01déc 11

Prononcé par Jean-Luc Mélenchon à Talence devant 3 000 personnes

Discours au meeting de Bordeaux

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Ah ! Je vais d’abord vous remercier. Vous remercier, avec toute la chaleur que ce mot implique, d’être là. Je veux vous dire, au nom des organisateurs – que je salue – qu’évidemment nous aurions aimé vous accueillir autrement que debout. Il s’exerce donc sur moi une sorte de pression, une invitation à la concision, par camaraderie, empathie avec vous.

Mais, par-dessus tout, merci d’avoir si bien commencé ce meeting en vous abstenant de crier mon nom. Car nous ne faisons pas campagne pour un candidat, ni pour un parti. Nous faisons une campagne collective pour une grande cause, quelque chose d’infiniment plus grand que nous, qui est la cause de l’humanité universelle, qui est menacée dans sa civilisation à l’échelle de la planète.

Parce que notre Terre est malade du capitalisme, et le capitalisme rend la Terre malade du productivisme, et que nous sommes au pied du mur.

Parce que s’ouvre la conférence de Durban sur le climat, et qu’avant même qu’elle soit ouverte nous savions qu’ils sont incapables de décider quoi que ce soit, parce qu’ils essayent de marier sans cesse l’eau et le feu, l’intérêt de l’humain d’abord et celui du capital financier. Ça ne fonctionne pas ensemble. Ça n’a jamais fonctionné ensemble, et à Durban, hélas nous le craignons, on verra une nouvelle fois que cela ne débouche sur rien.

Ensuite, notre cause, c’est celle d’un moment de l’Histoire où rien n’est comme auparavant. Cette campagne électorale ne ressemblera à aucune autre parce que cette élection ne ressemble à aucune de celles qui ont déjà eu lieu. Jamais on n’a été comme à cet instant dans une telle incertitude. Le mois prochain, y aura-t-il encore la monnaie qui nous sert tous les jours ? Dans deux mois, verrons-nous se proposer au suffrage de tous les Français les candidats qu’on nous annonce à présent ? Moi, j’y serai. Mais combien ont déjà disparu en cours de route ? Bref, dans cette incertitude, nous le voyons, la grande roue de l’Histoire s’est mise en mouvement, et nous y prenons notre part. 

Vous tous qui êtes ici, vous savez qu'aujourd'hui, ce qui domine, c'est l'incertitude. Il y a 20% de Français qui de toute façon voteront à droite, il y a 20 % de Français qui de toute façon voteront à gauche – avec des choix différents -, et une masse immense d'hommes, de femmes, qui se demandent : que faire ? Ils se le demandent sans se poser des questions d'étiquettes, sans se référer forcément à un sigle de parti. Ils se le demandent pour le bien de leur famille, pour leur propre dignité, pour leur pays, pour les pays qui nous entourent, pour ce destin commun que nous avons commencé à forger avec les autres peuples d'Europe.

Et tous sentent ce que chacun d'entre nous sait déjà, que l'ancien monde ne reviendra jamais. Le capitalisme s'est survécu par un moyen totalement artificiel qui a été l'accumulation de monnaies factices, de crédits qui semblaient illimités, reproductibles sans cesse, à l'initiative des États-Unis d'Amérique qui sont le premier problème du monde, qui ont déversé sur la terre entière, sous la protection et la seule garantie de leurs 700 000 hommes de troupe présents sur les cinq continents, des masses immenses de dollars qui circulent d'une manière inouïe : 90% des transactions financières du monde ne correspondent à aucune réalité matérielle !

C'est ce monde déréglé par cette finance qui jouait sur elle-même, et petit à petit a cancérisé tous les États, toutes les nations, tous les compartiments de l'activité humaine, pompant leur énergie, prélevant une dîme inouïe sur le travail, pour la disperser ensuite sous forme de bulle qui éclate à intervalles réguliers, réduisant à néant les efforts fournis par tant et tant de monde. Tant de travail, tant de peine pour rien !

Voilà que ce moment est terminé. Venu de l'explosion de la dette privée aux États -Unis d'Amérique, contaminant les dettes souveraines, le système tout entier est déréglé, et ceux qui le dirigent sont incapables de penser autre chose pour le futur que ce qu'ils ont toujours connu. Ils sont comme à chaque fois que s'ouvrent des grandes périodes révolutionnaires dans l'Histoire, ces hommes, ces femmes de l'Ancien Régime, qui ne savent imaginer autre chose que ce qu'ils ont toujours fait ! Et ce soir, ce qui était consternant à la télévision, ce n'était pas seulement cette salle incroyable de réactionnaires, récoltés sur la Côte d'Azur, venus attroupés autour du président de la République pour applaudir bestialement l'annonce de la ruine de tout ce que nous aimons; et pourquoi ont été sacrifiés tant d'efforts : la retraite à soixante ans, les trente-cinq heures, les congés payés et le droit de se reposer, le droit de vivre et non pas de survivre ! Tout ce que nous aimons, tout ce qui a été bâti, ils en applaudissent la destruction !

