19juin 05
INTRODUCTION
Richard ARZT : Bonjour Jean-Luc MELENCHON.
Jean-Luc MELENCHON : Bonjour.
Richard ARZT : Votre parcours politique n’évoque pas l’image traditionnellement feutrée que l’on a des sénateurs. Quand il s’agit de défendre vos idées, vous n’hésitez pas à être, disons, turbulent. Au Parti socialiste, vous appartenez à la minorité de gauche. Après le vote favorable à la Constitution européenne à l’intérieur du parti. Eh bien vous, vous avez continué votre parcours pour le non à ce référendum qui se présentait donc le 29 mai.
Vous avez participé à des meetings où se trouvaient des leaders de gauche et d’extrême gauche, c’était une façon de braver la direction du parti socialiste mais vous n’avez pas été sanctionné.
En tout cas, maintenant vous êtes un des éminents représentants du camp des vainqueurs et avec vous on va évidemment aborder les questions liées à l’Europe. Le conseil de Bruxelles dans la nuit de vendredi à samedi n’a pas réussi à se mettre d’accord sur un projet de budget pour les années futures, le budget européen. Tony BLAIR refuse d’aller plus loin dans l’intégration européenne. Et puis, autre sujet d’actualité avec vous évidemment, les secousses à l’intérieur du Parti socialiste et les travaux de regroupement à la gauche de la gauche.
Anita HAUSSER de L.C.I. et Gérard COURTOIS du Monde sont à mes côtés pour vous poser des questions.
LA CRISE EUROPEENNE
RICHARD ARTZ : Alors, première question, cet échec au Conseil européen de Bruxelles sur les perspectives financières de l’Europe, pour vous c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
Jean-LucMELENCHON: Ça ne sera jamais une bonne nouvelle que les choses aillent mal en Europe. Mais là c’était assez prévisible et cela sera peut-être salutaire. Il y a déjà eu des crises dans le passé ! Il y en a même eu souvent ! Et chaque fois que la volonté d’en sortir par le haut l’a emporté, eh bien on en est sorti par le haut.
La différence cette fois-ci, c’est que le petit ronron habituel des eurocrates est rompu. Ils savent qu’ils sont en face d’une espèce d’insurrection démocratique dans les peuples. Les référendums et les sondages d’opinion montrent que partout en Europe le modèle de construction libérale de l’Europe ne recueille plus l’assentiment des peuples.
Donc une alternative se présente aux dirigeants européens. Ou bien ils comprennent le message et ils l’accompagnent, ils le prennent en compte et ils le traduisent en termes européens. Ou bien ils continuent à mouliner les mêmes refrains et les mêmes certitudes aveuglées en face des peuples.
Anita HAUSSER : Là vous parlez des questions institutionnelles quand vous parlez d’insurrection démocratique. En l’occurrence la question portait sur le budget et l’échec pour les chefs d’états et de gouvernements de mettre sur pied un budget européen pour la période 2007 ? 2013.
Jean-Luc MELENCHON : Oui, mais la question du budget concentre en définitive le contenu libéral de la construction européenne. Pourquoi ? En raison de la limite qui est donnée à ce budget. C’est-à-dire le fait que l’on ne ponctionnera jamais plus de 1,27 % du total de la richesse produite. C’est bien de cela dont on parle, de cette petite somme là ! Eh bien le fait qu’on s’interdise?.
Anita HAUSSER : Qui n’est pas négligeable néanmoins ?
Jean-Luc MELENCHON : ? d’aller au delà et que donc on veuille travailler à enveloppe constante, c’est un préjugé libéral ! On estime que l’État n’a rien à faire dans l’économie ! C’est la racine de la crise du modèle de construction européenne !
Donc on voit qu’on retrouve à chaque fois une vision du modèle de construction qui débouche sur des absurdités.
Anita HAUSSER : Mais là, en l’occurrence la France, était prête à faire un effort, le Premier ministre l’avait dit mercredi.
Jean-Luc MELENCHON : Tout ça a été géré en dépit du bon sens.
Richard ARZT : Commençons peut-être par effectivement ce que vous pensez de la façon dont ça a été géré et notamment par le Président CHIRAC ?
Jean-Luc MELENCHON : Nous sommes donc représentés par quelqu’un qui vient de subir un non massif dans son pays. Il arrive au sommet européen et il n’en tient aucun compte. Alors il est deux fois affaibli. D’abord parce que tous les autres se disent : mais quel est cet homme qui s’était engagé auprès de nous, qui avait donné sa signature, qui a organisé un référendum, qui reçu un non comme réponse !
Richard ARZT : Il n’est pas le seul en l’occurrence, les Hollandais aussi.
