14mai 14
Pour le Front de gauche, l’UMP et le PS c’est bonnet blanc et blanc bonnet au niveau de l’Europe ?
Oui. Leurs deux candidats à la présidence de la Commission disent eux-mêmes qu’il n’y a pas de différences entre eux. C’est ce qu’ont affirmé formellement Martin Schulz et Mr Juncker chacun de leur côté. Il ne faut pas s’en étonner. Le parti socialiste européen et les libéraux et conservateurs gouvernent ensemble dans 16 pays sur 28 en Europe. Martin Schulz est symbolique de cette alliance puisque son parti participe au gouvernement d’Angela Merkel et qu’il a écrit le volet européen du programme commun du SPD et des conservateurs allemands. Enfin, le PS et l’UMP votent toujours ensemble toutes les mesures qui sont dans le fil du traité budgétaire empreint d’une logique libérale. Idéologiquement, ils ont la même conception et le même programme politique sur le plan européen.
Que signifie l’Europe des peuples ? N’est-ce pas seulement un slogan facile pour le Front de gauche ?
C’est un slogan du Parti communiste qui ne me gêne pas. Il vise au respect des acquis sociaux et des droits civiques des peuples qui doit rester la norme en Europe. Nous refusons l’imposition par le haut de normes sociales et environnementale ou de l’organisation des pouvoirs politiques qui ne correspondraient en rien à l’identité sociale et politique de ces pays. Par exemple, l’idée de supprimer les départements a surgi comme une exigence du programme de réformes demandé par la Commission européenne. Or il n’y a rien de plus contraire à la tradition de l’organisation française, de sa démocratie politique et de son territoire. L’Europe des peuples, c’est aussi renoncer à mettre en compétition les nationalités comme c’est le cas avec la directive des travailleurs détachés qui déchaîne dans tous les pays d’Europe des torrents de racisme et de xénophobie absurdes.
Même les partis les plus européens disent qu’il faut réorienter l’Europe. Pouvez-vous aller plus loin ?
Mais c’est une illusion de croire que moyennant quelques bricolages par-ci par-là, on arriverait à venir à bout des tares fondamentales de l’Europe. Au Front de gauche, nous voulons refonder l’Europe. A partir du moment où on veut changer la hiérarchie des normes juridiques en cessant de mettre la concurrence libre et non faussée à son sommet, où on veut instaurer un protectionnisme solidaire, une harmonie sociale et fiscale, c’est se moquer du monde que de dire qu’on va pouvoir accomplir toute cela dans le cadre de quelques changements. Nous mettons en cause tout le traité de Lisbonne qui organise l’Europe. Si l’on veut être européen aujourd’hui, il faut refonder l’Europe. Ceux quiveulent faire durer cette machine technocratique aveugle et libérale qu’est devenue l’Union européenne travaillent contre l’idéal européen car celui-ci fait l’objet d’un rejet massif et qui prend hélas la forme d’un nationalisme très dangereux.
Comment expliquez-vous qu’en Europe, les peuples semblent suivre davantage les partis populistes ou le FN en France, que les partis les plus à gauche…
Il n’est pas exclu que l’extrême-droite l’emporte à terme en Europe. Toutes les conditions sont en train d’être réunies pour une véritable catastrophe de la civilisation européenne. C’est pourquoi nous devons arc-bouter nos forces pour arriver à construire un programme politique alternatif à cette politique libérale qui déclenche de telles vagues de nationalisme. Le bilan de cette politique est consternant : sur le plan économique, c’est partout la récession, et sur le plan politique on assiste à une montée de l’extrême-droite dans de nombreux pays.
Pourquoi le Front de gauche ne profite-t-il pas davantage des déçus de Hollande ?
Il y a de multiples raisons, à commencer par nos propres erreurs bien que nous ayons toujours réussi à les surmonter, ce qui est l’essentiel. Ensuite, nous sommes mal traités dans notre présence publique ; le FN est entré dans les familles par les médias audiovisuels nationaux. Il ne faut pas négliger l’habileté des dirigeants du FN qui ont repris la surface sociale et patriotique de notre discours pour lui donner un tout autre contenu et terminer par dire que la cause de nos maux est l’immigré et pas le banquier. Enfin, les périodes de récession et d’explosion du chômage ne sont pas, contrairement à une idée répandue, celles qui sont les plus favorables pour la gauche parce que les gens se replient sur eux-mêmes, s’enferment et essaient de survivre. Il sont moins prêts à entendre des explications plus construites et sophistiquées que celles du Front national qui sont d’un simplisme absolu.
Votre objectif n’est-il pas de casser le PS en attirant au Front de gauche les parlementaires socialistes frondeurs et les écologistes qui ont quitté le gouvernement ?
Notre objectif n’est pas seulement que le Front de gauche obtienne de bons résultats aux européennes même si c’est nécessaire. Il faut surtout que les écologistes, les membres et les électeurs du PS se ressaisissent et acceptent de passer de la protestation à une attitude plus rassembleuse en se constituant de manière autonome afin que nous puissions former un autre Front, une sorte de Front du bien commun.
Vous voulez élargir le Front de gauche ?
Le Front de gauche ne demande rien pour lui-même. Ce qui compte, ce sont les solutions collectives. C’est pourquoi je trouve que notre situation stratégique s’est améliorée : les écologistes ont quitté le gouvernement, le MRC a voté contre la politique économique de Valls, et quarante députés socialistes ont pris leurs distances avec le gouvernement. Tous ceux-là ne peuvent pas en rester là. Il ne s’agit pas d’élargir le Front de gauche mais d’organiser une autre composition politique avec eux dans laquelle le Front de gauche s’inclurait. Cela permettrait de réorienter le centre de gravité de la majorité.
Recueilli par Jean-Pierre Bédéï