19mai 15

Interview parue dans La Provence du 17 mai 2015

« Le modèle allemand asphyxie toute l’Europe »

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D'où vient ce titre, "Le hareng de Bismarck" ?

D'une invitation adressée à François Hollande sur les bords de la Baltique. À cette occasion, Madame Merkel lui a fait offrir un tonnelet de "harengs Bismarck". Bismarck, c'est l'homme qui a réalisé l'unité allemande en nous faisant la guerre et en faisant couronner le roi de Prusse comme premier empereur des Allemands à Versailles en janvier 1871.
La remise du "cadeau" était accompagnée d'un chant choral nostalgique sur la Poméranie, une région que se disputaient l'Allemagne et la Pologne. Lors de la réunification François Mitterrand a obligé les Allemands à reconnaître la ligne Oder-Neisse qui la coupe en deux. Ces rappels agressifs étaient délibérés. Rien n'est fait au hasard dans une visite officielle.

Vous croyez que les Allemands ont voulu narguer François Hollande de manière délibérée ?

Évidemment. On peut ajouter que le bateau sur lequel le président de la République avait été invité, s'appelait le Nordwind, le nom de la dernière offensive de l'armée allemande contre la France en 1945. Telle est la nouvelle génération de dirigeants allemands de droite : décomplexée et arrogante. Elle n'hésite pas à assumer les rapports de force les plus humiliants comme elle le fait avec la Grèce. Elle impose à toute l'Europe l'ordolibéralisme, une doctrine pour qui l'économie n'a pas à subir l'intrusion de la politique. En fait cela revient à protéger les intérêts dominants de son économie. Ce pays vieillissant a besoin de gros dividendes et d'un euro fort pour payer ses retraites du régime par capitalisation. Le modèle allemand asphyxie toute l'Europe.

Les Allemands ont investi les institutions européennes. Peut-on le leur reprocher ? N'est-ce pas la faute des autres qui ne sont pas assez présents ?

Vous avez raison. Face aux Allemands, Messieurs Sarkozy et Hollande ont été faibles et pusillanimes. Et ça continue : on vient d'apprendre que Berlin nous a espionnés, en concertation avec Américains et personne ne proteste en France ! C'est choquant alors que la presse allemande dénonce cette forfaiture. Mais en France : rien. Les dirigeants français sont totalement inhibés dès qu'il s'agit de l'Allemagne. Mon livre est autant une charge sur la façon dont est gouvernée l'Allemagne, dont les premières victimes sont les Allemands eux-mêmes avec 13 millions de pauvres, que contre ceux qui laissent faire et n'ont jamais osé élever la voix. Les Allemands assument le rapport de force. Les Français bisounours se défilent.

Vous décrivez l'Allemagne comme un enfer social, une maison de retraite gigantesque avec des vieux et pas beaucoup de jeunes, un pays qui pollue et qui va dans le mur. Vous n'exagérez pas ?

C'est un pamphlet. La presse allemande, elle-même, n'hésite pas à parler d'une "nation qui se meurt ", bientôt moins peuplée que la France. Ce pays, qui est le plus riche d'Europe, ne souhaite pas faire partager son bonheur aux enfants ! Les Allemands n'en font pas, ou peu. Ce pays ne vit que pour le présent des retraités riches, pas pour l'avenir. Leur système va à l'échec. Il repose sur la capacité à exporter des machines outils et des grosses voitures fabriquées avec la main-d'oeuvre bon marché de l'Est et des anciens pays de l'empire soviétique. Les Chinois et les Indiens ne vont pas tarder à les concurrencer. Je montre que le « modèle allemand » est une imposture.

Les Allemands ne font-ils pas preuve de bon sens quand ils affirment qu'on ne peut pas dépenser plus que ce que l'on a ?

C'est le contraire du bon sens pour un État. Surtout pour l'Allemagne. Ses équipements publics – rails, routes, ponts, écluses, ports – sont en ruine. Mais, Monsieur Schaüble ne se préoccupe pas des investissements nécessaires. Le futur ne l'intéresse pas. Il préfère ne pas emprunter alors que les prêts sont à un taux inférieur à zéro. C'est absurde !

Face à l'Allemagne, la France n'a-t-elle pas perdu sa crédibilité en ne respectant jamais l'équilibre budgétaire qu'elle s'engage à atteindre ?

Mais nous n'avons pas à accepter ces objectifs que l'Allemagne nous impose. En contractant la dépense publique dans un pays en expansion démographique, nous fabriquons de la récession. Ce qui entraîne des recettes fiscales en baisse et des comptes déséquilibrés. Je peux vous l'affirmer : pas plus que la dette espagnole ou grecque, la dette française ne sera remboursée. Elle gèle notre croissance et au rythme actuel, il faudrait plus d'un siècle pour en venir à bout. Il existe des techniques pour lisser cette dette. Par trois fois – après les deux guerres mondiales et au moment de la réunification – les Allemands ont effacé leurs dettes. Ils doivent admettre que les autres en fassent autant.

Comment pouvez-vous affirmer avec autant de certitude que le système français va être gagnant ?

Avec la jeunesse, la force de la vie est de notre côté. Nous sommes une puissance scientifique, nous sommes créatifs, nos performances techniques sont d'avant-garde, notre marché intérieur peut être très dynamique. Nous avons des atouts que nous n'exploitons pas, comme la mer, alors que nous possédons le deuxième territoire maritime au monde. Quelle colère de voir alors abandonner nos atouts ! Voyez Nexcis, dans votre région. Alors que le président de la République en fait des kilos sur la crise climatique, EDF menace de brader cette filiale qui développe une technologie photovoltaïque permettant de produire une énergie respectueuse des impératifs écologiques. Tout ça pour des calculs de valorisation financière. Ce massacre à la tronçonneuse est particulièrement scandaleux. Comment voulez-vous que les salariés confrontés à ces situations ne soient pas convaincus que les dirigeants politiques mentent?

Vous opposez la France universelle à l'Allemagne uniquement préoccupée du peuple allemand, la devise "Dem deutschen Volke" (Au peuple allemand), figure au fronton du Bundestag. Mais sommes-nous si fidèles à nos principes ?

Pas toujours, c'est vrai. Mais on peut constamment exiger de nous que nous les mettions en oeuvre. Le Deutschen Volk, c'est le peuple au sens ethnique, celui du droit du sang. Le peuple français est universaliste. Il n'est pas ethnique. Ce qui nous unit, c'est notre devise "liberté égalité fraternité". C'est dire combien se montre anti-français Monsieur Ménard quand il compte les enfants à partir de leur religion pour leur attribuer des origines ethniques.

Dans ces conditions, peut-on continuer à faire l'Europe avec les Allemands ?

Bien sûr. Mais notre responsabilité est de leur montrer qu'à force de tirer sur la corde, ils menacent le maintien de la paix, premier objectif fixé à l'Union européenne. Ils doivent prendre conscience de la germanophobie qui se développe en Europe, avec la résurgence de courants nationalistes. Évidemment, ni Sarkozy ni Hollande ne peuvent alerter la chancelière. Ils sont trop craintifs. J'en suis persuadé : les Allemands sont des gens raisonnables. Ils craignent la pagaille qu'ils créent. Si on leur montre les dents, ils s'arrêteront. Je crois que j'aurais fait beaucoup mieux que François Hollande face à Madame Merkel…

Propos recueillis par Olivier Mazerolle



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