Jean-Luc MELENCHON : Certainement ! Mais en tout cas, lui, à titre personnel est affaibli ! Tenons compte du fait qu’une réaction possible de sa part eut été de quitter le pouvoir ! Il aurait pu aussi penser que la France avait le droit d’être représentée dans des discussions de cette importance par quelqu’un d’autre que quelqu’un qui a appelé à voter oui.
Et il l’est une deuxième fois parce que sa vision politique le conduit à ne pas retirer la signature de la France sur cette Constitution. Cela aurait immédiatement bloqué tout le processus. Il ne l’a pas fait ! Il n’a donc pas respecté le mandat des Français.
La dessus Monsieur CHIRAC apparaît dans la querelle avec Monsieur BLAIR quasiment comme un parangon du socialisme ! C’est naturellement une imposture ! Il est lui-même un homme d’Etat marqué par le penchant, le goût, l’option préférentielle pour le libéralisme. Ils sont donc, en gros, tous les chefs de gouvernements, tous favorables au libéralisme. Il est donc normal que Monsieur BLAIR les domine tous?.
Richard ARZT : Ce n’est pas exactement l’impression que ça donnait !
Jean-Luc MELENCHON : Ce n’est pas l’impression que ça donnait mais c’est la réalité. Jamais Monsieur CHIRAC n’a dit : commençons par rompre le cercle dans lequel nous avons enfermé l’action européenne. C’est-à-dire augmentons la part qui est prélevée sur la richesse produite par l’Europe pour faire une politique européenne. Jamais il ne l’a proposé ! Jamais il n’a dit : il faut que nous changions les statuts de la Banque centrale européenne. Vous voyez, je ne parle même pas de son indépendance, je parle seulement de modifier ses statuts ! Peut-être pourrait-on mettre dans ses objectifs statutaires quelque chose qui soit comparable aux statuts de la banque centrale américaine concernant la croissance et l’emploi ? Eh bien il ne l’a pas fait !
Anita HAUSSER : C’est un traité.
Jean-Luc MELENCHON : Oui, oui mais nous sommes en crise en Europe ! Tout le monde sait que nous sommes en crise ! Il faut donc proposer des sorties de crise. A la place d’une sortie on a proposé un chipotage dans lequel les arguments des uns comme ceux des autres sont de mauvaise foi. On va peut-être maintenant entrer dans ce que chacun à dit.
Gérard COURTOIS : C’est un chipotage que de défendre la politique agricole commune contre les remises en question faites par Tony BLAIR ?
Jean-Luc MELENCHON : Non, je ne dirais pas ça ! Mais alors il faut prendre cette discussion en bloc. Que dit Tony BLAIR ? Pourquoi a-t-il tort ? Commençons par là peut-être. Il a utilisé un argument que je considère comme une plaisanterie. Dire que c’est insupportable que 40 % du budget européen soit utilisé pour 2 % de la population. C’est ça l’argument qu’il a utilisé. Je prends ça pour de l’humour anglais. Mais si ça fait 40 % c’est parce que le budget n’est pas plus important ! C’est déjà la première raison de refuser l’argument de Blair.
Deuxième raison : la politique agricole est la seule politique intégrée ce qui n’est pas le cas de la recherche et des autres secteurs que monsieur Blair fait semblant de vouloir préférer !
Et enfin : si 40 % c’est le prix qu’il faut payer pour pouvoir avoir la souveraineté alimentaire sur le vieux continent, eh bien ma foi c’est le prix et il faut le payer !
Richard ARZT : Tout ça, c’est ce que Jacques CHIRAC a dit, ce que vous venez de dire pour défendre la P.A.C.
Jean-Luc MELENCHON : Eh bien tant mieux ! S’il lui avait manqué des arguments je lui propose celui-ci, la dernière fois que les Anglais ont faits des économies en matière d’agriculture, qu’ils ont décidé que l’Etat n’avait pas à s’en mêler, ça a donné la maladie de la vache folle. Je le rappelle à tout le monde. Donc les Anglais sont les derniers à pouvoir avoir un avis écoutable sur ce sujet.
Alors après on peut et on doit critiquer le modèle de développement agricole du Vieux Continent. Ca oui, c’est un vrai débat. On peut commencer à dire : est-ce que c’est bien ça qu’on veut ? Est-ce ce type d’agriculture productiviste ?
Mais ce que je veux souligner c’est que ni l’un ni l’autre, ni Monsieur BLAIR, ni Monsieur CHIRAC, dans cette discussion, n’ont dit : rompons le cercle de fer, le cercle de fer c’est une politique budgétaire conçu par des libéraux a enveloppe constante !
Gérard COURTOIS : Mais la P.A.C. n’est pas une politique budgétaire libérale ?
