20nov 13

Remise à plat, prud’hommes et bonnets rouges

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J'écris ces lignes à Strasbourg. J'y vis le naufrage de l'idéal européen au jour le jour. Cette fois-ci le Parlement vient d'adopter sans amendement, en un vote bloqué, sept années du budget de l'Union ! Sur (presque) tous les bancs, l'indignation était à son comble. Mais cela n'a pas empêché la décision. L'homme qui a fait passer cette manœuvre s'appelle Martin Schultz, ci-devant président du Parlement européen. C'est un social-démocrate allemand. C'est aussi le candidat de tous les socialistes européens au poste de président de la prochaine Commission, qui sera constituée au lendemain des élections européennes ! S'il est élu à ce poste, le verrouillage politique de l'Europe sera achevé. Il s'agira d'un président allemand, dans un système institutionnel dominé par les Allemands et placés sous pilotage politique du gouvernement allemand, lui-même composé d'une coalition avec les socialistes sous la direction de la droite. L'appétit des procédures démocratiques de cet homme est bien montré avec ce qu’il vient de faire, alors même qu'il est pourtant le président du Parlement. On peut toujours rêver du fait qu'il change son comportement. Mais pourquoi le ferait-il ? Il vient d'être désigné comme candidat commun des socialistes sans aucun vote d'aucun des partis qui l’ont désigné ! Seuls les dirigeants se sont entendus entre eux. Et encore, pas tous. Il aura suffi que les Anglais et les Français s'accordent sur une suggestion faite par les Allemands pour que tous les autres, par un effet domino facile à comprendre, aient dit chacun à leur tour qu'ils étaient également d'accord ! Je tiens tout cela de la bouche du cheval ou presque. Et quand la question fut posée au groupe socialiste du Parlement européen, un insolent Italien demanda si, même avec une candidature unique, il ne fallait pas organiser un vote pour connaître le degré d'approbation des députés socialistes. Leur président M. Svoboda décida il n'en était nul besoin du fait qu'il sentait bien l'approbation de ses collègues sans avoir besoin de la vérifier. Tel quel ! Humour : Svoboda en tchèque signifie « liberté ». J'en reste là.

Jean-Marc Ayrault a décidé de « remettre à plat » la fiscalité en France. C'est une très bonne nouvelle pour nous. Le thème de la « révolution fiscale » est donc validé. C'est tout bénéfice pour notre lutte. Je ne fais preuve d'aucune naïveté en prenant au mot Jean-Marc Ayrault. S'il s'agit de collecter par l’impôt demain autrement la même somme qu’avant, la seule question qui reste est : « Qui va payer » ? Cette question est une très bonne question ! Elle résume les enjeux de toute fiscalité. Mais qui peut croire que la répartition de l'effort va se faire par une mutuelle générosité ? Personne, bien sûr ! Les « remises à plat » fiscales sont en réalité une réorganisation du rapport de force entre classes sociales dans le partage de la richesse. C'est bien pourquoi cet exercice est si souvent couplé avec des situations révolutionnaires ! Ayrault croit que nous ne le savons pas. Il est vrai qu’au point d’amnésie où il en est sur lui-même… J’y viens.

Les élections des juges prud’hommes sont supprimées. Les seules ou tous les salariés de toutes les branches et de toutes les tailles d’entreprise votaient à égalité. Et c’était aussi la seule où tous les patrons de toutes les branches, eux aussi à égalité, élisaient leurs représentants. Bref : la seule élection qui donnait une vraie photographie sociale et « politique » du « monde de l’entreprise » et des deux classes sociales qui le composent. La seule qui établissait le même jour, dans la même élection, la véritable représentativité des travailleurs et des patrons. Bien sûr, Michel Sapin, cet immense démocrate, a su trouver l’argument : ça coûte trop cher (cent millions) et trop peu de monde vote ! Avec un tel raisonnement, les élections cantonales ou législatives partielles, pour ne parler que d’elles, devraient être supprimées. L’hypocrisie de Sapin est éclatante. Car avoir refusé d’organiser les bureaux de vote dans les entreprises a fait à la fois exploser les coûts et massivement dissuadé les électeurs salariés. Mais quel est le sens de cette décision. Par exemple, où est l’économie à réaliser qui sert de prétexte à la suppression si, comme le dit le ministre, la somme est distribuée aux syndicats représentatifs ?

Va te faire « remettre à plat », bonhomme !

