23jan 12
Vous progressez dans les intentions de vote (entre 7% et 8,5%) mais vous ne rentrez pas dans le "match à quatre", entre François Hollande, Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen et François Bayrou…
Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est pas le plus important. Pour moi, la référence reste le "oui" et le "non" lors du référendum sur le traité constitutionnel européen [en mai 2005]. Toute la question de l'austérité, c'est le retour du débat du oui et du non. Il y a les trois partisans du oui. Ils disent la même chose différemment : "Il faudra payer la dette." Et puis, il y a une quatrième, Marine Le Pen, qui dit : "Si vous ne voulez pas du système, votez pour moi." Mme Le Pen prône un non qui est auto-disqualifié. Personne ne peut avoir envie d'en faire l'expérience. Ce n'est pas un match à quatre, c'est un garrot. C'est une camisole de force, ces quatre-là.
Vous ne faites pas de différences entre les quatre ?
Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr que si. On me dit : "Vous mettez un signe égal entre les socialistes et la droite." Jamais de la vie. Je n'ai pas été membre d'un parti de droite pendant trente ans quand même ! De même que je fais la différence entre quelqu'un qui vote au centre ou à l'UMP, et quelqu'un qui vote pour le Front national. Mais les étiquettes ont peu de sens en ce moment.
Je me bats pour le leadership du non à l'austérité. L'objectif est de ramener une colère confuse à un contenu, et à un contenu vraiment de gauche. Dans une salle, vous parlez de la retraite à 60 ans, vous êtes acclamé. Si vous parlez de "l'espérance tranquille", les gens ne comprennent même pas ce que ça veut dire. Pour la première fois, vous avez une élection dans laquelle le candidat du PS n'a strictement rien à proposer au grand nombre. Rien.
Y a-t-il des choses compatibles entre François Hollande et vous ?
Jean-Luc Mélenchon. Par la force des choses, il devrait y en avoir. Mais rien de ce que nous disons ne leur convient. Pourtant, ils vont devoir faire des choix. Ils sont repartis sur le schéma de campagne de Jospin. Ils pensent que Sarkozy est battu d'avance et qu'il ne faut rien dire qui empêche des centristes, ou certains électeurs de droite, de voter pour eux. Voilà leur stratégie. Peut-être M. Sarkozy est-il battu d'avance, je ne sais pas. Mais ce qui est une erreur, pour un pouvoir de gauche, c'est d'affronter une crise du capitalisme sans rien construire d'idéologique. Le flou actuel du PS nous pousse à redoubler d'efforts, non pas face au PS ou contre le PS, mais pour organiser le grand nombre qui est désorienté, désemparé.
ll y a un moment où la question de votre rapport à M. Hollande va se poser, en particulier en vue du second tour…
Jean-Luc Mélenchon. Vous admettrez que je prépare ce moment avec beaucoup d'énergie. Car ce sera bien différent selon que le Front de gauche fera 5 % ou 15 %. S'il est à 15 %, il va falloir que le PS arrache un paquet de pages de son programme pour coller les nôtres s'il veut convaincre nos électeurs. Est-ce qu'ils pensent qu'ils vont attraper nos électeurs avec ce tract dans lequel ils réduisent la retraite à 60 ans aux seules carrières longues ? Croient-ils les convaincre avec pour seul argument que M. Sarkozy est un agité ? C'est totalement insuffisant. Il faut proposer un contenu radicalement alternatif. Nous le faisons.
Vous pensez donc qu'il y a une stratégie délibérée de la campagne Hollande de ne surtout rien exposer ?
Jean-Luc Mélenchon. Je ne m'explique pas son comportement. La campagne me paraît très en dessous de tout ce que je connais du mouvement socialiste. C'est quand même une élection majeure ! Si moins de 100 jours avant, ils n'ont toujours rien à dire, c'est qu'il y a un problème. Moi, j'ai fait campagne pour la retraite à 60 ans, les 35 heures, etc. C'est quoi le socialisme pour eux ? Le contrat de génération ? Pour moi, c'est la planification écologique, la VIe République, les conquêtes sociales… En ce sens, je me trouve être aussi un candidat des socialistes.
A vous entendre, vous paraissez inquiet ?
Jean-Luc Mélenchon. A force, oui. Ils gèrent leurs acquis, sans plus. Et ils se vident de leur sang. Hollande devrait s'en rendre compte ! Si vous regardez les sondages aujourd'hui, le niveau de la gauche face à la droite est très bas : on est à peine à 40 %. La méthode de campagne de François Hollande fragilise la gauche : un programme commun avec les Verts illisible, un refus obstiné de la discussion avec notre mouvance, et une certitude aveuglée qu'il suffira de paraître pour rassembler.
Vous avez lancé une charge assez violente contre Marine Le Pen, la qualifiant de "semi-démente". C'est la bonne méthode ?
Jean-Luc Mélenchon. La gauche que je veux entraîner n'a pas d'avenir si elle ne reprend pas le terrain dans le peuple. En milieu populaire, il y a le FN et nous. La droite a elle-même levé la digue et tout ce qu'elle avait sur le terrain ouvrier est parti au FN. Mais il y a aussi une responsabilité du PS qui a abandonné consciemment le terrain parce qu'il se figurait que les classes moyennes urbaines suffiraient à porter un projet socialiste devenu consensuel et non conflictuel.
Je défie Marine Le Pen et ses névroses xénophobes. Mme Le Pen est un poulet d'élevage du Front national. Elle récite des fiches. Il faut la sortir de sa coquille. Je le fais en provoquant la compétition avec elle.
Propos recueillis par Raphaëlle Besse Desmoulières et Caroline Monnot