Jean-Luc MELENCHON : Non, bien sûr. Mais attendez Monsieur COURTOIS ! Le sujet dont il est question n’est pas la politique agricole ! Les Anglais ne veulent pas qu’on diminue leur rabais ! Et c’est pour cela qu’ils nous disent : vous n’avez qu’à prendre moins d’argent pour votre politique agricole. Tout ça veut dire que nous travaillons à enveloppe constante. C’est cela le c?ur du sujet !
Bien sûr on peut comprendre que les Anglais, du point de vue de leur intérêt national, protestent puisqu’ils ne récupèrent pas beaucoup d’argent en subvention agricole. Plus exactement quelques Anglais en récupèrent beaucoup, exactement comme sur le continent. Il se trouve que, hasard, en Angleterre, la personne qui touche le plus des subventions agricoles, c’est la Reine, son fils et quelques lords. Bref, on peut comprendre que les Anglais trouvent que tout ça leur coûte beaucoup trop cher. Pourtant nous avons quand même besoin d’une politique agricole active ! Donc le principe de reversions est juste en soi, voilà ce qu’il faut dire.
Alors après, que fait-on de ces subventions ? Les paysans n’aiment pas qu’on parle de subventions. On va donc mettre des guillemets pour leur être agréable. Qu’est-ce qu’on en fait ? Comment on oriente la politique agricole ? Ca c’est une bonne discussion. Et moi, pensant à l’avenir, je me dis : je n’ai pas envie qu’on vide la caisse ! Je veux qu’il reste des fonds disponibles. Le jour où nous dirons : nous allons changer de modèle de développement agricole, je veux qu’on puisse avoir l’argent pour payer ce changement nécessaire !
Richard ARZT : Si un jour une concession est à faire, il est probable qu’on nous demandera, que les Anglais demanderont à la France de rapatrier, de reprendre pour elle certaines aides aux agriculteurs, certaines aides directes ?
Jean-Luc MELENCHON : On verra sur quoi cela porterait! C’est affreusement technique. Mais pour le principe moi je répondrais : non. Parce que nous avons besoin d’une intervention collective sur l’agriculture. C’est une question centrale, la souveraineté alimentaire ! Ce n’est pas une petite question. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut envoyer balader comme ça ! Vous comprenez, on a besoin d’avoir du lait, du beurre, de la viande, du blé, de la farine. Peut-être que Monsieur BLAIR oublie que toutes ces choses-là sont produites par des agriculteurs.
Richard ARZT : Non, Monsieur BLAIR dit qu’il vaudrait mieux mettre de l’argent vers la recherche, l’innovation, l’éducation.
Jean-Luc MELENCHON : C’est une plaisanterie ? Monsieur BLAIR n’a pas pensé un seul instant que l’Etat ait à intervenir de manière forte en matière de recherche ou d’éducation. Ce n’est pas ça le programme des libéraux ! Sinon peut-être qu’il commencerait par l’appliquer dans son propre pays?. Je termine d’ailleurs en disant que pour qu’on arrive à ce résultat, il faudrait que la politique de la recherche ou la politique de l’éducation soit des politiques intégrées. Ca se discute. Ca se discute de savoir comment, dans quelles conditions et qui va contrôler tout ça. En particulier, est-ce que le Parlement européen aura son mot à dire ou bien est-ce que ça sera un cénacle d’illuminés libéraux à la tête de leur gouvernement qui viendront nous dire comment nous les Français devons agir ?
Gérard COURTOIS : Si j’ai bien entendu votre plaidoyer pour la politique de soutien, on ne va pas dire de subvention mais de soutien à l’agriculture européenne, ça veut dire que Jacques CHIRAC a tenu le plus grand compte des résultats du référendum ?
Jean-Luc MELENCHON : Si vous voulez me faire dire des compliments à Jacques CHIRAC, je ne crois pas que ce soit la soirée pour ça.
Gérard COURTOIS : Attendez, je vous écoute.
Jean-Luc MELENCHON : Le rôle de Jacques CHIRAC dans cette affaire ? Moi je ne veux pas être excessif surtout quand notre pays est engagé dans un bras de fer.
Bien, mais son rôle est intégralement pitoyable. Voilà quelqu’un qui aurait du arriver en disant : mes amis, la France retire sa signature du traité constitutionnel. Voilà c’est terminé, cette affaire s’arrête.
Il ne le dit pas. Je vous rappelle que Josep BORRELL, président du Parlement européen l’a pointé : il aurait suffi qu’un seul chef d’Etat le dise et toute la machine s’arrêtait.
Anita HAUSSER : Vous jouez sur les mots vous aussi.