Dans Les Echos de mardi 19 novembre, Ayrault vient de faire un spectaculaire tête-à-queue politique en annonçant une "remise à plat de notre système fiscal" à partir de 2015. On se souvient pourtant de Jérôme Cahuzac affirmant dans son débat face à moi en janvier 2013 sur France 2 que "la réforme fiscale ? Elle est faite". Plus récemment, le président de la République lui-même avait jugé que "le temps est venu de faire une pause fiscale". C'était dans Le Monde le 30 août dernier. Quelques jours plus tard, dans le journal Metro du 17 septembre, au prix d'un premier couac, Jean-Marc Ayrault reportait la "pause fiscale" à 2015 mais au moins en gardait-il l'idée. Et le 5 novembre dernier, le ministre de l'Economie et des Finances Pierre Moscovici confirmait sur BFMTV : "il n'y a pas aujourd'hui de volonté de bouleverser le système" fiscal. Mais n’avait-il pas bien précisé : « aujourd’hui ».

Quelle mouche a donc piqué le Premier ministre pour que la "pause" disparaisse au profit de l’annonce d'une vibrante "remise à plat" générale ? Un facétieux camarade proposait de remettre les événements dans l'ordre pour trouver une explication : le 8 novembre, sur RTL, j'appelle une marche pour la révolution fiscale. Le 10 novembre, le président du groupe EELV au Sénat Jean-Vincent Placé considère que "la hausse de TVA va peut-être être la goutte de trop". Le 12 novembre, tout le Front de Gauche faisait sien l'appel à la marche du 1er décembre. Le même jour, le responsable socialiste François Kalfon appelait à "renoncer à la hausse du taux intermédiaire de TVA". Le 13 novembre, la CGT par la voie de Thierry le Paon sur RTL demande elle aussi une "grande réforme fiscale". Le 15 novembre, c'est Laurent Berger, le secrétaire générale de la CFDT qui sur BFMTV demande à son tour une "grande réforme fiscale" et Solidaires se dit "pour une vraie révolution fiscale". Le 16 novembre, Force ouvrière explique que la réforme fiscale est "une priorité". On le voit, comme contre Valls en août, nous avons été de nouveau les « éclaireurs-déclencheurs » que nous voulons être ! En dix jours, nous avons forcé le Premier ministre à envoyer sa "pause fiscale" au tapis au profit d'une "remise à plat".

Pour autant, soyons lucides. L'annonce sent le bricolage. Le Premier ministre annonce cette initiative fiscale le matin du jour où l'Assemblée devait se prononcer en première lecture sur le budget 2014. Pourquoi n'y a-t-il pas pensé plus tôt ? Le pauvre Ayrault s'est d'ailleurs pris les pieds dans le tapis. A l'Assemblée, mardi après-midi, il a annoncé que "Le gouvernement fera ses propositions, et avant l'été 2015, il y aura une première étape qui s'inscrira dans la loi de finances 2015 et qui tracera la perspective de cette réforme ambitieuse". Les connaisseurs ont bien ri. Car la loi de finances pour 2015 sera élaborée à l'été 2014 et non à l'été 2015. Ayrault ne sait donc déjà plus pour quand est prévue sa "remise à plat" fiscale. L'AFP nous apprend que "son entourage, a précisé que quand il parlait de "l'été 2015", M. Ayrault voulait en réalité dire l'"été 2014 ». Et quand il a dit l’été, il s’agissait bien de la saison et pas du participe passé du verbe « être » ?

On comprend que Jean Marc Ayrault s'emmêle dans les dates. La "réforme fiscale" devait déjà avoir lieu, "dans le cadre d'une loi de finance rectificative", lors de la session extraordinaire du Parlement entre le 3 juillet et le 2 août 2012, selon L'agenda du changement publié par François Hollande dans sa campagne présidentielle. Vous aviez oublié ce fameux « agenda » ? C'est à Laurent Fabius pourtant que vous le deviez ! Un terrible document à charge pour qui veut faire le bilan des dix-huit premiers mois de la glorieuse présidence de François Hollande. Cette "grande réforme fiscale" devrait donc être bouclée depuis plus d'un an. Bien sûr, elle attend toujours. La "modulation de l’impôt sur les sociétés au bénéfice des PME et des entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices" que promettait Hollande n'a jamais vu le jour. Pas plus que la "taxation des revenus du capital comme ceux du travail" puisque les dividendes et plus-values continuent de bénéficier d'avantages fiscaux par rapport aux salaires. Dans son projet présidentiel, François Hollande avait aussi fait d'autres promesses qui sont passées aux oubliettes. Ainsi, il affirmait "Je reviendrai sur les allégements de l’impôt sur la fortune institués en 2011 par la droite". Or il n’a pas rétabli tout le barème. Les fortunes entre 800 000 et 1,3 millions d’euros sont toujours exonérées comme l’avait décidé Sarkozy. Et en matière de lutte contre la fraude fiscale ? Hollande devait déclarer "interdiction aux banques françaises d'exercer dans les paradis fiscaux". Il s'est piteusement contenté de demander aux banques de déclarer la liste des établissements dans les paradis fiscaux qu'elles fréquentaient. Quelle audace !

