08déc 13

Je fais le job à Saint-Girons

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Jeudi, de Blagnac, j’ai pris la route vers Saint-Girons dans l’Ariège. De là je suis revenu le lendemain à Toulouse pour le lancement de la liste du Front de Gauche que conduit Jean Christophe Selin. L’après-midi, j’étais l’invité des étudiants de l’école d’étude supérieure de commerce de Toulouse et plus de sept cent jeunes me tinrent en haleine selon le chiffre donné par l’école alors que j’en annonçais cent de moins ! Je musarde donc ici dans mes impressions de séjour. Chemin faisant, on me fit bien des confidences sur les prochaines européennes, pensant m’intéresser à y revenir comme candidat, puisque chacun sait bien que je ne le suis nulle part à cette heure. J’ai dit en route ce que je pensais de l’intervention en Centrafrique. Puis du départ de Mandela et de la journée d’hypocrisie qui entoura les adieux.

La prostate d'un candidat socialiste, le père naturel d'une députée, les manipulations d’un photographe de balcon… jusqu'où ira la malveillance voyeuriste du système médiatique, jusqu'où ira le goût de créer du sensationnel à n'importe quel prix ? Cette volonté d'humilier l'action politique signale une aggravation de la dérive qui entraîne la caste des médiacrates vers un sensationnalisme de plus en plus malsain, implicitement porteur d’une vision de la société et de la politique plus proche de l’extrême droite que de la République. C’est sans doute un effet du discrédit radical qui atteint ce rouage de l’ordre établi condamné par l'évolution des techniques et le mépris du public. Celui-ci achète de moins en moins les journaux et classe les médiacrates plus bas encore que les hommes politiques. Cela veut dire que le mépris du public vient de loin, des profondeurs du pays, d’une lente évaluation personnalisée de leur rôle. Un sondage du CEVIPOF, que je découvre dans un éditorial de « La Dépêche » le confirme. Il affirme que 77% des sondés n’ont aucune confiance dans les médias. Il s’agit évidemment de l’information politique et sociale. Il ne reste donc que 23 % de gens pour y croire ! Nous atteignons là un seuil incompressible du mépris. 23 % c’est seulement deux points de mieux que François Hollande, quatre points de plus que Ayrault. La cause est entendue semble-t-il. Mais j’y reviens cependant à propos de la manipulation dont nous avons fait l’objet à propos de notre marche du 1er décembre pour la révolution fiscale. Car à la fin de la séquence, ce fut bel et bien le sketch de l’arroseur arrosé. Les trafiquants d’images n’étaient pas ceux que l’on croyait. S’il en est ainsi, ce n’est ni par complot ni par consigne. Juste un mélange de la désinvolture professionnelle, d’un système qui veut du spectacle en permanence et d’une complaisance de principe pour la parole officielle et les désirs qu’elle exprime implicitement.  

Et comme j’en suis au décryptage de l’information spectacle, je viens sur le flot de ricanements à propos du classement PISA contre l’éducation nationale républicaine. Celui-ci a évidemment fait les délices des déclinistes de tous poils. Au cas précis, l’appât du gain qu’engendre l’idée d’ouvrir davantage encore le marché du savoir et l’action des lobbies du secteur stimule aussi beaucoup les enthousiasmes à décrier l’école publique. Et sur le fond, il y a surtout cette vieille joie malsaine des élites libérales dès qu’elle dispose d’une information qui peut aider à flétrir notre pays et ses performances. Cette propension a bien sur une fonction de découragement qui est très politique.

