15fév 13
Le patron du parti de gauche, qui se prépare déjà à la campagne européenne de 2014, dénonce la complicité de la gauche au pouvoir avec le grand capital.
Ce jour-là, il grêle sur Paris. Jean-Luc Mélenchon revient d’Italie où il est allé soutenir « des camarades ». La fatigue se lit sur son visage mais, dès la première question, ses mains s’animent. Jean-Luc Mélenchon vit ce qu’il dit, comme toujours, et ne s’arrête plus. La nuit tombe, il est encore là.
VSD- Valérie Trierweiler qui participe, aux cotés de Bernard Arnault et Charlène de Monaco, au défilé Dior, ça vous choque ?
Jean-Luc Mélenchon- Elle fait le job qui est le sien : de la représentation. Ce qui me choque beaucoup plus c'est que son compagnon ne fasse rien pour rattraper les fuyards du fisc, pour taxer le capital comme le travail et néanmoins essaie de faire croire qu'il l'a fait.
VSD- Cette image ne trahit-elle pas une complicité gênante pour la compagne d'un président de gauche ?
JLM- C'est la caractéristique des veilles de grands chambardements. Il y a deux mondes qui s’ignorent : le monde des puissants, des riches, des importants. La cour brillante, pimpante, vivant des artifices, persuadée, d'une manière totalement aveugle, de ses bonnes raisons et de l'autre côté une masse immense qui n’est pas toujours capable d'exprimer sa colère qui d'ailleurs n'est parfois même pas en colère mais résignée. Certaines personnes n'ont même plus de place pour la colère car survivre est une occupation à plein temps.
VSD- François Hollande voulait réconcilier les Français, avez vous l'impression qu'il est en train de la faire ?
JLM. Non et je crois qu'il n'a pas du tout l'intention de se préoccuper de tout ça. Il va continuer à mettre la France au niveau des pays anglo-saxons grâce à toujours plus de flexibilité. Alors que plus le code du travail est souple plus la France est rigide car tout le monde se cramponne au peu qu'il a. La souplesse d'une société, sa mobilité, dépend de la sécurité des gens, pas l'inverse.
VSD. Il est, au moins, en train de réconcilier la gauche avec le grand capital ?
JLM. Non, il laisse faire le pillage du pays. Sanofi annonce que les dividendes vont passer de 35% à 50% et des milliers de licenciements boursiers : il ne dit rien. Renault saccage l’entreprise ? L’État, qui possède 15% du capital accepte la négociation revolver sur la tempe alors que la seule chose à faire avec Carlos Ghosn c'est de le remplacer. Dehors ! Mittal c’est pareil, c'est un tigre de papier. On aurait pu l'amener comme un toutou à la table des négociations. La solution Montebourg était excellente, c'était le seul moyen d'obtenir un résultat ! Mais Jean Marc Ayrault a préféré laisser à Mittal sa machine à faire du cash. Ca lui a rapporté beaucoup d'argent de fermer Florange, il peut désormais vendre ses droits à polluer et en plus il va toucher le crédit d’impôt compétitivité. Vraiment, en France, nous sommes les gogos de la planète.
VSD. Mais l’État n’est-il pas pieds et poings liés par ses grands patrons qui créent de l’emploi en France. Lashmi Mittal représente vingt mille emplois en France.
JLM. Mais ce n’est pas Mittal qui les a créés. Mittal est arrivé par une OPA hostile, personne ne voulait de lui ni en France ni en Europe. Il n'a pas créé d'emploi, il en a détruit. Il n'a pas créé d'aciéries, il en a fermé. Les aciéries existaient avant, elles avaient été nationalisées. Les Français ont mis 60 milliards de francs pour recapitaliser la sidérurgie française. C'est parce qu'on a privatisé que Mittal est arrivé.
VSD. Les syndicalistes de Florange ont encore été reçus récemment à l'Elysée…
JLM. Je les ai vus après, ils étaient très tristes, profondément humiliés. Quand des travailleurs décident d'aller à l’Élysée porter une pétition c'est un moment très important pour eux, le moindre détail compte. Or ils ont été reçus par un conseiller qui leur a dit : Vous vous rendez compte, vous êtes reçus à l'Elysée. Ça les a vexés, ils se sont dit : nous ne sommes pas des manants qui ont l'honneur d'être reçus au château. C'est une gauche très spéciale qui est au pouvoir, une gauche qui n'est pas impliquée dans le monde du travail, qui ne le connait pas, qui ne discute pas avec des syndicalistes. Elle ne s'intéresse à une production que lorsqu'il y a une crise. Ces gens ne savent pas qu'une entreprise est un collectif et une production. Ils ne pensent que rentabilité, profitabilité. Ils acceptent les valeurs dominantes du monde dans lequel ils vivent, des gens avec lesquels ils déjeunent mais la production elle-même ne les intéresse pas.
VSD. Même Arnaud Montebourg semble s'être assagi. Il ne gère pas le dossier Goodyear comme il a géré Florange.
JLM. Je vais être honnête, j'ai pensé qu'on pouvait l’instrumentaliser. Il faisait le travail et moi je l’appuyais. Mais aujourd'hui ? A quoi sert-il ? A pas grand-chose ! En prime il dégrade la confiance que des gens ont eu en lui et ça ce n'est pas bon parce que ça crée de la désillusion, de l’amertume.
VSD-Eric Coquerel, secrétaire national de votre parti dit « c’est le PS qui trahit, qui ne partage plus le dessein historique de la gauche ». Voyez-vous une rupture entre la gauche d’aujourd’hui et celle d'hier ?
JLM. Jospin a été le dernier social-démocrate du PS français. Cette gauche là appliquait un programme de partage des richesses comme les 35 heures. Aujourd’hui ce sont les sociaux libéraux qui dirigent. Une variété de libéraux vaguement compassionnels.
VSD. Les temps ont changé. La semaine dernière Huw Pill, le co-directeur de la section économie européenne de Goldman Sachs a expliqué que la France devait baisser les salaires de 30%.
JLM. Moi je leur propose une chose : on commence par baisser les dividendes de 30% et après on regardera s'il faut faire pareil avec les salaires. Le milliardaire Warren Buffett a dit : « La lutte des classes existe et c'est ma classe qui la gagne » ! Golman Sachs c'est la caricature du banquier rapace prêt à désosser un pays entier comme la Grèce et qui a l'impudeur de nous donner des leçons.
VSD. Jean-Christophe Cambadélis disait récemment que vous « étanchiez votre soif à l’eau salée de votre amertume ». C'est juste ?
JLM- La mode en ce moment au PS c'est de gagner ses galons en me tapant dessus. Ca ne m’impressionne pas beaucoup. Je ne suis pas du tout amer ! Je tiens à passer ce message à Jean-Christophe Cambadélis : je suis trés épanoui dans l'action que je mène. Moi je ne suis pas tous les jours en train de rendre plus pauvres mes compatriotes, de leur mentir, de les abandonner comme le font les dirigeants du PS.
VSD- Le PS brandit la menace de ne pas signer d’accord avec le PC en vue des municipales de 2014 s'il ne prend pas ses distances avec vous. Êtes vous inquiet ?
JLM- Non. Comme le PS est grossier, vulgaire et insultant tout ce qu'il a réussi à faire c'est à braquer les communistes encore plus qu'ils ne l'étaient avant. Je n'ai pas l'ombre du commencement d'un doute sur l'attitude des communistes. Mais l'acharnement du PS prouve bien l'importance que nous prenons. Nous allons les devancer aux prochaines élections européennes.
Propos recueillis par Christelle Bertrand