Quant à la TVA, la "réforme fiscale" de Hollande est devenue un véritable "reniement fiscal". En janvier 2012 dans la campagne présidentielle, François Hollande affirmait que "la hausse de la TVA [décidée par Sarkozy] est injuste, inopportune, improvisée et infondée". Le PS diffusait à l'époque un tract qui affirmait en gros caractères "Non à la TVA Sarkozy" parlant d'"une injustice supplémentaire qui va toucher le pouvoir d'achat de tous les français" et d'une "faute économique qui affaiblira la consommation et nuira donc à la croissance et à l'emploi". Le tract finissait par cet engagement : "François Hollande annulera la hausse de la TVA". Au lieu de cela, François Hollande a confirmé la hausse de la TVA pour financer un cadeau de 20 milliards aux actionnaires. Il a même prévu d'augmenter plus fortement que Sarkozy le taux intermédiaire, qui frappe les transports en commun, les travaux de rénovation du logement, le ramassage des ordures ménagères, les maisons de retraite…

Nous avons raison de ne pas avoir confiance ! Et si nous avions confiance, nous continuerions pourtant comme nous le faisons à mobiliser pour la manifestation du 1er décembre. Car la fiscalité décrit un rapport de force à propos du partage des richesses, et nous n'avons aucune raison de croire que les puissants et les importants aient l'intention de se sacrifier avec le sourire. Il faudra leur imposer ce changement-là davantage que n'importe quel autre. Pour l'heure, Ayrault n'a cédé que dans les mots. Sur le fond, il s'entête. Il annonce même que la "remise à plat" fiscale ne touchera pas aux objectifs de l'impôt. Pour Ayrault, il s'agit toujours de rembourser la dette encore et toujours. Et rien d’autre. Il a d'ailleurs confirmé au passage que la politique d'austérité des solfériniens s'appliquerait jusqu'à la fin du quinquennat Hollande : "Nous avons aussi besoin d'un véritable débat sur le niveau de la dépense publique, qui est élevé aujourd'hui. Nous allons réaliser 15 milliards d'euros d'économies en 2014, mais il faudra continuer au moins au même rythme en 2015, en 2016, en 2017".

Surtout Ayrault s'obstine à vouloir faire payer le peuple. Il a été très clair là-dessus dans son interview aux Echos de mardi 19 novembre : "pas question" de revenir sur la hausse de la TVA. La lecture de cet entretien dans le journal les Échos est un exercice assez pénible. Froid et glacial, le Premier ministre cite à tout bout de champ, comme un bon technocrate, les entreprises très souvent, « les ménages » une fois, jamais les salariés ni les familles. Cet entretien affiche une indifférence sociale absolument consternante chez un Premier ministre socialiste. Tout le bruit autour d'une hypothétique "remise à plat" en 2015 vise en réalité à masquer la brutalité de la hausse de TVA au 1er janvier. Nous ne sommes pas dupes. Ayrault dit : vous paierez ! Et les grands patrons empocheront ! Nous répondrons le 1er décembre : "pas question de se laisser tondre » La "remise à plat" doit commencer par l'annulation de la hausse de la TVA !

Prud'homales en moins, pourquoi ?