Jean-Luc MELENCHON : Je ne joue pas sur les mots. Vous voyez ce que c’est un chef d’Etat qui se bat ? C’est Monsieur BLAIR. Il a une conviction, et mordicus il la défend. Alors bien sûr, c’est une conviction égoïste?
Anita HAUSSER : Si d’autres ne s’étaient pas battus, il aurait gagné. En l’occurrence, il n’a pas complètement gagné.
Jean-Luc MELENCHON : Il n’a pas complètement gagné mais toute la machine est bloquée. Ce qui est déjà une manière de gagner.
Et deuxième point, Jacques CHIRAC à aucun moment n’a proposé de rompre le cercle de fer financier dans lequel est enfermé la construction européenne. Par conséquent, c’est une vaine agitation que la sienne. Il ne peut pas gagner sur le terrain sur lequel il s’est placé. Puisque ça s’est terminé dans la nuit, vous y étiez Monsieur ARZT donc vous l’avez vu, ça s’est terminé dans la nuit d’après ce que nous on a pu voir dans les médias, par une scène où les pays les moins munis de l’Europe disaient : nous acceptons d’aller gratter encore un peu au fond de nos poches et l’anglais impérial disant : je ne veux rien savoir, vous me donnerez ce que vous me devez, point final, le tribut que vous me payez depuis tant d’ années vous le paierez encore !
Autre chose : le Président Jacques CHIRAC aurait pu dire : « dans quel monde vivons nous ? Nous sommes en train d’arrêter un budget pour cinq ans ! »
Anita HAUSSER : Mais c’est je crois ce qu’il a dit, non.
Jean-Luc MELENCHON : Pas sur le point que j’évoque. Dans un monde où il faut être réactif, tous ces gens vous donnent des leçons de réactivité, il n’y a qu’en Europe qu’on vote un budget pour cinq ans ! Bonjour la réactivité. Et de quel budget de cinq ans parlons nous ? Celui qui commencerait à s’appliquer en 2007 jusqu’en 2013. Les Français n’ont pas du comprendre ça ! Peut-être qu’en m’écoutant ils apprennent cette réalité. Voilà comment fonctionne l’Europe réactive, dynamique de Monsieur BLAIR et des autres : on fixe deux ans avant un budget pour cinq ans !
Anita HAUSSER : Vous comprenez Monsieur JUNCKER quand il dit qu’il a eu honte ?
Jean-Luc MELENCHON : Ah oui, je comprends JUNCKER ! Mais il faut dire que lui-même a eu un rôle déplorable. Il n’a rien fait pour arranger les choses après le vote des Français. Il a été le premier à dire : on continue ! Et il a dit une chose qui est absolument incroyable, on se pince pour y croire, il a dit : « je veux continuer à croire passionnément que ni les Français ni les Néerlandais n’ont dit non au texte constitutionnel ». Voilà je vous cite parce que je trouve que c’est inouï.
Richard ARZT : Je ne crois pas que ce soit de JUNCKER ça.
Jean-Luc MELENCHON : Ah, mais ça c’est dans le journal ! Alors peut-être que les journaux mentent ? Moi j’ai une meilleure opinion des médias et donc je ne me permettrais pas de faire cette critique.
Voilà, il l’a dit. Et je trouve cela extraordinaire parce que ce sont des gens qui sont tellement pétris de certitude, tellement sûrs d’avoir raison contre tout le monde qu’ils n’arrivent pas à croire à la réalité elle-même.
Richard ARZT : Il y avait quand même d’autres raisons dans le non au référendum en France que le texte lui-même, je pense ?
Jean-Luc MELENCHON : Oui certainement et c’était d’ailleurs des bonnes raisons qui étaient assez étroitement unies au texte. On en parlera si vous voulez.
Gérard COURTOIS : En contribuant à faire gagner le non le 29 mai, est-ce que au fond vous n’avez pas, puisque vous le décrivez vous-même, ouvert la voie à la montée en puissance de la conception la plus libérale de l’Europe ?
Jean-Luc MELENCHON : Non, c’est l’inverse. Vous avez remarqué ? Dans tous les débats qui ont eu lieu pendant ce week-end, de quoi a-t-on parlé ? On a dit, « les gens veulent du social », et « nous devons tenir compte des inquiétudes qui s’expriment ». Et si ces gens s’affolent comme ils s’affolent, c’est bien parce qu’ils savent que le gong a sonné qui annonce la fin de la partie. Ils savent que le modèle de construction libérale vient de prendre un coup terrible.
Gérard COURTOIS : Ce n’est pas ce que Tony BLAIR a compris, manifestement.
Richard ARZT : Il a une interprétation du non très différente.