En Ariège je fais le job

Il y a déjà un bon moment que cela me démangeait d'aller en Ariège. C'est un quartier du pays que je connais mieux que ne le croient quelques-uns qui me regardent comme un nomade perpétuel sans attache. Ils ne comprennent pas qu'il y a bien des étapes et bien des paysages dans une vie, et qu'on peut les aimer sans en faire une religion régionaliste. Mon père a été receveur de la poste de Sainte-Croix Volvestre pendant trois ans, ma grand-mère paternelle a été en maison de retraite dans le secteur jusqu'à son décès. L'une de mes sœurs a dirigé un petit centre équestre vers Lavelanet. Je ne mentionne tout ceci que pour signaler une ancienne imprégnation des lieux dans ma mémoire et mes sentiments. Un été, j'ai fait le tour des châteaux cathares, qui ne le sont pas toujours vraiment. Et un autre, l'actuel président du Sénat m'a hébergé chez lui pour une quinzaine de juillet qui ressemblait à un mois de novembre tant il faisait froid. Un de mes collègues d’alors, sénateur socialiste de la Haute-Garonne, raconta un soir devant une tablée ariégeoise dont j'étais, la dispute à propos de l'ours et la difficulté pour le notable d'arriver à être d'accord avec tout le monde, en dépit des passions, comme il se doit pour quelqu'un qui n'a pas de conviction sur le sujet mais veut garder les suffrages de tous. On rit aux larmes. Cependant mes parcours politiques m'avaient tenu jusque-là entre Foix et Pamiers. Il paraît que c'est le cas général. Mes amis ariégeois du Parti de gauche ont donc décidé d'innover et de convoquer un meeting à Saint-Girons. On vint donc peu de Foix jusqu'à Saint-Girons car ce n'est pas dans les habitudes. Ce n'est pas d'aujourd'hui.

Moi qui aime l'Histoire, je sais que dans le temps profond chacune des extrémités de l'actuel département avait commencé à se tourner vers la région voisine. Le département tel qu'il est doit son existence à un personnage haut en couleur : Marc Guillaume Vadier. Originaire de Pamiers, député aux États généraux pour le Tiers État en 1789, à l'Assemblée constituante et à la Convention, Vadier est surtout connu de moi pour avoir été le président du Comité de Sûreté générale à partir de septembre 1793. Ce qui ne le met pas en bonne posture devant les Robespierristes. Ils lui reprochaient ses excès et ses tentatives permanentes d’étendre ses pouvoirs face au Comité de Salut public. Peu connu mais décisif, Vadier sent le soufre de bien des façons. Je n'en dis pas plus à son sujet, sinon pour préciser que ses restes furent rapatriés à Foix l'année du bicentenaire de la Révolution célébré par la musique militaire, les élus se relayant pour porter l’urne de ses cendres… Les cinq élus du département pendant la grande Révolution, dont trois prêtres, ayant voté la mort du roi et celle-ci ayant été acquise à une voix de différence, maints ariégeois de mes amis, narquois, se vantent d'être ceux qui mirent un terme à la monarchie en France.

Pour ce qui me concerne j'ai commencé le séjour par une halte à l'usine qui produit le papier à cigarettes Job. Je n'ai pu entrer dans les ateliers. On imagine combien je l'ai regretté tant j'aime observer les machines et ceux qui les font tourner, surtout quand il s'agit de produire des objets du quotidien. J'ai été fumeur autrefois et j'ai aussi roulé mes cigarettes. Les petites feuilles de Job font partie de ces choses qui sont entrées dans la culture commune de presque tous les Français. On devine qu'il s'agissait ici, une fois de plus de crainte pour l'emploi et la pérennité de l'outil de travail. En invitant et en faisant avec moi le tour des murs et des dépôts de paille, de lin ou de pâte à papier pré-conditionnée, les travailleurs, qui attendent pour le mois de juillet prochain le démarrage de nouvelles installations, adressent un message à qui de droit : ils sont déterminés jusqu'au point d'accueillir le diable rouge en personne ! Je me réjouis d'être utile de cette façon aussi pour ceux qui ne lâchent rien.

Les gens d'ici parlent avec un bel accent et des « r » qui roulent un peu quoi que l'on parle à un rythme assez soutenu. Il y a donc un charme particulier à la conversation pour un parisien à l'accent pointu comme moi. On me reçut au local du comité d'entreprise, à une petite trentaine, pour parler de choses et d'autres. D’abord des différentes variétés de papier à cigarette. Je rêvais d’en avoir une feuille pleine. Mais, pas de regrets : on me dit qu’aucune variété ne tiendrait l’encre. C’est du 12 grammes, il est vrai. Ensuite, bien sûr, ce furent ces histoires dorénavant traditionnelles. Celles des fonds d'investissement venus s'approprier et ruiner des entreprises pour encaisser le prix des actifs. Comme par exemple, dans cette papeterie-là, fermée et vendue à la découpe. Quelle aubaine pour les actionnaires cette vente des deux centrales électriques qui allaient avec l'usine ! Ce sont des machines à cash puisqu'EDF doit en racheter obligatoirement la production ! On a parlé accidents du travail aussi. Comme vous le savez, au plan national 565 personnes chaque année en décèdent. Et les accidents de toutes sortes sont innombrables. On note en ce moment une tendance lourde à la dissimulation de ces accidents. Ici, devant l'usine papier, il y a un compteur avec des chiffres lumineux qui alertent l'attention de tous. Ce jour-là c'était le 141éme jour de suite sans accident du travail.

