01juil 11

Interview au magazine Têtu

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Votre engagement pour la cause homosexuelle ne date pas d’hier. Sénateur, vous aviez déposé en mai 1990 la première proposition de loi sur un « partenariat civil » concernant les concubins hétérosexuels et homosexuels, les fratries…
Jean-Luc Mélenchon. J’étais totalement étranger à cette problématique, le hasard de la vie, ça ne me concernait pas. Puis en 1982, il y a eu la décriminalisation de l’homosexualité. À ce moment-là, je découvre que c’était criminel, et puni. J’étais surpris. Et puis, après, je ne m’en occupe plus, personne m’en parle, les années passent. Et en 1988, la campagne du Président Mitterrand m’envoie à une soirée de l’association « Gays pour la liberté », qui me propose de parler des nouveaux défis pour l’avenir, un thème extrêmement large. Je ne parlais pas une seule seconde de la problématique de l’homosexualité, alors que peut-être j’aurais pu au moins avoir l’intelligence d’y penser. Quand j’ai fini, les gens m’applaudissent très courtoisement et quelqu’un lève le doigt, en me disant « tout ça est formidable, mais on voudrait vous parlez de quelque chose, c’est la situation des homosexuels ». Et il me raconte la mortalité galopante du fait du sida à l’époque, et le malheur des couples brisés par la mort, aggravé souvent par la brutalité des familles, et la misère sociale dans laquelle plonge souvent le survivant. Cette parole était tellement sincère, humaine, que je suis parti en leur faisant le serment, « je ne vous oublierai pas ». Plus tard, après la campagne, j’ai découvert la formule du « partenariat civil » qui venait du Danemark.

Quelles étaient les réactions autour de vous?
Jean-Luc Mélenchon. Il y avait deux types de réactions : d’abord, « on s’en fout » et « ce n’est pas notre sujet », notamment chez certains au PS. Et de l’autre côté, j’ai découvert un milieu parcouru de querelles, de combats, auxquels je ne comprenais naturellement rien. Lors d’une réunion par exemple, c’était la première fois que j’entendais une oratrice trans. Son intervention m’ouvrait un champ de questions auxquelles je n’avais radicalement jamais pensé. Tout ça pour dire que ce n’était pas qu’un texte, ce fut une expérience humaine, intellectuelle, assez dense. Et totalement gratuite parce que je n’y cherchais rien de particulier, je ne partais pas à la conquête d’un public particulier.

Vous aviez été surpris pas les réactions hostiles à l’époque du Pacs ?
Jean-Luc Mélenchon. Ce n’est pas seulement les partis pris religieux ou clientélistes qui ont animé ceux qui ont proféré ces violences verbales. Dans cette affaire, on a  touché du doigt la ligne de partage entre deux camps concernant l'identité humaine. Ceux qui la perçoivent dans son unité, et les autres, qui ont toujours pensé que l’égalité était une construction intellectuelle discutable. Pour moi, radicalement, nous sommes semblables, vous êtes mon semblable, vous n’êtes pas autrui. Ces deux mots là structurent l’inconscient.

A priori, vous soutenez l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples homosexuels…
Jean-Luc Mélenchon. Au début, l’idée même de mariage, pour hétéros comme pour homos, me dépassait. La gauche n’a jamais été apologiste du mariage. Il faut relire les textes de Léon Blum sur les unions libres. Aujourd’hui, nous voilà tous entichés d’une affection nuptiale ! Chacun fait comme il veut, et il faut avoir le choix. Je soutiens donc l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples homosexuels. 