Jean-Luc MELENCHON : Mais on peut aussi être optimiste ! On peut avoir confiance dans ses idées ! On n’est pas obligé d’être prostré quand Monsieur BLAIR fait siffler le fouet libéral. Tout le monde n’est pas obligé d’aller se coucher.
Gérard COURTOIS : Ce n’est pas ça, c’est qu’il va prendre la présidence de l’Europe avec un programme particulièrement musclé.
Jean-Luc MELENCHON : Ça c’est clair ! Ca ne va pas être une affaire simple. Mais nous devons partir de l’idée que les autres peuples en Europe sont nos partenaires et non pas nos ennemis. Moi, ce que je n’ai pas aimé dans les arguments qui ont été développés pendant le débat constitutionnel, c’est qu’on nous disait : « prenez ça, cette Constitution, parce que sinon vous aurez encore plus libéral ! Prenez ça parce que sinon vous n’aurez même pas de constitution ! » Comme si tous les autres peuples d’Europe étaient prêts à nous sauter à la gorge. Mais pas du tout ! Les autres peuples d’Europe sont nos partenaires. Ils se demandent tous pourquoi nous avons voté non ! Ils essayent de comprendre. Et ils ont deux sons de voix. Le premier qui est celui de toutes les élites des vaincus dans les deux pays, la Hollande et la France, qui répètent sur tous les tons leurs arguments de la campagne référendaire : ceux qui ont voté non ont eu peur, ils sont xénophobes, ils sont racistes, ils sont nationalistes, ils ne savent pas ce qu’ils veulent, et ainsi de suite, sans fin.
Et puis d’un autre côté ils ont l’analyse à la sortie des bureaux de vote, qui est extraordinaire aussi bien en France qu’en Hollande. On découvre qu’une majorité de gens de gauche a voté non. Alors que doivent-ils croire ? Pour qu’ils entendent une autre voix, il faudrait que nous ayons d’autres représentants.
Je suis désolé d’y revenir mais tout de même c’est une situation folle que dans un moment de crise pareil, ceux qui nous représentent sont ceux qui pensent le contraire de ce que pensent la majorité des Français.
N’avez-vous pas le sentiment que c’est étrange ? Comment pourrions nous avoir le dernier mot en face de Monsieur Tony BLAIR si la personne qui s’oppose à lui est quelqu’un qui pense comme lui et qui vient de se faire battre?
Gérard COURTOIS : Vous dites vous-même que l’un des arguments des partisans du oui c’était prenez ça sinon vous aurez une Europe encore plus libérale. Alors la présidence de l’Europe va passer du côté de la Grande-Bretagne et de Tony BLAIR dans deux semaines, son programme est extrêmement clair, libéralisation, remise sur le tapis de la libéralisation des services, fin de la libéralisation de l’énergie, réforme du marché du travail, directives sur le temps de travail. Tout ça vous paraît aller dans le bon sens ?
Jean-Luc MELENCHON : Naturellement non ! Mais je vous remercie d’avoir fait un bon résumé de la politique de Monsieur BLAIR car ça permet de comprendre ce qu’est le libéralisme.
Gérard COURTOIS : Attendez je reprends l’argument de départ, c’est qu’on va avoir une Europe très libérale si ?
Jean-Luc MELENCHON : Ne vous inquiétez pas, je vous réponds. On nous disait si vous ne votez pas cette constitution vous aurez une Europe plus libérale. Eh bien nous n’avons pas une Europe plus libérale, nous avons l’Europe libérale habituelle avec un chef, Monsieur Tony BLAIR.
Supposez que nous ayons adopté la constitution. Supposez le. Alors quand les Français seraient venus dire : « mais dites donc nous ne voulons pas de toute votre histoire monsieur Blair ! » Alors il nous aurait répondu : « mais voyons Monsieur, Monsieur CHIRAC ou Monsieur je ne sais pas qui, ou même moi Monsieur MELENCHON, regardez, vous venez de voter l’article III-148 : « les Etats s’efforcent de libéraliser davantage que ce que prévoit la loi européenne ». C’était dans la Constitution ! Donc monsieur Blair ne peut pas prendre appui sur le texte de la Constitution alors que le texte de la Constitution aggravait le caractère libéral des traités précédents. Ce n’est pas pour rien que je vous ai cité cet article. Parce que le même article, dans le passé disait que les Etats étaient « disposés à libéraliser ». Là, dans la Constitution ils « s’efforçaient » de libéraliser davantage.
Donc voyez, Monsieur COURTOIS, si l’on doit jouer au plus fin, ce dont je ne vous accuse pas, mais ceux qui parmi mes propres camarades voudraient jouer au plus fins, doivent savoir que grâce au fait que nous avons voté non à la Constitution, nous sommes fondés dorénavant à refuser les dispositions contenues dans la Constitution, comme celle que je viens de vous lire.
