24fév 12

Interview publiée dans la Vie

Laïcité et concordat

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Pourquoi avez-vous accepté de parler à La Vie, hebdomadaire chrétien d’actualité ?
Jean-Luc Mélenchon. J’éprouve une jubilation à discuter avec des gens qui ont la foi. Ils se situent dans un espace comparable au mien, dans un domaine plus grand que soi. Nous partons de la même idée : aucun d’entre nous ne peut être heureux dans un océan de malheur. Nous sommes responsables du sort des autres. J’ai plus de facilité à parler avec des chrétiens qu’avec des traders ! Eux sont à l’opposé de mon monde qui est fait de responsabilité morale, individuelle et collective. Les catholiques ? Je les connais comme ma poche. Je lis les encycliques, moi, et je dois être le seul à ­gauche à le faire !

Votre mère était catholique.
Jean-Luc Mélenchon. Oui, elle chantait divinement à l’église. Quant à moi, j’étais enfant de chœur. Je disais la messe en latin. Puis, l’Église a excommunié ma mère quand mes parents ont divorcé en 1960. J’ai ressenti une violence incompréhensible pour un garçon de 9 ou 10 ans à l’époque. Ma relation au christianisme est informée, je sais faire la différence entre les Évangiles, entre la chrétienté latino-américaine et européenne. Il n’y a pas de haine. Je suis un adversaire de l’Église en tant qu’acteur politique, du cléricalisme, pas de la foi. La foi est une affaire ­strictement personnelle. Elle n’a pas à intervenir dans le domaine public. Nous avons un intérêt général humain. Le vote est une manière de trancher. Chacun, quant à soi, peut interpréter l’intérêt général du point de vue de ce qu’il pense bon pour tous, à la lumière de la foi par exemple. Mais face aux autres êtres humains, dans une démocratie, il doit présenter des arguments échangeables, contestables. Il ne peut pas dire : « C’est comme ça, car c’est écrit dans la loi de Dieu ou du marché. » Notez que j’étends la laïcité à l’obscurantisme mercantile.

Le marché est-il devenu une religion de substitution ?
Jean-Luc Mélenchon. Le curé, on le voyait une fois par semaine. La publicité, on y est soumis tout le temps ! Elle a un pouvoir d’injonction, normatif, bien plus grand que celui des prêtres.

Votre conception de la laïcité va bien au-delà de la loi de 1905, pourquoi ?
Jean-Luc Mélenchon. Il y a une confrontation entre le laïque héritier des Lumières et le laïque par défaut qui voudrait que la religion et le rite aient des droits dans l’espace public. C’est ce qui donne lieu à des débats au niveau européen. Si cela signifie que les églises soient visibles dans la rue, bien entretenues, ce n’est pas un souci. En revanche, que des droits particuliers soient reconnus aux rites, j’y suis opposé.

Vous êtes aussi opposé au Concordat.
Jean-Luc Mélenchon. En effet. La loi de 1905 est anti-Concordat. L’État ne finance aucun culte. L’argument culturaliste pour l’Alsace-Moselle – au nom duquel tous les abus sont possibles – est irrecevable. Je voudrais que la loi de 1905 soit étendue à ces départements et à la Guyane, la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie.

Nicolas Sarkozy a réaffirmé ses valeurs, au moment de son entrée en campagne : travail, responsabilité, autorité. Quelles sont les vôtres ?
Jean-Luc Mélenchon. J’ai toujours été hostile à ce que la différenciation entre droite et gauche se fasse sur le plan des valeurs. Elle se situe sur les principes politiques et les programmes. Sinon, on crée une ambiance de guerre civile. Moi, je crois aux vertus républicaines. Il y a une morale républicaine qui doit être libertaire, égalitaire et fraternelle.