On a aussi parlé de la forêt. Elle couvre 40 % du territoire du département mais, comme partout ailleurs dans notre pays, cette ressource n'est pas exploitée. Notre pays importe donc du bois d'œuvre d'Allemagne, d'Autriche et des pays de l'Est, des meubles d'Italie et de Chine, de l'aggloméré de Finlande, et ainsi de suite. C'est une absurdité écologique autant qu'économique. Exploiter le bois donne du travail, oblige à entretenir la forêt, à couper et à replanter pour protéger la ressource. Il faudrait avoir à propos de la forêt une approche volontariste comme celle que j'ai pu développer à propos de l'économie de la mer. Aujourd'hui, déjà 500 000 personnes travaillent dans l'économie du bois. Il en faudrait bien davantage si l'on se décidait à avoir un programme général de construction en bois dont la technique est aujourd'hui absolument maîtrisée. Il faut avoir vu arriver un camion portant une maison entière prête à être assemblée ! Le camion produit pour le faire l'énergie et le pneumatique ! Il faut se faire une idée du degré de maîtrise où nous sommes parvenus dans cette technique ! Mais pourtant, encore une fois il faut serrer les poings et enrager. Rien ne sera fait, rien n'est programmé ni organisé. Le marché ouvert et désarmé fait son œuvre, et on peut en constater l'absurde résultat.

Le soir venu, je préparai méthodiquement la trame de mon discours dans une magnifique auberge réhabilitée avec un goût exquis. La vérité est que, dans cette circonstance, je passe davantage de temps à bailler aux corneilles et à m'ébahir de mille détails de la décoration plutôt qu'à tenir mon stylo. Cependant, cette fois-ci j'ai suffisamment bien préparé mon discours pour qu'à la fin il n'ait pas duré plus d'une heure. Ou peu s'en faut. La salle était bien comble et si l'éclairage d'un gymnase n'est jamais très gratifiant, on se fit mutuellement beaucoup de bien à se voir si nombreux et à tant sentir les choses de la même façon. Les camarades, qui avaient tout organisé en moins d’un mois, étaient aux anges ! On banqueta ensuite d'autant plus joyeusement. Où avais-je la tête ? J’avais oublié à l'auberge les deux couteaux que les camarades de la papeterie m'avaient offerts ! À la fin du repas, les camarades m'ont offert un dictionnaire de l'Ariège qui me tint ensuite éveillé bien plus tard qu'il n'était raisonnable. Car l'Ariège est terre de Préhistoire d'une façon qu'on ne connaît pas assez. Et c'est un sujet qui me passionne, autant que les dinosaures enchantent les enfants, sans que je sache pourquoi !

En Ariège, le Front de gauche présente des listes autonomes dans les principales villes. S'il y a des disputes ici, c'est pour savoir qui intégrera le plus dans des coordinations et des associations les partis qui constituent le Front. Je n'ai pas voulu entrer dans le détail des sujets en discussion mais je me suis amusé de savoir qu'ici c'est la direction communiste locale qui se bat pour l'idée de comités locaux avec des cartes d'adhésion… Le mieux en effet est que je ne m'en mêle pas.

PISA et désespoir de commande

L'agence de notation de l'éducation a parlé. La France est dégradée. Mardi 3 décembre, l'OCDE a publié sa traditionnelle étude PISA sur l'éducation. Il s'agit d'un test du niveau des élèves dans 65 pays, essentiellement parmi les plus riches de la planète. L'OCDE mène une enquête de ce genre tous les trois ans et dresse un classement des différents pays. Du temps où j’étais ministre, lisant le rapport Pisa de l’époque, j’ai eu l’occasion de dire combien je trouvais peu sérieuse une méthode d’investigation qui conduisait à une conclusion aussi fumeuse que celle-ci : les élèves français manquent de sens critique par rapport aux consignes qui leur sont données ! Clairement, de tels enquêteurs n’avaient pas du mettre les pieds dans une salle de classe en France depuis longtemps !