Quel spectacle consternant ! Et cet homme qui va, comme un disque rayé, répétant trois ans après les mêmes formules, qui au fond se résument à une seule chose : « C'est pas de ma faute ! » Au fond il aurait pu, au lieu de tous ces mots, faire un seul discours qui tenait en une seule phrase : « Françaises, Français, je vous prie de m'excuser. ». Car enfin, n'est-ce pas inouï de le voir, alors même que c'est le deuxième anniversaire du traité de Lisbonne, dont vous savez tous dans cette salle – je le suppose – qu'il s'est vanté d'en être l'auteur, dont il s'était attribué le mérite, disant que, depuis qu'il l'avait proposé, la France était de retour et les problèmes étaient réglés. Il y aurait plus de démocratie, plus d'efficacité… « L'Europe, disait-il, dispose maintenant du cadre qui lui est nécessaire pour se remettre en marche. Les décisions seront mieux contrôlées par les parlements nationaux ».

Et, deux ans après, le voici qui fustige, par une sorte de « copié/collé » de nos documents de 2005, l'Europe du libre échange, l'Europe de la concurrence libre et non faussée, l'Europe du dumping social et du dumping fiscal, alors que c'est lui qui a organisé tout ça ! C'est son bilan dont il a fait la critique ! C'est son aveu d'échec que nous avons entendu ! Et voici qu'il termine en disant que la France et l'Allemagne vont proposer un nouveau traité. Sans dire une seule fois que l'ancien est donc caduc, ne sert à rien et ne nous a amené que des désastres ! C'est donc bien nous qui avions raison en 2005! C'est nous qui avions raison, c'est nous qui avions été les plus sérieux dans la compréhension des problèmes ! Interdire que l'on harmonise socialement et fiscalement l'Europe par le haut, c'était organiser la compétition des peuples. Et cette compétition contient une pente. Cette pente conduit à nous replacer devant un mur que nous pensions avoir abattu autrefois. Le Vieux Continent pensait que la question de la démocratie, et de son caractère indépassable pour l'organisation des sociétés humaines, était réglé depuis que nous avions fait capituler, le 8 mai 1945, non pas les Allemands, mais les Nazis, ce qui est une différence ! Voici que la pente prise par la logique du traité de Lisbonne nous amène devant, de nouveau, la question de la démocratie. Vous ne savez pas à quel point, mes chers compatriotes, parce que les choses sont tellement embrouillées, on a tellement de mal à arriver à suivre, c’est si difficile de comprendre ce qui se passe, quand, en plus, les dirigeants embrouillent tout, comme ils le faisaient au moment du traité constitutionnel de 2005 ! Vous ne savez peut-être pas encore ce qui a déjà été décidé, puisqu’il faut tenir les peuples, puisque la décision a été prise que la dette devait être payée, même quand elle est inique, même quand elle est consentie à des taux usuriers de 18, 19, 20%… puisqu’il a été décidé qu’elle serait remboursée, et qu’il faut tenir les peuples. On ne leur demandera plus leur avis, on les tiendra à la gorge, on leur imposera des règlements ! Savez-vous que, dorénavant, plus aucun budget d’aucun État-Nation ne peut être présenté devant son parlement national de députés que vous avez élus, sans avoir d’abord été soumis à l’approbation de la Commission européenne ? Savez-vous qu’a d’ores et déjà été décidé que, si un pays venait à ne pas respecter le cadre budgétaire étroit de la politique d’austérité, si un pays venait à sortir de ces clous, alors il subirait une amende qui peut aller jusqu’à 3% de la richesse produite par ce pays pendant une année, ce qui n’aurait pour unique effet que d’aggraver la crise du pays en question. Tout cela a déjà été décidé, sans que jamais vous n’ayez entendu une seule fois le chef de l’État ou le premier ministre vous rendre des comptes pour vous dire ce qui a été décidé en votre nom, et contre votre gré. Voilà la situation dans laquelle nous sommes. A partir de quoi, c’est dorénavant une invraisemblable course, qui voit l’Europe passer d’une Europe a-démocratique à une Europe autoritaire. C’est de manière autoritaire que l’on envoie la troïka – le FMI, la Commission, la Banque Centrale Européenne – dans chaque ministère grec, surveiller les budgets. C’est de manière autoritaire que l’on décidera, sans consulter les peuples, des amendes dont je viens de vous parler. Et c’est, dorénavant, la porte ouverte à tous les abus. Nous, les Français, dans ce pays, nous avons initié l’ère moderne, par la grande révolution de 1789, lorsque le peuple a décidé que c’est lui qui fixerait le budget, déciderait quels seraient les impôts. Ce à quoi on nous ramène, c’est au statut qui était le nôtre de sujets, avant la République, avant la démocratie.