Mais sur ce qu’on appelle l’homoparentalité, êtes vous favorable à l’ouverture de la procréation médicale assistée aux couples homosexuels ?
Jean-Luc Mélenchon. Le Parti de Gauche y est favorable. Moi j’en suis le porte-parole et c’est une situation confortable pour moi, car ils ont tranché à ma place dans une discussion où je finissais par tourner en rond. Je ne crois pas qu’il existe un droit à l’enfant. Je pense qu’il y a des droits de l’enfant. Est-ce que du point de vue de l’enfant, il est indifférent de savoir qui l’éduque ? Longtemps cela a été ma barrière. Puis j’ai pris le problème par un autre bout : au fond quelle est la meilleure éducation ? C'est celle qui est faite d'amour. J’ai été foudroyé par les exemples d’enfants martyrs de parents hétérosexuels. Et finalement, je me suis rallié à l’idée qu’il n’y avait aucun obstacle philosophique à l’homoparentalité du point de vue du droit de l’enfant.

Concernant la condition des transexuels, êtes-vous pour faciliter le changement d’état civil ?
Jean-Luc Mélenchon. On touche là à une question philosophique profonde qu’est celle de la liberté. Qu’est-ce qu’un être humain ? Ce n’est pas son sexe, ce n’est pas la couleur de ses cheveux, ce n’est pas la couleur de sa peau. Donc sur cette question, j’ai un attachement qui n’est pas une concession. Ce n’est pas « pourquoi pas ? s’ils veulent ça ». Non, c’est une question fondamentale que je souhaite porter. On doit être rendu maître de soi en toute circonstance. C'est cela l'émancipation.

Pourquoi êtes vous opposé aux « mères porteuses » ?
Jean-Luc Mélenchon. Parce que le corps des femmes n’est pas un instrument de production. Parce quand vous m’aurez montré une grande bourgeoise qui accepte contre rémunération de faire un enfant à une famille de pauvre, la discussion aura un sens. Ça n’est pas vrai. Cela n’existe pas. Il ne peut pas être question d’accepter la marchandisation du corps humain. On ne me racontera pas d’histoire, c’est à ça qu’on arrive à la fin. Et si le corps d’une femme est un instrument de production, alors la question de sa propriété est reposée.

Vous parliez d’universalisme, est-ce que vous n’avez pas l’impression que la République est parfois sourde aux différences ?
Jean-Luc Mélenchon. De quoi parlez vous ? Qu’est ce que la République ? C’est une idée. Après il y a des républiques qui se succèdent dans des formes différentes. Mais qu’est ce qui est en commun aux républicains ? Un espace public dans lequel la seule norme qui puisse fonctionner c’est le débat argumenté et la décision provisoire, qui porte un nom : la loi. Il n’y a donc place ni pour les vérités révélés, ni pour les droits particuliers opposables aux droits généraux, ça c’est la structure de base. Proclamer l’universalité de la condition humaine ne signifie pas que les êtres humains ne sont pas différents, bien sûr qu’ils le sont, mais quelle place doit-on donner à cette différence ? Est-ce que cette différence peut l’emporter sur le caractère universel ? Ma réponse est non.

Cela ne vous surprend pas qu’il n’y ait pas eu plus de coming out dans le monde politique?
Jean-Luc Mélenchon. Mais d’abord je suis scandalisé qu’autant de personnages publics se sentent obligés d’exposer leur vie privée pour exister politiquement. Je trouve ça lamentable.

Mais là je ne parle pas de vie privée…
Jean-Luc Mélenchon. Mais qu’est-ce que c’est ? La relation amoureuse ce n’est pas de la vie privée ?

La relation amoureuse oui, mais l’affirmation politique dans la sphère publique…
Jean-Luc Mélenchon. Mais quel est le sens de l’affirmation politique de l’homosexualité ? C’est comme si moi j’affirmais politiquement mes préférences essentielles, affectives, dans la vie. Quel sens ça a ? Aucun. Fichez la paix aux gens.

Mais là je parle de représentativité politique…
Jean-Luc Mélenchon. Je vous vois bien arriver…

Donc vous êtes opposés à la parité ?
Non, c’est l’inverse, je l’ai votée. Ça n’a rien à voir.