La nouvelle de la suppression des élections prud'homales a été bien peu commentée. J’ai résumé mon point de vue. Je veux insister sur ce que représente le fait de faire voter tous les salariés le même jour dans le cadre de la vie de leur entreprise. A mes yeux, cette suppression est en réalité une faveur qui perpétue le quasi-monopole de la représentation par le Medef. Voici pourquoi. En 2008, c’était la réforme de la représentativité des syndicats de salariés. Et les syndicats patronaux ? Dans le débat parlementaire un amendement du rapporteur UMP Poisson proposait de prévoir la négociation d'un accord sur leur représentativité. L’amendement fut aussitôt retiré sous pression du gouvernement et du Medef. Bien sûr, François Fillon annonça en 2010 une « réforme de la représentativité patronale ». Mais il n’en fut plus jamais question ensuite. Le Medef est donc représentatif par la grâce de… ? De rien. De lui-même. Du droit divin du patronat de droit divin. Soyons juste : il n’est pas seul dans ce cas même s’il mange la grosse part de la galette.  L'Etat, en effet, reconnaît, en dehors de toute règle légale et de tout critère de représentativité, trois organisations: le Medef, la CGPME, et l’UPA. Ces trois organisations se partagent 700 000 mandats dans les organismes sociaux, sans aucune élection. La représentativité patronale est une zone de non droit.

« Ah, mais, direz-vous, il faut bien que les patrons soient représentés ». Soit. Mais alors qu’ils votent eux aussi et que les votes servent à déterminer la représentativité de chacun ! La démocratie, même entre eux, n’est pas leur fort il est vrai. Sept patrons sur dix ne se sont pas déplacés pour les élections prudhommales de 2008. Mais ceux qui sont allés voter ne sont pas respectés pour autant. Par exemple, l’Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire n’est pas considérée comme un syndicat patronal représentatif. Pourtant elle a obtenu 19% des voix à ces élections prud’homales dans le collège patronal. Cette branche patronale compte 800 000 entreprises et celles-ci emploient 2 millions de salariés. A l’inverse quand des professions entières quittent le Medef, cela ne diminue rien de sa prétendue représentativité. Ainsi après le départ de l’Union des industries alimentaires en 2010 ! A la sortie, les donneurs de leçons patronaux ne sont guère en état de faire les malins. A peine 8% des patrons sont membres d'une des trois organisations patronales « reconnues » !

Dans les faits, le Medef ne représente pas « les entreprises », ni même « le monde de l’entreprise ». C’est seulement l’organisation qui agit pour le compte des très grandes entreprises, des activités de service et de la finance la plus concentrée. Des pans entiers de l'économie ne sont pas représentés par cette organisation patronale. Je viens de citer le départ du Medef de l'Union des industries alimentaires. Avec ses 500 000 salariés, elle était le 5ème contributeur cette organisation. Mais on pourrait aussi noter que l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie, qui n’est pas rien dans l’économie de notre pays, n’est pas membre du Medef. La limite de la représentativité du Medef est affirmée par les secteurs du patronat que cette organisation traite de haut. Ainsi, en quittant le Medef, l'industrie agro-alimentaire a justifié sa décision par le manque de visibilité et d'influence face à d'autres branches industrielles puissantes au Medef : automobile, chimie, métallurgie. Elle se sentait mal défendue face à d'autres secteurs patronaux, notamment ceux de la grande distribution. Elle mettait en cause l’insuffisante prise en compte des intérêts des PME, qui représentent pourtant 92 % de l'industrie alimentaire. La CGPME est favorable à une représentation sur la base d'élections. Le Medef ignore la question. La décision de Michel Sapin le met à l’abri pour un bon moment. Bercy patron !

Retour sur les « bonnets rouges »

Je reviens un instant sur la signification de l'existence d'une institution comme les conseils de prud'hommes. En désignant des collèges d’électeurs distincts, en proposant une diversité de choix de candidats différents dans les deux collèges, ce type d'institutions est directement partie prenante de la constitution des classes sociales. Ce processus nous intéresse très directement. En effet si une classe sociale est décrite essentiellement par sa position dans les rapports de production, cette description n’est en quelque sorte qu’une photographie vue d'avion. Les classes sociales se constituent dans la réalité effective, par la perception qu'elles ont d’elles-mêmes. Quand un groupe humain devient conscient de sa situation réelle, la situation réelle est déjà changée. La conscience de soi n'est pas un à-côté surplombant la réalité dans un univers parallèle de fumée conceptuelle ! C'est la réalité devenant consciente d'elle-même. L'analyse matérialiste des rapports sociaux ne peut jamais séparer les données objectives d’une situation des composantes subjectives qui la composent. On connaît le vieil adage syndicaliste : « quelle est la limite à l'exploitation ? ». La réponse est : « la résistance à l'exploitation ». Comment mieux décrire l'articulation entre une situation et les conséquences de la prise de conscience de celle-ci ?

