19jan 11
« Manchette (1) : Titre très large et en gros caractères, à la première page d’un journal » Petit Robert, Dictionnaire de la langue française.
Depuis dimanche, jour du 14e congrès du Fn à Tours, Marine Le Pen fait la manchette de tous les principaux journaux. Sans jeu de mots oiseux (quoique) elle semble dire : « Je suis partout ». A la TV également, puisqu’elle était encore sur France 2 ce soir. Petits carrés de moquette après petits carrés de moquette, un tapis rouge se met en place devant elle. Les maladroites attaques portées contre elle ne font que la mettre en valeur et tout le barnum médiatique bâtit, sans le vouloir j'espère ( ?), un piédestal sur lequel la dame n’aura plus qu’à venir se hisser une fois qu’il sera assez haut à son goût. « La dynamique est irrépressible » a-t-elle dit en parlant d'elle, et personne, parmi les principaux observateurs auxquels on donne la parole, ne semble le contester. Au contraire. On la présente comme « un rouleau compresseur ». Il y aurait une « méthode Marine Le Pen » en application sur ces terres électorales du nord qui expliquerait « son succès »… et j’en passe.
Et bien pas d’accord, mais pas d’accord du tout.
Il faut rétablir quelques vérités. Qui dira enfin que dans la Région où Mme Le Pen s’est installée politiquement depuis quelques années, sous sa conduite, les listes électorales du FN sont en reculs ? Je donne quelques chiffres. Ils sont déterminants à connaître. Aux élections européennes de 2009, la liste conduite par Marine Le Pen elle-même a obtenu 253 009 voix (10,18 %) soit un recul de 78 333 voix par rapport aux européennes précédentes où la liste Fn conduite par Carl Lang avait obtenu 331 342 voix (12,86 %). En 2010, rebelote, la liste aux élections régionales conduite par Marine Le Pen obtient 224 870 voix (18,31 %) alors qu’en 2004, la liste toujours conduite par Carl Lang avait rassemblé 290 908 voix (17,94 %). Là encore, même conduite par Marine Le Pen en personne, déjà très médiatisée, la liste Fn perd 66 038 voix d’une élection à l’autre.
En écrivant cela je ne cherche pas à minimiser la menace d’extrême droite. En période de crise elle est évidente. Ce courant politique est, par définition, un mouvement en mutation permanente se nourrissant de la tension sociale, davantage qu’un Parti dans les formes classiques. Le Fn a vocation à se modeler et à s’adapter à la période et aux besoins des puissants qui veulent maintenir l’injustice de notre monde. Ne souriez pas. Plus nous allons nous enfoncer dans la crise, plus certaines personnes verront l’intérêt d’aider ceux qui peuvent maintenir l’ordre, y compris par la force.
Mais surtout, quel intérêt y a-t-il à répéter en boucle du soir au matin et du matin au soir qu’avec Marine Le Pen, le Fn peut prétendre conquérir le pouvoir, qu’elle n’est plus sur la même ligne que son père, etc… ? Ce discours d’affolement est le préambule du grand roman du « vote utile dès le premier tour » que l’on va nous lire dans les mois qui viennent. On connaît. A l'UMP et à Solférino, des plumes fébriles l'écrivent déjà. Pas sûr que cela soit un best-sellers.
Car même concernant la vie interne du Fn, la dynamique n'a absolument rien "d'irrépressible". Qu'on en juge. Alors que le Fn revendique sur son site 75 000 adhérents et sympathisants, seulement 17 000 personnes ont participé au vote et 22 403 adhérents ont été jugées à jour de cotisations. C'est-à-dire que près de 25 % des adhérents n’ont pas estimé utile de se déplacer pour venir voter pour Marine Le Pen alors que la presse a fait grande publicité de ce vote, et qu’il était étalé sur plusieurs jours. Sur ces 22 403 adhérents, Mme Le Pen obtient 11 546 voix, soit à peine plus de 50 %. Elle rassemble 5 000 voix de plus que son rival Bruno Gollnish, certes le double, mais les proches de Mme Le Pen expliquent que l’émission « A vous de juger » sur France 2, le 9 décembre, a fait adhérer en 24 heures plus de 5 000 personnes au Fn « pro-marine ». Sans ce soutien médiatique, le résultat aurait-il été le même ? Pas sûr.
Et puis sur le programme… j’y reviendrais plus longuement. Avec ma camarade Pascale le Néouannic nous travaillons à un argumentaire. Mais je dis à nouveau ce que j’ai déjà écrit ici. Mme Le Pen a fait beaucoup d’effet de manche lors du Congrès du Fn. Elle prétend vouloir « un Etat protecteur et efficace au service de la communauté nationale ». Elle répète 51 fois le mot « Etat » dans son discours. Elle y va donc au canon… c’est assez grossier. Mais, en 2007, dans le programme présidentiel de Jean-Marie Le Pen dont elle était la Directrice stratégique de campagne et la coordonnatrice du programme, il était alors dénoncé « un Etat omnipotent (qui) est devenu une surcharge pour le comptes de la Nation et un danger pour les libertés économiques ». Le reste du programme déclinait cette orientation : suppression de 20 000 postes dans l’Education nationale, non renouvellement des fonctionnaires qui partent à la retraites, réduction des dépenses publiques, etc… On peut encore lire ce programme sur le site du Fn. C’était il y a seulement 3 ans. C’est le seul programme encore en vigueur, jamais Marine Le Pen n’a pris la moindre distance avec lui (et pour cause, elle l’a rédigé).
