14oct 14
Dans un entretien, Jean-Luc Mélenchon, dont le nouveau livre, l'Ère du peuple, paraît aujourd'hui aux éditions Fayard, estime que le Front de gauche est un point d'appui déterminant pour l'avenir.
Dans votre livre l'Ère du peuple, vous appelez ce dernier à reprendre le pouvoir sur l'oligarchie. À qui vous adressez-vous ?
Au peuple urbain actuel. Pour ces millions de gens, le lieu de socialisation politique n'est plus l'entreprise. Car beaucoup n'y travaillent qu'une heure par semaine ou pas du tout. Cela ne se réduit donc pas seulement, comme on le pensait à gauche autrefois, au salariat organisé. Au cours des vingt dernières années, toutes les révolutions ont été des révolutions populaires urbaines, qui ont consisté, pour l'essentiel, à occuper l'espace public urbain. Le peuple devient acteur de l'histoire quand il se met en mouvement politique sur ses revendications. Nous sommes dans une période où il a été défait. Qui a réussi ce tour de force ? L'oligarchie, en précarisant la main-d'oeuvre pour l'obtenir au prix le plus bas possible et en l'éjectant de la sphère politique grâce à des mécanismes autoritaires. En France, le mécanisme de confiscation démocratique par l'Union européenne s'est parfaitement emboîté avec la monarchie présidentielle qui déjà expulsait largement le peuple de la décision commune. C'est pourquoi la question de la Constituante n'est pas un à-côté, c'est le coeur de la stratégie révolutionnaire du XXIe siècle.
Vous êtes évidemment très critique vis-à-vis de la politique de François Hollande. Mais, au-delà, pourquoi estimez-vous que se référer à la gauche est dépassé ?
Entendons-nous bien sur ce point. Je n'abandonne pas l'idée de gauche. Je suis un homme de gauche. Toute mon histoire, c'est la gauche. Et au demeurant je crois que le clivage entre la gauche et la droite, en son sens fondamental, celui de 1789, est indépassable. Mais aujourd'hui quand vous dites « je suis de gauche », les gens comprennent que vous êtes avec Valls et Hollande. Pour nous, c'est un crève-coeur. Le crime majeur de ce tandem est de nous avoir volé le mot qui nous désignait. Pourquoi nous l'ont-ils volé ? Pour masquer qu'ils font une politique de droite. Nous ne devons pas croire que l'ancien monde politique d'où nous venons, celui où il y avait des habitudes de vote, des traditions d'appartenance, continue d'exister. Il faut donc cesser de croire qu'il suffit de dire que notre programme est « de gauche » pour faire la preuve qu'il est bon pour le peuple. Ce n'est plus l'étiquette qui fait le programme. Nous sommes, en quelque sorte, dans l'ère des coeurs à gagner. C'est pourquoi plutôt que chercher à rassembler la gauche, ce qui rend suspect, il faut chercher à fédérer le peuple.
Vous dites que nous sommes sur la « mauvaise pente », en référence aux scores du Front national, qu'est-ce qui l'explique et est-il encore temps de l'inverser ?
L'extrême droite en France est la seule force en dynamique. Aux élections européennes Mme Le Pen a mieux mobilisé son électorat que nous. J'observe que la force va à la force. Si nous sommes capables d'être cohérents, un tant soit peu disciplinés et actifs, nous entraînerons la société parce que nous montrerons que nous sommes l'alternative. Aujourd'hui, M.Valls est très content de pouvoir dire sur tous les plateaux de télé qu'il n'y a pas d'alternative à gauche. Évidemment c'est un mensonge, il y en a une : le Front de gauche. Nous devrions donc être le recours mais nous ne le sommes pas. Nous nous sommes rendus illisibles aux élections municipales. Il faut savoir tourner la page, mais en tirant la leçon pour les élections cantonales et régionales. Mon option stratégique reste claire : autonomie face au PS et lutte implacable contre la politique de droite et le Front national. Il ne faut pas enjamber les prochaines élections. Ce sont deux rounds où nous pouvons accumuler de la puissance. Mais il faut que les gens aient confiance dans le fait que nous ne pactiserons pas avec Hollande et Valls.
Des voix critiques se font entendre à gauche, une construction majoritaire y est-elle possible ?
La difficulté avec tous ces groupes c'est qu'on ne sait pas clairement ce qu'ils veulent. Les écologistes que nous avons rencontrés avec le Front de gauche ne veulent pas rompre avec le PS. M. Hamon dit lui-même qu'il n'est pas en rupture avec le gouvernement, qu'il souhaite qu'il réussisse… Pour le vote du budget, on est exactement dans la même logique qu'au moment du vote de confiance : il ne suffit pas de s'abstenir. Je suis toujours partisan de sortir des crises par le haut. N'avais-je pas proposé de former une majorité parlementaire alternative l'an passé ? Cet appel a été répété pendant plus d'un an. S'il pouvait se dégager de l'Assemblée nationale une nouvelle majorité pour gouverner à gauche vraiment, j'en serais mille fois d'accord. Mais je ne veux pas qu'on nous instrumentalise. J'approuve la tournée qu'a faite Pierre Laurent où il a porté partout le même message : on ne peut pas construire sans rompre avec cette majorité. C'est un discours dans lequel je me reconnais entièrement. Nous travaillons de bonne manière en occupant chacun un créneau différent de la bataille commune.
