17fév 15

Censurer le chantage !

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Aujourd’hui, j’avais rendez-vous à l’Elysée pour parler de la Grèce. J’ai croisé en m’y rendant le conseil des ministres convoqué en hâte pour autoriser le recours au 49-3 pour faire passer de force la loi dont le banquier Macron n’a pas été capable de convaincre une majorité de parlementaires. Sa brutalité et son arrogance de classe ont réussi à diviser si fortement les socialistes, les Verts et même le MRC qu’il ne comptait plus que sur les béni-oui-oui et la droite pour faire passer son texte. Même ça aura été impossible. Certains jours font vivre en accéléré ce qui jusque-là semblait serpenter mollement. Il en va de même dans l’action politique. Le moment est passionnant. Pour quelques heures, on va faire une pause dans les émissions non-stop sur l’islamisme radical, l’antisémitisme et toute cette bouillie glauque qui nous est instillée comme un gavage sans fin depuis des semaines.

Car voici Valls obligé de courir colmater la brèche. La loi sera donc considérée comme adoptée sauf si une motion de censure contre le gouvernement est adoptée. Une pure « brutalité », un « déni de démocratie », comme disait François Hollande en 2006. N’oublions pas que ce coup de force vient de loin. C’est-à-dire d’Europe. On voit une fois de plus comment la politique exigée par la Commission européenne ne s’impose dans les nations que par des coups de force à répétition contre la démocratie et ses instances. Car les 207 articles de la loi Macron sont un copié collé de toutes les demandes du comité de la hache à Bruxelles. Ce n’est pas ce qui était prévu mais Macron a réussi à mettre son camp dans une profonde panade en mettant à nu les ficelles sur lesquelles repose toute cette affaire. Souvenons-nous que le petit monsieur chouchou des médias avait déjà dû être tiré d’affaire par une série de changements autoritaires des membres de la commission des affaires sociales pour constituer une coterie spécialement docile à son endroit. Laquelle cohorte de cireurs de pompes s’était ensuite répandue dans les couloirs pour vanter les talents et mérites supra-naturels de l’impétrant ! Qui fut « bluffé », « subjugué » mais pour finir purement berné sur le rapport de force réel ? Juste les commanditaires des mirlitons préposés à cet office de louanges perpétuelles. Ha ! Ah ! Trop drôle ! À la fin, il ne reste de toute ces grâces et habiletés que la marque des grosses roues des chars du 49-3 dans la boue des opérations manquées. Jubilatoire. Evidemment, c’est une démonstration aveuglante de ce qu’est la cinquième République comme régime de violences anti-démocratiques.

Bilan pour Valls : la catastrophe. Il s’était engagé politiquement jusqu’aux essieux sur cette prétendue « loi de gauche ». Il doit la passer par la force ! Il ne lui reste plus que le chantage à la dissolution comme argument ! Pire, il est évident qu’il n’est pas du tout le « chef de la majorité » comme il l’a dit, puisque de majorité il n’y en a point ! Ceux qui avaient oublié qu’il a fait 5% aux primaires peuvent s’en rappeler ! Ni Valls ni Macron ne représentent la majorité de gauche qu’ils divisent et amoindrissent sans cesse. On se souviendra aussi qu’après les votes de confiance de plus en plus maigres, les votes du budget de plus en plus riquiqui, le voici rendu au point du 49-3, dernier sas avant la sortie de route à supposer que cela n’en soit pas une déjà que d’y avoir recours… Que voter dans ce contexte ? Clairement il s’agit d’un chantage : « ne votez pas la censure pour ne pas voter avec la droite ». Mais cela revient à laisser passer la loi Macron en l’état après l’avoir combattue pied a pied. C’est inadmissible. Les parlementaires votent des lois. S’ils n’en veulent pas, ils votent contre. C’est bien ce que s’apprêtaient à faire un nombre significatif de députés de gauche. La seule façon de bloquer la loi et de faire cesser le chantage comme méthode de gouvernement, c’est de voter la censure. Soit celle déposée par la droite comme le fit le groupe communiste en 1992, qui n’avait pas les moyens de déposer sa propre motion, soit en en déposant une autre, de gauche, puisque le moyen existe de le faire !

