15oct 13

Interview publiée dans la Libre Belgique du 4 octobre 2013

« Ce qui coûte cher, c’est le capital, pas le travail »

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Jean-Luc Mélenchon était l'invité de la rédaction de La Libre Belgique.

Voici l'entretien publié dans l'édition du 4 octobre, sous le titre "Moi, Président'

José Bové et quelques autres parlementaires européens vous reprochent de ne pas être très assidu aux séances du Parlement, institution à laquelle, par ailleurs, vous ne semblez accorder qu’une maigre confiance…

Mes critiques Verts et sociaux-démocrates, sont des concurrents affolés. Ils n’ont aucune prise sur moi. Il ne leur reste donc que ce motif bidon et mesquin ! Ce pseudo-contrôle de mon assiduité m’amuse. La réplique le moment venu sera mordante. Il va leur en cuire. Pendant toute la campagne électorale qui s’annonce, les laquais en perruques et les parfumés voudront me nuire. J’y suis préparé. Je rendrai les coups. José Bové est un petit garçon ! Il court d’une réunion à l’autre, le doigt sur la couture du pantalon. Il ne se rend pas compte qu’il perd son temps à discuter de textes sans valeur législative. Moi, je suis un parlementaire expérimenté, républicain. Un parlementaire doit rendre compte. Je le fais méthodiquement sur mon blog Europe. Je suis le seul à expliquer tous mes votes. Je fais aussi un gros travail de terrain ! Et quand je ne suis pas présent au Parlement, croyez-vous que je sois au bal, que je participe à un tournoi de whist ? Mes absences sont toutes justifiées par les luttes. Est-il plus utile d’avoir des élus dans la rue pour défendre les retraites ou de participer à une sous-commission pour marchander les virgules d’un vœux pieu ?
En fait, le Parlement européen n’est pas un vrai Parlement. Dans un Parlement on parle, ici on se tait. Le temps de parole qu’on accorde aux élus est ridicule. C’est aussi un Parlement sans les pouvoirs fondamentaux d’un Parlement. Il n’a pas l’initiative législative. Il est sans cesse encombré d’une foule de textes sans usage concret.

Le Parlement agit cependant comme colégislateur…

L’idée même de « colégislateur » est contre-républicaine. Il n’y a pas de « co-souverain » en République ! Il n’y a qu’un seul et unique souverain : le peuple. La « colégislation » est, dans ma conception, une absurdité.

Vous faites pourtant partie de ce Parlement.

Oui ! J’y représente ceux qui veulent changer tout ce système ! Je suis aussi socialiste depuis toujours mais je vis dans un monde capitaliste. Je suis contre la Ve République mais j’en ai été un parlementaire. Je représente, j’incarne, je suis le peuple français, un et indivisible. Quand on est démocrate, on croit aux élections et on s’engage sur tous les fronts. Je mène la bataille pour refonder l’Europe. Celle-ci ne fonctionne pas. Le peuple souverain n’est pas impliqué dans cette construction ! Voyez avec le traité européen comment on lui concocte des textes volontairement incompréhensibles. Les institutions mises en place sont antidémocratiques, la pratique l’est aussi. Le dire ne fait pas de moi un anti-européen. Une Europe politique est une nécessité ! Mais l’Europe actuelle est condamnée. Pourtant c’est ou l’Europe ou la guerre à terme! La paix n’est pas un état de nature. Comment faire ? Le peuple est la solution. On devrait décider : tous les domaines de compétence nationale déléguée à l’échelon européen relèvent du Parlement. Le problème ? Les institutions européennes, telles qu’elles sont, ne peuvent plus être corrigées. Je fais le pronostic qu’elles vont se briser, comme l’euro peut-lui aussi s’écrouler à tout moment. Quel gâchis ! Si l’euro n’était pas piloté par une banque centrale indépendante qui s’interdit de prêter aux Etats au taux auquel elle prête aux banques privées, il n’y aurait pas eu de crise en Grèce, au Portugal, en Espagne. La spéculation aurait été étranglée. On court au désastre, par effet mécanique, alors qu’on pourrait l’éviter. Le capitalisme est un système de plus en plus instable. Nous sommes menacés d’un blocage du système financier qui peut provoquer un effondrement général. Tant de gens ne veulent pas le voir ! Voyez l’engrenage : la pression s’exerce sur les peuples avec la politique austéritaire, les relations sociales se tendent ? Alors, les dominants désignent un bouc émissaire. Pour que ce ne soit pas le banquier le coupable du mal, c’est forcément l’immigré, le Rom, le musulman. Comme les juifs d’avant-guerre. Les nations aussi sont soumises à tensions. Les moins bien soudées seront les premières à craquer. Vous avez déjà des mouvements irrédentistes en Italie, en Espagne ! En Belgique, vous êtes servis, vous aussi. L’effet domino sur les frontières serait terrible !

