Jérôme Cahuzac a conclu votre face à face lundi soir sur France 2 par ces mots : «Vous êtes un homme seul»…
Je ne suis pas seul. Celui qui l’est le plus c’est bien M. Cahuzac. Peut-être projette-t-il sa situation au PS. Moi je suis fort des 4 millions de personnes qui ont voté pour moi. Depuis ce débat je suis d’autant moins seul que j’ai reçu de nombreux messages de sympathie de socialistes. Jérôme Cahuzac a pris lundi soir la défense du capitalisme, du jamais vu sur un plateau de télévision pour un socialiste et je peux vous garantir que cela n’a pas élargi son audience, mais bien la mienne !
Vous l’avez taxé de “social-libéral”. Cela vaut pour l’ensemble du gouvernement ?
C’est en tout cas sa ligne politique. Avec une politique de l’offre d’un côté, c’est-à-dire produire tout, n’importe comment et le moins cher possible et d’autre part la politique d’austérité, c’est-à-dire la forme la plus classique de l’état néo-libéral.
Que reprochez-vous concrètement à François Hollande que vous avez étrillé dans vos «anti-voeux» ?
Il y a deux orientations possibles à gauche. Et il y en a une qui s’est fracassée. Elle s’est fracassée en Grèce, en Espagne et au Portugal notamment. Je ne vois pas comment cette orientation pourrait fonctionner en France. Politique de l’offre d’un côté et austérité de la conduite de l’état en ce qui concerne la dépense publique de l’autre. Ce type de politique produit partout les mêmes résultats : chômage et recul de l’activité. Le budget du gouvernement est totalement faux puisque son hypothèse de croissance ne tiendra pas. Il faudra donc réaliser encore plusieurs milliards d’économie si le gouvernement veut tenir l’objectif des 3% maximum de déficit public. Ce qui veut bien dire qu’il a mis le doigt dans l’engrenage des politiques d’austérité.
Croyez-vous vraiment possible de rembourser la dette au rythme choisi par la France, comme vous le préconisez, tout en relançant la croissance ?
La dette publique est moins importante que la dette privée dans notre pays. 90% du PIB sur une année pour la 1ère, 130 % pour la seconde. La dette publique résulte de l’appauvrissement méthodique et organisé de l’Etat qui date de la période Chirac-Sarkozy. Avec 900 milliards de dette supplémentaire, ils ont fait doubler cette dette. La première chose à faire est d’abord de remonter le niveau des ressources de l’Etat.
Mais où trouver l’argent ?
Le pays n’a jamais autant produit qu’aujourd’hui, il n’a jamais été aussi riche, le PIB n’a jamais reculé. Ce qui veut clairement dire que le premier problème est celui du partage de la richesse produite entre les dividendes et la ressource publique.
Vous avez évoqué la mer comme gisement de croissance. étonnant, non ?
Pas du tout. Il faut un volant d’entraînement, c’est-à-dire un secteur de l’activité économique qui entraîne tous les autres. Et en effet j’ai évoqué comme aire de propension et malgré le mépris de Jérôme Cahuzac, la mer. 50 % de la population vit à moins de 100 kilomètres d’une façade maritime, il y a forcément des installations à développer partout pour le portuaire, l’aquaculture, le démantèlement des navires par exemple. C’est socialement utile et écologiquement responsable et moi je veux partir d’une politique de la demande. Je ne peux que regretter que Cahuzac ait balayé cela d’un revers de la main…
L’écologie prend de plus en plus de place dans vos discours. Prêt pour une alliance rouges-verts ?
C’est d’abord un problème de construction doctrinale. Quel penseur de la gauche du XXIe siècle peut passer à côté du fait que le capitalisme productiviste met en cause l’existence même de l’éco-système ? Ensuite c’est un problème économique : le véritable gisement d’emplois et d’activités dans notre civilisation est bien la transition écologique. Enfin, c’est un problème politique. Il faut arrêter de construire des alliances sur des combinaisons d’appareil comme le PS l’a fait avec Europe Ecologie/Les Verts.
Ces derniers se sont trompés d’alliés alors ?
Oui je le crois. Mais comme les socialistes ils sont partagés entre deux ailes. Une aile écolo-libérale et une autre écolo-socialiste. Et c’est vrai, le Front de gauche aspire à être le déclencheur de cette nouvelle union entre le socialisme historique, l’écologie politique et lui-même.
C’est une piste de réflexion pour les futures échéances électorales ?
Absolument. Si nous voulons être autre chose que des gens qui débitent leur slogan il faut pouvoir faire des propositions concrètes : j’en ai en matière économique, j’en ai aussi en matière politique. Nous n’attendrons pas 2017. Je dis clairement que nous sommes prêts dès maintenant à assurer la relève.
Revenons à la politique économique de François Hollande. Vous la contestez de A à Z ?
Oui et jusqu’à présent je ne me suis pas trompé dans mes prédictions… J’avais dit qu’il ne ferait pas une politique d’affrontement avec la finance parce qu’il ne comprend pas le poids de la finance dans l’économie actuelle, c’est bien ce qui s’est passé. J’ai expliqué qu’il ne serait pas capable d’inverser la courbe du chômage s’il ne rompait pas avec les politiques d’austérité, j’avais raison.
Pas de bon point non plus sur la politique fiscale et la taxation à 75% notamment…
J’avais tout de suite dénoncé l’improvisation de cette mesure en signifiant qu’il était aberrant d’imaginer un système fiscal où l’on saute d’une tranche de 45% à 75%. Cette marge n’existe dans aucun système fiscal au monde. L’impôt sur le revenu doit être progressif, mais en aucun cas bricolé comme l’a fait François Hollande qui avait pour seul objectif de freiner ma progression dans les sondages en inventant une mesure sur le thème «je vais taxer les riches». Je condamne bien sur l’attitude de Depardieu, mais pas à coup de petites phrases et de mots blessants et injurieux. Quand on détruit l’action publique, on doit avoir une réponse publique. Et c’est la taxation différentielle.
Les réformes sociétales, comme le mariage pour tous, feraient-elles parties de vos priorités si vous gouverniez ?
Pour moi les batailles sociales et sociétales sont de même nature. Elles ont une racine commune : la question de l’égalité. Pour les socialistes, c’est peut-être une tentation, une facilité pour produire une radicalisation politique sans toucher à la question de fond du partage de la richesse.
Vous n’êtes pas tendre non plus avec Jean-Marc Ayrault…
Il est comme l’avait dit Sarkozy de Fillon, le collaborateur du président. Sa capacité d’impulsion politique et ce n’est pas moi qui le dis, est voisine de zéro. Il n’est pas illogique que ce soit lui qui concentre aussi les critiques puisque comme le prévoit la constitution, il est responsable de la politique conduite par le gouvernement !
Si la présidentielle avait lieu demain, appelleriez-vous encore à voter Hollande au second tour ?
S’il fallait encore choisir entre lui et Sarkozy, oui ! Mais ce qui est certain c’est que le nombre de ceux qui voteraient pour lui au deuxième tour serait bien moins important qu’en mai dernier. Vu l’étroitesse de sa victoire, il ne doit pas oublier ce qu’il nous doit…
Propos recueillis par Christian Huault