Sitôt que PISA eut flétri la France, immédiatement, les déclinistes, bavant de joie mauvaise, se sont répandus sur le prétendu "recul" du niveau des élèves français. « Le Nouvel Observateur » et « L'Express », dont les haines contre-républicaines sont si complémentaires, couraient devant. Les Echos titraient sur la France qui "perd du terrain". Le Figaro affirmait que le système éducatif français était "mal noté" quand Le Monde claironnait que la France serait "nulle en maths". Pour dire cela, tous s'appuient sur le "classement" de l'enquête PISA en mathématiques. Dans ce classement, la France passe de la 22e place en 2009 à la 25e en 2012. Ce que nous contestons, puisque non conforme aux faits et au succès de l’école des mathématiciens français. Ce qui est frappant dans le traitement médiatique, c’est que seuls les aspects négatifs de l’enquête ont retenu leur attention et les gros titres.

Mais qui relève que la France conserve sa 21e place en matière de compréhension de l'écrit ? Qui note comment la note présentant les résultats de l'enquête PISA relève que "la France se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE en compréhension de l’écrit" ? Aucun de ces réjouis des mauvaises nouvelles. Ne comptez pas non plus sur les déclinistes pour vous apprendre que la France a progressé d'une place en matière de culture scientifique. Un peu isolé, le journal L'Expansion apporte quelques nuances. Bien sûr, les titres sont dans la même ligne qu'ailleurs et pointent le prétendu "décrochage" français. Le titre de l'article se demande même si notre pays est vraiment "le cancre" en matière d'éducation. Mais le contenu nous apprend au moins que la France devance la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Espagne et distance les Etats-Unis.

De toute façon, ce classement n'a aucune légitimité scientifique. L'agence de notation scolaire PISA est aussi nulle que Moody's ou Standard and Poors en matière de notation financière. Pour l'essentiel, les critères retenus pour évaluer et comparer ne sont pas pertinents. Ainsi, l'étude questionne les résultats en fonction de l'âge des élèves (15 ans) et non de leur niveau scolaire. Quoi qu'on pense du redoublement tel qu'il se pratique en France, cette pratique est complètement niée par ce type d’étude fondé uniquement sur l'âge. Car un élève de 15 ans entrant au lycée, n'a en toute logique pas le même niveau qu'un élève du même âge qui a redoublé et se trouve encore au collège. Pourtant, PISA ne fait pas cette différence.

Ensuite, l'étude PISA défend une vision utilitariste de l'éducation. Elle ne teste que des "compétences" et non des connaissances, des savoirs ou des qualifications. Et elle ne porte que sur trois domaines : la compréhension de l'écrit, les mathématiques, la culture scientifique. Passons sur la culture scientifique qui renvoie à des matières distinctes dans l'enseignement secondaire français et qu'il est assez curieux de séparer des mathématiques. Mais relevons que ces trois domaines excluent l'Histoire, la Géographie, les Arts et combien d'autres disciplines qui sont si importantes pour l'école républicaine qui vise à émanciper autant qu'à former et qualifier.

C'est tellement vrai que le blog "Big Browser" du Monde finit par montrer la stupidité du classement PISA. Selon l'étude PISA, c'est la Corée du Sud qui obtient les meilleurs résultats en se classant notamment première en mathématiques et en lecture. Mais le blog pointe aussi que la Corée du Sud a aussi… les élèves les plus malheureux de l'OCDE ! En 2012, seuls 60% des élèves coréens se disaient "heureux" à l'école contre 80% en moyenne pour l'OCDE. Ce décalage montre bien les errements de l'étude PISA. Les bachoteurs qui terrorisent les enfants sont félicités par ce classement !

