03juin 15
Un spectre hante l’Europe sociale-libérale : le spectre des succès de Syriza, Podemos et ceux qui veulent s’en inspirer. Toutes les puissances de cette vieille Europe se sont unies pour traquer tout germe de contagion.
C’est pourquoi en France, le dirigeant PS Henri Weber a publié il y a quelques jours dans Libération une tribune fielleuse contre Jean-Luc Mélenchon. Après tant d’autres, c’est presque monotone. Allons à l’essentiel. Que nous dit Weber en conclusion de ses ergotages ? Que Mélenchon « souhaite sincèrement détruire le PS (…). Mais il est plus doué pour la destruction que pour le construction ».
Qui dira ceci à Weber : quel que soit notre souhait collectif ou individuel, le PS se détruit très bien tout seul, comme un grand, sans l’aide de personne. Comment Weber « chargé des questions européennes » pourrait-il l’ignorer ? Aux dernières élections européennes de juin 2014, les listes PS qu’il soutenait activement ont obtenu les suffrages de seulement 5,6 % des électeurs inscrits ! Près de 95 % d’entre eux n’ont pas voté pour le PS qui concentrait pourtant encore tous les pouvoirs politiques, du département jusqu’au sommet de l’Etat. Un rejet constant depuis 2012 du bilan de MM. Hollande et Valls. Peut-être aussi, sait-on jamais, de celui des 10 années de Weber à Strasbourg siégeant dans un groupe « socialiste » dont la moitié des membres gouvernent leur pays avec la droite comme est d’ailleurs cogéré le Parlement européen lui-même.
D’une telle débâcle, quelle explication ? « Melenchon ! » nous dit Weber. Mais Mélenchon et les siens ont mieux à faire qu’à détruire les ruines du PS. Ils ont permis l’émergence d’une force politique nouvelle depuis 2009. En attestent les 11% des suffrages rassemblés il y a 3 ans, soit 4 millions de voix. Qu’importe à Weber cette masse restée rassemblée comme l’atteste avec régularité les enquêtes d’opinion pour 2017. Qu’importe le renouveau de la doctrine écosocialiste qu’incarne l’homme du 18 mars 2012, retour sur la place de la Bastille de cette gauche des catacombes qui s’étaient perdue de vue et se retrouvait. Tant de hargne interroge. Pourquoi ça, pourquoi Weber ?
Weber est un des symboles d’une génération dont la dégénérescence politique est un des nombreux obstacles qui bloquent la recomposition du courant populaire progressiste en France. Leur bonne insertion dans les mondanités du système médiatique les rend spécialement encombrants. Comment faire un pas sans tomber sur leur pouvoir de nuisance ? Leur titre de gloire, la source de leur autorité : ils sont les grand-pères de la fameuse révolution de 1968, celle où 10 millions de travailleurs en grève sombrent dans l’anonymat derrière un monôme d’étudiants que ces messieurs sont censés incarner. Des héros très fatigués. Né dans l’action révolutionnaire, de la LCR pour Weber, de l’anarchisme pour Cohn-Bendit, du maoïsme pour July et quelques autres ces hommes et quelques femmes ont banalement renié leur jeunesse. Giono disait : « il faut avoir été anarchiste à vingt ans pour avoir encore assez d’altruisme a trente et s’enrôler sapeur-pompier volontaire ». On découvre que cela vaut pour les pompiers du système. Ceux-là font du zèle. On se tromperait en croyant qu’ils défendent tout simplement leur confort matériel comme tant de baby-boomers rangés de voitures. Non. Éternels adolescents ils n’en finissent plus de renâcler contre leur surmoi révolutionnaire. Il prend la figure fantasmée de Jean-Luc Mélenchon. Un prétexte.
Pour que Weber soit en paix avec sa conscience, il faut coûte que coûte que notre entreprise échoue. Rien de grand, rien de neuf ne doit émerger à gauche. Podemos ? Syriza ? Impossible chez nous, nous dit l’expert ! C’est là, le caractère le plus malsain de la démarche de nos anciens. Si c’est lui qui se colle au bashing contre Mélenchon, après avoir déjà pourri Besancenot, c’est que, fatigué, blasé, et revenu de tout, il veut encore monnayer les cendres de la braise éteinte : « Ta Révolution, gamin, cela ne peut pas marcher. J’ai essayé, crois-moi, on peut pas y arriver ! Et puis tes chefs sont mauvais, agressifs, louches, etc. ». Banal remix du « c’était mieux avant » et « il faut bien que jeunesse se passe ». « Un homme à la mer, on passe à l’ordre du jour » disait Léon Trotsky, maitre à penser de Weber il y a 35 ans, à propos des déserteurs du combat. Moins cruellement, je recommande le respect dû aux anciens car la cause qu’ils affichaient était plus grande que leur personne. Mais il faut quand même passer à l’ordre du jour.
La vérité est que notre indicible espoir maintenu dans la possibilité d’un monde meilleur est leur mauvaise conscience et nos succès sont leurs défaites… Nous agissons. Ils tirent à vue. Dans le dos. Mais nous sommes déjà hors de portée des pétoires dérisoires du siècle passé. Mélenchon est notre passerelle avec le monde de la nouvelle gauche à construire.
Alexis Corbière
Secrétaire national du Parti de Gauche