04oct 10
Jeudi et vendredi se tenait la séance plénière du Conseil régional. Mais avant d’y venir, je préfère vous raconter ce que j’ai vu à quelques mètres de là, devant le ministère de la Santé, où je me suis rendu vendredi soir alors que la séance n’était pas encore complètement terminée et que j’ai abandonné la tranchée régionale à mes camarades et collègues Pascale Le Néouannic et Eric Coquerel.
Vendredi c’était le « D Day des IADE ». Il faut sans doute que j’explique. Bon le « D Day » c’est la version anglo-saxonne du « jour J » et ça rappelle le Débarquement. Pour le coup, c’en fut un. Mais les IADE ? Ce sont les infirmiers anesthésistes diplômés d’Etat. Vous ne connaissiez pas ? Vous avez des excuses. Si vous avez passé récemment du temps avec l’un d’entre eux il y a de fortes chances que vous étiez endormi. Par contre il est spécialement lamentable que la ministre de la Santé Bachelot ne les connaisse pas. Car les IADE sont un maillon clé de l’hôpital. L’anesthésie est cruciale pour la sécurité des opérations. Pour aggraver le cas de Bachelot, cela fait plus de six mois que les IADE cherchent à la rencontrer. 6 mois de grève reconductible, 6 mois au cours desquels ils ne réussissent jamais à voir un représentant mandaté pour négocier ! Du jamais-vu !
Ce à quoi j’ai assisté vendredi soir m’a mis la rage au ventre. Les infirmiers anesthésistes défendent l’intérêt général. Ils veulent sauvegarder leur profession car celle-ci est utile à tous. Leur métier est menacé par la diminution drastique du nombre de postes ouverts dans les écoles d’infirmiers anesthésistes. Il est victime de la non reconnaissance de la formation des IADE au niveau bac +5. En effet ces infirmiers spécialisés font deux années de plus que leurs collègues infirmiers traditionnels. Or ces derniers viennent d’obtenir la reconnaissance à bac +3 de leur formation (en échange du renoncement à la retraite à 55 ans !). Mais pour les IADE rien n’a changé. Leur niveau bac +5 n’est pas pris en compte. Ce n’est pas là seulement un problème de salaire. Cette non reconnaissance va entraîner la baisse du nombre de candidats à cette spécialisation. Rares seront les infirmiers qui accepteront de faire deux années d’études de plus pour toucher à la fin un salaire identique ou amélioré de 30 euros au maximum. En plus, les IADE se voient privés de la reconnaissance de la pénibilité de leur travail. Cela veut dire pour eux la fin de la retraite à 55 ans. Place à la retraite à 62 ans au mieux (7 années de plus !), pour ceux qui pourront la prendre car après 5 années d’études et 42 annuités c’est plutôt la retraite à 65 voire 67 ans qui s’annonce.
La disparition progressive des IADE remplacés par des infirmiers non spécialisés serait une catastrophe pour nous tous. Si la sécurité des anesthésies est désormais extrêmement élevée (comparable à celle du trafic aérien) c’est grâce au haut niveau de formation des IADE, à leur présence lors de toutes les anesthésies, complémentée par celle du médecin anesthésiste dans les moments critiques où peuvent se produire les accidents.
Hélas la politique gouvernementale n’a cure de l’intérêt des patients. Bachelot n’a qu’une assez vague idée de la manière dont fonctionne un hôpital. Elle a stupéfait tous les professionnels du secteur en expliquant que les IADE travaillent en salle de réveil au côté de biologistes, alors que ces derniers n’y mettent pas les pieds car ce sont les médecins chargés des analyses en laboratoire. En fait Bachelot est comme ces financiers nommés à la tête d’une entreprise et qui ne connaissent de son activité que la différence entre ses coûts et son chiffre d’affaires. Leurs indicateurs de rentabilité s’appliquent de la même manière à une firme qui produit des films ou à une autre qui fabrique des aciers spéciaux. Mais la santé n’est pas une activité comme une autre. Elle a ses contraintes propres. Et dans ce secteur, les économies financières finissent par coûter des vies.
Il y a 8000 IADE en France. Ils étaient plus de 2000 ce vendredi venus de tout le pays. Au bout de six mois de grève ils savent qu’il faut détonner pour se faire entendre. Démarrage devant le Fouquet’s (apparemment il faut être ici pour être entendus, se moquent-ils). Passage devant l’UMP. Finalement rendez-vous au Ministère. Un petit groupe essaye même d’aller à l’Elysée. La réponse du pouvoir est violente. Le porte-serviette de Bachelot qui reçoit leur délégation annonce qu’il n’a aucun mandat pour négocier. Les représentants des IADE répondent donc qu’ils attendront sur place. Ils seront sortis par des flics cagoulés qui enfoncent la porte de la salle de réunion avec un bélier. Des gars du Raid ou du GIGN, je ne sais pas, me dit Olivier Youinou, de Sud, qui est à la pointe de ce combat avec Bruno Franceschi de la CGT. Dans la rue, la police a procédé à une quinzaine d’interpellations. 3 infirmiers seront placés en garde à vue. Officiellement pour violence à agent. L’agent en question les emmène jusqu’au poste avant d’aller chercher une incapacité de travail d’une journée. Bref tout cela est bidon d’un bout à l’autre. Des fonctionnaires de justice chuchotent que les ordres viennent d’en haut : « ils ne veulent plus de manifestations ». Il s’agit d’intimider tous ceux qui relèvent la tête. Dans le poste de police, les IADE gardés à vue sont déshabillés et fouillés au corps. Le représentant du parquet leur explique qu’ils risquent de 5 à 7 ans de prison. Il faut des nerfs d’acier pour tenir. Heureusement les images de la violence policière font le tour d’internet (par exemple sur www.laryngo.com). La toile rompt l’isolement dans lequel le pouvoir cherche à plonger les IADE. Et à leur grande surprise, leur action a percé le mur du silence médiatique faisant même ce soir-là l’ouverture du journal de TF1.
Alors je vous invite vraiment à les soutenir. Demain commenceront des journées de grève plus dures. A l’hôpital, la loi donne le droit d’assigner les grévistes pour les obliger à travailler. Mais elle prévoit que ces assignations leur sont remises en main propre. Jusqu’ici les grévistes acceptaient de venir travailler sur simple information orale. Demain ils ne se présenteront plus au bloc sans assignation en bonne et due forme. Il faut donc s’attendre à un service minimum et de nombreuses opérations (celles qui ne sont pas urgentes bien sûr) seront alors reportées. Il faut s’attendre à beaucoup de tension, à des intimidations, à des mines outrées du gouvernement même si celui-ci est en réalité le seul responsable du durcissement.
Nous devons aussi soutenir les trois IADE menacés de poursuite. Le tribunal n’a pas accepté de les juger en comparution immédiate. Le premier d’entre eux passera donc en jugement le 18 novembre, les deux autres le 1er décembre. Venez assister au procès. Dès que j’aurai les informations sur les lieux et heures je les mettrai ici même en ligne. C’est en braquant les projecteurs sur nos camarades que nous avons protégé les Conti jugés eux aussi pour l’exemple. Souvenez-vous. Sa manœuvre d’intimidation était alors revenue à la face du pouvoir comme un boomerang puisque les Conti étaient ressortis de l’épreuve plus soudés et plus forts encore. S’ils se sentent soutenus, c’est la même chose qui se produira avec les infirmiers anesthésistes.
Pour commenter cet article, et retrouver tous les articles de François Delapierre, rendez vous sur son blog blog.francoisdelapierre.fr