31oct 14

Une fin de règne pitoyable et interminable

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Le moment politique retient son souffle. De l’adoption au Parlement du budget de la Sécurité sociale sans majorité à l’humiliation du pays par la Commission européenne, jusqu’au paroxysme qu’est la mort de Rémi Fraisse à la manifestation du barrage du Testet, quel séquence ! Tout montre combien le pouvoir actuel est devenu progressivement un « objet sans objet » en quelque sorte, une société à irresponsabilité illimité. Nul ne sait quand tout cela va s’effondrer comme cela est inscrit dans les données du problème. Mais il est acquis que la chronique des jours qui passent est un concentré de la décadence morale du pouvoir en place et de la coterie solférinienne à tous les niveaux de responsabilité.

Dans ce post j’explique les principes en cause dans la demande de démission du ministre de l’Intérieur. Et je mets en garde du prix que coûterait de ne pas démissionner, du point de vue de la logique de notre démocratie républicaine. Périsse le mandat de Cazeneuve plutôt qu’un principe aussi essentiel que celui de la responsabilité des actions de « maintien de l’ordre ». Puis je passe au budget de la Sécurité sociale. Je laisse de côté mon chapitre sur le résultat des élections au Brésil et en Tunisie pour cette fois-ci. Car j’ai écrit quelques lignes qui se rapportent au contenu de mon livre. Les premiers résultats de vente montrent que vous avez bien reçu les risques d’abstraction que j’y ai pris et les audaces doctrinales qu’il contient. S’il vous est utile cela m’autorise un plaisir et un devoir de « service après lecture » que j’assume ici.

De son côté le mouvement pour la sixième République suit son expansion (m6r.fr) de façon très satisfaisante. Mercredi il a passé la barre des 60 000 signatures ! Les développements de la page l’ont transformée en site et bientôt des fonctions interactives décisives seront en place. J’y reviendrai aussi en cours de semaine prochaine puisque nous serons à la veille de deux évènements militants important : la votation citoyenne pour le referendum révocatoire et la manifestation du 15 novembre prochain contre la politique du gouvernement à l’appel du collectif « triple A » qui rassemble toute l’autre gauche politique et bon nombre d’organisations syndicales de tous les niveaux. 

Cazeneuve doit démissionner

Au moment où j’écris ces lignes, nul ne sait comment se propagera l’onde de choc de l’indignation provoquée par la mort de Rémi Fraisse dans la manifestation devant le barrage du Testet. Nous avons demandé la démission du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Nous ne faisons pas souvent ce genre de demande. En tous cas pas avec l’intensité avec laquelle Harlem Désir le faisait lorsqu’il était Premier secrétaire du parti socialiste. Aussitôt, le ministre de l’Intérieur déclare à notre sujet que nous « chassons en meute ». Cela parce que sur l’ensemble des médias où nous sommes intervenus, mes amis du PG et moi, nous avons demandé cette démission. Pourquoi nous comparer à des chiens et à une meute ? Nous sommes simplement des militants organisés pour agir ensemble sur les mêmes objectifs. Les caciques du PS ont décidément changé de camp et leur vocabulaire en témoigne. Car aurait-on imaginé qu’un héritier de Jean Jaurès dans le Tarn aille dire qu’il est stupide de mourir pour des idées comme l’a fait le président du Conseil général du Tarn ? Ou que le président du Conseil général du Jura, après avoir lui-même demandé que Valls démissionne, se risque à dire que notre proposition de referendum révocatoire est « digne de madame Le Pen » ? Bien sûr, c’est panique à bord, et ces gens parlent dans l’affolement après avoir espéré que le silence leur permettrait de passer entre les gouttes. Gonflés de contrition autour du cadavre de Christophe de Margerie (sans une fleur pour les autres passagers de l’avion), leur silence et inaction devant la mort de Rémi Fraisse laisse pantois tant elle est caricaturale !