Comme je l’ai déjà écrit : Marine Le Pen, c’est la fausse opposition à la politique de Nicolas Sarkozy. Il suffit de lire son programme, tout y est : « travailler plus pour gagner plus », « travailler plus longtemps pour avoir droit à une retraite », etc… Enfin, concernant la laïcité, je consacrerai un billet prochain à ce sujet. Mais, pour faire court, je dirais que Mme Le Pen confond Godefroy de Bouillon et Aristide Briand, et le siège d’Antioche avec la loi de 1905. J’y reviendrai.
« Manchette (2) : coup au menton donné avec l’avant bras » Petit Robert – Dictionnaire de la langue française.
Quand je jouais au rugby, on m’a appris à plaquer, aux jambes ou aux épaules, mais à ne jamais pratiquer la manchette. C’est interdit et déloyal, contrairement à un bon plaquage, certes rude, qui fait partie du jeu. Comment alors nommer l’article que j’ai lu ce soir sur le site du Monde.fr ? Il évoque le départ du PG de mon ami Christophe Ramaux. Ce départ date de 6 jours à peine. Christophe a des désaccords politiques, notamment avec le secrétaire national à l’économie Jacques Généreux. Par exemple, il n’est pas d’accord avec la notion de « précariat » présentée par Jean-Luc Mélenchon lors du congrès du PG ou considère que le PIB est un bon indicateur de richesse pour un pays…Le fond de l'affaire est que tous ont un sacré caractère. Au PG, la concentration de « têtes dures » est assez élevée au mètre carré. Vous imaginez entre intellectuels de ce calibre, chaque mot provoque une discussion enflammée et des claquements de portes… Bon, personnellement, et comme tout le monde, je regrette vivement cette situation. Ramaux est de toutes façons un type formidable, à jour de cotisation au PG ou pas. Rien n'est rompu entre nous. Dans la lettre qu’il a écrit, il assure « je suis sûr que d’une façon ou d’une autre nous serons amenés à retravailler ensemble » ou plus loin « reste l’essentiel qui n’est effleuré qu’au début : les nombreux points d’accords politiques qui promettent bien des combats communs futurs avec vous tous. » Voilà ce que la journaliste résume par "claquer la porte".
Le problème donc n’est pas le départ de Christophe qui se situe hélas à un moment si important de l’histoire de notre jeune parti (deux ans et demi !). On a besoin de lui, et lui ne comprend pas que l’on ne soit pas plus collectif, mieux organisé, plus réactif, et bien d’autres justes critiques encore. Bon, on va continuer à discuter. Comme toute formation en pleine construction, des camarades arrivent et d’autres partent, déçus, fatigués, ou pour bien d'autres raisons. Oui, notre parti brasse du monde, mais le solde est plus que positif et nous avons, je crois, près de 600 adhérents nouveaux depuis notre congrès.
Ce qui me sidère c’est l’angle pris par l’article du Monde pour relater cet évènement, ce sont les bouts de phrases choisis pour dramatiser cet épisode. Pas sûr déjà que Christophe ait souhaité faire une telle publicité de sa lettre. Je lui demanderai. Mais, pourquoi cet article aux commentaires plein d’insinuations et de mensonges sans nuances ni contre-points? Je réponds à quelques uns. Nous n’aurions pas de programme au PG ? Mais il suffit d’aller sur le site du PG (cliquer ici) pour le consulter. Nous n’aurions pas une réflexion sérieuse sur la crise économique ? Mais, depuis le premier congrès de Limeil-Brévannes nous n’arrêtons pas d’écrire là-dessus. Nous avons par exemple proposé une loi (à l’initiative de Martine Billard), nous avons organisé le 12 juin 2010 un Forum « Gouverner face aux banques » de très haute tenue (voir ici), et j’invite tous à lire le dernier ouvrage de Jacques Généreux « La grande régression » (édité au Seuil – 2010), ouvrage majeur sur ce point. Qui fait mieux ? Et je vous passe les dizaines de résolutions de nos Conseils nationaux et éditos de notre hebdomadaire « A Gauche » sous la signature de François Delapierre, et bien d’autres documents encore. Pour ma part, c’est plutôt sur d’autres thèmes que je considère que nous n’écrivons pas suffisamment. Alors, pas assez sérieux le PG dites vous ? Nous serions aussi un parti trop personnalisé autour de Jean-Luc Mélenchon ? La belle affaire, mais comment procéder autrement ? Qui ne comprend pas le moment dans lequel nous sommes, où la grande bataille présidentielle de 2012 va trancher nombre de grandes questions. Et Jean-Luc devrait s’en écarter ? Ne plus se battre pour être invité dans les médias ? Se taire ? Se faire discret ? A la direction du PG, nous rêvons tous de la possibilité d’avoir plusieurs porte-paroles présents dans les médias. Martine Billard, notre coprésidente (en France, seul le PG a deux présidents à ma connaissance) est disponible, et d’autres membres encore du SN. Cette critique a peu de sens en réalité. Elle va être le lot de toutes les forces qui entendent jouer un rôle central en 2012. C’est notre cas.
Pourquoi alors, en écrivant cet article, l’auteur, que je connais bien pourtant, ne prend pas le temps d’appeler un seul membre de la direction du PG pour connaître son opinion ? En général, cela se fait non ? Bah, allez, je me calme. C’est de peu d’importance en réalité. Je réalise seulement que la campagne présidentielle a commencé. Pour ceux qui voudront connaître un moment de gloire, la méthode est donc là. Si vous avez une peau de banane en magasin, une petite méchanceté contre le PG et Mélenchon, ne vous gênez pas. Manifestement, cela fait vendre.
Si l’auteur de l’article du monde.fr, lisait ce modeste blog, je tiens à lui dire clairement : je n’ai aucun goût pour le journalisme de complaisance et je conçois le plaquage, même rude, mais la manchette c’est pas correct.
Pour commenter cet article, et retrouver tous les articles d'Alexis Corbière, rendez vous sur son blog www.alexis-corbiere.fr