10mar 12
Jeudi 8 mars, Jean-Luc Mélenchon s'est rendu dans les locaux du Parisien pour répondre aux questions des lecteurs.
FÉLIX BOUILLOUX. En 1981, la gauche l'a emporté en étant unie grâce au programme commun…
Jean-Luc Mélenchon. C'est un magnifique souvenir. Mais pour qu'on refasse un programme commun, il aurait fallu que des conditions minimum soient respectées. Le PS prétend diriger les choses, seul. Aujourd'hui, c'est le social-libéralisme qui dirige le PS. Pour autant, cela ne va pas nous empêcher d'avoir une solidarité commune. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut sortir la droite du pouvoir et l'extrême droite devenue très contagieuse. En tout cas, plus je monte dans les sondages, plus François Hollande gauchit son discours, donc on sert à quelque chose! Et puis à la fin, j'espère lui passer devant!
MAGALI GARIN-RESPAUT. Pourquoi voter Mélenchon, puisque vos chances de l'emporter sont limitées?
Jean-Luc Mélenchon. Autant mettre un bulletin de vote correspondant aux idées auxquelles on croit. Ça, c'est la démocratie, et pas l'actuel PMU politique où, à coups de sondages, on vous dit ces deux-là vont gagner. J'ai marqué des points formidables depuis que je suis entré en campagne. Il y a un an, on m'a traité de populiste parce que je dénonçais les riches et l'oligarchie. Aujourd'hui, tout le monde parle des riches et de les taxer. On parlait avec le Front de gauche des profits abusifs des très grandes entreprises, et aujourd'hui même Sarkozy prétend imposer un impôt minimum tellement c'est un scandale. Il y a quelque temps, tout le monde donnait des brevets de laïcité, de modernité à Madame Le Pen. Plus personne ne disait : « mais qu'est-ce qu'elle raconte ». On s'y est mis, et je lui ai pourri sa belle machine. J'ai ouvert la porte à coups de pied et maintenant tout le monde s'y met. Aujourd'hui, elle fait le coup de la viande halal, etc. Les gens ne savent pas trop ce que c'est, ils croient que c'est un truc bizarre. Arrêtons! L'islam ne s'attrape pas par la viande, et pareil pour le judaïsme. On peut dire ce mode d'abattage est cruel pour les bêtes, c'est ce qu'elle dit, mais c'est une mauvaise plaisanterie : elle est pour la peine de mort des êtres humains!
Si vous êtes élu président, quelles seront vos premières mesures?
Jean-Luc Mélenchon. Convoquer l'assemblée constituante pour changer de constitution et instaurer la VIe République. Je serai le dernier président de la Ve République. Deuxième mesure, j'augmente le smic. Pas besoin de délibérer, c'est un décret du gouvernement. Enfin, je titularise les 850000 précaires de la fonction publique d'Etat. Deux jours après, vous avez 850000 personnes qui peuvent aller présenter un dossier pour avoir un appartement, obtenir un emprunt…
Et où iriez-vous fêter votre victoire?
Jean-Luc Mélenchon. Maintenant tout le monde fait attention (rires). Je pense qu'il faut aller à la place de la Bastille car cela nous ramène à la longue histoire de France. Et la gauche y va à chaque fois qu'elle gagne.
PIERRE BONJEAN. Vous avez parlé d'un Code de la nationalité. Que contiendrait-il? Et pourquoi vous le faites?
Jean-Luc Mélenchon. Sur nos bâtiments, il est écrit : Liberté-Egalité-Fraternité. Mêmes droits, mêmes lois. Partout! Nous ne sommes pas d'une seule couleur, d'une seule religion. On se mélange comme personne d'autre. Nous détenons le record des mariages mixtes en Europe, c'est nous les plus forts…
PATRICK GOUPIL. Je ne dirais pas que nous sommes les plus forts, mais les plus nombreux. Ce n'est pas une force…
Jean-Luc Mélenchon. Moi je trouve que si! C'est une force du peuple français que de ne pas être raciste, méfiant, méchant. Je rêve d'un Code qui dise : tu nais en France, tu es français. Un Français sur trois a des ancêtres étrangers. Mon grand-père a été naturalisé, et il faisait lever tout le monde quand il y avait « la Marseillaise ». J'ai été deux fois sénateur, une fois ministre. Je vais refaire ma carte d'identité, et que me dit-on? « Votre grand-père, il était quoi? » Ils ne faisaient pas du zèle, mais appliquaient la loi. J'étais fou de rage… En France, une bonne partie des clandestins le sont devenus à cause d'une histoire de paperasse à laquelle plus personne ne comprend rien. Quand Mme Le Pen dit qu'il y a 200000 personnes qui rentrent en France, elle raconte des histoires. Tous les ans, 120000 personnes rentrent dans notre pays, et il en ressort 120000. Au milieu, il y a 60000 Européens qui vont et viennent.
Est-ce que vous régulariserez les sans-papiers?
Jean-Luc Mélenchon. Oui. Parce que les gens qui travaillent et qui n'ont pas de papiers, cela revient à une délocalisation à l'intérieur du pays. Le Code du travail ne s'applique pas à eux et on peut les arnaquer à mort. On doit d'abord réprimer les trafiquants de main-d'oeuvre clandestine.
Donc vous les installez en France. Et faut-il augmenter les lieux de culte, construire des mosquées supplémentaires?
Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi des mosquées? Il n'y a pas que des musulmans! Moi cela ne me dérange pas qu'il y ait des minarets à côté des églises. C'est la vie, il faut vivre ensemble. La question des prières dans la rue, c'est autre chose. Ce n'est pas une affaire de religion, c'est une affaire de circulation : on ne prie pas dans la rue, point. L'islam est la deuxième religion de France. Il faut de la tolérance, du respect mutuel. Vous savez, les musulmans français sont des Gaulois comme les autres.