Pourquoi Cazeneuve doit-il démissionner ? La question devrait être renversée. Sinon quoi ? Quelle est cette façon de se défausser sur le gendarme mobile qui a fait de son arme un usage aux conséquences si disproportionnées ? S’agit-il d’une bataille privée entre manifestants et gendarmes ? Bien-sûr que non ! Le ministre doit s’en aller car il doit assumer devant la société la responsabilité de la mort du manifestant. Car c’est l’échec suprême de la tâche de maintien de l’ordre dans une démocratie pacifique, quand une opération de police aussi banale tourne à l’opération militaire. Rappelons qu’un gouvernement démocratique n’est pas en guerre contre ses citoyens ! Il est vain d’arguer la violence de certains manifestants pour renvoyer tout le monde dos à dos. Le maintien de l’ordre, la protection des biens et des personnes est prévue pour se faire pacifiquement et dans certaines règles quelle que soit la situation. C’est d’ailleurs ce qui explique les équipements incroyables dont disposent les équipes de garde mobile et CRS. C’est donc tout un que le métier en question et ses méthodes de travail en République. Je renvoie au blog de mon camarade Corbière car il rend bien compte des antécédents en la matière.

Refuser de prendre la responsabilité de la situation c’est pousser les manifestants à se retourner contre les gendarmes et les policiers comme responsables de la situation et de la mort du jeune homme. Pourtant même si la responsabilité personnelle de celui qui a fait ce tir est décisive, ce n’est pas sous cet angle que s’apprécie la situation. La responsabilité est toute entière dans les mains de celui qui a pris les décisions et non dans celles de ceux qui les ont exécutées. Naturellement personne n’a voulu la mort du manifestant, nous le savons. Mais c’est justement pourquoi il faut se demander pourquoi il est mort si personne ne voulait cela. C’est donc bien une faute d’évaluation de la situation et des moyens mis en œuvre. Tout autre raisonnement produit pour dégager la responsabilité du ministre va conduire à une escalade aux conséquences imprévisibles. Ou alors il faut admettre qu’au lieu d’obéir, les effectifs engagés doivent se mettre à débattre, à discuter les consignes et à auto évaluer la situation et le contexte. Qui peut vouloir que les forces de l’ordre décident d’elles même de l’usage de la force ? 

Du jamais vu : gouverner sans majorité parlementaire

C’est le bilan du vote sur le budget de la Sécurité sociale. Certes il a été adopté par l’Assemblée nationale. Mais avec seulement 270 voix pour. Or la majorité absolue de l’Assemblée est de 289 voix. Dans quel autre pays « démocratique » du monde un budget est-il adopté sans qu’une majorité de parlementaires l’ait voulu ? Surtout quand la conséquence est un rude coup porté à un monument de notre mode de vie : la Sécurité sociale.

Les votes se suivent et se ressemblent. Sur le budget de la Sécurité sociale : 270 voix pour, 245 contre et 51 abstentions. Une semaine plus tôt, mardi 21 octobre, les recettes du budget de l’Etat avaient été adoptées par un score quasi identique : 266 voix pour, 245 contre, 56 abstentions. A chaque fois, le gouvernement Valls est très loin d’obtenir la majorité absolue des 577 députés. Il gouverne sans majorité absolue. L’Assemblée nationale doit encore adopter les dépenses du budget de l’Etat. Le vote aura lieu le 18 novembre, après l’examen des dépenses par domaines. On va voir Valls manœuvrer pour obtenir une majorité sur les dépenses de chaque ministère, selon les oppositions et les abstentions dans son camp. Plus d’une trentaine députés PS et 14 députés Europe Ecologie sur 17 n’ont pas soutenu le gouvernement ni sur le budget de la Sécurité sociale ni sur les recettes de l’État. Ils ont préféré s’abstenir. Ce mardi, il y a 49 abstentions « de la majorité présidentielle » sur le budget de la Sécurité sociale dont 34 députés PS. La semaine précédente, il y a même eu jusqu’à 56 abstentions parmi les députés « de cette majorité » dans le vote des recettes de l’Etat dont 39 députés PS. A chaque fois, les députés du Front de Gauche et Isabelle Attard, de Nouvelle Donne, ont voté contre. Si les frondeurs avaient voté « contre », aucun des deux budgets n’aurait été adopté. En s’abstenant, ils privent Valls de la majorité absolue. Mais ils laissent passer les budgets alors qu’ils pourraient l’empêcher. Dès lors quel est le sens politique de ce vote ?