Il n'est donc plus étonnant, à partir de là, que l'on voie des organismes qui n'ont aucune espèce de légitimité démocratique, comme l'OCDE, non seulement nous faire des recommandations dont nous nous passons pour savoir comment nous devons gérer nos affaires, organiser notre éducation nationale, gérer nos comptes sociaux, – et quoi encore ? -, mais, par dessus le marché, impudence incroyable, nous recommander pour faire des économies de supprimer les départements en France. Le département, création de la grande Révolution, niveau de démocratie que nous vivons depuis deux siècles, devrait être rayer de la carte pour complaire à l'OCDE. Ah ! Nous sentons trop bien ce que tout cela veut dire ; quelle revanche d'aucuns prennent sur l'Histoire ; comment les privilégiés abattus pendant la nuit du 4 août, mille fois reconduits à la porte par le mouvement ouvrier, sont de retour, et prétendent voir leurs droits naturels à jouir sans entrave, pendant que les autres pâtissent sans fin, rétablis.

Dans cette situation, Pierre Laurent vous l'a dit, et Clémentine également… Oui, la démocratie est en danger ! Mais pas seulement elle. Je veux vous en parler avec gravité. Lorsque le système excite les contradictions à l'intérieur des Nations par la dureté du traitement social qu'elle inflige au grand nombre ; lorsque l'on passe son temps à dresser celui qui n'a plus rien contre celui qui a un petit quelque chose, celui qui a un petit quelque chose contre celui qui n'a rien ; lorsqu'on prétend trier les Français, peuple record d'Europe des mariages mixtes, peuple par définition mélangé, par vocation, et qui s'en glorifie… quand on veut les trier d'après leur couleur de peau, leur religion, on introduit dans le peuple un ferment de division et de haine qu'on retrouve à l'autre échelle, celle des Nations. Je vous le dis solennellement, c'est un très mauvais service qui est rendu à la paix, et à l'idée même d'Europe, que de désigner la Grèce, l'Espagne, l'Italie, le Portugal, sous le nom de PIGS, qui en anglais signifie cochon. C'est une honte, comme l'a fait le chef de l'État ce soir, une fois qu'il a eu pris l'habitude de montrer du doigt une catégorie de Français, de se mettre maintenant à montrer du doigt une catégorie d'Européens, lorsqu'il dit que certains n'auraient pas la possibilité dorénavant de s'en remettre sur les autres du soin de faire des économies. Comme s'il y avait des paresseux en Europe. Je veux dire, pour la dignité des Grecs, qu'en Europe, ceux qui travaillent le plus longtemps, ce sont les Grecs ; ceux qui souffrent le plus, ce sont les Grecs ; et qu'ils n'ont pas de leçons à recevoir de ceux qui trichent avec le fisc. Ce ne sont pas les travailleurs grecs, ce sont les curés grecs qui ne paient pas d'impôts pour l'Église ; ce sont les armateurs grecs, ce sont les banquiers grecs, qui ne paient pas d'impôts. Et nous savons où ils mettent leur argent.

Il n’y a aucune difficulté, plutôt que d’aller courir derrière celui-ci ou celle-là, parce qu’il aurait touché plus que sa part ; plutôt que d’aller courir après les « fraudeurs » des régimes sociaux, en commençant par oublier ceux qui font 80% de la fraude, c'est-à-dire les patrons-voyous qui ne déclarent pas le travail… ils feraient mieux de courir après les fraudeurs du fisc, qui volent chaque année à la patrie républicaine 40 milliards d’euros dans ce pays ; ils feraient mieux de courir après les voleurs du fisc grec, parce que le total de la dette des Grecs est dans les coffres des Suisses aujourd’hui, et qu’il suffit d’aller le chercher.