Et deuxièmement, puisqu’on nous a répété sur tous les tons que dans la partie trois on avait intégré tous les traités précédents, le non des Français à une autre valeur. Il donne le pouvoir à ceux qui les représentent de dire, « Mesdames, Messieurs, même sur les traités du passé nous avons le droit d’avoir un regard critique puisque nous venons de voter non ».
Richard ARZT : Où en est-on à votre avis maintenant de la renégociation dont vous aviez parlé pendant la campagne. Parce que, alors là, je peux vous dire que, à Bruxelles, ce n’est pas vraiment à l’ordre du jour.
Jean-Luc MELENCHON : Mais je vois que vous êtes très aimable ! Parce que mes camarades disent ça sur un ton beaucoup plus agressif. Par exemple mon camarade François HOLLANDE dit : « ceux qui avaient imaginé un plan B doivent constater le niveau zéro de leur argumentation ».
Certes, je fais la part des choses, François HOLLANDE vit dans l’obsession de Laurent FABIUS et il n’y a plus que ça qui l’intéresse.
Richard ARZT : Je ne doute pas que ça vous ait été demandé de façon agressive mais moi je vous demandais, la renégociation est-elle possible ?
Jean-Luc MELENCHON : Je veux prendre les devants pour dire aussi ce que je pense de ceux qui utilisent cet argument. Vous m’interrogez mais pour d’autres la question est un argument pour dire : « vous voyez quelle bêtise vous avez fait d’écouter ces gens là, il n’y a pas de plan B ». Mais si ! Il y a un plan B et il vient de commencer.
Richard ARZT : C’est le plan BLAIR ?
Jean-Luc MELENCHON : Mais attendez, le plan B il vient de commencer. La preuve ? Pendant deux jours certains grands dirigeants ont pétaradé qu’on allait continuer à ratifier cette Constitution comme si de rien n’était. Entre temps, tout le monde a réfléchi et s’est aperçu que c’était une belle bêtise de continuer ! Si bien qu’on a dit : on reporte le délai de ratification à 2007. Dans un instant nous examinerons la conséquence énorme de cette décision. Mais bon. Donc on a reporté.
Le plan B est commencé. Car sinon pourquoi est-ce qu’on reporterait ? Monsieur BARROSO a dit : il faut se donner un temps pour réfléchir. Je suppose que c’est pour proposer quelque chose d’autre, ce n’est pas simplement pour le plaisir intellectuel de la réflexion. Donc je vous le dis le plan B est commencé.
Anita HAUSSER : Il n’existe pas encore ?
Jean-Luc MELENCHON : Mais bien sûr que non. Comment aurait il pu exister ?
Anita HAUSSER : Il y a des gens qui disaient qu’il était dans les tiroirs.
Jean-Luc MELENCHON : Non, mais c’est que vous avez mal compris ceux qui ont argumenté sur le plan B. Moi j’en ai fait partie. Moi j’ai dit il y a un plan B, il y a un plan C, il y a un plan D, il y a un plan jusqu’à Z. Pourquoi ? Parce que l’Europe n’est pas faite par des gens qui se haïssent mais par des gens qui ont envie de vivre ensemble. Donc si une tentative rate on en cherche une autre.
Richard ARZT : Mais alors comment vous vous situez par rapport à ces tentatives, justement. Vous attendez de voir comment ça se précise ou vous êtes plus offensif ?
Jean-Luc MELENCHON : Alors tout dépend la position de chacun. Que vous voulez vous, il y a une grande différence entre moi et quelques autres. Moi je suis dans l’opposition. D’autres sont au pouvoir. C’est la droite qui dirige ce pays, ce n’est pas la gauche ! Et dans l’hypothèse où se serait la gauche il resterait encore à ce que ce soit moi.
Mais s’il fallait faire des propositions il y en a de fort simples à faire. Qu’on reprenne le chantier en tenant compte du vote des peuples. Pour la part institutionnelle, on pourrait poser une règle de base, pas de politique économique dans une Constitution, ça n’a rien à faire.
Richard ARZT : Pas de titre III ?
Jean-Luc MELENCHON : Pas de partie III, mais pas seulement parce que moi j’ai regardé dans le livre I aussi il y en a de la concurrence libre et non faussée et d’autres sornettes métaphysiques libérales habituelles.
Richard ARZT : Donc ça il ne faut pas que ça apparaisse ?
Jean-Luc MELENCHON : Il ne faut pas faire une Constitution avec une politique économique. Moi je connais des gens de droite qui sont de mon avis sur ce sujet. Ils disent : ça n’a rien à faire là dedans. D’ailleurs, si l’on me proposait à moi une Constitution socialiste je n’en voudrais pas non plus. Je veux une Constitution qui organise la démocratie européenne, c’est tout. Donc ça c’est une première règle de base.