Surtout, l'OCDE n'a, pour nous, aucune légitimité à se prononcer en matière d'éducation. Elle mène une offensive depuis longtemps contre l'école publique. En 1996, l'OCDE, qui réalise PISA, recommandait à ses membres d'adopter une vision marchande de l'éducation. Voilà ce qu'elle écrivait cyniquement : "L'apprentissage à vie ne saurait se fonder sur la présence permanente d'enseignants mais doit être assuré par des prestataires de services éducatifs. Les pouvoirs publics n'auront plus qu'à assurer l'accès à l'apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l'exclusion de la société en général s'accentuera à mesure que d'autres continueront à progresser". Et l'OCDE conseillait avec une désinvolture stupéfiante de duper les citoyens dans la mise en œuvre du nouveau système éducatif: "Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement".

Aujourd'hui, l'OCDE et son étude PISA ont beau jeu de verser des larmes de crocodiles sur le fait que le système éducatif français reproduit les inégalités sociales. Pourquoi les faiseurs de gros titres n’interpellent-ils pas ces inégalités ? On devine. Cette réalité est connue depuis longtemps, notamment des sociologues et des professeurs. C'est vrai pour les enfants d'ouvriers ou d'employés. C'est vrai aussi pour les enfants d'immigrés. PISA affirme que la situation a empiré entre 2003 et 2012. Je veux bien le croire. L'application de la droite pendant 10 ans à respecter les recommandations de l'OCDE pour détruire l'école publique républicaine en porte la responsabilité. Si l'école française reproduit davantage les inégalités sociales aujourd'hui qu'il y a dix ans, c'est parce que notre pays a appliqué les recommandations de l'OCDE !

Le drame est qu'après ces années d'acharnement de la droite, François Hollande n'ait eu que des rustines à proposer. En cinq ans, il n'aura même pas recréé tous les postes détruits par Nicolas Sarkozy. Et dois-je rappeler que j’aurais été le seul candidat dans l'élection présidentielle à proposer l'élargissement de la scolarité obligatoire de 3 à 18 ans.

Média et marche. Les bidouilleurs arrosés

J’ai raconté comment, d’heure en heure, fut disputé au Front de Gauche son succès dans la manifestation du 1er décembre. D’abord du fait des commandos internet de l’extrême droite puis par les médias officialistes, la main dans la main avec le ministre de l’Intérieur. Symptôme éclatant de cette collusion medias/ministère de l’Intérieur, l’impeccable silence sur le retour des barrages de dépouillage des manifestants. Des journalistes si vigilants ! Ils parcourent la manif d’un bout à l’autre, notant la couleur des feuilles d’arbres et le sens des feux rouges, guettant du balcon les manifestants, identifiant parmi ces derniers la poignée qui part et celle qui siffle quand Pierre Laurent parle ! Ils seraient devenus aveugles au moment ou un cordon de CRS barre les rues pour obliger, illégalement, les manifestants à se dépouiller de leurs drapeaux et de leurs badges ? Non, ils ne sont pas devenus aveugles. Ce sont justes des glandeurs. Ils n’étaient plus là. Arrivés en retard, partis en avance, perclus d’idées préconçues et de préjugés, davantage intéressés par ce qu’ils lisent sur les réseaux sociaux que par ce qu’ils voient eux-mêmes, tels sont les derniers reste du métier entre l’arrogance impunie des années 90 et la déchéance des métiers aux techniques en perdition. A leur corps défendant : tous revenaient de trois jours au congrès de Verts, bourrés de tisanes bio et de sandwichs végétaliens. Déjà que ce n’est pas une promotion de s’occuper de « l’extrême-gauche-et-des-verts » dans une rédaction ! Mais en plus, se taper une marche de rustres un dimanche soir, les cheveux encore humide de la douche du retour et les joues poisseuses des bisous trop vite échangés avec les siens ! Et cela alors qu’il fait un froid poutinien ! Et que par-dessus le marché il n’y a même pas un buffet de fin de parcours ! Et que l’abominable homme des neiges, enfermé dans sa tente et protégé par deux rangs de service d’ordre est inapprochable et n’accorde aucun entretien à ses ennemis intimes médiatiques ! Quelle vie de compost ! Vite une mutation ! On imagine bien que pour en sortir par le haut rien n’est mieux considéré par la chefferie qu’une attitude sarcastique permanente. Le syndrome de Stockholm n’est accepté qu’à partir des étages à baldaquin où l’intimité est bien mieux considérée et davantage pratiquée : Matignon, l’Elysée, l’UMP et autres.

