers la double sanction à l’égard de Sarkozy et de l’Europe libérale. En fait je crois que nous n’avons pas été perçus comme un point d’appui suffisant pour le faire. Nous avons ainsi, nous aussi, payé le prix de la division de l’autre gauche. Enfin nous avons manqué d’ambition révolutionnaire en étant peu disant sur l’écologie. C’est pourtant sur ce terrain que se combinent aujourd’hui étroitement les attentes des ouvriers et des cadres. C’est sur ce terrain que l’intérêt général est le plus évident.
Le tout jeune Parti de gauche ressort fortifié par les élections du 7 juin en termes d’audience, mais où en est son développement militant ?
Jean-Luc Mélenchon. Nous devons maintenant être autour de 5000 membres : ce n’est pas suffisant pour remplir l’ensemble de nos tâches et nous assurer de la couverture de l’ensemble du territoire. Le PG vise une double dynamique : il pense son développement à travers l’influence croissante du Front de gauche, dans lequel nous travaillons notamment avec les communistes, et par le biais de son propre déploiement. Aussi, avons-nous décidé de co-organiser la deuxième phase de notre congrès avec les personnalités et les groupes politiques qui partagent notre objectif de réinvention de la gauche. C’est une démarche ouverte. Elle signifie que nous ne nous approprions pas de manière possessive la création de notre propre parti. Notre objectif demeure d’être un parti creuset entre différentes traditions politiques de gauche : communistes, écologistes, socialistes et autres. Nous allons créer un comité de co-organisation du congrès avec ceux qui veulent porter avec nous cette ambition.
Vous avez les noms de vos invités ?
Jean-Luc Mélenchon. Je me garde bien d’en donner ! Des discussions sont en cours. Pour ce qui est des groupes, des forces politiques auxquelles je fais référence, nous nous adressons à tous nos partenaires. Nous connaissons déjà la réponse du Parti Communiste. Il avait avant même la création du Front de gauche, clairement signifié qu’il n’envisageait pas de fusion avec le Parti de gauche. Nous respectons ce point de vue. Mais à tous nos autres partenaires – Gauche unitaire, socialisme et République, Alternative citoyenne, comités antilibéraux… -, qui souhaiteraient partager avec nous le PG, nous proposons de co-organiser le prochain congrès du PG. Enfin, je voudrais renouveler mon appel aux socialistes, organisés ou non en groupes, club, ou courants. Ils peuvent maintenant tirer complètement le bilan de l’alignement du PS sur le PSE. Alors que le PS confirme sa politique d’alliances à la carte aux régionales, qui n’est pas moins qu’une ouverture au centre dans certaines d’entre elles, nous leur tendons la main.
A propos, comptez-vous saisir la main tendue d’Olivier Besancenot ?
Jean-Luc Mélenchon. Vous m’apprenez cette bonne nouvelle ! Tant mieux ! Peut-être, cette fois-ci, pour les élections régionales, allons-nous pouvoir réaliser le Front de gauche large que nous espérions réunir pour l’élection européenne. Le Parti de gauche rencontre le NPA le 30 juin prochain. Olivier Besancenot a annoncé sa présence. C’est une bonne manière, de bon augure !
La prochaine étape électorale à laquelle le Front de gauche va être confronté, ce sont les élections régionales. Quels enjeux discerner vous pour ce scrutin et quelles stratégie envisagez-vous ?
Jean-Luc Mélenchon. Ce scrutin régional aura une signification politique nationale. Cela crée des exigences. La première, c’est la cohérence entre le projet et le système d’alliance. Pour nous, les régions doivent être les bastions avancés du bouclier social et écologique dont notre population a besoin. Le contenu des programmes doit donc aller loin dans ce sens. Fut-ce au prix de l’abandon de certaines autres politiques si tout ne peut pas être financé en même temps. Il faudra donc en finir avec une certaine dispersion de l’action des régions. Et par exemple renoncer aux aides aux entreprises privées si elles ne sont pas fortement conditionnées. De plus les régions doivent devenir des acteurs économiques directs… Je crois aussi que dans tous les domaines de service public relevant de la compétence régionale ou qui peuvent être encouragés par l’intervention des régions, il va falloir maintenant faire de grandes avancées.