Quand on a excité les peuples les uns contre les autres, alors le pire est à craindre. Mes amis, mes chers compatriotes, faisons bien attention à ce point : la paix en Europe n’est pas un état de nature ; elle ne se fabrique pas toute seule ; c’est le résultat politique d’une volonté politique, celle de construire une Europe, qui est l’objectif que s’est donné le mouvement ouvrier depuis son origine, pour mettre fin aux guerres, aux compétitions, aux concurrences absurdes entre travailleurs pour se retirer le pain de la bouche. Nous voulons l’Europe, et par conséquent nous nous en donnons les moyens. Mais nous mettons en garde tous ceux qui, après nous avoir beaucoup stigmatisés, et parfois même injuriés, parlent à présent sur un ton qui ne nous convient pas. Nous ne reprochons pas à Madame Merkel d’être allemande, nous lui reprochons d’être conservatrice et libérale. Les Allemands, les Allemandes, sont unis avec nous par des intérêts communs. Ces intérêts communs sont ceux du Travail contre le Capital. En Allemagne, nos alliés sont le DGB ; en Allemagne, nos alliés sont Die Linke, et c’est nous qui faisons vivre la tradition internationaliste ! Raison pour laquelle nous n’acceptons pas qu’on parle des Allemands en les réduisant à Madame Merkel, ou en faisant comme si Madame Merkel était Hitler ou Bismarck. C’est une façon de parler qui ne crée rien de bon, et qui détourne des objectifs essentiels. Nous sommes opposés à la construction de l’Europe libérale ; nous sommes pour une Europe de la coopération. La porte qui nous permet de sortir par le haut, c’est celle qui oppose à la concurrence libre et non faussée la coopération entre les peuples, l’harmonisation sociale, l’harmonisation fiscale par le haut. Nous pouvons le faire. C’est nous qui avions raison en 2005, et ce projet est le cœur du projet du Front de Gauche. Alors, maintenant, disons-nous ceci : inéluctablement, si la situation est aussi grave que nous vous l'avons décrit les uns et les autres… inéluctablement, il va se produire un événement dans toute l'Europe, qui est d'ores et déjà commencé, dont nous vous avions annoncé les prémices lorsque, courageusement, nous, le Front de Gauche et les partis qui le constituent… courageusement, nous avons décidé de soutenir, contre vents et marées, les grandes révolutions démocratiques qui se déroulaient en Amérique latine, tandis que d'autres les montraient du doigt, chipotaient sur le coin de la table. Oui, Ils nous ont ouvert la voie ! Cette révolution est arrivée dans le Maghreb, et nous nous félicitons de ce qui se passe dans le Maghreb. Nous n'acceptons pas la propagande qui prétend résumer le vote des Tunisiens aux 40% qui nous déplaisent, en oubliant que le 60 % des autres n'ont voté que pour la liberté, et que pour les partis de gauche. Ne l'oubliez pas, ne l'oubliez jamais : les peuples sont frères et soeurs dans leurs demandes communes de dignité, de respect, de démocratie, de liberté.

L'événement qui s'avance, c'est que cette révolution se dessine sous nos yeux dans les mouvements des Indignés, dans les grèves générales et les mouvements des travailleurs, qui ont lieu dans toute l'Europe, et notamment là où le FMI, la Banque centrale européenne et la Commission frappent le plus dur.
Ce mouvement est commencé. Et dans notre pays, parce qu'il est l'enfant, l'héritier de cette longue lutte des Lumières, de ses révolutions et du mouvement ouvrier…dans notre pays surviendra aussi cette révolution citoyenne, que le Front de Gauche appelle de ses voeux et qu'il veut préparer. Oui, ce mouvement va avoir lieu ! La campagne électorale et l'élection présidentielle, seront une étape à l'intérieur de ce mouvement.

Mais, bien sûr, il peut se produire tout le contraire. Rien n'est assuré, vous le savez aussi bien que moi. Et vous êtes, vous autres qui avez peut-être, dès ce soir, pris votre décision en faveur du Front de Gauche, la ligne avancée qui doit tenir le cap. Vous devez maintenant installer, non pas un débat idéologique – il est souvent nécessaire – ; non pas vanter votre candidat – il n'est pas si mauvais – ; non pas faire l'apologie du parti dont vous vous sentez le plus près – pourtant, il le mériterait – ; mais comprendre que le grand nombre se pose une question essentielle. « Vous avez raison, nous dit-il, vous le Front de Gauche, ce serait bien… Vous avez raison de dire qu'il faut partager. Vous avez raison de dire que ce n'est pas normal que certains profitent de cette façon, tandis que les autres n'ont rien. Vous avez raison de dire que le pays est plus riche qu'il ne l'a jamais été. Vous avez raison de dire que, tout de même, c'est incroyable qu'il n'y ait plus aucun horizon de progrès ! Comment nos Anciens et la génération, celle-ci qui est là, ont pu faire tant de choses, et maintenant on ne pourrait plus rien faire d'autre que de tout démanteler ? Vous avez raison de dire que le pays est plus éduqué qu'il ne l'a jamais été, que le pays va être de plus en plus nombreux – regardez, nous allons être 15 millions de plus au cours des 20 prochaines années. Mais… Mais… Mais… ».