Pourtant le budget de la Sécurité sociale doit être combattu. La symbolique de l’abstention est très mal adaptée à une situation de régression provoquée qui n’a vraiment rien de symbolique. Pour au moins trois raisons. Le budget de la Sécu est une pièce centrale dans le plan d’austérité de Manuel Valls. D’ici 2017, 21 des 50 milliards d’euros de coupes budgétaires prévus seront effectués dans le budget de la Sécurité sociale. Pour 2015, ça commence même encore plus fort : la Sécurité sociale va supporter la moitié des 21 milliards d’euros de coupes dans les budgets publics. Derrière ces chiffres, il y a une réalité sociale : des hôpitaux davantage soumis aux restrictions budgétaires, les pensions de retraite gelées, l’application de la nouvelle convention d’assurance-chômage plus restrictive pour les intermittents et intérimaires notamment…

Ces coupes marquent aussi la fin de l’universalité des allocations familiales. C’est un des points les mieux mis en scène dans le budget de la Sécurité sociale. Dorénavant, tous les enfants ne donneront pas droits aux mêmes montant d’allocations. Pour un couple avec deux enfants, les allocations seront divisées par deux à partir de 6 000 euros de revenus et par quatre à partir de 8 000 euros. Je sais que de bonne foi, certains trouvent cela « juste ». L’enfumage du gouvernement est là pour ça. Mais c’est en réalité un changement total de principe dans notre pays. Je continue d’affirmer que chacun doit toucher les mêmes allocations. La nécessaire justice doit être pratiquée au moment du prélèvement des sommes par les impôts et cotisations. Pas au moment du versement des allocations. L’idée est que chacun contribue selon ses moyens et reçoit une même prestation. Sinon, demain cotisants ou contribuables les mieux dotés seront en droit de remettre en cause une contribution devenue de pure solidarité plutôt que d’avantage acquis commun. C’est mettre le doigt dans un engrenage qui finira par broyer tous les droits universels. Demain, au gré des coupes budgétaires, un gouvernement baissera le plafond de ressources pour avoir droit aux allocations, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des miettes pour les plus pauvres. Et progressivement, la même logique se développera pour les allocations chômage, pour les remboursements de soins par la Sécurité sociale. Une fois de plus la perversion des mots joue à plein son rôle d’empêchement de la pensée. C’est maintenant au nom de « l’égalité » qu’est mis en cause l’acquis social. Comme dans le cas du CDI dont on entend dire qu’il « crée » de « graves inégalités avec le CDD ». Et dans ce cas c’est toujours par un nivellement par le bas que se fait « l’égalité » annoncée.

Oui, il fallait rejeter ce budget de la Sécurité sociale ! C’est le premier budget annuel d’après le pacte de responsabilité adopté cet été. C’est-à-dire après la nouvelle série de cadeaux au MEDEF décidée par Hollande. Un exemple bien parlant se trouve dans ce train de mesure. Il s’agit de la baisse des cotisations sociales payées par les employeurs. Mais plus provocante encore est la suppression progressive de la « C3S ». Il s’agit d’une cotisation payée par les entreprises réalisant plus de 760 000 euros par an de chiffres d’affaires pour financer le régime social… des indépendants et le fonds de solidarité vieillesse. La solidarité patronale est abolie, à la demande… du MEDEF. Les salariés vont donc payer une cotisation pour les petits patrons, à la place des patrons ! Ces deux cadeaux représenteront plus de 15 milliards d’euros par an de manque à gagner pour la Sécurité sociale lorsqu’ils tourneront à plein régime, en 2017. Là encore, la mécanique infernale est déjà à l’œuvre. Après avoir décidé d’appauvrir la Sécurité sociale, les partisans de l’austérité viennent nous expliquer qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses et qu’il faut renoncer à indemniser les chômeurs, rembourser les malades, à augmenter les petites retraites ou combien d’autres choses qui permettent souvent seulement de survivre. Ils recommenceront demain.

Pendant ce temps, personne ne demande au gouvernement et au MEDEF comment lutter contre la fraude des patrons qui ne paient pas les cotisations sociales : heures supplémentaires non déclarées, travail au noir, utilisation frauduleuse du régime de détachements travailleurs… Pourtant, selon un récent rapport de la Cour des comptes, cette fraude a doublé entre 2007 et 2012. Cette fraude patronale à la Sécurité sociale est estimée à 20 à 25 milliards d’euros par an ! C’est deux fois le montant du déficit de la Sécurité sociale, attendu en 2014 autour de 11,7 milliards d’euros. Dit autrement, sans la fraude patronale, il n’y aurait pas de « trou » de la sécu ! C’est aussi 5 à 10 fois le montant de la fraude aux prestations sociales dont on parle pourtant beaucoup plus. Tel est le monde des fripons qui, de la Commission européenne aux palais de la monarchie présidentielle, gouvernent au mépris du grand nombre des gens simples qui les croient utiles au bien commun.