Mais alors pourquoi ?
Jean-Luc Mélenchon. Je vais vous l’expliquer. Je vous vois arriver : l’homosexualité devrait s’afficher, donc elle serait fondatrice de droits particuliers, donc, il faudrait qu’elle soit représentée. Pas question.

Mais pas du tout…
Jean-Luc Mélenchon. Ceux qui le sont devraient le dire ? C’est ça que vous voulez dire ? Mais ça les regarde, enfin. Qu’est-ce que c’est que ce truc de curés ? Cette cléricature qui enjoint aux gens des aveux et des excuses. Que des gens ne disent rien d'eux-mêmes, je trouve ça très bien. Les gens font ce qu’ils veulent. S’ils veulent dire quelque chose concernant leur vie privée, ça les regarde. Moi je ne veux pas qu’on me pose de questions sur ma vie privée. Alors à chaque fois qu’il y en a un qui fait le mariole à aller raconter sa vie, il me met en danger, parce que le journaliste fait le tour, et dit : «  et vous ceci et vous cela… ». Et moi je réponds, allez vous faire voir vous même !

Moi je suis homosexuel. Je parle de moi, pour le coup. Dire publiquement…
Jean-Luc Mélenchon. En quoi cette information a un intérêt ? Qu’est-ce qu’elle change à notre relation ici ? Est-ce que vous avez le sentiment que je dois changer mon comportement ?

Ca ne change rien, sauf que quand vous parliez de couleur de peau tout à l’heure, c’est quelque chose que l’on ne peut pas changer…
Jean-Luc Mélenchon. Moi je suis terrible, il m’arrive de ne pas m’en rendre compte, alors, c’est vous dire… à quel point je suis indifférent aux différences … Je vous parle sérieusement ! Les gens m'intéressent par eux-mêmes.

Je ne veux pas vous mettre trop en retard, c’est un débat infini.
Jean-Luc Mélenchon. Non, c’est pas un débat infini, il est tranché. La parité n’a rien à voir avec ce que vous dites sur l’homosexualité. Pourquoi ? Parce que la seule différence fondamentale et universelle, c’est la différence homme-femme. Le genre humain unique fait de semblables est composé d’hommes et de femmes. Et ceci n’est pas sans conséquences sur au moins un mécanisme implicite, non visible, qui s’appelle le patriarcat. Dont la répression de l’homosexualité est un des aspects. Comme le patriarcat est antérieur à la société politique, il a fallu le détruire par des méthodes politiques, puisqu’on n’obtenait rien par les mœurs. L’homosexualité était opprimée pour des raisons politiques et nous l’avons réglé à coups de décisions politiques.

J’entends bien… Mais quand les féministes s’engagent, se mobilisent, on ne leur reproche pas d’être des femmes…
Jean-Luc Mélenchon. Mais qui reprochent aux homosexuels de se mobiliser en tant qu’homosexuels ?

Mais alors dans ce cas-là pourquoi il n’y a pas plus d’engagement homosexuel dans la vie politique française ?
Jean-Luc Mélenchon. Je n’en sais rien.

C’est ça dont je vous parle, ce n’est pas d’autre chose. Je ne parle pas de vie privée justement. Je ne vous parle pas de peoplisation de la vie politique.
Les homosexuels étant et ayant été tellement brimés, tellement insultés sont peut-être plus que d’autres sensibles à la question de la mise à distance de la vie privée par rapport à la vie publique. Et c’est peut-être quelque chose que je partagerais avec eux. C'est un souci de ne pas laisser les autres empiéter, pour venir commenter, faire des normes et le reste. Pardon, ce tempérament existe, c’est le mien. Voilà, il y a des gens qui pensent comme moi, y compris parmi les homosexuels, figurez-vous. Vous observez que c’est quand même moi qui ait raison parce le Pacs profite autant aux hétérosexuels qu’aux homosexuels.

Propos recueillis par Marc Endeweld.



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