Chacun voit la vie à la mesure de son propre budget, de sa situation de famille, et les gens se disent : « On ne peut pas dépenser plus que ce qu'on gagne. » Bien sûr, c'est leur situation à eux. Mais l'État n'est pas du tout placé dans cette situation, l'État peut choisir de gagner ce qu'il doit gagner. Mais les gens ne le savent pas, et ils se disent : « Vous avez raison, mais peut-être que si on se serre un peu la ceinture – ils ont tellement l'habitude de se serrer la ceinture ! – … Peut-être que si on fait un effort…Peut-être que si on en met un bon coup, eh bien, tout va s'arranger, tout sera réglé. »

Vous avez donc à être ceux qui doivent faire reculer la peur et la résignation. Dans ce débat de l'élection présidentielle, vous allez devoir faire vivre une explication. Vous allez devoir présenter, expliquer, d'où vient la dette, pourquoi elle peut être entièrement résorbée. Non seulement si on examine son contenu pour voir si elle est légitime, mais aussi si l'on prend, là où il y a, de quoi équilibrer les comptes, si l'on taxe les revenus du capital comme on taxe ceux du travail ! Si l'on récupère les 10 points de la richesse du pays qui sont passés des poches du travail à celles du capital. Vous allez devoir l'expliquer, vous avez des outils pour le faire : le film dont a parlé Pierre, qui est excellemment fait, et combien d'autres documents ! Et puis, vous allez devoir expliquer que l'austérité ne mène nulle part ! Mes amis, vous n'avez plus besoin d'en faire la démonstration par des théories abstraites, il vous suffit de dire à chaque personne : « Mais si vous croyez que les sacrifices… si vous croyez que les renoncements améliorent la situation, comment expliquez-vous qu'en Grèce la situation est pire qu'avant ? Alors qu'ils ont fait 8 plans d'austérité ! » La démonstration de l'impuissance absolue sur laquelle débouche cette politique nous est donnée par la Grèce, et ainsi la Grèce, qui avait été utilisée pour faire peur et faire rentrer la tête dans les épaules, doit être utilisée par vous pour faire réagir et réfléchir, car nous avons besoin d'un peuple informé, conscientisé, dont le niveau de compréhension soit élevé pour faire face aux tâches auxquelles nous appelons, nous, le Front de Gauche, car, inéluctablement, notre tour viendra. Inéluctablement notre tour viendra ! Inéluctablement notre tour viendra ! La roue de l'Histoire est en mouvement. Alors, peut-on faire autrement ? Il ne suffit pas de le décréter, mais il y a un principe, qui est au cœur de la pensée de gauche et qui est le contraire de la pensée de droite. A droite ils vous disent : « Il faut faire des progrès économiques. Serrez-vous la ceinture et, si il y a, on verra ce qu’on peut vous donner. » En général, il faut aller le chercher avec les dents. Rien n’a jamais été acquis autrement que par la lutte. Mais en tout cas, l’explication, c’est toujours la même : en quelque sorte, le progrès serait les miettes qui tombent de la table. Plus le puissant a à manger, plus les miettes sont grosses. Voilà leur système d’économie politique.

A l’inverse, la gauche dit : « Le progrès économique est le résultat du progrès social et du progrès écologique. » Est le résultat ! C’est la raison pour laquelle nous disons que nous n’acceptons pas un mot de la politique d’austérité, et peu nous chaut de la couleur de l’austérité ! Je veux dire que ce que l’on nomme « l’austérité de gauche »… le problème qui est posé, ce n’est pas le mot « gauche », c’est le mot « austérité ». Il n’y a pas d’austérité de gauche. L’austérité est toujours de droite. La gauche, c’est une stratégie. Aujourd’hui, c’est celle de la relance de l’activité – un doute parcours la salle – … la relance de l’activité. Eh bien, d’abord, je voudrais vous dire que nous disons « la relance de l’activité ». Pas la relance de la croissance. Pourquoi ce mot ? Parce que nous, le Front de Gauche, nous avons tiré toutes les leçons de l’impasse qu’est le productivisme. Donc nous ne disons pas : « Allez ! On produit ! On produit n’importe quoi, n’importe comment, comme avant, on ne réfléchit pas ! On trouve de l’argent – comme font les libéraux -, on le propose et allez, c’est parti ! Un bel emballage, un nouvel emballage ! Beaucoup de publicité ! » Des produits de luxe qui ne servent à rien, des besoins que l’on ne ressent pas, et les besoins, les vrais, ceux-là, ils ne sont pas satisfaits ! Personne ne s’en occupe parce qu’ils ne sont pas assez rentables, parce qu’ils ne sont pas assez profitables. Relancer l’activité, c’est organiser un nouveau modèle de progrès de la société. Toute notre pensée politique, toute la construction de notre programme, est faite autour d’un mot : la planification écologique. Nous voulons planifier le progrès de notre pays. Parce qu’il ne suffirait pas de trouver ici ou là de l’argent accumulé pour que la machine se remette en route. Il faut qu’il y ait un horizon. Il faut qu’il y ait un objectif. Nous voulons réindustrialiser notre pays. Nous voulons redonner toute sa place au travail qualifié. Nous voulons relocaliser l’agriculture. Toutes ces opérations ne sont possibles que d’une manière concertée, dans une cohérence d’ensemble du plan, qui dit, par exemple, comment on unit la revendication du paysan et celle de l’ouvrier.

