03déc 11

Interview publiée dans Marianne

L’exigence d’un débat public avec le PS

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Depuis des années, vous ne cessez de vous affronter avec François Hollande.  Vous l'avez traité autrefois de «parrain», de «roi de l'entourloupe»,  vous avez dit qu'il vous donnait «la nausée». On n'est donc pas très  étonné de vous entendre dire, aujourd'hui, qu'il est un «capitaine de  pédalo». Quels sont, sur le plan personnel, les cadavres dans les  placards entre vous et lui ?
Jean-Luc Mélenchon. Il n'y a aucune dimension personnelle dans mes relations avec François Hollande.  Comme il est quelqu'un d'extrêmement plastique, il n'y a jamais eu,  d'homme à homme, la moindre trace de tensions entre nous. Moi-même, je  ne pratique pas les vendettas personnelles. Il faut des circonstances  très particulières, quasi intimes, pour que je me fâche vraiment. Ce  n'est pas le cas ici. J'ai la religion républicaine. Il n'y a pas de  place là-dedans pour des inimitiés de personnes.

Alors, pourquoi ces attaques ? Elles sont si violentes qu'on vous accuse de jouer contre la gauche.
Jean-Luc Mélenchon. Une divergence radicale nous oppose sur le fond. Elle remonte à 1984.  Comme moi, il est alors un jeune homme. Il écrit un texte, «Pour être  modernes, soyons démocrates», dans lequel il explique le coeur de son  orientation politique. Cette ligne vient d'apparaître aux Etats-Unis  d'Amérique. C'est elle qui va progressivement infester tous les partis  socialistes de la vieille Europe. Avec constance, François Hollande  a opté pour cette orientation dont les traits caractéristiques sont  toujours les mêmes : effacement du clivage gauche-droite, effacement de  l'adhésion du mouvement socialiste à sa base salariale, négation de  l'opposition capital-travail et alliance au centre jusqu'à devenir  soi-même un parti centriste.

Une grande controverse nous oppose  donc, qui mérite mieux que d'être réduite à un affrontement de  personnes. Je n'ai pas d'irrespect pour lui, même si, bien sûr, je ne  goûte guère l'attitude intellectuelle du sophiste. Pour lui, tout se  vaut et sa méthode de combat consiste à dénigrer soit celui qui prononce  l'argument, soit la forme de l'argument. Pourtant, la situation exige  une autre attitude intellectuelle.

Nous sommes en train  d'affronter la plus terrible crise du capitalisme depuis le début du  siècle dernier. Or, en même temps, nous devons faire face au désarmement  unilatéral du mouvement socialiste mondial. Papandréou est l'héritier  de la ligne Blair-Schröder. Tous ces gens ont capitulé sans combattre.  Le choc décisif s'est produit en Grèce : président de l'Internationale  socialiste, Georges Papandréou  a cédé devant tous les diktats et le reste a été emporté. C'est un  événement fondateur, comme la capitulation des députés allemands du SPD  au moment de voter les crédits de guerre : c'est ce qui a alors  déclenché l'affrontement en 1914.

Même si vous vous en défendez, on ne peut s'empêcher de penser que l'un des moteurs de votre aventure du Front de gauche, c'est le mépris dont vous pensez avoir fait l'objet, en particulier de la part de François Hollande, lorsque vous étiez au Parti socialiste ?
Jean-Luc Mélenchon. Il y a eu une attitude arrogante, mais j'y suis habitué. Je l'ai connue  de mille façons et sous toutes les formes possibles. Ça n'est pas la  peine de ressasser, je suis blindé. Je sais que le ressort essentiel de  leur démarche intellectuelle, c'est la négation de l'autre.

Vous n'êtes pas si blindé que vous voulez le faire croire !
Jean-Luc Mélenchon. Si, parce que mon courant d'idées a eu raison sur l'analyse du  capitalisme. Nous avons eu raison en 2005 sur ce que donnerait la mise  en place du traité constitutionnel repeint en traité de Lisbonne. Dans  ces deux occasions, nous avons fait, François Hollande  et moi, des choix diamétralement opposés. Ça n'est en aucun cas une  affaire relationnelle, même si j'ai souffert de les voir tricher dans  tous les votes internes, traiter les gens par-dessus la jambe, manquer  de parole à tout le monde.