Je parle de mon livre

La démonstration par laquelle commence « L'ère du peuple » concerne l'importance du nombre des êtres humains sur l'évolution de leur civilisation globale. J'ai même risqué une phrase un peu à l’écart d’une certaine doxa. J’ai écrit que « l'Histoire est l'histoire de l'évolution de ce nombre ». Autrement dit : c'est dans cette évolution que réside la dynamique de l'Histoire humaine. Ce n'est pas tout à fait la formule selon laquelle l'Histoire serait l’histoire de la lutte de classes. Au contraire. La lutte des classes apparaît comme conséquence de l'Histoire et non comme sa cause. La lutte des classes pour la répartition des richesses n’est possible qu'à partir d'un certain développement complexe de la société humaine. Ce processus initial ne s’interrompt pas avec le passage au stade suivant du développement de la société. Mon livre affirme que cette complexification résulte du nombre et non des qualités individuelles, même si celles-ci sont indispensables pour que l’effet du nombre se produise. Elle en résulte mécaniquement, spontanément comme une propriété émergente.

Mon livre affirme que le nombre provoque une transformation qualitative des individus qui constituent le groupe. Il ne s'agit pas seulement d'une transformation de leur situation sociale les uns vis-à-vis des autres. Il s'agit de ce que les individus perçoivent d’eux-mêmes, de leur identité, de leur rapport à la réalité en fonction de la culture et des savoirs que chaque génération assimile. Mais affirmer n'est pas démontrer. La bonne surprise pour moi, cette semaine, a été d'acheter le numéro spécial de novembre 2014 de la revue « Pour la science » dont le thème est « L'odyssée humaine, les moteurs cachés de notre évolution ». J'ai été spécialement attiré par les surtitres, à vrai dire alléchants du point de vue de ce que j'avais besoin d'approfondir. Je les cite avec le sourire : « Un gros cerveau grâce à la monogamie ? », « L'origine du bond technologique il y a 50 000 ans », « Un rameau humain taillé par les aléas du climat ». On peut dire que je pouvais me sentir directement concerné de bien des façons. Je fais là une publicité gratuite suffisante pour pouvoir passer immédiatement à la suite. L'article qui m'intéressait très précisément est celui qui concerne l'origine du bond technologique observé il y a 50 000 dans les cultures humaines.

Cet article de la revue « Pour la science » fait le point. Il y a 200 000 ans coexistaient différentes branches d’êtres humains. Ils avaient des modes de vie et produisaient des instruments à peu près comparables. Mais il y a environ 50 000 ans, tout d'un coup, les moyens de subsistance sont devenus beaucoup plus complexes et plus efficaces. Pour quelle raison ? Comment expliquer ce qui apparaît d'abord comme une complexification très soudaine ? L'idée qui dominait était la suivante : une modification génétique est apparue qui a donné à notre ancêtre le moyen de dépasser en capacité d'invention et de compréhension les autres branches humanoïdes et, naturellement, celle de tous les autres animaux. À présent il apparaît que cette façon de voir est beaucoup trop limitée. Les capacités intellectuelles individuelles, si élevées qu'elles soient, ne suffisent pas à faciliter l'adaptation à l'environnement et à l'amélioration des performances pour exploiter cet environnement. Ce point est vérifié par des expériences concrètes bien connues. Un individu projeté dans un environnement qu’il ne connaît pas est bien menacé de périr, surtout si cet environnement est très hostile. Il ne survit en général que si les populations autochtones l’accueillent et l’informent des moyens de subsister. « La difficulté des explorateurs à s'adapter à ce type d'environnement hostile illustre les limites de nos capacités d'innovations individuelles », dit l’article. Le processus clef ici à l’œuvre dans le succès de notre espèce tient à une autre qualité qu'à celle des individus qui le constituent. Il s'agit de la capacité à accumuler des savoirs à travers les générations. « Les historiens des techniques défendent en effet l'idée selon laquelle les outils complexes ne sont jamais inventés spontanément mais résultent de l'accumulation successive de nombreux changements mineurs ». Dès lors, « ce processus, nommé culture cumulative, nécessite que les innovations produites par un individu soit transmise à d'autres individus ». Le mécanisme de cette transmission, puis celui de la capacité à accumuler les savoirs au point qu'ils constituent une base de nouveaux savoirs plus complexes, est le moment essentiel du phénomène dont nous parlons. Commençons par voir comment cela fonctionne.