La seconde consiste à dire : donnons nous la capacité de mettre en route un processus constituant. Est-ce que je dis là une chose si extravagante en émettant l’idée qu’une Constitution doit être l’?uvre d’un processus constituant, voire d’un travail des assemblées nationales ?
Nous avons un parlement européen qui pourrait lui-même être constituant ou bien nommer une commission constituante. Nous pourrions aussi faire appel aux parlements nationaux…
Anita HAUSSER : C’était un peu l’objet de la convention quand même, reconnaissez ?
Jean-Luc MELENCHON : Non, non la convention a été décidée sur un coin de comptoir. On a nommé des gens. Ce n’est pas démocratique ?
Anita HAUSSER : Tout le monde était légitime pour y siéger.
Jean-Luc MELENCHON : Non. Pas du tout. Nommer des fonctionnaires pour la rédiger, ça n’est pas légitime. Intégrer le comité économique et social, ce n’est légitime. Nous les Français nous connaissons bien ça ! Le roi a fait ça pour les Etats Généraux, on appelait ça les « ordres ». Et là nous avions des « parties prenantes ». Et bien ce n’est pas la démocratie. Là je n’invente rien, ce n’est pas MELENCHON qui vous parle, allez lire MONTESQUIEU, allez lire un peu de ROUSSEAU et vous retrouverez ces idées simples.
Au fond les Constitutions doivent être faites par des gens élus pour ça. Voilà qui n’est pas difficile à comprendre. Je pense que toute l’Europe pourrait le comprendre.
Il n’y a aucune difficulté technique, matérielle ou intellectuelle à imaginer un autre processus constituant. Il n’y a qu’une chose qui s’y oppose, des gens butés et obstinés qui ne veulent surtout pas donner le pouvoir au peuple pour prendre la décision. C’est une thèse un peu forte peut-être mais c’est la vérité, que voulez-vous ! Quand on donne la parole au peuple il se trouve qu’il veut des choses simples qui ne sont pas dans le plan des libéraux : la vie douce.
Anita HAUSSER : Un processus constituant, ça prend du temps, imaginez que vous gagnez sur ce plan là, qu’est-ce qu’on fait des pays qui sont candidats à l’entrée dans l’union européenne ?
Jean-Luc MELENCHON : Eh bien ils attendent ! Car si on avait fait la même chose avec les dix pays qu’on a fait rentrer d’un coup, on ne serait pas dans la situation dans laquelle on se trouve aujourd’hui ! J’ai fait partie de ceux, à l’endroit où je me trouvais à ce moment là, membre du bureau national du P.S. – mais il y a eu d’autres socialistes au Parlement – qui se sont abstenus sur l’élargissement.
Pourquoi ? Non parce qu’ils étaient, comme certains les avaient caricaturé par avance, hostiles à ceux qui voulaient entrer ! On s’entendait reprocher : « Comment osez vous vous opposer à ces braves pays qui viennent de l’Europe de l’Est ? » Bref on était une nouvelle fois peints en xénophobes. Nous disions tous la même chose : « c’est de la folie d’étendre l’Union européenne à dix pays de plus alors que le mécanisme institutionnel de prise de décision n’a pas été amélioré ». Eh bien maintenant on le paye cher. Il ne faut plus faire entrer un seul pays dans l’Union sans qu’on ait changé les règles de fonctionnement de l’Union. C’est de la folie de procéder autrement. N’importe qui dans la rue vous dira la même chose que moi. Ce que je dis, c’est du simple bon sens.
Gérard COURTOIS : Est-ce que vous avez le sentiment et est-ce que vous craignez, est-ce qu’il y a un risque que l’Europe dans sa construction même laborieuse, se défasse à partir de cet épisode multiple, le non français, le non néerlandais, le blocage sur le budget, le gel de la constitution et le report de l’élargissement, tout ça ne fait-il pas, ne pose-t-il pas au fond le paysage d’une Europe qui s’arrête ?
Jean-Luc MELENCHON : Ah, il y a un risque bien évidemment ! C’est pourquoi il faut se mobiliser pour trouver des sorties par le haut. Je n’ai pas l’intention de dire que l’histoire est figée, que rien ne bouge, que tout va toujours du meilleur côté ! L’histoire c’est une affaire d’êtres humains et donc à un certain moment, ça peut déraper.