Si vous avez connu tant de blessures, pourquoi n'avez-vous pas quitté le PS plus tôt ?
Jean-Luc Mélenchon. C'est dur de se séparer de sa famille politique, de ses camarades de  combat. J'ai toujours gardé ce lien avec les socialistes. Je connais au  moins cinq députés socialistes qui s'apprêtent à voter pour moi au  premier tour de la présidentielle. Je n'aurais pas été élu dans le grand  Sud-Ouest si des milliers d'électeurs socialistes n'avaient pas voté  pour moi ! D'une certaine manière, j'appartiens à la famille  intellectuelle du socialisme, et la relation reste affective.

Mais vous tournez le dos radicalement aux choix du PS et de François Hollande.
Jean-Luc Mélenchon. Oui, parce que le candidat du PS ne parle plus à présent qu'à une  étroite couche de la population : la classe moyenne supérieure qu'il  essaie de convaincre qu'il y a une sortie heureuse et non douloureuse de  la crise, c'est-à-dire sans affrontement avec le capital financier, ses  pompes et ses oeuvres. Dans ce sens, il renvoie à un monde qui n'existe  plus.

La vérité de notre temps, c'est que, face à l'affrontement  que le système financier a entrepris contre les peuples et la  démocratie, il faut des réponses qui soient à la hauteur. Je suis  partisan de la relance de l'activité. Je ne crois pas aux politiques  d'austérité. La contraction de la dépense nous conduit au chaos social  et à la guerre. Le socialisme international s'est voué aux politiques  d'austérité. Sans exception. C'est ce qu'ont fait Socrates au Portugal,  Papandréou en Grèce, Zapatero en Espagne. Tous ont dû quitter le  pouvoir. Pourtant, c'est ce que François Hollande  propose aujourd'hui. Il a fait annoncer par Michel Sapin un plan de 50  milliards d'euros d'économies supplémentaires. Entendez tous les mots :  supplémentaires. Ça veut dire que toutes celles déjà faites sont  validées. Et qu'on en fera 50 milliards de plus. Si M. Fillon exige ces  économies, que lui répondra- t-il ? Il a déjà dit oui et s'est mis ainsi  dans une situation absolument inouïe. Comment voulez-vous que, comme  homme de gauche, je fasse comme si je n'avais pas vu ça !

Si  on vous suit, Hollande et Sarkozy c'est «bonnet blanc et blanc bonnet».  Vous le dites, d'ailleurs, lorsque vous déclarez au Journal du dimanche  : «Nicolas Sarkozy est pour la rigueur et François Hollande  est pour «donner un sens à la rigueur». La rigueur ou la rigueur ?  Quelle différence !» Vous les mettez dans le même sac, même si, du bout  des lèvres, vous précisez que vous ne mettez pas un signe égal entre  eux. On ne voit pas comment vous allez pouvoir appeler à voter Hollande  au second tour de la présidentielle, si c'est lui qui doit affronter Nicolas Sarkozy… Vous ne choisirez pas entre la peste et le choléra !
Jean-Luc Mélenchon. Vous pourriez demander à François Hollande  s'il se désistera pour moi si je suis au second tour ! Pourquoi ne le  faites-vous pas ? Aujourd'hui, s'installe un chantage qui ne sert que  les socialistes : le chantage au vote utile. Quiconque critique le  candidat socialiste est un suppôt de la droite et de l'extrême droite.  De l'autre côté, on fait comme s'il n'y avait qu'une seule politique  possible. François Hollande  se déclare même élu d'avance, ce qui me paraît bien déraisonnable. Mais  n'allez pas faire croire que je confonds pour autant le Parti socialiste avec la droite. Ce n'est pas ma position.

Ça mérite une clarification.
Jean-Luc Mélenchon. Sur des dizaines de sujets, dans la vie quotidienne, des milliers et  des milliers de militants socialistes combattent avec les militants du Front de gauche  dans les syndicats, la cité et ailleurs. Donc, à aucun moment, pour  moi, il n'y a de confusion possible. Mais il y a l'exigence d'un débat  public. Je trouve incroyable que demander ce débat ou faire une critique  soit considéré comme lèse-majesté.

Vous avez du travail pour convaincre sur ce terrain, quand on voit que Robert Hue, l'ancien patron du PC, dénonce votre «dérive sectaire».
Jean-Luc Mélenchon. Le cas de Robert Hue  est si pitoyable que je ne veux pas le commenter. Des milliers de  communistes sont malheureux en voyant Hue se transformer en bagage  accompagné du PS. Sa voix ne compte pas.