L’éducation est au cœur de la campagne. Y a-t-il aujourd’hui un problème avec l’école privée catholique ou une crise du modèle républicain de l’école ?
Jean-Luc Mélenchon. Je ne veux provoquer personne, mais je suis partisan d’un service public unifié et laïque de l’enseignement. La place qu’occupent les écoles privées aujourd’hui n’est pas liée au rayonnement du christianisme dans la société, mais aux difficultés de l’école publique – nous sommes passés à une école de masse, avec des professeurs auxquels on demande énormément et une société très malade. Le pays doit rester à un haut niveau d’éducation car on a besoin d’un peuple instruit et hautement qualifié. Nous sommes la cinquième puissance du monde, c’est quand même la preuve que l’école marche en France. Mais je n’ai pas de naïveté sur le sujet. Il y a plus de 15 ans, au début de la vague libérale, il a été décidé que tout deviendrait marchandise. C’est le cas pour le savoir, identifié comme une énorme source de profit possible. Les gens sont obligés de s’instruire pour accéder aux métiers, ils forment une clientèle captive. Les établissements devaient devenir concurrents. Pour cela, on a disloqué la carte scolaire, favorisé l’autonomie des établissements et récupéré pour les marchands le « caractère propre » de l’enseignement catholique. La raréfaction des moyens est une technique des libéraux pour dire : « Vous voyez, ça ne fonctionne pas, donc prenez-vous en charge. » C’est valable pour l’éducation des enfants, la retraite ou encore la santé. L’intérêt à long terme des classes moyennes reste de sauver le service public.

Le programme du Front de gauche, c’est « l’humain d’abord ». N’y a-t-il pas une contradiction à être antilibéral sur le plan économique, mais libéral sur les questions de mœurs ? À être pour le mariage et l’adoption homosexuels ?
Jean-Luc Mélenchon. L’orientation sexuelle n’est pas un choix. Elle a même posé de grandes difficultés aux homosexuels compte tenu de l’opposition de la société sur la base de préjugés tels que : « l’homosexualité est un choix individuel » ou « un vice ». Ils assument leur situation et pensent que les amours sont égales en dignité. Dès lors que des gens s’aiment, ils doivent pouvoir vivre ensemble normalement. En 1988, le hasard de la politique m’a mené dans une réunion avec une association appelée Gays pour la liberté. Les membres m’avaient interpellé sur les drames affreux que certains vivaient à la mort de leur compagnon. C’est pourquoi j’ai déposé le premier texte de loi sur le partenariat civil, devenu le pacs. J’ai répondu à un appel humain. Ces gens s’étaient choisis d’amour. Quand des homosexuels ont commencé à me parler de mariage, ça m’a bien fait sourire, car je ne suis pas partisan du mariage pour moi-même ! Ce n’est pas pour le proposer aux autres ! Mais raisonnablement, quelle objection opposer au mariage des homosexuels ? Aucune. La communauté humaine a intérêt à ce que les démarches d’amour soient reconnues et validées par elle.

Mais ce libéralisme des mœurs n’est-il pas contradictoire avec votre antilibéralisme économique ?
Jean-Luc Mélenchon. Vous me posez un problème théorique. Je viens de vous répondre de manière concrète. Je suis matérialiste. Ce matérialisme peut d’ailleurs avoir une coïncidence avec le panthéisme. Nous sommes des individus régis par notre univers matériel. Le corps inorganique de l’homme, c’est l’univers tout entier, comme le dit Karl Marx.

Pensez-vous qu’il y a un au-delà du visible ?
Jean-Luc Mélenchon. Le savoir, l’amour, sont au-delà du visible. Mais je suis matérialiste, pas au sens vulgaire de « s’intéresser aux choses matérielles ». La pensée sera toujours plus que le corps pensant, mais ne sera jamais moins. Le matérialisme philosophique conduirait-il à la superbe stoïcienne ou à l’abandon épicurien ? Non. C’est une école de pensée qui à chaque fois qu’on vous pose la question : « Pourquoi ? », vous conduit à essayer de répondre : « Comment ? » Telle est la tradition des Lumières depuis Démocrite.

Vous croyez donc aux « forces de l’esprit » de François Mitterrand ?
Jean-Luc Mélenchon. Évidemment ! Sa présence rayonne encore en moi. Chacun a un tribunal de sa conscience où se trouvent les êtres qu’il a aimés et qui ne sont plus là. Je suis un être moral, d’une morale républicaine. Je suis stoïcien sur le plan philosophique.