S’agissant de la France, on a l’impression que vous tapez davantage sur la gauche que sur la droite…

Normal ! L’opposition critique le pouvoir. Le pouvoir, c’est PS. Je le critique donc. Avec d’autant plus de férocité qu’il est censé être de mon camp. Or il pratique une politique de droite. La gauche et la droite sont des contenus ! Pas des étiquettes.  De tout temps, la gauche a partagé, plus ou moins, la richesse du capital vers le travail. La gauche c’est la politique de la demande: l’économie est censée pourvoir aux besoins sociaux. Où est passé ce programme ? A présent, Hollande est adepte de la politique de l’offre. Pour lui, le problème, ce serait le « coût » du travail. C’est le discours traditionnel de la droite.  Or, ce qui coûte le plus cher, c’est le capital et sa rémunération, pas le travail. Le coût du capital a triplé ces vingt dernières années. Et il se distribue plus d’argent en dividendes qu’en investissements. Donc le changement écologique des outils de production n’est pas financé. Voila pourquoi le capitalisme vert n’existera jamais. La social démocratie verte non plus. “on va partager les fruits de la croissance” disent-ils comme si la nature était une réserve sans fin.

En concentrant vos critiques sur la gauche, n’épargnez-vous pas l’extrême droite?

Quand je me suis occupé de l’extrême-droite, le choeur de parfumés s’est exclamé que je m’y prenais mal. On m’a accusé de donner de l’importance à l’extrême-droite. Or, je m’attaquais au contenu social de la politique de Mme Le Pen et j’étais seul à le faire.

Mme Le Pen n’a pourtant jamais été aussi forte…

Eh bien, j’aurai la satisfaction intellectuelle d’avoir mené la lutte tandis que ceux qui soufflent pour la faire gonfler auront un jour des comptes à rendre.

Comment expliquez-vous que le Front National capte plus de voix dans l’électorat populaire que vous?

Je vous ferais remarquer que nous sommes passés de 2%, qui était le score des communistes à l’élection présidentielle, à 11% et 4 millions de voix. Quand Mme Le pen passe de 16 à 18%, les médias parlent d’une percée. Son entreprise familiale est là depuis 40 ans. Nous existons depuis 4 ans ! Les grands médias français l’ont dédiabolisée. Voyez la série des publireportages dans “Le Monde” pour les projets de Mme Le Pen aux élections municipales
Quant à moi, j’ai permis à mon camp d’atteindre le seuil de crédibilité. Et je continue la lutte ! Contre tous les chiens de garde du système de l’argent : les médias, la sociale démocratie, la résignation, l’aliénation. La première forme de cette lutte est culturelle, elle est dans la conscience, dans les systèmes de représentation. Mais que c’est dur ! Du matin au soir, des irresponsables et des criminels font des sondages qui posent des questions que les gens ne s’étaient jamais posées dans le but d’obtenir des réponses qui feront vendre du papier. Qui a trouvé l’idée de demander aux Français s’ils étaient d’accord pour expulser les Roms? Un institut de sondage, qui a vendu le résultat à des journaux. Résultat: 90% des Français sont d’accord avec Manuel Valls. Bien-sûr les pauvres sentent mauvais. Vous savez pourquoi? Parce qu’on ne leur permet pas de se laver. On dit qu’ils ne s’intègrent pas mais on ne se demande pas pourquoi. Quand leurs gosses vont à l’école, on les en chasse. Toute la France bouffe du Rom, voilà ce qu’ils ont provoqué et cela me scandalise. Le premier pourvoyeur de voix de le Pen, c’est le système médiatique!

Le plus inquiétant n’est-il pas que la lepénisation percole dans les esprits….

Je vous donne raison: là se situe le plus grand dommage. Le score électoral est une chose mais la contamination par les idées et les images est épouvantable. Voyez aussi comme je suis diabolisé d’une façon tellement irresponsable. Ainsi, récemment, quand j’ai critiqué Francois Hollande pour sa proposition de créer à Florange un institut de recherche public en sidérurgie à des fondeurs qui savent bien qu’aucun d’entre eux ne se transformera en chercheur. Qu’est-il advenu de ma réaction ? Un quotidien a encore publié une photo de moi avec la bouche défigurée, les cheveux au vent. C’est la 17e fois que cette photo passe dans six journaux différents depuis juin dernier quel que soit le sujet !.