Tout commence par la capacité d'acquérir de l'information en observant un autre individu. C'est le mécanisme de l'apprentissage social. Cependant, de nombreuses espèces partagent cette qualité parmi les animaux. Pour autant, cela ne signifie pas que toutes la pratiquent de la même façon ni surtout avec la même efficacité. Cette différence s'observe et peut même se mesurer. Les êtres humains acquièrent une technique par l'observation d'un congénère de façon plus rapide, plus précise et plus systématique que n'importe quelle autre variété d'animaux, mêmes parmi les plus proches de lui comme les singes. « En d'autres termes, lorsqu'une innovation apparaît au sein d'un groupe humain, la probabilité qu'elle soit transmise est bien supérieure à ce qui est observé chez le chimpanzé ». Une caractéristique spécifique aurait ajouté à la fixation de ces qualités d'apprentissage social. Il s'agit ici des comportements pédagogiques. Ceux-ci sont observés dans toutes les cultures humaines. Aujourd'hui même on peut constater comment les enfants humains « cherchent spontanément à faciliter l'apprentissage de leurs semblables en effectuant des démonstrations, lesquelles favorisent la réussite des observateurs ». Bien sûr, ce processus est extraordinairement facilité par l'existence du langage articulé. D’ailleurs, le langage lui-même peut être considéré comme le produit d'une culture cumulative. Quoiqu’il en soit, la production d'une syntaxe et d'une grammaire permet de combiner des mots pour former des phrases et des significations bien définies. Elle améliore de façon considérable la transmission d’information, et donc les capacités d'apprentissage social. Cela, aucune autre espèce ne le connaît. Une fois tout cela posé nous n'en sommes qu'au début de la découverte à faire pour comprendre le rôle décisif du rôle du nombre des êtres humains dans le processus de formation de cette culture cumulative qui va être son atout maître. Voici le raisonnement qui y conduit.

L’émergence de techniques complexes ne peut être expliqué à soi seul, ni par l'intelligence individuelle, ni par le mécanisme d'apprentissage social. « L'explosion culturelle du paléolithique supérieur n'a pas été homogène ni dans l'espace ni dans le temps. Cela suggère que la complexification culturelle ne résulte pas directement de l'apparition soudaine de capacités individuelles spécifiques, et que d'autres facteurs sont susceptibles de déclencher l'émergence ou la disparition de pratiques culturelles complexes. » Ce qui a permis de trouver la solution, c'est une enquête sur un phénomène de régression culturelle à l'intérieur d'un groupe humain. On connait une situation où, à une époque de son histoire, une communauté humaine a fonctionné avec un équipement d'outils moins nombreux et moins sophistiqués qu'à la période précédente. Que s'était-il passé entre les deux moments de cette histoire ? Le groupe humain sur lequel on enquêtait s'était trouvé pour des raisons de changement climatique et de montée des eaux, coupé des autres groupes humains. « Cette observation a conduit à la formulation d'une nouvelle hypothèse liant la complexité technologique à la taille des populations ». Le cheminement qui conduit à cette hypothèse est simple. Voyons.

Le mécanisme d'apprentissage social est toujours imparfait. Quand il s'agit d'une technique complexe il l’est encore plus. Dès lors, plus un groupe est petit, plus la chance que celui ou celle qui a la connaissance complète disparaisse est grand. Avec cette personne disparaît alors le savoir pour tout le groupe. A l’inverse, « dans un groupe d'une taille plus importante la probabilité que personne n'arrive à acquérir la technique est plus faible car la probabilité qu'un individu doué pour cette tâche soit présent dans le groupe est plus importante ». On peut facilement comprendre en effet que l'acquisition d'une technique complexe soit moins courante que si c'est une technique simple. Le nombre de ceux qui sont susceptibles de l'acquérir est donc un facteur décisif de la capacité de transmission de ce savoir. Une autre question est réglée par ce constat. Si le nombre joue un rôle dans le maintien de pratiques culturelles complexes joue-t-il aussi un rôle dans l'apparition des innovations ? Oui. Voyons comment.