Si vous voulez que le bien vivre, le bien manger, ne soient pas un luxe réservé seulement à quelques uns, tandis que le grand nombre, n'accède qu'à des produits de moindre qualité, résultat d'une agriculture productiviste que plus personne ne contrôle. Si vous voulez cette agriculture paysanne, alors il faut la payer, il faut que les intermédiaires arrêtent de faire du +20, +21, +25 sur les produits de base qu'ils ont pris aux agriculteurs. Mais il faut payer le paysan, et, si ça coûte plus cher, pour que l'ouvrier puisse se payer les produits qui coûtent plus cher, il faut augmenter l'ouvrier. Raison pour laquelle le progrès du salaire n'est pas seulement un progrès social, il est aussi un progrès écologique, il est aussi un progrès du bien vivre et de la répartition sur tous de l'organisation du territoire. Montrer comment chaque chose tient à l'autre, la responsabilité des Français devant l'humanité universelle est de produire dans des conditions qui fassent honneur à leurs capacités de performance technique. Nous ne pouvons pas nous décharger sur les autres du soin de produire un certain nombre de biens qu'ils ne sont pas en état aujourd'hui de produire dans des conditions écologiquement satisfaisantes. Il n'est pas acceptable, par exemple, que l'on dise : « On se moque de savoir ce que devient la sidérurgie, puisque de toute façon il y aura bien quelqu'un qui fera de l'acier dans le monde ». Oubliant que nous avons besoin de maîtriser les techniques de la sidérurgie, pour produire les objets dont nous avons besoin, mais surtout parce que nous sommes capables, comme en ont fait la démonstration les sidérurgistes dont on ferme aujourd'hui les hauts fourneaux… nous sommes capables, par le procédé dit l’UCOS, d'arriver, lorsque l'on fait tourner un four, à séparer le CO2 et le stocker, et réinjecter dans la production le gaz ainsi purifié, en sorte que l'acier est produit dans des meilleures conditions de qualité et avec un progrès de 30% de la productivité. Autrement dit, la planification écologique est le moyen qui permet de construire de manière raisonnée une nouvelle étape du progrès humain et de la réindustrialisation de la patrie républicaine des Français. Tout se tient.

Nous opposons une cohérence à l'autre. Il y a, d'un côté, la politique de l'austérité, dont l'unique but est, comme l'a dit le président de la République ce soir, de lever le doute des spéculateurs. Eh bien, nous nous fichons du doute des spéculateurs, notre intention est de leur briser les reins. Nous savons le faire. Par des mesures techniques concrètes et parce que nous faisons des propositions, comme celle que nous avons faite comme vous le savez depuis plusieurs mois : : que la Banque Centrale Européenne prête directement aux États, au lieu de les obliger à aller ramper devant le marché financier international. C’est parce que nous savons que nous avons la solution, que nous osons proposer cette politique de relance. Elle est vraie en France, et elle est vraie à l’échelle de l’Europe. Nous avons été les premiers à proposer que l’Europe se dote d’un fond social de développement écologique, de manière à financer ces nouvelles activités. Voilà, deux cohérences ! Mes amis, ne m’écoutez pas d’une oreille distraite, car demain… Je vous connais, vous être braves, vous n’avez peur de rien, vous irez, portant le message. Et puis, tout d’un coup… Vous êtes comme tout le monde, vous avez en face de vous le rouleau compresseur, la voix mièvre de la capitulation, qui vous suggère toujours d’être raisonnables, d’en demander un peu moins… peut-être que vous en demandez trop…  qu’on pourrait se contenter d’un peu moins… puis d’un peu moins… et d’ailleurs de rien du tout… du moment que vous gardez ce que vous avez, ou à peu près… peut-être un peu moins… mais ce n’est pas grave, puisqu’il vous en reste… et ainsi de suite. La pente infâme ! Si vous faites le mouton, vous serez tondus !