Comme tout cela  avait lieu en lien avec une tentative pour déstabiliser la demande de TF1 d’installer LCI en chaine gratuite, le cercle des combinards était chauffé à blanc. Naturellement, dans toute cette excitation, tout ce qui concerne la déontologie professionnelle est passé par-dessus bord. Le photographe de balcon ne vérifie rien, « Le Monde » répercute une évaluation donnée par quelqu’un qui n’a pas suivi la marche. J’en passe et non des moindres.

Mais, à la fin, le ridicule s’est retourné contre les vrais manipulateurs. Ce fut l’arroseur arrosé. D’abord parce que personne ne se risqua à contredire notre méthode de comptage. Au contraire, elle fut reprise sur le plateau du Grand Journal. Certes avec une largeur erronée du boulevard de l’Hôpital, mais quand même ! Puis, ce fut l’apothéose quand il fut découvert que l’une des chaines gratuites, « I>télé », diffusait des images bidon pour nous discréditer. Ce n’était pas les seuls mais ils furent les seuls à se faire pincer.  Intervenant en ouverture du Grand Journal, j’étais invité à répondre à la polémique créée autour de la photo de l'interview en duplex au 13h de TF1 le dimanche 1er. Et, bien sûr, à propos de l’évaluation du nombre des manifestants. On se souvient que la chaîne a été accusée d'avoir "manipulé" l'image à cette occasion pour donner l'impression d'une foule dense. Une polémique grandement relayée par tout ce que nous comptons d’ennemis enragés, « Petit Journal » en tête, comme de bien entendu. Lors de ce Grand Journal, Canal+ a diffusé des images de la marche pour "démontrer" que celle-ci était clairsemée. Sur le plateau j’exprimais déjà mon scepticisme. « Vous nous accusez de truquer le truc » avait demandé jubilatoire Jean-Michel Aphatie ? A sa décharge, disons qu’il ne pouvait imaginer lui-même un procédé aussi grossier que celui qui fut alors pratiqué ! Il s'avéra vite que ces images, fournies par I>télé, étaient en réalité celles… de la manifestation contre le racisme du 30 novembre ! « Une erreur d’indexation », glapirent les diffuseurs piteux ! Au passage, ils commirent une nouvelle bourde peu professionnelle en nous attribuant aussi la manifestation du 30 novembre, sottise reprise en boucle par tous ceux qui reproduisirent leurs explications ! 

Le cas s’avéra encore plus tordu quand on découvrit qu’I>télé avait d’ailleurs utilisée ces mêmes images pour "illustrer" la marche le jour même, alors même qu’un duplex avec moi avait lieu sur place en fin de parcours. Tel quel, aussi incroyable que cela paraisse ! « I>télé », présente sur place depuis le début de l’après-midi, suit toute la marche, fait un duplex mais diffuse d’autres images de la marche que celles qu’elle vient de recueillir à l’instant même! D’ailleurs, la journaliste de la chaîne, présente elle de bout en bout de l’évènement, dit, en direct, que c’est un « pari plutôt réussi » que cette marche. Apparemment, quelqu’un plus haut dans la hiérarchie a décidé que tel n’est pas le cas et fait diffuser de fausses images pour le « prouver ». Après quoi, en plateau, des propagandistes de choc, qui n’ont pas passé une minute sur le terrain, décident non seulement de ne pas suivre l’avis de leur collègue sur place, mais aussi de croire des images sans rapport avec le sujet.