C'est pourquoi j'ai plaidé que le fait de constater, dans les manifestations de Quimper, une forte présence ouvrière, ne suffisait pas à faire de cette démonstration de force autre chose que ce dont se réclamaient les organisateurs patronaux et leurs slogans. Dans ma conception de la lutte sociale, finalement assez classique, les salariés ne sont pas simplement résumés par leur feuille de paye et leur estomac. Ils sont au contraire des êtres de conscience, agissant dans le cadre d'un ensemble de valeurs culturelles et morales, qui peuvent parfois entrer en contradiction avec leur intérêt bien compris et, d'autres fois, donner à celui-ci, au contraire, une force absolument sans proportion avec l'effet déclencheur ! C'est pourquoi je veux revenir sur la question des « bonnets rouges ». Dans l'interview que j'ai donnée au journal « Médiapart », on se souvient que je me trouvais placé quasiment en position défensive par rapport aux questions qui m'étaient posées, compte tenu du préjugé qui dominait alors selon lequel l'essentiel, dans la manifestation de Quimper, aurait été le mouvement et la composition sociale plutôt que les mots d'ordre et les organisateurs. J'ai protesté contre cette vision très « mouvementiste » de la lutte sociale, au profit d'une lecture plus respectueuse de ce que les protagonistes déclaraient mettre réellement en jeu. Il me semble que l'évolution de la situation jusqu'au point où nous voici rendus pour ce 23 novembre breton confirme cette approche.

Je reviens donc sur le cas des fameux « bonnets rouges ». Je le fais parce que lorsque j'ai interpellé le sens de la manifestation de Quimper du début du mois de novembre, on m'avait beaucoup fait reproche des mots que j'avais utilisés comme « nigauds » ! Je n'étais pas dupe du fait qu'une fois de plus, il s'agissait de me diaboliser et de refuser de discuter les arguments que je présentais. Mais comme je savais parfaitement que mes mots fonctionneraient comme des obus, je ne m'en plains pas. Mon but était d'attirer l'attention sur la manifestation de Carhaix que je voulais soutenir, et je crois y être parvenu. Je n'ai donc pas attaché beaucoup d'importance au fait que, par exemple, Maurice Szafran, de « Marianne », m’ait reproché « d'insulter » les Bretons, après que lui-même n'a pas hésité à me traiter de « con » pour titrer un de ses éditoriaux ! Celui-là, et combien d'autres, sont dorénavant bien connus de nous. Et moi, je sais où appuyer pour les faire klaxonner ! Mais, une quinzaine de jours plus tard, le paysage s'est considérablement éclairci.

De tous côtés, les enquêtes réalisées montrent que j'avais raison : chez les bonnets rouges, il n'y a que le bonnet de rouge. Dernière confirmation en date : le syndicat Force Ouvrière du Finistère était le seul syndicat à avoir participé au collectif des "bonnets rouges" et à la manifestation de Quimper le 2 novembre. Depuis, ce syndicat a décidé de quitter le collectif dénonçant son "corporatisme" et son "régionalisme". Nous avions vu cela dès début novembre : les mots d'ordre de la manifestation de Quimper, les organisations qui y appelaient autour de l'UMP, de la FNSEA et du Medef, le soutien des évêques et du Front National, tout cela nous avait mis en alerte. J’ai dit sans détour ce que j’en pensais ! Le Parti de Gauche n’a pas été en reste ! Nous avons bien fait. A cette heure on nous témoigne de la reconnaissance de l’avoir fait « cru et dru ». A présent, les témoignages se multiplient qui confirment la manipulation à laquelle nous avons appelé à ne pas céder. Ainsi, Le Monde du 17 novembre a dressé le portrait de "ces patrons à l'origine des bonnets rouges" comme le titre le journal. Dès le titre, il est donc clair que l'initiative est patronale, comme nous l'affirmions. La manifestation des "bonnets rouges" a été organisée à l'appel d'un collectif nommé "Vivre, décider et travailler en Bretagne". C'est ce collectif que FO a décidé de quitter. Le caractère productiviste et patronal du collectif est limpide, puisque sa cheville ouvrière est le président de la FNSEA du Finistère Thierry Merret. Depuis le début, ce collectif revendique aussi son caractère régionaliste à travers le maire de Carhaix, Christian Troadec. Celui-ci explique au Monde comment ce collectif dont il fait partie a été composé autour d'"un réseau informel de gens qui se connaissent très bien, qui se côtoient très régulièrement, dans les locaux de l'Institut de Locarn ou ailleurs".