L’élection qui se présente est une chance. Regardez bien comment ça s’enchaîne, entre maintenant et le mois d’avril prochain. Tous ceux qui, hier et avant-hier, se contentaient d’avoir pour essentiel de programme un sigle, ou une bonne mine, un passé glorieux, des amis… eh bien, d’un bord ou de l’autre, la grosse machine de l’Histoire étant en mouvement, les demi-portions disparaîtront vite. Quelles qu’elles soient ! Et ce soir, j’en ai vu une, c’est le président Sarkozy. Il est là, il ne sait plus quoi faire. Voilà le fond de l’affaire ! Il attend donc que Madame Merkel lui donne une idée. Pourquoi ? Pas parce qu’elle est allemande, mais pour la raison qu’elle, c’est une super-libérale, et que lui a du mal à arriver à courir aussi vite. Les demi-solutions, les demi-portions, tout sera emporté par le grand fleuve de l’Histoire qui s’est mis en mouvement. C’est pourquoi, au bout du compte, nous devons faire une évaluation très précise de ce que nous voyons. Reconnaissons ceci : on ne règle pas une difficulté en l’ignorant. Reconnaissons ceci : la droite s’est idéologiquement homogénéisée. Il n’y a plus de digue entre la droite et l’extrême-droite. Le discours est le même. En tout point. Ils font appel aux mêmes valeurs. Ils font appel aux mêmes réflexes. Ils cultivent les mêmes obsessions. Ils déchaînent les mêmes rancoeurs, les mêmes haines. Et, face à ce bloc qui se constitue, dont nous avons déjà vu dans le passé les conséquences terribles des victoires, nous, à gauche, nous pouvons dire, qu’au total, nous ne sommes pas à la hauteur. Oh, je ne dis pas ça pour nous… vous devinez pour qui. Mais enfin, essayons de le comprendre, non pas pour des circonstances, dérisoires, locales. Prenons la mesure là où se problème se pose, c'est-à-dire à l’échelle européenne. Je dis que, comme à d’autres occasions de l’Histoire, nous avons pu observer que le mouvement socialiste international, dont j’ai été membre pendant 32 ans, n’a pas su trouver en lui-même le ressort qui lui aurait permis de se hisser à la hauteur des circonstances. Il connaît, depuis la décision de Georges Papandréou de capituler sans condition, applaudi par tous ses camarades de toute l’Europe – et, depuis, sans avoir jamais reçu aucun démenti, un affaissement de la première force d’opposition du Vieux Continent qu’est le mouvement socialiste. Affaissé, et, voyez jusqu’à quel point ! Car enfin, à ceux-là mêmes qui nous faisaient des leçons, en disant que notre volonté de discuter, c’était faire le jeu de la droite et de l’extrême-droite, je voudrais faire remarquer que nos camarades en Grèce, Synapismos ou le Parti Communiste, eux, ne participent pas au gouvernement avec la droite et l’extrême-droite, comme le fait le PAZOK ! Nos camarades, en Italie, si démembrés et si éparpillés, également membres du Parti de la Gauche Européenne que préside Pierre Laurent… nos camarades, eux, ne participent pas au gouvernement de Mario Monti avec la droite et avec le Parti Socialiste. Par conséquent, devant le défi qui se lève, mes amis, je ne sais pas s’ils sont là, mais je m’adresse aux socialistes pour leur dire que c’est sur eux que repose une bonne partie de l’échéance qui se présente devant nous. Nous leur disons : comme nous vous connaissons dans l’entreprise, quand vous êtes dans le syndicat avec nous ; comme nous vous connaissons dans la commune, lorsque nous siégeons ensemble dans le conseil municipal, et que nous tâchons de faire pour le mieux – je ne dis pas qu’on réussisse tout le temps, mais nous tâchons de faire pour le mieux ; comme nous savons nous serrer les coudes sans regarder trop l’étiquette de l’un ou de l’autre quand il le faut, dans la lutte ; alors nous vous appelons à l’aide ! C’est nous, le Front de Gauche, qui représentons l’alternative, le refus de se soumettre qui est votre raison d’être, qui est la raison de votre engagement à gauche. Restez fidèles à vous-même ! Aidez nous ! Venez à la rescousse ! N’acceptez pas le choix qu’ont fait vos chefs sans vous demander votre avis. N’acceptez pas le choix que font vos chefs de vous entraîner dans cette aventure sans issue, que l’histoire de France a déjà sanctionnée je ne sais combien de fois,  à gauche, de l’alliance au centre, qui n’est qu’un déguisement de l’alliance avec la droite !