Les innovations dépendent à la fois les savoirs accumulés antérieurs et de déductions à partir d’eux. Mais aussi d'erreurs apprentissage ou de hasard d'exécution. La probabilité que de telles occurrences apparaissent est plus grande dans un groupe plus nombreux que dans un groupe plus petit. Les observations d'archéologie confirment le lien entre l'évolution de la taille des populations ancestrales et les changements majeurs concernant les techniques utilisées. Ce point se vérifie d'autant plus facilement aujourd'hui que nous sommes en état de décrypter la composition génétique des populations. Plus la diversité génétique s'observe dans les restes d'une population, plus on sait que celle-ci a été nombreuse. « Les données obtenues par les généticiens des populations ont permis de vérifier dans quelle mesure les différentes augmentations de complexité culturelle observée dans les vestiges archéologiques correspondent à des densités de population supérieure à un certain seuil. » Après ce tour d'horizon nous voyons s'enchaîner les composantes suivantes : capacités d'apprentissage social, capacité de faire émerger une culture cumulative, augmentation et protection de cette capacité par l'extension du groupe humain considéré. Il reste bien entendu à préciser que l'amélioration des savoirs et la complexification des techniques permettent l'acquisition d'avantages particuliers permettant d'occuper de nouveaux espaces et d'accéder à de nouvelles ressources de sorte que le groupe humain s'accroît du fait de son savoir accumulé car les conditions de son existence et celle de ses jeunes sont augmentées. L'article de la revue « Pour la science » précise bien que « l'identification des facteurs indispensables à l'émergence de la culture cumulative ne constitue qu'une étape dans la compréhension de son origine ». Mais je crois bien qu'elle est déjà sérieusement décrite par tout ce qui précède.

Un autre concept pourrait être introduit qui permettrait de décrire les événements qui ont conduit à la naissance cette culture cumulative. Ce serait celui de « propriétés émergentes ». Un ensemble étant davantage que la somme des parties qui le composent, les propriétés qui le définissent peuvent être considéré comme « émergentes » du nombre d’éléments qui le constituent. L'ensemble des individus et des savoirs particuliers qu'ils ont acquis individuellement produisent dans un groupe une propriété émergente qui est la culture globale de ce groupe à l'intérieur de laquelle chaque nouveauté va pouvoir prendre place ou être détruite comme dans un écosystème qui évolue à mesure que sa population s'étendrait. Ainsi, j'ai trouvé dans cet article la démonstration à partir des comportements de base des êtres humains du rapport qui existe entre qualité et quantité. La description du mécanisme conduisant au fait que le nombre est le facteur décisif de l'évolution des groupes humains et non pas seulement son résultat. Cette démonstration valide entièrement la démarche particulière du matérialisme appliqué à l'Histoire : se sont donc bien les relations sociales réelles qui définissent le niveau de la richesse intellectuelle des êtres humains. C'est d'ailleurs ce que disait Marx.


102 commentaires à “Une fin de règne pitoyable et interminable”
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  1. Bob.pollet dit :

    60 000 signatures pour lancer la 6iem république à ce jour ! Mais... C'est peut être en route, mais pas vraiement visible. Où sont les collectifs locaux motivés pour la Sixième ? Ont-ils du mal à exister ou pense-t-on que des relais locaux sont désuets ?

  2. turmel jm dit :

    Je viens de visionner par le biais de ce blog le passage de JL Mélenchon ce matin sur RTL. Outre l'excellence de ses réponses, je me suis mis à rire quant aux visage des animateurs de l'émission. La petite colère de la "voix de son maître", Mr Calvi, était également un régal. En ce moment je constate que des situations intéressantes. Il semblerait que mon camarade P. Laurent et quelques autres à notre conférence nationale aient enfin écouté la volonté d'un grand nombre d'entre nous (l'Huma, le Parisien et Libération ont noté). Le ciel s'éclaircit, puisse t-il être rayonnant ce samedi 15 novembre. Bordeaux 15 h place de la Comédie.


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