11juil 15
Dans les heures qui passent se joue une partie en Europe dont la signification est avant toute chose géopolitique. Pour être plus clair, disons que la mise en place de la hiérarchie des puissances et des capitalismes en Europe prend la forme d’une compétition entre les deux points de vue que les sociétés française et allemande commandent à leurs gouvernements. Si la politique de l’euro fort et des gros dividendes plutôt que des salaires et des investissements commande en tout et pour tout dans l’Allemagne de la CDU-CSU, il en va tout autrement en France et dans l’Europe du sud. L’Espagne, l’Italie, la Grèce et la France sont écrasées sous une dette d’État qui épuise toute possibilité de reprise et de relance de l’activité domestique et européenne, sur laquelle s’appuie l’essentiel des grands groupes et la totalité des entreprises moyennes et petites de ces pays.
Dans ce tableau, l’arrogance du gouvernement allemand est dorénavant perçue par tout le monde. Il reste à en comprendre la signification pour ne pas en rester aux clichés habituels sur la prétendue rigueur du modèle allemand, cette imposture ! Une partie des bisounours qui flétrissaient ma prétendue germanophobie, dans le style de Cécile Duflot et de quelques autres, doivent peut-être s’apercevoir de l’ampleur de leur manque de discernement et de leur inculture politique et économique. Je prolonge ma parenthèse sur ce point en disant combien je trouve choquant que l’on soupçonne les critiques de l’Allemagne d’alimenter de « mauvaises braises » bla-bla-bla. Cette accusation contient une thèse infâme. Non pas seulement contre moi, comme le croient ceux qui s’en réjouissaient. Mais c’est surtout un contresens historique majeur.
La guerre n’a pas eu lieu à cause de la mauvaise humeur ou de la xénophobie populaire ! Ce ne sont pas les peuples qui ont déclenché les guerres mais les puissants. Et ceux-là non plus ne l’ont pas fait par mauvaise humeur ou xénophobie, mais parce qu’il y allait de la hiérarchie des puissances et des intérêts à l’intérieur même du système dominant ! Que de telles évidences puissent être oubliées au profit de purs enfantillages déclamatoires est un signe supplémentaire de l’effondrement de la pensée dans la gauche. Je dis bien de gauche, car à droite il n’y a aucune naïveté dans l’air. À l’exception d’une mince frange de résistants, comme d’habitude, toute l’élite est trop heureuse de se débarrasser sur l’Allemagne du soin de faire du maintien de l’ordre social !
Cette question géopolitique européenne présente dorénavant des composantes nouvelles du fait que l’euro est devenu une monnaie de d’échange et de réserve mondiale. Dès lors, les bras de fer traditionnels de l’Europe impliquent l’ordre du monde d’une façon plus directe et violente que dans le passé où la contagion se faisait à un autre rythme et par des canaux différents. Quand 25 % des réserves de la Chine sont en euros, quand la Grèce pourrait se préparer à basculer en cas d’échec vers le pôle de puissance que représentent les BRICS, on comprend mieux l’étrange coalition contre le Grexit que l’on observe à cette heure. On peut dire que les raisons de fond s’ajoutent aux causes conjoncturelles. Ainsi pour les Chinois lorgnant avec angoisse sur la fonte éventuelle de leurs réserves au moment d’un crack boursier majeur à Shanghai ! Ainsi pour les Nord-Américains entrant en année électorale et craignant comme la peste le retour d’une déflagration financière du type des surprimes en 2008.
Il faut avoir tout ceci présent à l’esprit pour mener notre barque, évaluer les rapports de force et soupeser les compromis.
Dans le cas de la Grèce, l’inertie française a permis au gouvernement allemand de se croire tout permis au-delà du raisonnable et du supportable. Qu’il ait fallu attendre cette semaine pour que les experts français soient venus à la rescousse du gouvernement grec et que François Hollande s’implique pour freiner la violence de Merkel et Schäuble aura été un dommage considérable. À présent, à cette heure, du point de vue du bras de fer en cours, il faut le comprendre : jusqu’à un certain point, la position du gouvernement français, actuellement, est un renfort pour le gouvernement grec dans la mesure où elle brise le mur du « couple franco-allemand » qui maintient l’ordre des traités budgétaires en Europe. Dès lors, une nouvelle géographie politique européenne est dessinée. Elle préfigure le point que nous voudrions atteindre dans l’avenir. C’est-à-dire retourner l’ordre des alliances en Europe pour donner la priorité aux peuples et nations intéressés au redémarrage de l’investissement et des politiques publiques liées à la demande. Dans cette optique, le bras de fer actuel à propos de la Grèce confirme notre thèse selon laquelle, face à la politique impériale allemande, la « frontière française » est défendue sur « la frontière grecque ». C’est exactement ce que vient de dire Yannis Varoufakis au Guardian : « l’Allemagne veut le Grexit pour faire le maximum de peur aux Français ! »
Il est donc logique que le gouvernement allemand et ses satellites de l’Europe de l’Est soient vent debout contre les propositions de Tsipras adoptées par le Parlement grec. L'accord proposé n'est pas une reprise des propositions de l'Eurogroupe du 26 juin, rejeté par le « non » au référendum, mais une reprise des propositions de Syriza du 22 juin
Les États de l’axe Berlin-Bruxelle vont donc s’arcbouter ce week-end pour faire échec aux points clefs de ce document. Quels sont-ils ?