Tout notre enjeu est là. Tout notre enjeu est là. Nous préparons cette élection comme une étape d’un mouvement plus grand que nous, je vous l’ai dit. Nous la préparons avec les moyens humains dont vous êtes, chacun d’entre vous, dorénavant comptables : les assemblées citoyennes, les écoutes collectives, les réunions d’appartements… Tout ce que vous avez su faire en 2005, c’est le moment de le recommencer, avec les mêmes méthodes simples et tranquilles, pleines d’humanité et de fraternité. Et non pas en donneurs de leçons, mais chacun aidant l’autre à mieux comprendre, tirant son profit du savoir-faire de chacun, de sa compétence, de sa qualification, de ce qu’il a appris de la vie, pour mieux comprendre les tâches que nous aurons à accomplir. Car si je vous ai dit tout à l’heure  « notre heure viendra », aucun d’entre nous ne sait quand son heure viendra, et de quoi. Mais c’est l’espérance toujours qui vous fait vous relever, le goût du meilleur, le petit goût des bonheurs simples qui permet de reprendre l’ouvrage là où on l’a abandonné la veille, de le recommencer comme si c’était un jour nouveau chaque fois, comme si de toute façon ce que nous avons envisagé finirait pas survenir.

Alors, nous, c’est en pleine responsabilité que nous nous tournons vers le peuple français. Que nous lui disons : « Nous savons faire, nous avons fait la preuve que nous étions capables de comprendre correctement les événements en 2005, nous avons depuis fait la preuve sans cesse que nous étions capables d’expliquer, d’organiser, de proposer une transition réaliste. Vous pouvez nous faire confiance, nous méritons votre confiance, et la meilleure des preuves, c’est que nous vous demandons de vous impliquer personnellement dans l’immense transformation que propose la révolution citoyenne à la France ».

Voici les mots sur lesquels je finis. Ah, oui, vous allez en entendre parler du vote utile. Le vote utile, c’est le vote futile ! C’est celui qui ne regarde rien, qui ne s’intéresse à rien, et qui se contente de l’emballage pour croire que la marchandise s’y trouve.

Le vote utile, c’est celui qui fait avancer les idées, qui organise, qui conscientise, qui discipline dans l’action, qui fait appel au meilleur de chacun pour penser et vouloir le futur. Voilà ce qu’est un vote utile pour un être libre et digne, qui se respecte et qui veut pouvoir expliquer à ses enfants, quand il prend cette décision, assis à sa table, peut être en famille – quoique le vote soit secret -, comparant les professions de foi et choisissant le bulletin de vote : pourquoi je choisis celui-ci, plutôt que celui-là, de bulletin de vote. Il faut pouvoir dire en se regardant dans la glace : je choisis ce bulletin de vote parce qu’il est bon pour ma patrie, parce qu’il est bon pour ma classe, parce qu’il est bon pour l’idée que je me fais de la dignité humaine, et pas seulement parce que je pète de trouille. Voilà ce qu’est le vote utile !

Et si ça ne suffit pas, je vais vous dire ceci : ceux qui abandonnent leurs convictions à la porte du bureau de vote, ne doivent pas s’étonner de ne pas les retrouver en sortant !

Allez, mes amis, tout à l’heure vous allez rentrer chez vous, et de cette réunion, j’espère que vous aurez tiré d’abord un sentiment de fraternité humaine. J’espère que vous êtes contents de nous, qui faisons ce travail depuis notre cœur. Mais surtout vous saurez ceci : vous n’êtes plus seuls, vous n’êtes plus isolés, vous n’êtes plus fragmentés en innombrables petites forces. Vous n’êtes plus ceux dont on dit : « Ah oui, oui ! » avec un sourire condescendant. Nous sommes une force ! Nous sommes le nombre ! Chacune de nos réunions le prouve. Regardez-vous tous autour de vous. Vous êtes de tous les âges, de toutes les couleurs, de toutes les générations. C’est nous qui faisons tourner le pays ! C’est nous qui le ferons tourner demain. C’est nous qui n’avons peur de rien. Nous sommes rassemblés, et, comme vous le savez, vous le voyez, vous le sentez, le mouvement est commencé. La contagion est commencée. De tous côtés, on vient vers vous. Ce n’est pas en vain, ce n’est pas pour rien que nous avons vendu deux cent mille programmes L’Humain d’abord. C’est d’abord parce qu’il y a écrit dessus « l’humain d’abord » et que ça, ça parle à tout le monde. Parce qu’il n’y a pas de mot, et de volonté plus anticapitaliste que de vouloir d’abord l’humain, d’abord ces petits bonheurs simples qui font notre vie. Maintenant, vous n’êtes plus seuls. Vous avez le droit de porter haut et fort votre étendard de combat, votre beau drapeau rouge à côté du drapeau du pays. Et vous allez renouer avec les symboles de notre rassemblement, comme l’est une main : chaque doigt est différent et a son usage particulier et, lorsque la main se ferme, tous les doigts se rassemblant, alors voici le poing, qui appelle au rassemblement.

Vive la République ! Vive la France ! Vive le socialisme !



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