Ce que ces gens ne prévoyaient pas, c’est notre combativité. Notre certitude qu’ils sont seulement des trafiquants d’informations nous fait prendre leurs annonces comme des défis. Nous savons qu’ils mentent. La question alors est juste de trouver l’angle qui nous permet de provoquer à notre tour un état de sidération de leur défense. Notre camarade l’avocate Raquel Garrido piste donc toutes les images, découvre le pot aux roses et le répand par tweet ! Dans le même temps, « Politis » en fait autant. Alexis Corbière embraye. L'arroseur est ainsi arrosé. Olivier Schramek, le CSA, vont-ils s'auto-saisir de ce manquement grave à la déontologie journalistique ? Bien sûr que non. Leur rôle dans la manipulation était juste celui d’un supplétif du discours du ministère de l’Intérieur. Les donneurs de leçon médiatique vont-ils dénoncer cette mise en scène ? Le photographe de balcon va-t-il dénoncer le procédé ? Ne rêvons pas. Pas une de ces personnes n’a de sérieux dans son goût de la vérité pourtant affichées à grand cris. Bref, notre chiffre était le bon, la preuve par la géographie et la photo Google du boulevard depuis l’espace. Les manipulateurs étaient ceux qui criaient à la manipulation.

Tous les aspects positifs pour l’éducation politique des nôtres de cette auto-disqualification des médias ne doivent pas faire cependant oublier l’efficacité de la nuisance qu’elle contient aussi. Il s’agit ici essentiellement d’un pouvoir de sidération. En réalité, le contenu de leur récit importe peu puisqu’il est très peu cru. C’est plutôt ce qu’il empêche de voir qui importe. La sidération, c’est un état où le choc suspend la perception et le jugement. Une bonne image de la sidération est le lapin devant des phares de voiture. C’est ce qui s’est pratiqué contre nous. J’ai raconté comment le coup monté de la photographie prise du balcon a fonctionné comme une diversion sidérante. Et il faut admettre que c’est assez réussi.

Ce fut un bon plan pour Valls. Il lui permettait de faire confondre dans un même doute le chiffrage de la manifestation et la réalité de la scène « révélée » par le journaliste photographe de balcon. De leur côté, prenant le relais d’un site d’extrême droite, les solfériniens diffusèrent en masse une image retravaillée par les fascistes de la « vue du balcon ». Leurs médias proches relayèrent sans vergogne. Le soir même, Olivier Schramek décidait une enquête du CSA qui, bien sûr, n’aura jamais lieu, donnant ainsi l’apparence d’un fondement à l’accusation gratuite portée contre nous. Bien sûr, nous avons prouvé que les images de la marche diffusée par I>télé étaient bidon. Mais Olivier Schramek s’est mis à regarder ailleurs avec énergie ! Plus question d’enquête cette fois-là !

Donc, au total, le résultat n’est pas trop mauvais pour Valls. Personne n’a mis en cause le fait qu’il donne des chiffres après que la préfecture de police a dit qu’elle n’en donnerait pas. Personne n’a posé la moindre question sur l’aberration de son chiffrage. Personne n’a parlé du retour des barrages filtrants. Carton plein. Aussi longtemps que duraient les polémiques annexes, la marche contre la TVA était effacée au profit d’une mêlée qui effaça l’évènement politique pendant plusieurs heures.

Pour nous aussi, c’est bon. L’institution médiatique s’est discréditée, le dégoût qu’elle inspire s’est accru dans nos rangs, et la méfiance s’est accrue dans le public large. Bonne séquence d’éducation populaire. La marche est un point de départ opérationnel pour une suite dont je me garde de trop parler puisqu’elle est seulement encore en construction. A Saint-Girons, personne ne m’a parlé des tweet moqueurs d’Harlem désir. Les gens s’en fichent. D’Harlem Désir, bien sûr. A l’élection présidentielle, j’ai fait 16 % en Ariège.


156 commentaires à “Je fais le job à Saint-Girons”
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  1. Nicks dit :

    Je crois tout de même qu'il serait temps que les militants Pc prennent leurs responsabilité et exigent un congrès extraordinaire pour clarifier la situation. Je ne comprends pas comment une majorité peut suivre la stratégie d'autonomie et laisser tranquillement sa direction saccager tous nos efforts. Nous avons besoin de clarté, de cohérence pour intéresser tous les citoyens qui se sont détournés de la politique. Quand j'entends parler de stratégie hors-sol en direction de ceux qui ne veulent plus parler d'alliance avec les solfériniens, je me demande si on vit dans le même pays, à savoir un pays dans lequel une grande partie des classes populaires et moyennes se défient fortement des deux partis de gouvernement et associent la gauche aux reniements de la social-démocratie. Syrisa n'a jamais été aussi près du pouvoir en Grèce. Inspirons nous de leur exemple et passons devant le Ps, de façon indépendante.

