Après la législative partielle dans l'Oise en mars, celle de Villeneuve-sur-Lot en juin, le résultat des élections à Brignoles confirme la montée en puissance du Front national. Redoutez-vous sa percée aux municipales l’an prochain ?

Je suis habité par l’Histoire, je sais que ça peut mal finir. Le système économique et politique est en train de s’autobloquer. Pour maintenir l’ordre économique, la droite cherche à obtenir un motif de mobilisation seul l’extrême droite peut lui procurer. Elle va chercher des bouc-émissaires, cela n’a rien de surprenant. Ce qui l’est davantage, c’est l’effacement du camp progressiste. La social-démocratie a complètement disparu comme alternative politique. En apparence, ils ont toujours leurs sièges, leurs logos mais politiquement ils sont morts. Avec le Front de gauche, on essaye de relever le drapeau de la gauche mais nous sommes fragiles. Nous revenons de loin et nous n’avons que quatre ans d’existence.

En déclarant que « Manuel Valls a été contaminé par les idées du FN », n’actez-vous pas le fait que Marine Le Pen a remporté une bataille idéologique face à vous ?

Je suis obligé de reconnaître qu’elle l’a gagnée en partie puisqu’une partie de la droite pense qu’une alliance avec le FN n’est plus qu’une formalité. A gauche, une autre partie s’abandonne à des idées autoritaires. Quand j’ai fait prononcé cette phrase sur Manuel Valls, tout le monde a poussé des cris d’orfraie mais aujourd’hui cette situation s’est aggravée. Ces propos à l’encontre des Roms sont d’une violence terrible. Qu’un homme de gauche cède sur l’un de nos fondamentaux, à savoir l’égalité, c’est plus qu’une transgression, c’est un crime contre l’esprit !

Comment expliquez-vous que la gauche ne parvienne plus à mobiliser son électorat contrairement au Front national ?

Le FN arrive à mobiliser son électorat car c’est la débandade et la confusion. Depuis le départ, ma ligne politique est de dire que nous pouvons réussir, si nous clivons politiquement. C'est-à-dire en ne cachant pas les raisons pour lesquelles les gens de gauche ne vont plus voter. A Brignoles, le candidat communiste a commis l’erreur de distribuer des tracts avec un texte du PS signé Harlem Désir. C'est-à-dire qu’il s’est présenté comme un quasi candidat socialiste. C’est une erreur totale car les gens ne se mobiliseront pas pour ce gouvernement.

Votre rhétorique parfois violente n’empêche t-elle par un ralliement plus important de l’électorat de gauche déçu par la politique gouvernementale ?

Je crois que le conflit créé la conscience. Vous ne réfléchissez pas à un problème si vous n’y êtes pas forcé. J’ai écrit 14 bouquins mais ce qui est toujours retenu c’est la phrase qui fait polémique. J’estime que le Président de la République est un menteur et je le dis. Si je ne parle pas franchement, les gens vont penser que je suis prêt à céder sur mes idées. J’estime que François Hollande est responsable de ce chaos et je ne me réconcilierai pas avec.

Où avez-vu en Europe, la gauche radicale l’emporter en cognant aussi fortement sur la social-démocratie ?

En France, en 1981. Le parti socialiste s’est constitué en rupture avec la SFIO, nous refusions d’être appelés social-démocrates. Nous étions socialistes. Les statuts du parti nous décrivaient comme révolutionnaire, le marxisme était présenté comme une solution. Tout cela a été écrit noir sur blanc en 1972. Aussi longtemps que nous nous avons tenu à l’écart la social-démocratie, nous avons gagné les élections. La ligne droitière ne fonctionne pas. D’ailleurs François Hollande n’a gagné que parce qu’il a fait un discours contre la finance au Bourget. Pourquoi ce jour là n’a-t-il pas annoncé qu’il allait faire la retraite à 66 ans et alléger les contraintes du patronat ?

Les polémiques médiatiques ne desservent-elle pas votre programme ?

Un système de communication parfait ça n’existe pas. Dans un moteur à explosion, 20% de l’énergie est transformée en énergie mécanique, 80% est perdu. On ne peut pas me demander de créer des explosions médiatiques qui créé 100% de résultats positifs. Ca créé 30% de résultats positifs et le reste est perdu, c’est comme ça. Ce qui

m’intéresse c’est la fraction la plus déterminée de notre peuple, celle qui est prêt à se mobiliser pour bâtir une autre alternative.

Vous estimez que les médias sont moins incontournables pour vous ?

Il y a un renversement de situation grâce au web. Les gens qui achètent Libération, c’est 40 000 personnes par jour, soit pas grand monde, surtout que personne ne lit le journal d’un bout à l’autre. Quand je leur accorde un entretien, c’est toujours une contre-performance car je sais que je serai présenté comme un dingue. A contrario, chaque note sur mon blog qui est lu en moyenne 30 000 fois, produit une surface de contacts et d’échanges sans commune mesure. Aujourd’hui l’essentiel de ma vie intellectuelle se trouve sur Internet, je trouve ça enthousiasmant.

Que pensez-vous de la proposition d’Eva Joly de constituer une nouvelle majorité avec le Front de gauche.

« Cheminer crée le chemin » disait Machado ! Si nous n'avions pas été un point d’appui pour tous ceux qui souhaitaient rompre avec la politique d'austérité du gouvernement, l'initiative Eva Joly aurait sans doute été impossible. Aujourd’hui je pense que le Front de gauche doit être élargi aux écologiques. Je dis à Eva Joly ou à Noël Mamère : bienvenue au club !

Quel message adressez-vous aux militants communistes qui doivent se prononcer sur l’épineuse question des alliances avec le Parti socialiste ?

J’abjure les communistes de comprendre que n’est pas une élection locale mais nationale. Les socialistes se servent des municipales pour trouver une faille et casser le Front de gauche. Dans la plupart des grandes villes, nous aurons des listes autonomes du Front de gauche mais des villes vont nous manquer. Je pense notamment à Paris. C’est la première fois que le secrétaire du Parti communiste, donne un signal contraire car toutes les capitales régionales sont en liste du Front de gauche. Tout cela pour obtenir 13 sièges et un fauteuil de sénateur. En bref, toute la situation est ramenée à la défense du siège de sénateur de Pierre Laurent. C’est du jamais vu ! Surtout qu’il aurait pu être tête de liste aux européennes et ne rien devoir aux socialistes.

Pierre Laurent vous reproche vos ambitions personnelles

Je vais arriver au bout de mon combat. Je sais que je ne suis pas éternel. Je me fous de 2017, si quelqu’un d’autre fait l’affaire, tant mieux ! Le bagne qui est la notoriété, je suis en train de le subir de plein fouet. Je souhaite simplement rester dans le temps comme celui qui a reconstruit cette gauche et je ne cèderai pas. C’est ce qui me motive jour et nuit. C’est mon unique motivation… 

Propos recueillis par David Doucet