Si vous aviez été aux affaires, les Français fortunés auraient été matraqués….

Non : ils paieraient leur part ! Ils fuiraient ? Possible. En France, la trahison des riches est récurrente. Les classes possédantes y ont souvent une fibre nationale et républicaine faible. Nous ne sommes pas les seuls en Europe! Souvent, ceux qui ont de l’argent n’ont qu’une patrie : leur argent. Chercher à les rendre meilleurs ? L’Eglise catholique s’y essaye depuis des siècles sans résultat. Mieux vaut prendre des mesures concrètes pour rendre les comportements anti-sociaux impossibles. Si certains Etats ne pratiquaient pas des fiscalités caressantes, les riches n’y viendraient pas. Mais même l’harmonisation fiscale ne suffirait pas ! Moi aux commandes, je rendrais impossible l’emigration fiscale. Les émigrés fiscaux se verraient interdire d’exercer des mandats sociaux en France. Ils ne pourraient plus être remboursés de leurs soins de maladie.. En outre, tout Français paierait aussi ce qu’il doit au fisc en France, où qu’il vive. C’est ce que font les Etats-Unis. Dans ces conditions, qu’importe que certains quittent la France : le fisc les rattrapera toujours.

Quelles sont les mesures que devrait prendre le gouvernement français pour relancer l’Economie ?

Il faut abaisser le coût du capital et améliorer la condition du travail. Rallumer les feux de la consommation – responsable et écologiquement soutenable –par une amélioration du pouvoir d’achat. Redonner au peuple français le goût du futur. Aujourd’hui, c’est sinistrose à tous les étages. Le seul projet national, c’est de payer la dette. C’est stupide et c’est un contre-sens économique. Assez de timidité face à Mme Merkel. Nous, Français, savons faire des tas de chose. A nous d’être à l’avant-garde, en matière technique, technologique, énergétique, écologique et devenir des leaders dans le développement de l’économie de la mer. Il faut que nous nous donnions un horizon autre que payer la dette. La dette, c’est juste un effet d’écriture, ça n’existe pas.

Il faut cesser de payer la dette ?

Ça s’examine dans le détail. Où serait le risque ? Imaginez que je sois le président la République. Vous venez me voir pour me faire payer une dette odieuse. Alors je vous dit : “On abaisse les taux d’intérêt, sinon moi je ne paie plus”. Qui est mort si je ne paie plus ? Vous ! Parce que vous n’aurez plus un sou.  Nous, dès le lendemain matin, la vie reprend. Voyez : personne ne me fera peur. La dette, il faut en discuter calmement, sans s’effrayer.  Avec moi, les banquiers viendront négocier le béret à la main. Parce qu’on ne peut pas rayer la France de la carte mais on peut en rayer Goldman Sachs et les malins du même genre. Tout cela n’est qu’un rapport de force, qu’on a essayé de faire passer pour une loi de la nature.  Les gens raisonnables négocient. Eux ne sont pas raisonnables. Ils mettent le talon sur la gorge des peuples et ils appuient.

Comment expliquez-vous la déprime française ?

Comment les Français pourraient-ils se sentir heureux ? Le pays est plus riche que jamais et il n’y a jamais eu autant de pauvres. Ouvrez un journal, c’est toujours : “La France à la traîne !”. Exemple : le système éducatif français ? “Le pire du monde !”. Quel dégoût de soi quand on est numéro un mondial pour le nombre de scientifiques formés ! Le flot de boue qui nourrit l’extrême droite, coule à pleins régime. Un : le déclinisme, sur tous les sujets. Deux : la politique est sale, peuplée de voyous. Trois : il faut avoir peur, peur de tout. De l’air que l'on respire, de l’eau que l'on boit, du voisin qui a une drôle de gueule…

Comment analysez-vous l’évolution de la politique ces dernières années ?