J’ai été reçu par François Hollande à l’Elysée pendant une bonne heure. Je note la durée car les circonstances ont permis que la discussion s’étende à quelques autres domaines connexes comme l’état du mouvement progressiste dans le monde et en Europe. Je me suis étonné de le voir si bien conscient de l’état de dilution de la force de l’ex Internationale socialiste, dont bien peu de commentateurs ont relevé la scission et la conversion européenne en « alliance des progressistes ». Dès lors, à ma surprise, il est conscient de ce que la recomposition d’une force mondialisée est inéluctable. Sans doute ne parle-t-on pas de la même… De toute façon, le sujet de notre entretien était autre. Il concernait une autre brutalité : celle qui est faite au peuple grec. Une étrange négociation est engagée avec le gouvernement Tsipras. Etrange d’abord parce qu’elle a eu lieu tout le week-end sur un texte qui n’a pourtant pas été mis sur la table lundi à l’ouverture de la discussion officielle de l’Eurogroupe. Etrange encore parce qu’elle se fait avec un pistolet sur la tempe grecque, c’est-à-dire sous la menace de voir couper la circulation monétaire du pays. Est-ce vraiment une négociation dans ces conditions ? La France ne peut accepter que cette méthode soit appliquée une fois de plus ! On se souvient qu’elle l’a déjà été contre Chypre. La coupure doit intervenir au plus tard d’ici au 28. Mais le seul fait de l’avoir évoquée a déjà provoqué des sorties massives de capitaux. Le moment où les caisses seront à sec sans pouvoir les réapprovisionner s’avance. Aucun pays ne peut résister à ce traitement. En toute hypothèse, le 28, c’est la coupure. S’il n’y a pas d’accord, c’est-à-dire dans l’esprit de Merkel et Schauble « s’il n’y a pas de capitulation ». Tel quel. L’Eurogroupe ne sera en effet convoqué une nouvelle fois que si les Grecs acceptent la reconduction du plan de la Troïka. Le rêve des eurocrates allemands est que Tsipras cède. Ça n’en prend pas le chemin. Le programme social de Syriza sera adopté cette semaine. On voit la réplique aux mauvaises manières. Si c’est une partie de bluff du coté des Allemands et de leurs alliés, le résultat final n’est assuré pour personne. 

Là encore, même cause, mêmes effets : la politique européenne ne passe que par la force ! François Hollande tient une occasion de redonner la main à la France en Europe. Qu’en dit-il ? Qu’il ne permettra pas que la Grèce soit humiliée ni qu’on demande à son peuple de faire comme s’il n’avait pas changé de gouvernement… Il en déduit qu’il est dans son rôle d’être le facilitateur du dialogue et qu’il le fait. J’ai objecté que les propos de Michel Sapin ne le laissaient pas voir. Il pense que nous les comprenons mal. Sa ligne est de trouver une sortie de crise en tenant compte des demandes des Grecs et des intérêts de l’Europe. Je ne résume pas, je cite. Et sur le recours à la coupure des liquidités par la BCE ? Visiblement il n’a pas envie de s’avancer sur le sujet et d’en dire trop. J’en déduis qu’il considère que c’est un des éléments de la « négociation». Pour nous Français, la question n’a rien d’exotique. Ce qui s’applique à d’autres pourrait s’appliquer à nous et le banquier central ferait valoir à bon droit que nous n’aurons pas émis d’objection de principe quand cela a été appliqué à d’autres. Ne me dites pas qu’une telle pression ne peut se concevoir. Toute l’Europe ne vit que sous pression allemande à cette heure. La France va savoir en fin de semaine en quinze si la Commission lui donne un nouveau délai pour atteindre ses objectifs austéritaires. Les petits pays soumis à Troïka s’approvisionnent tous sur les marchés financiers qui surveillent tous le moindre écart ou forme de tendresse à l’égard de la Grèce comme un « mauvais signal » vis-à-vis de leur propre dette. Et ainsi de suite.

Bilan de situation : l’euro peut se disloquer la semaine prochaine car seuls les fous peuvent croire que la monnaie unique peut devenir une monnaie à géométrie variable. Bien sûr, il existe une thèse où les Allemands voudraient d’un éclatement qui les laisserait seuls à la tête d’une entité monétaire forte en Europe de l’est, où le capital germanique domine tout et dans une partie du sud. Cette thèse a ses objections et notamment le renchérissement brutal de tous les produits allemands à l’export amenuisant brutalement le seul avantage comparatif dont dispose ce pays, pour l’instant ! Cette nouvelle donne réjouirait les USA qui sont encombrés de l’Euro qui devient une monnaie de réserve en compétition avec la leur. Tout cela est bien possible. Et on voit bien comment et pourquoi. Cependant, la commotion que représente n’importe quelle embardée de l’Euro ne peut être sous-estimée. Ce qui se joue dans les jours prochains, c’est d’abord une partie de sang froid où la bêtise et la rigidité psychologique sont aussi des facteurs objectifs de l’histoire.


101 commentaires à “Censurer le chantage !”
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  1. semons la concorde dit :

    Sortir de l'Europe ne signifiera pas pour autant qu'on sortira de l'ultralibéralisme qui dévore tout ce qu'il touche : si la même oligarchie qui se partage les postes, dans un sinistre jeu de chaises musicales, entre les directions des grands groupes, des banques et de la politique n'est pas virée ou recadrée, notre sort sera le même. C'est l'Europe qu'il faut sortir de ce mode de fonctionnement suicidaire.


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