Cet Institut de Locarn est le fer de lance du patronat régionaliste. « Le Monde » le présente comme un "think thank régionaliste". Régionaliste n’est pas le bon mot pour le décrire. C’est un haut lieu du communautariste identitaire, ce qui n’est pas pareil. C'est une évidence. Son président, Alain Glon, est même allé jusqu'à écrire le 10 novembre 2012 sur un blog breton que "le problème de la Bretagne c'est la France". Alain Glon a explicitement soutenu le Parti Breton et son candidat dans la campagne législative à Dinan. Mais ce think tank est aussi intimement lié au monde patronal puisqu'il compte, parmi ses principaux membres, de grandes entreprises et le syndicat patronal CGPME. « Les bonnets rouges » ne sont qu'un épisode dans une offensive concertée des patrons identitaires. Celle-ci vient de loin. A l'époque, le 18 juin, il y a maintenant cinq mois, quand on ne parlait pas encore des bonnets rouges, une trentaine de patrons réunis à Ponthivy, dans le Morbihan, créent le "comité de convergences des intérêts bretons" (CCIB). Ce CCIB a ensuite participé à la création du collectif des bonnets rouges. Parmi les initiateurs de l'appel, il y a un homme : Alain Glon. Il est le président de l'Institut de Locarn dont parle Troadec. Au « Monde », il avoue la supercherie des "bonnets rouges" en déclarant clairement "on pilote deux choses : les “bonnets rouges” et un projet pour la Bretagne". Le pilote, c'est donc lui, son institut et ses acolytes du patronat de la grande distribution et de l'agroalimentaire productiviste.

En juin, ces patrons ont lancé un "appel". Cet appel de Pontivy fixe le cadre de ce qui deviendra ensuite le mouvement des bonnets rouges. On y trouve déjà tout ce que nous avons rejeté dans la manifestation de Quimper. Sur la méthode d'abord ! Comment s'étonner ensuite du saccage des portiques Ecotaxe ? Surtout quand Alain Glon explique que "on peut tolérer un peu de violence". Sur le fond, le message est aussi très clair. Le discours anti-Etat et antirépublicain est fortement présent et s'agglomère dans un gloubi-boulga libéral contre «l'hyper centralisme français et le labyrinthe des réglementations». Ils réclament que davantage de pouvoir soit donné aux régions ainsi qu'un "droit à l'expérimentation (…) afin de ne pas avoir à affronter en permanence les excès des systèmes bureaucratiques".

Après le départ de FO de ce comité, ce qui pouvait rester de confusion est dissipé. D'autant qu'après le succès de la manifestation de Carhaix le 2 novembre, les syndicats de salariés ont repris la main et ils ont décidé de la garder. Ils appellent les salariés à manifester dans toutes les préfectures des départements bretons samedi 23 novembre. Sous leurs bannières. Pour l'emploi et les droits des salariés. Loin de l’enfumage et des magouilles du patronat et des identitaires régionalistes. Le 23 novembre, c’est en effet un front syndical large qui prend la main. Ensemble, CFDT, CGT, UNSA, SOLIDAIRES, CFTC, CFE/CGC, FSU s’installent sur une position de classe sans ambiguïté. L’appel intersyndical est précis, bien loin de l’unanimisme qui, sous couvert de Bretagne, voulait aligner en un tout unique patronat et salariés autour des objectifs des premiers. La dénonciation de la responsabilité des patrons, bretons ou pas, est nette et sans bavure ! « Une réponse conjoncturelle ne peut suffire à une crise structurelle, affirme le texte de l’intersyndicale. L’effort collectif qui permettra le soutien au territoire breton ne saurait être engagé sans garanties formelles et transparentes des entreprises, quant à l’utilisation de ces moyens, en termes d’anticipation, d’innovation, et de politique sociale. Il faut en finir avec ces méthodes de gestion de trop d’entreprises irresponsables et arrogantes détournant et gaspillant subventions et force de travail, détruisant impunément le bien public, méprisant la santé des salariés sans aucune volonté de préparer l’avenir. Il en découle pour l’Etat la mission impérative de s’assurer que les employeurs mettent en œuvre leurs obligations et que les droits des salariés soient effectivement respectés. Le contexte nécessite de nouveaux modèles articulant les exigences économiques sociales et environnementales, pour sortir d’une crise dont les salariés ne sont pas responsables. » La conclusion de l’appel intersyndical est on ne peut plus clair ! Et cela aussi bien dans ce qu’il dénonce que dans ce qu’il propose. Voyez plutôt. « Nos organisations sont pleinement solidaires des salariés actuellement victimes des licenciements et partagent leur colère, l’angoisse de leur famille et de leur entourage Pour autant, face aux manœuvres de récupération de cette détresse, nos organisations dénoncent les discours et postures réactionnaires et affirment leur refus de la violence et du vandalisme, de la destruction de biens publics à ce jour impunie. Elles appellent à une expression claire des salariés et agiront pour faire entendre leurs voix dans les groupes de travail, dans la construction du plan breton, sur les lieux de travail. » Je forme le vœu que ces précisions permettent à chacun de mes lecteurs d'apprécier plus solidement les joutes dans lesquels je suis entraîné à intervalles réguliers.