Il nous est arrivé quelque chose de terrible en à peine 30 ans. D’abord, le communisme d’Etat s’est effondré. C’était  un contre-modèle et il n’y en a plus. Ensuite, la sociale-démocratie s’est effondrée mais ça ne se voit pas, ça fait moins de bruit. On pensait avoir touché le fond avec Tony Blair… Après, on a eu Gerhard Schröder. Puis George Papandreou, président de l’Internationale socialiste, qui n’a pas résisté une heure à l’assaut de la finance.  Ce jour-là, l’Internationale socialiste et le PS européen sont morts comme forces progressistes de résistance. Ce sont des mutations majeures de l’espace politique: elles n’ont pas fait trois lignes dans les journaux. L’espace politique est en train de se déformer et de se restructurer massivement dans toute l’Europe. Nous allons vers une période de confrontations très dures et les choses ne se régleront pas dans les anciennes catégories mentales. Les canaux habituels de transmission entre la société et la décision sont en train de se briser un peu partout…

Pensez-vous que la Belgique éclatera un jour et que les Belges francophones deviendront Français ?

Ce sont les Belges qui se posent la question à intervalle régulier, pas moi. Aucun Français ne peut s’en désintéresser. La Belgique est soumise à la même pression que les autres Etats-nations mais elle dispose de moins de cohésion, du fait d’un clivage linguistique et culturel qui a été aggravé au fil du temps. On constate chez les Flamands un fort irrédentisme. On peut donc penser que, par leurs initiatives, ils rompent la nation belge. Alors ? Mon principe de base est : on ne touche pas aux frontières. Mais si elles doivent bouger, il ne faut pas croire que nous ferons ceux qui n’ont pas vu !  Après cela, je ne me prononce pas sur ce que voudraient les Belges francophones. Mais je dis que s’ils voulaient être Français, ils seraient les très bienvenus en République .

Comment un Républicain comme vous envisage la monarchie?

Comme être humain et internationaliste, je me sens plus proche des Belges républicains que royalistes. A mes yeux de républicain, la monarchie est un folklore risible, inutile, coûteux et dégradant. Ce n’est pas de la personne du monarque dont je parle; je suppose que, de bien des façons, c’est une personne aimable et respectable. Mais pour moi, la royauté est un archaïsme non réglé. Une personne ne sera jamais un principe unificateur, ni un prince bienveillant, ni un tyran…

A-t-on le droit d’intervenir, dans certaines circonstances, dans un autre Etat ? En Syrie par exemple ?

Non, sauf si on a un mandat de l’Onu. Sans cela, on intervient au nom de quoi, de qui ? Et qui va le faire ? Celui qui dispose du moyen de transporter des troupes, des troupes efficaces, c’est-à-dire meurtrières et destructrices. Dire qu’on va se passer du droit international revient à dire qu’on s’en remet au mieux armé. On connaît la réponse  : 50 % des dépenses de Défense au monde sont faites par les Etats-Unis d’Amérique, 80  % avec leurs alliés. Chaque fois qu’on intervient, quel est le résultat ? En Afghanistan, nous sommes intervenus pour libérer les femmes et passer à la démocratie…Pour finir nous avons rassemblé une horde de vieux fanatiques, machistes et obscurantistes qui ont mis au point ce qu’ils appellent une Constitution légalisant tout ce qui se faisait avant sous les Talibans: la charia, le voile… En Irak, le bilan ? La même chose en pire.

Vos relations avec les médias traditionnels sont parfois houleuses. Mais quel est votre regard sur les nouveaux médias?

Grâce a eux ma parole peut rester libre ! Je ne suis plus pieds et poings liés à l’assentiment du journal de révérence, qui paraissait autrefois à 12h pour donner la ligne à tout le pays. J’ai connu le temps, pas si lointain, où la réunion des ministres autour de Lionel Jospin s’interrompait quand l’huissier arrivait avec “Le Monde” à la main… Cette période-là est finie, heureusement. Nous avons désormais des espaces de liberté considérables. Cela a complètement modifié l’espace politique. L’accélération du temps change les conditions dans lesquelles nous faisons de la politique mais, d’une certaine manière, donne aussi une force plus grande à la préparation des idées.

Comment utilisez-vous les nouveaux médias pour faire de la politique ?

Nous sommes principalement présents dans la twittosphère, sur Facebook et les blogs. Par exemple, avec mon blog (lu chaque jour par 25 000 personnes, soit le premier blog d’un homme politique français, NdlR), je peux lutter avec un quotidien. Ma capacité de nuisance peut être égale, voire supérieure a celle dont il m’accable. Exemple: on peut tenir en respect « Le Monde » en pilonnant Plantu. En rappelant son prix pour la Liberté reçu au Qatar, nous avons contribué à  le décrédibiliser. Dans de larges secteurs il est passé du statut de gentil dessinateur à celui de réactionnaire vicieux. Au total c’est une époque drôlement excitante. J’aimerais bien avoir 20 ans de moins.



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