29mai 12
Jean-Luc Mélenchon attaque frontalement Marine Le Pen dans son « fief » du Pas-de-Calais. En désignant une nouvelle cible aux électeurs.
La 11e circonscription du Pas-de-Calais paraissait acquise à Marine Le Pen, en juin prochain. Hénin-Beaumont avait tour à tour servi de rampe de lancement à sa prise de pouvoir du parti puis de laboratoire à son concept de « dédiabolisation » du Front national.
Dans cette ville de 27 000 habitants où le ticket Steeve Briois-Marine Le Pen a failli emporter la dernière municipale, le « Front » n'a jamais soufflé sur les braises agitées nationalement. Place de la République, la Boucherie halal du Marché fait face à un fleuriste à l'enseigne des Jardins de l'Abbaye. Le face-à-face est paisible, apparemment anodin.
« Mme Le Pen n'est jamais venue dans ma boucherie, note Youssef, 35 ans. Si elle poussait la porte, je lui offrirais mon meilleur choix. Cela ne me gênerait pas que le FN passe ici. Tout ne dépend pas de la politique. On est en France et en démocratie, tout de même. Ils ne pourraient pas interdire comme ça la viande halal ! »
Une sérénité qui en dit long sur l'enracinement du parti d'extrême droite dans ces terres « socialo-communistes », ainsi que Marine Le Pen les qualifie elle-même.
Les enfants des Maghrébins
« Le racisme est d'autant plus profond ici qu'on peut difficilement le nommer », analyse Jean-Michel, 68 ans, un ancien prof de techno d'une commune voisine, Oignies. « La fosse [NDLR : les mines de charbon] a servi de creuset aux populations étrangères qui se sont succédé ici. On n'allait pas forcément dans les bals polonais. Mais les communautés finissaient toujours par se fondre dans le paysage. Cela a changé avec les enfants des mineurs maghrébins. Le passé colonial, la religion, l'argent massivement envoyé au pays… Les plus racistes envers eux sont souvent les descendants des autres communautés », note ce militant communiste qui voit dans l'arrivée de Jean-Luc Mélenchon une sorte de réincarnation de Georges Marchais. Un pur bonheur, donc, surtout lorsqu'il « envoie balader les journalistes ».
Depuis que le héraut du Front de gauche a décidé d'affronter Marine Le Pen et de « casser la vitrine du FN », les communistes, qui faisaient 25 % des voix à la grande époque, ont repris espoir. À la présidentielle de 2007, ils avaient plafonné à 6 %. Mélenchon leur ayant redonné des couleurs en 2012 (14 %), ce sont eux-mêmes qui sont allés le chercher pour les législatives.
« Nous sommes dans une terre de gauche avec des électeurs fâchés, pas fachos », résume David Noël, le secrétaire de la section PC d'Hénin-Beaumont. « Entre un candidat PS incarnant une fédération gangrenée par l'affairisme et la facho présentable, les électeurs étaient prêts à élire Marine Le Pen, continue-t-il. Depuis des années, on n'avait plus de local ici. Quand les gens sortaient de la mairie déçus, ils n'avaient qu'une porte où frapper : celle du local du FN. C'est pourquoi, avant même d'appeler Jean-Luc Mélenchon à venir, Hervé Poly, le secrétaire départemental du PC, qui devait affronter Marine Le Pen aux législatives, avait investi dans ce local de la place Jean-Jaurès. Afin de faire pièce à celui du FN. »
Pour les communistes, les socialistes dissidents de la fédération du Nord-Pas-de-Calais et beaucoup de militants syndicaux, la « solution Mélenchon » est double. Contraindre le PS – qui a refusé de s'allier avec le Front de gauche – à faire le ménage dans ses propres rangs. Et barrer la route à Steeve Briois aux municipales de 2014. « C'est le vrai enjeu de ces législatives, dit encore David Noël. Si Marine Le Pen est battue aux législatives, Hénin-Beaumont ne deviendra jamais son "fief". Nous ne supportons pas cette expression. Nous ne sommes pas des serfs et elle n'est pas notre baronne. »
Le sondage Ipsos du 19 mai qui a donné Mélenchon largement vainqueur au second tour (55-45) a évidemment bousculé la donne. « Si cela doit passer, cela passera. Si cela ne doit pas passer, cela ne passera pas », lâche Marine Le Pen, fataliste, de retour du marché. La présidente du FN intègre visiblement la possibilité de la défaite. Mais ne s'avoue pas vaincue, loin de là. « Les sondeurs nationaux n'ont pas idée du buisson d'épines qu'est devenue la gauche ici. Et sous-estiment encore plus que d'habitude mon ancrage dans le paysage. Cela fait des années que l'on ne voit que nous ici », se rassure-t-elle.
Changement de « cible »
Et qu'on n'entend plus que ses idées, pourrait-elle ajouter. « Le problème, ce n'est pas l'immigré, mais le banquier », a lancé le communiste Hervé Poly, suppléant de Jean-Luc Mélenchon, devant une salle pleine à Courrières. Ce changement de « cible » va-t-il suffire à inverser le cours des choses à Hénin-Beaumont, où la population est matraquée par les impôts locaux et supporte des taux de 15 à 20 % de chômage selon les communes de la circonscription ?
Jean-Luc Mélenchon y croit. « Ces Kabyles, ces Polonais, ces Italiens, ces Algériens qui sont tous descendus dans la mine et qui ont inventé la gauche avec nous ! Voilà qui sont nos pères ! Et c'est de ceux-là qu'on nous demande de nous désolidariser ? Jamais. Bientôt, vous verrez, ils nous feront haïr les Chinois parce qu'ils les trouveront trop visibles. Ils ont toujours fait comme ça. » Réponse les 10 et 17 juin.