  2. Adrien78 dit :

    Vu la tournure que prennent les choses (Le PG s'est mis en congé de participation au Parti de la Gauche Européenne jusqu'aux municipales suite à la réélection de Pierre Laurent à sa Présidence (lire communiqué sur site PG)), je renouvelle ma suggestion aux adhérents du PCF de lancer une pétition nationale pour la tenue d'un congrès extraordinaire avant les municipales. Quelles qu'en soient les décisions, il me semble vital de crever l'abcès avant que la septicémie ne gagne le grand corps malade et pis encore l'ensemble du Front de Gauche.

  3. BIBI dit :

    La position et la décision des dirigeants du PG à Madrid sont l'honneur de la gauche ! Toute autre décision m'aurait posé un problème. Les turbulences vont continuer, mais dans beaucoup de régions de France elles sont monnaie courante. Dans ma ville la liste Front de Gauche avec EELV subie les assauts des communistes qui avec 1% des voix (avant l'existence du FdG) veulent trois places dans les dix premières ! Leur seul argument c'est la visibilité de leur parti ! Tout le reste importe peu...

  4. GB dit :

    Un peu navré par cette prise de position de Mélenchon. Baudelot et Establet ont eux aussi réglé leur compte aux fausses critiques sur PISA ("L'étlisme républicain"). C'est un outil performant et utile. Dans ce même ouvrage, Baudelot et Establet utilise PISA pour démontrer que:
    -les redoublements ne servent à rien
    -plus on prolonge la durée de la scolarité, mieux les élèves se portent (et pan sur l'apprentissage à 14 ans de Sarko)
    -investir dans la masse des élèves permet de former de meilleures élites
    -les classes de niveau hétérogène sont très favorables aux moins bons élèves et induisent une perte infime pour les tous meilleurs (et pan sur la fin de la carte scolaire)
    Comme quoi PISA permet de soutenir un discours véritablement à gauche sur l'éducation.

  5. FDG69 dit :

    Je reviens une dernière fois sur ce billet pour remercier Jean-Luc Mélenchon d'avoir aborder une question qui nous à bien choquer lors de la dernière manif, que ce "dépouillage" par les CRS. Jean-Luc Mélenchon de manière pratique aborde cet aspect du point de vue journalistique alors que nous étions nombreux à l'interpeller sur l'aspect juridique du procédé. En vouloir au journaliste au point de transformer notre question en malaise médiatique ne va pas dans le sens de notre demande. Les CRS ont-il le droit de faire cela à un parti ou un groupe de parti légal en France ? Un pays ou le droit de grève est reconnu et qui commence sous statut socialiste à faire enlever les macarons PG / FdG / CGT, c'est plutôt suspect et inquiétant. Je renouvelle une dernière fois ma demande, le PG à t-il porté plainte pour agissement anti démocratique lors de se dépouillage, non respect des articles de la convention des droits de l'homme, etc. Le peut-il seulement.

  6. Kevina scooter dit :

    Pierre Laurent par ci, Pierre Laurent par là. Au regard de l'histoire c'est un épiphénomène. Certes cela aura des conséquences néfastes. C'est un coup dur dont on aurait pu se passer. Mais on a l'habitude dans le système de la V° République, c'est le clientélisme et le Césarisme qui prévalent. C'est pourquoi le Front de Gauche doit aussi se battre sur ce terrain institutionnel (une constituante pour rendre le pouvoir au peuple et la VI° République. Rien de possible sans ça au préalable). Le mouvement général du balancier de l'histoire et des consciences va dans le sens du front de gauche certes. Parce que les autres (SPD et conservateurs, UMP/PS/FN/UDI) n'ont rien d'autre à nous proposer que de l'enfumage, de la confusion et de l'autodestruction des classes populaires. mais il ne faut pas oublier les obstacles nombreux et tellement puissants (médiacrates, solfériniens, oligarchie etc.) que nous autres militants avons l'impression épuisante de creuser la montagne avec une petite cuillère. Message d'espoir, battons-nous parce que c'est ça qui nous fait vivre! Vos interventions sur ce blog sont intelligentes et revigorantes. Merci à tous et bises.


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