Dans  l'Humanité du 16 novembre, Pierre Laurent, le patron du PCF, en appelle  «d'urgence à changer la manière de mener le débat à gauche». Il  interpelle le PS, certes, mais il vous adresse aussi un message clair  lorsqu'il déclare : «Au Front de gauche,  nous n'avons qu'un adversaire : la droite», et il conclut qu'il faut  éviter le «piège de la division». Vous êtes tombé dans ce piège ?
Jean-Luc Mélenchon. Mais pas du tout ! Cette situation de tension à l'intérieur de la  gauche n'est pas que française. Dans tous les pays du monde, ce débat a  lieu dans des conditions qui ne sont guère favorables au mouvement  socialiste, raison pour laquelle il essaie de l'étouffer. Alors il est  normal qu'il y ait un certain acharnement à essayer de trouver une  faille entre les communistes et leur candidat. Mais cette faille  n'existe pas.
Toutes les phrases de Pierre Laurent que vous citez,  je les reprends sans une nuance à mon compte. Car ce n'est pas de moi  qu'il parle. Il parle de la violence avec laquelle j'ai été agressé et  insulté par les socialistes. Quand les porte-parole socialistes me  qualifient d'agent de la droite et de l'extrême droite, ils devraient  savoir que ce n'est pas qu'à moi qu'ils s'adressent mais à des milliers  et peut-être des millions de gens qui se reconnaissent dans ma  candidature. Donc, ils aggravent la division à gauche. Il n'y a pas le  moindre doute sur le fait que nous ne nous trompons pas d'adversaire,  mais j'observe que François Hollande  me traite en adversaire avec une violence qui ne l'honore pas. Elle  consiste à se donner des grands airs et à m'envoyer de véritables  dobermans m'agresser. Une chose est sûre : je ne suis pas d'accord pour  participer à une tromperie qui consisterait à dire «l'étiquette vous  garantit le contenu». Ça n'est pas vrai. Nous avons eu, à gauche, assez  de déceptions dans le passé qui venaient de cette équivoque, pour ne pas  recommencer.

C'est mon devoir de dire la vérité. Après, le peuple  souverain tranchera. Peut-être qu'il acceptera la logique de PMU qui  est celle du vote utile. Peut-être qu'il choisira une méthode plus  radicale. Mais je mets tout le monde en garde : on n'a jamais vécu une  élection comme celle-ci. Et mon travail, face à cette échéance capitale,  est de convaincre et d'entraîner. Qu'est-ce qu'on oppose à cette  logique ? De l'intelligence, de la raison ? Non : le silence dans les  rangs et l'invective. Si vous partez de l'idée qu'ils vont être en tête  de la gauche – ce qui n'est pas mon raisonnement -, demandez-leur  comment ils comptent faire pour rassembler la gauche après de telles  bordées d'injures contre moi. On va me traîner derrière le char du  vainqueur ? Et je devrais abjurer en place publique entouré de  journalistes qui répéteront : «Regrettez-vous ?» On plaisante ! Ma vie  politique n'est pas faite de ce genre de rapports.

Vous n'abjurez donc rien !
Jean-Luc Mélenchon. Je n'abjure rien du tout. Et je ne suis pas d'accord avec cette  diabolisation à laquelle on procède contre moi et contre tout le monde.  Voilà le tour d'Eva Joly. Nous sommes priés de nous taire et de faire la  génuflexion. Il n'en est pas question. Notre époque est en train de  basculer vers une nouvelle tragédie. Mais il n'y a pas de fatalité.  Comment s'en sortir ? On voit apparaître deux cohérences. La première,  la mienne, part de l'idée que le progrès est toujours à l'ordre du jour,  que le progrès social est la condition du progrès économique et non pas  son résultat. L'autre cohérence, celle de François Hollande,  consiste à dire que nous allons redresser les comptes publics par  l'austérité. Moi, je pense redresser les comptes publics par la vie.  Eux, par la mort. C'est une caricature, mais je soumets cette donnée à  la réflexion de chacun : raisonnez, demandez-vous ce qui est bon pour le  pays et la génération qui vient ? C'est ce défi de l'intelligence qu'il  faut opposer au front de boeuf de la répétition, des mêmes refrains et  des mêmes injures dont nous sommes accablés depuis 2005. Il y a des  jours où elles me font mal, d'autres où elles glissent.
 



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