Pour servir cette ambition, la situation est un peu plus compliquée qu’aux élections européennes avec vos partenaires…
Jean-Luc Mélenchon. En effet. Il faut à la fois se garder du suivisme au premier tour et du sectarisme au second. J’espère que le Front de gauche saura faire face uni et soudé. Au PG, notre position est la suivante : nous n’avons pas l’intention de nier qu’il y a dans le bilan des équipes régionales sortantes de gauche des éléments très positifs. Mais tout ne l’est pas. Et ce qui est en cause c’est le choix pour l’avenir. A ce titre, nous n’acceptons pas le système des alliances à la carte du PS. Nous mettons en préalable l’exigence d’une position cohérente : la même dans toute la France. Compte-tenu de ce qui a déjà été dit, à la fois par certains présidents de régions en faveur de l’alliance avec le centre et par la rue de Solférino qui leur donne carte blanche pour la composition des listes et des alliances, nous pensons qu’il ne serait pas sage de nous laisser entraîner dans cette incohérence ni de lui servir de cache sexe. Nous plaidons donc pour des listes autonomes du Front de gauche au premier tour. Un front élargi, bien sûr, à toute l’autre gauche. Pour le deuxième tour il faudra se prononcer pour le regroupement des voix de gauche. Evidemment nous devrons exiger une déclaration réciproque du PS. Pour mettre tout cela en place, et sans doute d’autres points que la discussion fera apparaitre, nous allons reprendre la totalité des contacts que nous avions eu pour la constitution du Front de gauche à l’élection européenne. Nous allons rencontrer toutes les formations politiques qui sont intéressées par cette proposition de listes autonomes du Front de gauche aux élections régionales.
Au-delà des élections régionales, dans la perspective de 2012, comment envisagez-vous d’éviter l’écueil sur lequel ont échoué les collectifs unitaires, celui du leadership ?
Jean-Luc Mélenchon. Le Parti de gauche souhaite que le Front de gauche ait une existence positive autonome en soutien des luttes sociales comme dans chaque élection partielle ou générale. Nous voulons donc que le Front de gauche soit présent pour les élections régionale mais aussi pour les présidentielles et les législatives. Mais, ce qui nous différencie du NPA dans ce domaine, c’est que nous ne faisons pas de l’adoption de ce paquet global une condition pour franchir l’une quelconque des étapes. Nous en resterons à cette méthode ouverte. Nous avons été satisfaits de franchir l’étape des élections européennes avec les communistes. Nous serons satisfaits si nous pouvons franchir celle des élections régionales ensemble. Ceci dit, nous pensons qu’il serait plus cohérent et efficace de nous accorder sur la totalité du parcours pour gagner en crédibilité et approfondir les méthodes de travail en commun. La question du leadership n’est pas indépassable quand on la prend de loin et en s’étant bien impliqués dans un travail commun de longue haleine. Surtout souvenons nous que la candidature ne correspond pas à une investiture pour la fonction de direction du Front qui est nécessairement collégiale. C’est l’apposition d’un nom sur une tâche à accomplir : mener la campagne présidentielle. Je plaide donc pour qu’on ne tombe pas dans cette folie mégalomaniaque, fatale au PS, qui attribue à cette candidature une fonction quasi magique. Ceux qui en sont là sont ceux qui ne savent plus régler les problèmes politiques autrement que par des actes d’autorité venus d’en haut. Ce n’est pas notre cas.
Le PS semble aller justement dans le sens d’une proposition de primaires pour 2012…
Jean-Luc Mélenchon. Le PS a autant de propositions que de dirigeants. Par conséquent, on perdrait son temps à répondre à toutes. Nous n’avons pas à le faire. Cependant je veux dire à propos des primaires, que le seul exemple, italien, où cela s’est pratiqué, nous a plutôt convaincu de sa dangerosité.