26mai 15
Tribune de Jean-Luc Mélenchon publiée dans Marianne le 17 avril 2015 à l'occasion de la sortie du livre posthume de Bernard Maris, économiste décédé lors de l'attaque de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015.
Je n’ai jamais conclu « vive la République ! vive la France ! » sans que les mots explosent en même temps dans mon esprit et dans mon cœur. Symbiose physique de la raison et des sentiments. L’action politique l’offre dans quelques occasions rares et pour cela même si désirées. Si j’ai du mal avec « le sang impur qui abreuve nos sillons » dont je connais pourtant le sens exact et insolent, la Marseillaise m’a toujours trouvé consentant au moment où elle commence à m’envelopper, à mesure que je la chante. Qu’on me comprenne bien, je ne parle pas de l’effet de groupe que le chant commun provoque toujours. Il joue son rôle. Mineur pour moi. Non, je parle du sentiment amoureux qu’il délivre et répand entre la chair et l’os.
L’amour de la France est physique et pour ainsi dire charnel. Il institue une relation directe entre une idée immense et tout ce que l’on est de pourtant si petit. Et pourtant cet amour ne s’attache à aucun paysage en particulier, aucun terroir, aucun terrier. Juste l’idée. Les miens ont choisi d’être français. Une passion transmise que ne peuvent peut-être pas comprendre ceux qui ont trouvé leur carte d’identité dans mille ans de banale reproduction biologique. Comme je te plains, Le Pen, de ne rien savoir d’un amour choisi ! Si tu savais quelle passion nous ressentons, nous autres les métèques de tous poils ! Nos souvenirs sont plus purs que les tiens. Ils sont consignés officiellement dans les livres d’histoires. Nos ancêtres sont donc exempts de de tous les crimes des vôtres dont notre histoire nationale est aussi faite. Nous pardonnons, à ceux des vieilles souches ! Nous autres les nouvelles branches, nous aimons tant ce pays ! Vos fautes ne sont pas suffisantes pour venir à bout de notre passion. Voyez ce jeune homme crépu aux yeux vairons et cette jeune femme aux doigts bistres, voyez moi, pâle et chevelu, que le temps passé tire par la manche : nous sommes la patrie elle-même. Nous en sommes la preuve.
La France n’est pas définie par son territoire : ses frontières ont changé tant de fois ! La France n’est pas réduite à un continent : elle existe auprès des cinq ! La France n’est pas désignée par une religion : il y en a cinq, archipel intermittent dans un océan d’agnostiques et d’athées. La France n’est pas une couleur de peau : nous sommes tellement bigarrés ! La France ce n’est pas une langue : 19 pays ont en usage commun comme langue officielle le français. Alors quoi ? La carte d’identité, un document administratif ? Oui, bien sûr. Mais quoi d’autre, ce je ne sais quoi ? Voyez le fronton de nos mairies, de nos bibliothèques, de nos tribunaux. Ils répondent de toi, Maximilien Robespierre, qui nous donna notre nom de famille : Liberté-Égalité-Fraternité.
Nous sommes le peuple sans bord, sans frontières, le peuple que l’on peut combattre au nom de ses propres principes s’il y déroge ! Quand l’Allemagne écrit sur son nouveau Bundestag « Dem deutchen Volk », elle nomme l’appartenance de chacun à une ethnie. Nous, nous nommons ce qui nous permet d’appartenir à l’humanité universelle. Et ce que l’histoire a fait, la raison le répète contre ce que le sens commun suggère d’abord : en France, la République fonde la Nation et non l’inverse. D’aucuns croient que leur souche est dans leur berceau, nous savons qu’elle est dans notre volonté et dans nos actes. Parce que nous sommes libres, égaux, et solidaires ou plus exactement parce que nous voulons le devenir avec tout être humain nous sommes français c’est-à-dire républicains.
Un jour, je croise Bernard Maris et nous parlons d’économie. Peu importent quelles certitudes nous avons assénés chacun à l’autre. A la fin on se tomba dans les bras parce que nous avions nommé nos points communs : la France peut tout et parle à tous. Nous sommes la grande Nation parce que nous pouvons tout faire, tout entreprendre, tout recommencer sans cesse entre nous et avec les autres. Du désastre et de l’abaissement actuel, nous sortirons aussi. Aimer la France, c’est commencer à comprendre de quel bois est fait l’espérance d’égalité humaine.