Premièrement, le rééchelonnement de la dette. Une première en Europe. Il permet à la Grèce de commencer à gouverner dans la durée puisque son horizon ne sera plus borné par la date du prochain remboursement. Deuxièmement, la mise sous condition de la relance économique pour procéder aux remboursements en les rendant proportionnels aux progrès économiques constatés. Troisièmement, le versement de sommes pour opérer la relance hors quotas de « l’aide » assortie de la surveillance de la troïka. Ce seront des crédits souverains, affectés à la relance et non plus des sommes pré-affectées aux seuls remboursements de la dette antérieure. Si tout cela passe dimanche, nous pouvons dire que nous aurons arraché une magnifique victoire. Elle ne règlera pas tout, cela va de soi. Mais elle ouvre une brèche. La Grèce pourra respirer.
Il nous restera à faire notre part de travail avec les élections en Espagne et en France. Tout le monde sait dans nos rangs, surtout chez les syndicalistes, qu’une lutte se mesure en rapports de force. Je rappelle que la Grèce négocie sous État de blocus financier. Je rappelle que la Grèce est l’équivalent en population de la Région Île-de-France mais que son revenu est celui du département de l’Essonne ! La Grèce, c’est 2% du PIB de l’Europe ! C’est avec ces données à l’esprit qu’on peut mesurer l’ampleur de ce qui a été arraché avec ce programme.
S’il est bien normal que bon nombre de nos amis ne soient pas heureux de ces propositions, il est bien normal que nous disions de notre côté pourquoi c’est un devoir de soutenir Tsipras à cette heure sans faiblir. Nous luttons sur deux fronts. D’abord résister, comme à chaque étape, à l’utilisation qui est faite de toute proposition de Tsipras pour la convertir en « capitulation », « trahison » et ainsi de suite, dans le but de démoraliser et dissuader toute confiance dans l’esprit de résistance. Si vous avez un doute sur le fait que c’est là une dimension cruciale de la situation actuelle, demandez-vous pourquoi les médias et les perroquets de droite répètent à longueur de colonnes et de diffusion le message de la trahison et de la capitulation !!! Depuis quand ces gens-là se soucient-ils de demander aux gouvernants de gauche d’être fidèle à leur parole ? En tous cas, contre le pilonnage sur ce thème, notre devoir est de tenir bon et d’expliquer ce qui se passe vraiment. Comme depuis le début ! Le deuxième front, c’est celui de l’Europe. Nous ne sommes pas des commentateurs mais des acteurs de la situation. La France est intéressée directement et concrètement à l’échec du Grexit voulu par le gouvernement allemand et ses satellites de l’est de l’Europe. Notre gauche est directement intéressée au succès de Tsipras ! Notre gauche est directement intéressée à un échec de Merkel et Schaüble, comme notre pays.
Je partage l’avis de mon camarde Guillaume Etievant lorsqu’il écrit : « J'irais même plus loin en affirmant que les choses vont dans le bon sens si on reprend l'historique des négociations depuis le début : on est maintenant proche d'un accord sur trois ans avec rééchelonnement de la dette, sans aucune attaque contre le droit du travail (bien au contraire, il sera amélioré sur la base des recommandation de l'OIT), aucune attaque contre les salaires ni les pensions de retraites, ni la protection sociale. Et toute la progression de l'excédent budgétaire vient de nouvelles recettes fiscales et non pas d'une baisse des dépenses ! Rappelons-nous d’où on est partis ! Au départ, les créanciers voulaient tout décider et imposer toutes leurs réformes structurelles. Certes, on est loin du programme de Syriza, mais vu la situation d'étranglements financiers, et la faiblesse d'un petit pays comme la Grèce dans les négociations, et du fait que, contrairement à ce qu'on pensait, l'Allemagne souhaite la sortie de la Grèce de l'euro, le rapport de force mené par Tsipras est considérable. »
Certains de nos amis confondent ce que nous proposons pour la France dans le programme du Parti de Gauche avec le plan A (désobéissance et construction d'un rapport de force européen pour en finir avec les traités) et le plan B (sortir de l'euro et de l'Union européenne) et ce qu'il faudrait faire en Grèce ! C’est absurde ! Les deux situations sont très éloignées, les deux rapports de force tout autant : sans la France, il n'y a plus de zone euro et plus d'Union européenne ! Il va de soi que nous pourrons donc mener une autre stratégie que celle de Tsipras. On n’imagine pas l’Allemagne organisant le blocus financier de la France, tout de même ! Mais dans ce cas aussi, nous saurions quoi faire.
Terrible capitulation de Tsipras, à l'heure qu'il est. Pour sa défense, un proche aurait dit "toi aussi, avec un pistolet sur la tempe, tu aurais signé". C'est vrai, Tsipras avait un pistolet sur la tempe. Mais cela ne peut pas nous faire dire que ce qu'il a signé est autre chose qu'une terrible capitulation. Il a un pistolet sur la temps et il a laissé ses armes au vestiaire, grave erreur. Ne pas désirer le Grexit est raisonnable, exclure le choix du Grexit ne l'est pas. Même aujourd'hui, un Grexit serait souhaitable ! Et il est, me semble-t-il presque inévitable.
Bonjour,
Comment peut-on dire "J'irais même plus loin en affirmant que les choses vont dans le bon sens si on reprend l'historique des négociations depuis le début : on est maintenant proche d'un accord sur trois ans avec rééchelonnement de la dette, sans aucune attaque contre le droit du travail (bien au contraire, il sera amélioré sur la base des recommandation de l'OIT), aucune attaque contre les salaires ni les pensions de retraites, ni la protection sociale depuis 6 mois" alors que Tsipras, depuis 6 mois, va de renoncement en renoncement, de franchissement de ligne rouge en franchissement de ligne rouge jusqu'à l'accord d'aujourd'hui qui est une capitulation complète. Malgré toute la sympathie que nous avons pour Siriza, sachons quand même garder un esprit critique.