110 commentaires à “Remise à plat, prud’hommes et bonnets rouges”
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  1. fred4 dit :

    Médiapart titre comment Ayrault a imposé sa réforme fiscale à Hollande. La question est de savoir si le 1er ministre est capable d'imposer les riches et d'en finir avec la" mise à plat" de nos petits porte-monnaie.

  2. Nicks dit :

    @sas
    Le problème du NPA et de beaucoup de libertaires, ce en quoi ils rejoignent les libertariens anarcho-capitalistes, c'est une haine de l'Etat incontrôlée pour cause de mauvaise digestion de la vulgate marxiste. Il n'est donc pas si étonnant de les voir dans des manifs dirigées plus ou moins consciemment contre l'Etat. Bien entendu et comme d'habitude, les puissants imposeront leurs vues en cas de succès, heureusement ici improbable, de ce mouvement. Les premiers eux seront les dindons de l'histoire, tout comme le gros des bonnets rouges d'ailleurs. On appelle ça des idiots utiles, ou des nigauds, c'est selon.

  3. Vlaide38 dit :

    Je ferai un jour la Marche qui me mènera jusqu'au Palais de la Finance, fière je porterai le chiffon rouge à mon cœur et à ça tu me reconnaitras. Ne détournes pas les yeux lorsque tu me verras, souris-moi, verses une larme mais ne t'indiffères pas. Je continuerai de me battre seule, en ligue ou en procession pour que l'universalité de l'humanité devienne réalité. Je suis communiste.

  4. michel de toulon dit :

    le NPA plus prompt a rejoindre les sbires du Medef que de lutter au coté du Front de gauche. Pathétique.

  5. educpop dit :

    Nous sommes toujours plus proches de laisser parler notre susceptibilité que de s'engager au service d'une cause plus grande que nous. Il me semble que l'argumentation constante de Jean-Luc Mélenchon tendrait à nous faire progresser dans ce domaine, mais l'humain d'abord ça veut dire qu'il est difficile de faire abstraction de nos habitudes. Il y a aussi le fait que ces habitudes s'appuient sur des certitudes dont la moitié ont été établies en passant par des acquisitions de connaissances insuffisantes.
    Chacun est libre de stationner ou de converger vers un objectif à atteindre en commun, il ne peut y avoir de dictature des idées, la fraternité avec ceux qui font partie de notre famille de pensée sera toujours mieux que la soumission au pouvoir de ceux qui nous oppriment. Même quand on n'est pas d'accord avec nos amis sur certaines prises de position.

  6. jorie dit :

    Sarkozy avait supprimé un conseil de prudhomme sur 3. Hollande va encore plus loin:il supprime carrément les élections prudhomales. Avec l'ANI, le salarié sera totalement abandonné au bon vouloir du contrat employeur-employé. Même logique, mettre les travailleurs à terre. Hollande vient également d'ouvrir à Pole Emploi l'accès au fichier FICOBA pour surveiller les comptes bancaires des chomeurs, qui on le sait, ont tous des comptes planqués à UBS. Les 20 milliards de cadeau, dont les hypermarchés prédateurs bénéficient sans contrepartie, alors qu'ils ne sont pas confrontés à la compétitivité internationale, ces 20 milliards, c'est nous qui allons les payer. Quel usage en sera fait ? Hollande vient d'ordonner à son administration fiscale de ne pas contrôler ces pauvres mignons menacés par les "manants". C'est directement la privatisation d'argent public au profit des actionnaires privés. J'irai marcher le 1/12 à Paris, le désespoir dans les godasses et l'envie de résister coûte que coûte à ces multiples trahisons et à la bêtise ambiante dont Mélenchon essaie de nous sortir. Toutes les circonvolutions des bonnets rouges, de la révolution fiscale, la marche anti raciste visent à occulter notre marche du 1/12, dont personne ne parle dans les média. Que l'histoire est lente disait l'un d'entre nous. Que les idées sont courtes et l'amnésie profonde sur l'histoire! Pourtant n'ous n'avons pas d'autre choix que de marcher, nous rassembler, nous comprendre et...