Vous avez lancé un mouvement pour fédérer le peuple autour de la VIe République. Quelles doivent être ses lignes de force ?
La VIe République, c'était la proposition centrale du Front de gauche portée pendant toute la campagne présidentielle. Il ne s'agit pas d'un objet de communication. C'est la stratégie révolutionnaire de notre époque. Le Mouvement pour la VIe République n'est pas un parti, son objectif est de se vouer à rendre une idée majoritaire. La question ne concerne pas seulement les institutions. Elle porte sur les droits sociaux fondamentaux à partir desquels la société peut fonctionner, sur les droits écologiques fondamentaux autour desquels doit être organisée l'économie du pays. C'est tout ce travail de réappropriation des objectifs généraux de la politique qui est proposé à travers la stratégie VIe République. La difficulté du maniement de cette idée c'est qu'il faut à la fois la mettre sur la table et la laisser ouverte. Ce n'est pas très important de dire comment moi je vois les choses. Même si je suis, pour ma part, par exemple, pour le vote obligatoire, le référendum révocatoire, limiter les droits de propriété privée du capital à un droit d'usage… Depuis la rentrée toute une série de personnalités ont dit d'accord. Voyez comment un mot d'ordre fédérateur du peuple peut aussi rassembler à gauche. C'est en ce sens qu'il faut le prendre : partir des contenus pour aller à l'accord politique, et non l'inverse.
L'écologie est une des préoccupations centrales de votre livre, comment s'articule-t-elle avec le Mouvement pour une VIe République (M6R) ?
Aujourd'hui, le changement climatique est commencé. Dès lors l'humanité tout entière doit se poser la question de savoir si c'est chacun pour soi ou tous ensemble. Pour moi, le peuple français doit mettre dans la Constitution, comme il y avait inscrit autrefois le principe d'égalité auquel personne ne croyait, la règle verte : dorénavant l'économie française ne prendra jamais plus à la nature qu'elle peut reconstituer. C'est un gigantesque défi technique dont nous avons tous les outils. Seulement ils ne sont pas utilisés parce que le capitalisme de notre époque ne peut pas laisser se dédier à l'investissement productif écologique la masse d'argent qu'il prend pour les dividendes.
Comment envisagez-vous le rapport entre le Mouvement pour une VIe République et le Front de gauche ?
D'abord, le Front de gauche est le point d'appui de tout futur populaire dans ce pays. Il n'y a de choix qu'entre le Front de gauche ou la coalition Hollande-Valls. Quoi d'autre, sinon ? Dans ce paysage, il ne peut pas être question de laisser se dessécher le Front de gauche. Il faut que nous nous retrouvions d'abord sur une stratégie électorale. Des assemblées citoyennes doivent discuter de comment utiliser au mieux les élections cantonales alors que Valls et Hollande voudraient en faire un moment passif et politicien. Eux qui ne veulent même plus distribuer les professions de foi. Mais il ne faut pas que le Front de gauche reste enfermé sur lui-même. Il faut donc sans cesse mettre en avant des perspectives de nature à fédérer le peuple et du coup, peut-être, rassembler à gauche. D'ailleurs, les militants du Front de gauche sont nombreux dans le mouvement VIe République. C'est une manière pour eux d'aller sur le terrain et surtout de répondre en positif au sentiment dominant de rejet de la politique.
Vous appelez à de grandes transformations politiques, dans le même temps les citoyens sont confrontés à l'urgence sociale. Y a-t-il des batailles à mener immédiatement ?
D'abord, il faut se joindre à toutes les batailles que les syndicats engagent. Défense du pouvoir d'achat, de l'école, du système de santé, de l'environnement… Toutes ces batailles doivent être menées et le sont. L'initiative citoyenne existe même si elle n'occupe pas le devant de la scène et est souvent méprisée par les médias institutionnels. Au-delà, tout le monde a compris que c'est à l'élection présidentielle que se joue le pouvoir dans notre pays. C'est pourquoi notre candidature en 2017 doit être une candidature avec un contenu politique extrêmement dense et profond : la VIe République. Ce n'est pas un replâtrage que nous allons proposer. Il faut donc commencer dès maintenant à gagner les esprits. 2017 sera un aboutissement, pas un commencement.
Entretien réalisé par Julia Hamlaoui