Sur les sujets de société, les catholiques de gauche se plaignent d’avoir de moins en moins de liberté de parole. N’y a-t-il pas une pensée unique dommageable pour le débat ?
Jean-Luc Mélenchon. Les cathos de gauche n’ont pas le point de vue majoritaire, et alors ? Personne ne leur interdit de pratiquer pour eux-mêmes la morale de leur choix. Ni d’essayer d’en convaincre les autres.

Mais ils ont parfois l’impression d’être marginalisés par la société.
Il faut qu’ils tiennent tête, qu’ils n’aient pas honte de leurs idées, de leur foi. Ils s’exposent à ce que la société n’accepte par leur point de vue, c’est vrai. Mais la démocratie, ce n’est pas le consensus. Nos divergences sont tranchées par une méthode de décision, le vote, qui ne vaut pas conviction.

La question de l’euthanasie ne figure pas dans le programme du Front de gauche, quelle est votre position personnelle sur le sujet ?
Jean-Luc Mélenchon. Nous sommes actuellement sous l’empire de la loi Leonetti qui a permis d’améliorer notre humanité. Cette question n’est pas politique au sens étroit du terme. Elle touche à nos convictions les plus profondes. Il y a un devoir de doute. Il faut accepter de s’interroger, de remettre en question ses certitudes. Pour moi, le suicide est l’ultime liberté.

Le devoir de l’État est-il d’instaurer un droit à la mort ?
Jean-Luc Mélenchon. Nous explorons des questions nouvelles. C’est pourquoi il faut s’astreindre au doute méthodique et se méfier des emportements. Pour ma part, je voudrais pouvoir éteindre moi-même la lumière. À supposer que j’en sois empêché, j’aimerais être aidé à passer avec amour par une main fraternelle. C’est pourquoi je suis partisan du suicide assisté. J’ai conscience que cela pose des difficultés. Par exemple : qui doit le faire ? Pour l’avortement, certains médecins ne souhaitent pas pratiquer l’acte. Je le comprends. Mais le droit à l’avortement doit être garanti.

Vous avez cité saint Martin, lors de votre meeting à Metz, en janvier, pourquoi cette référence est-elle importante ?
Jean-Luc Mélenchon. Je veux faire revenir sur le devant de la scène le courant du socialisme historique, c’est ma mission. Dès lors, rien de ce que je fais n’est innocent. Quand je parle du christianisme, je sais ce que je dis. J’ai milité avec des chrétiens de gauche. Je les connais très bien. Tous les hommes qui composaient ma section socialiste à la fin des années 1970 à Montaigu venaient de l’Action catholique ouvrière. J’allais les chercher à la sortie de la messe. J’étais le seul mécréant ! J’évoque la tradition chrétienne, saint Martin qui partage son manteau, pour l’opposer aux chrétiens des croisades de Mme Le Pen. Il y a le choix entre deux types de christianisme. Celui qui partage est le bienvenu chez nous.

Vous êtes franc-maçon. Qu’est-ce que cela vous apporte ?
Jean-Luc Mélenchon. Cela a été rendu public contre mon gré, et j’en suis très indigné. Je ne voulais pas faire état de mes convictions tant que je serais élu de tous les Français. Je suis croyant, mais pas pratiquant, si j’ose dire. Je n’ai plus le temps depuis longtemps. Mais j’ai le sentiment d’appartenir à une longue histoire, à laquelle avaient pris part mon père et mon grand-père.

Au fond, vous mettez à distance l’Église, mais pas la foi.
Jean-Luc Mélenchon. Oui, je veux de la distance en politique avec l’Église. Mais je ne me moque pas de la foi. Car la foi est une brûlure. Elle vous laisse des marques que vous gardez toute votre vie. Elle peut aussi vous ouvrir les yeux sur une dimension du réel matériel auquel vous n’auriez jamais pensé. Si je n’avais pas été élevé dans le christianisme, je ne verrais peut-être pas le mythe de l’humanité universelle comme je le regarde aujourd’hui. C’est mon parcours.

Quelle parole du Christ est importante pour vous ?
Jean-Luc Mélenchon
. « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. »



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