NATHALIE GALLOUIN. Un nombre croissant de personnes n'ont plus les moyens de se soigner. La santé est-elle une priorité pour vous?
Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr! Nous avions le premier système sanitaire du monde par la qualité de nos personnels, la capacité que nous avions à organiser un remboursement qui permettait de se soigner à temps. Mais des comptables à l'esprit étroit ont diminué l'encadrement sanitaire de la population. Tout cela fait que les gens renoncent, donc leurs maladies s'aggravent, et quand ils arrivent, c'est en dernière extrémité. Alors que faut-il faire? D'abord, beaucoup de prévention. Améliorer la condition sociale des gens, car le stress est facteur de dégradation de la santé. Il faut arrêter le système du paiement à l'acte qui n'est pas seulement une absurdité de gestion, mais une absurdité sanitaire. Enfin la carte de l'encadrement médical ne doit pas partir d'objectifs de comptabilité, mais d'objectifs de santé publique.
PIERRE BONJEAN. Vous supprimerez les dépassements d'honoraires?
Jean-Luc Mélenchon. Oui, mais on peut avoir des méthodes encore plus vigoureuses. On peut avoir une médecine d'Etat, avec des maisons de santé dans lesquelles on va se faire soigner des pieds à la tête, où on est pris en charge comme une personne et pas comme un objet. Je vous fais grâce des bêtises de Mme Le Pen qui veut retirer l'aide médicale d'Etat aux gens qui ont une tête de clandestin. Mais alors il faudra prévenir les microbes qu'ils n'ont pas le droit de passer sur des gens qui ont des papiers!
NATHALIE GALLOUIN. Quelle politique familiale voulez-vous mettre en place pour remédier aux problèmes de garde d'enfant?
Jean-Luc Mélenchon. Je suis favorable à ce qu'on les scolarise tous à 3 ans. Un enfant scolarisé jeune se socialise plus tôt. Pour les 0 à 3 ans, il faut un maillage de crèches suffisant. Cela coûte des sous, oui, mais à la fin cela rapporte du bonheur.
DOMINIQUE GANTELME. Que pensez-vous du mariage gay et de l'adoption d'un enfant par un couple homosexuel?
Jean-Luc Mélenchon. J'en suis partisan. Parce que ce n'est pas à la famille au sens traditionnel du terme que je suis attaché, c'est à l'amour que se portent les gens. L'amour est un sentiment, cela ne s'organise pas. Dans un couple homme-femme, vous n'allez pas regarder comment ça se passe, quelle est la forme de l'amour. Un couple homosexuel, c'est un couple d'amour.
Et cela passe obligatoirement par un mariage?
Jean-Luc Mélenchon. Cela les regarde! Moi je suis pour que l'on autorise le mariage. A gauche, on n'a pas toujours été très clair sur le sujet. Il y avait beaucoup de conformisme. Pour moi, à chaque fois qu'on élargit le champ de la liberté, c'est pour tout le monde que ça va mieux.
Et l'adoption?
Jean-Luc Mélenchon. Pour l'adoption, j'ai mis du temps. Ce qui m'a déterminé, c'est le principe d'humanité. Je me suis dit que le premier droit qu'a un gosse, c'est d'avoir des parents qui l'aiment. Et on peut penser que des parents qui l'aiment, ce sont des parents qui l'ont voulu.
MAGALI GARIN-RESPAUT. Quelles mesures proposez-vous contre la précarité des jeunes?
Jean-Luc Mélenchon. C'est un sujet très politique, j'ai même fabriqué un mot, le « précariat », mélange de prolétariat et précarité. Si vous n'avez pas de CDI, on ne vous prête pas, on ne vous loue pas et ainsi de suite, toute la vie devient précaire. On a généralisé les contrats atypiques : 80% des embauches se font en CDD, il faut onze ans à un jeune pour décrocher un CDI. Désormais, cela concerne aussi les qualifiés, ingénieurs, architectes, etc. Parisot (NDLR : la présidente du Medef) a dit « tout est précaire dans la vie, même l'amour, donc le travail peut l'être ». Pour moi, mieux vaut partir d'un bon pas : l'amour, c'est toujours. Le précariat est une maladie abominable de la société. Nous devons l'éradiquer.
Mais comment cibler les jeunes?
Jean-Luc Mélenchon. Il faut se garder de cette manie de penser la politique par catégories, les 18-20 ans, les 20 ans et un jour, les seniors, etc. Il faut une mesure radicale. Il y a 850000 précaires dans la fonction publique : on titularise tout le monde! Dans le privé, interdiction d'avoir plus de 5% de l'effectif en contrat atypique pour les grandes entreprises et plus de 10% pour les PME. Je supprimerai également le statut d'autoentrepreneur, arnaque de première grandeur.
JEAN-LUC BAKOWSKI. Etes-vous pour le maintien d'une TVA minorée dans la restauration, sachant que c'est un bon moyen de faire payer nos impôts par les touristes étrangers?
Jean-Luc Mélenchon. La réduction de la TVA dans la restauration est partie de l'inégalité entre la restauration rapide et la restauration classique. Des gens de gauche ont trouvé ça génial. J'ai toujours trouvé cela stupide. Cela a coûté 3 Mds€ par an. La réduction du nombre de fonctionnaires, le plus grand plan social de ce pays – 150000 emplois supprimés – cela économise à l'Etat 500 millions par an. Autrement dit, la fleur que l'on a faite à la restauration a coûté six fois ce que rapporte la suppression des emplois dans la fonction publique. C'est un scandale. Cette TVA doit être rediscutée.