16jan 15
Hommage de Jean-Luc Mélenchon à Charb, le 16 janvier 2015, à l'invitation de la famille du défunt.
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La mort est passée. Elle rode encore autour de nous et nous sentons son souffle froid. Nous voici assemblés sur le rivage glacé que tracent les bords de ce cercueil. Tremblants de peine et sidérés, nous sommes venus nous réchauffer une fois de plus auprès de lui. Car Charb tisonnait si bien pour nous la braise rouge ! Rouge ! Contre la cendre des convenances boursouflées et des certitudes aveuglées, nos rires étaient ses incendies du vieux monde!
Charb ! On m’a demandé de dire quelques mots. Non pour moi, mais au nom de notre immense cohorte, celle que nous formons pour toujours dans le temps, clameurs du peuple, nous qui te comptions parmi nos éclaireurs.
Charb, tu as été assassiné comme tu le pressentais par nos plus anciens, nos plus cruels, nos plus constants, nos plus bornés ennemis : les fanatiques religieux, crétins sanglants qui vocifèrent de tous temps « à bas l’intelligence, vive la mort ».
Charb, ils n’auront jamais le dernier mot tant qu’il s’en trouvera pour continuer notre inépuisable rébellion. Et il s’en trouvera toujours parce que tu as fait ta part du travail pour qu’il en soit ainsi, ton crayon à dessin entre les dents.
Va Stéphane, éternel jeune homme, tu marches pour toujours devant nous.
Charb ! Je te vois, le poing fermé comme si souvent. Toute la force de tes doigts serrés qui fleurit dans ton sourire. Je te reconnais de loin, Charb ! J’ai un mot à te dire ! Je te dis celui-là pour te dire tous ceux que nous voudrions te dire, te chanter, te réciter à cette heure, en t’accompagnant aujourd’hui. Charb, juste un mot pour les dire tous : merci, camarade ! Merci camarade.
Charb est un nom d’emprunt. En fait, cet homme se nomme « même pas peur », il se nomme pied de nez, il se nomme liberté de conscience. Bien sûr qu’il partage ces noms avec tant de héros anonymes ! Encore heureux ! Mais cette étrange lumière qui le souligne, lui, en particulier, dans nos rangs, ce silence qui a enflé comme un grondement dans nos esprits quand il fut certain que les meurtriers avaient atteint leur but, nous savons tous qu’ils lancent un signal dont les mots nous manquent mais dont nous ressentons la puissance : parmi nous, il était unique, comme le sont tous les poètes. En voici la preuve : Charb et son coup de crayon ont vaincu la mort qui a été infligée.
« Charlie vivra », le délit de blasphème sera abrogé dans la France concordataire, la laïcité brocardée et les laïcards moqués ont la preuve par Charb de leur sens complet. La troupe des têtes dures qui pleure aujourd’hui son héros a le cœur gonflé d’orgueil grâce à lui, en pensant à lui.
Combien ne savent pas qui tu es pour nous, Charb ! Bien sûr, ton art est si neuf qu’il lui manque encore un nom. Mais voici qu’avec ton assassinat et celui des membres de ta rédaction, le crayon à dessiner et la caricature sont devenus une force immense, capable de jeter un pays dans la rue, et de mettre le monde à la fenêtre pour voir la splendeur citoyenne, française, de ces millions de gens mobilisés pour une idée quand tous prétendaient qu’ils n’en aurait jamais d’autre que dans leur intérêt matériel.
Je dis : Ici git l’un des quatre premiers dessinateurs de l’Histoire mort pour ce que ses dessins dérangeaient.
Je dis : Ici git une somme d’éclat de rires révolutionnaires ;
Ici commence de nouveau un monde possible, à jamais promis : celui de l’émancipation, de la splendeur de l’esprit libre, de la fraternité humaine.
Ecoutez, comme la rédaction de Charlie, ce qui permet d’y retrouver ses idées, écoutez l’Internationale :
« si les corbeaux les vautours un de ces matins disparaissent, le soleil brillera toujours »
Adieu Camarade !
Merci camarade !