  7. Lilly54 dit :

    Bonjour Amis, France info vient de démentir les propos de Jean-Luc concernant le nombre de pays européens gouvernés par une coalition droite/gauche. Il n'y en aurait que 10 et non pas 16. L'information circule déjà sur google. Fort à parier qu'elle va tourner en boucle pour nuire à Jean-Luc. J'écoute à l'instant Jean-Luc sur France 2 qui vient de le redire. Il faut préparer la riposte.

  8. Louis dit :

    Le régionalisme, voilà donc le nouvel ennemi.
    Le modèle agricole, après guerre, a été imposé par la technocratie et par l'Etat. Il fallait maintenir l'unité de la Nation et nourrir la France. Un modèle "rationnel" de monoculture cher en intrants et en énergie, particulièrement polluant, inadapté au contexte climatique et géologique, qui a détruit les sols et vidé les campagnes de ses travailleurs. Il n'a pas été choisi par les populations, il n'est pas "le modèle agricole breton", mais le modèle agricole pour la Bretagne. La Bretagne n'a par ailleurs rien à envier à la Picardie, à la Beauce ou aux Antilles. Ce modèle est dénoncé depuis des décennies, il ne profite en Bretagne qu'à une minorité. Sur place, les organisations qui le combattent peinent à se faire entendre. La population quant à elle le désavoue dans sa majorité.
    Mais qu'a fait l'Etat pendant toutes ces années ? Qu'a fait l'Etat contre les dérives mafieuses de la grande distribution, des organisations professionnelles, de l'industrie agro-alimentaire ? Qu'a fait l'Etat contre les algues vertes ? Sinon, par la voie de ses préfets, sous la pression des lobbies, autoriser la création d'élevages toujours plus gros et plus polluants ?
    La réponse régionaliste est simplement la réponse à l'absence, au renoncement et à la faillite de l'Etat en Bretagne. Les Bretons ont parfaitement raison de réclamer la possibilité de prendre les décisions qui les...

  9. tresorteo dit :

    Un mini mai 68, une révolte éclate et les mêmes aujourd'hui qu'hier se lancent dans le contrôle des événements. Pour un homme (de 68 lucide) comme moi, ce dernier communiqué sent la naphtaline. En effet, ce qui fait sens, c'est la révolte. Ici, matériellement, on a détruit des symboles de la féodalité revenue. Il faut continuer à détruire les péages des autoroutes, ponts, etc. tout ce qui entrave la liberté, changer les normes, occuper et gérer les entreprises. Je suis convaincu que l'on peut faire de cette révolte le fer de lance pour bousculer des stabilités, des normes et retrouver la jouissance dans la conflictualité. Ce n'est pas avec des motions de bavardages comme celles-là que l'on rend service aux salariés. Sans révolte il y a institutionnalisation et par conséquent soumission et résignation. Je dirais même plus, soutien au pouvoir en place. J'affirme qu'il y a une culture de gauche qui se révolte et une qui ne le fait pas et que la révolte doit faire boule de neige. Quelle que soit la catégorie sociale qui se révolte, la contestation des normes des valeurs établies, la révolte est synonyme de dignité humaine, et le devoir est d'attiser le feu même si d'autres l'ont allumé, même si l'irréconciliation est la psychologie de l'homme et Jean-Luc Mélenchon tu la mets bien en valeur.

  10. DANY à Nice dit :

    Je dis "Monsieur" Mélenchon. Entre vous et le secrétaire général de la CGT, nous avons des défenseurs de nos intérêts et des valeurs sociales de la République, qui sont actuellement bafouées à tour de bras. A titre d'exemple, pour une augmentation de moins de 15 € par mois, en 2 ans je suis passé de 640 € à 1437 € d'impôts sur le revenus. De nombreuses personnes âgées de mon quartier (retraitées) ont commencé à payer des impôts et donc, en "3 coups les gros", elle ont vu leur allocation logement baisser. Je n'ai pas d'obédiences politiques mais, quand quelqu'un défend nos intérêts, je l'écoute volontiers.


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