Mais ça dérapera, Monsieur COURTOIS, d’autant plus violemment que les élites donneront le sentiment qu’elles n’ont rien à fiche de ce que racontent les peuples. Voilà qui est sûr. Si en France on continue à dire aux gens qui ont voté non, sur tous les tons qu’ils ne savent pas pourquoi ils ont voté non ou s’ils le savent c’est seulement parce qu’ils sont xénophobes ou imbéciles, il est clair que les choses vont aller de plus en plus mal. De plus en plus, les gens se diront « mais pourquoi est-ce qu’ils s’obstinent comme ça, des si belles personnes, si intelligentes, qui ont fait les grandes écoles, pourquoi s’obstinent ils comme ça à nous traiter de cette manière-là. C’est donc qu’ils ont quelque chose à nous cacher. »
Voilà pourquoi l’attitude de mépris des citoyens conduit à une espèce de paranoïa généralisée. J’ai vu par exemple qu’il y avait un sondage où on disait que des gens commençaient à remettre en cause l’euro. Ça serait une bêtise totale de remettre en cause l’euro. Mais pourquoi en est-on arrivé là ?
Richard ARZT : Ça a été proposé par certains ministres italiens ?
Jean-Luc MELENCHON : Ce serait stupide. Moi je ne serais pas partisan de ça. Mais pourquoi les gens en viennent-ils à penser cela ? Parce qu’ils se disent : « on nous ment, on s’est fait détrousser quand on est passé à l’euro, on voit bien que les prix ont augmenté, on voit bien quand on va faire les courses, on remplit pas le caddy en euro comme on le faisait en franc ! » Voilà ce que se disent les gens. Et ils entendent les dirigeants leur répondre : « pas du tout, pas du tout. Les prix sont stables, il n’y a rien qui a changé, vous vous faites des idées ».
Mais eux ils savent compter, ils savent regarder ce qu’ils mangent. Et donc ils se disent : on nous ment. Alors ça finit par travailler les gens en secret. Il faut qu’on arrête de faire la comédie de l’euro menteur. Surtout quand on prétend en même temps que cet euro est garanti par une banque centrale indépendante qui paraît il ne s’occupe que de la stabilité des prix. Tout le monde voit bien qu’elle s’occupe surtout de la rentabilité de la rente. C’est quand même ça que ça veut dire. La stabilité des prix, ça n’est pas celle que rencontre la ménagère, c’est la stabilité des revenus du capital dont il est question.
Gérard COURTOIS : Est-ce que malgré tout, cette situation de blocage dans laquelle est l’Europe, provoquée fondamentalement au point de départ par le non français, ne favorise-t-elle pas une politique du chacun pour soi où se défait ce qui s’était laborieusement construit ?
Jean-Luc MELENCHON : Monsieur COURTOIS, ça peut en effet finir comme ça. Mais il resterait à prouver que ce qui était prévu était mieux. C’est-à-dire une Europe, toujours plus libérale, une vie toujours plus dure pour les gens ! Ca aurait été formidable seulement du moment qu’il y aurait eu dessus la peinture « Europe ». Mais non ! Par contre, ça peut finir autrement grâce au non français : on peut débloquer le débat européen.
Richard ARZT : Mais comment vous allez y contribuer vous même ? Qu’est-ce que vous proposez ?
Jean-Luc MELENCHON : Ce que je suis en train de faire à cet instant. Vous avez eu l’amabilité de dire que je fais partie des gens qui ont été les porte-parole du non.
Richard ARZT : Ça se voyait.
Jean-Luc MELENCHON : Ça s’entendait, ça se voyait. Donc un certain nombre de gens sans doute se disent nous avons fait confiance en ce qu’il nous disait, nous avons écouté ses arguments. Donc on garde notre confiance en lui.
Moi je dis à mes concitoyens : « surtout ne faisons pas la bêtise de nous laisser aller à la colère que vous suggère le mépris des élites qui ne vous écoutent pas, qui ne tiennent aucun compte de ce que vous dites. Ne nous en prenons pas à l’Europe. Continuons notre combat comme on l’a fait jusqu’à présent. Nous sommes des européens, nous avons voté non parce nous voulons une vraie Europe démocratique et sociale.
Alors après, qu’est-ce qu’on peut faire ? Eh bien déjà faire valoir cette thèse à l’intérieur de la gauche. C’est déjà une première tache. D’autant qu’il y a un aspect qu’on va sans doute aborder ensuite. C’est qu’il y a une troisième conséquence de ce sommet. La première c’est la crise budgétaire, La deuxième c’est la crise institutionnelle que moi j’appelle le début du plan B parce que je suis un optimiste. La troisième c’est que la Constitution Européenne s’est invitée dans l’élection présidentielle en France. C’est là l’événement nouveau.
Comme on a changé la date pour la fin du processus d’adoption de la Constitution, ça veut dire qu’en 2007, nous devrons tenir compte pour choisir la personne qui sera président de la République de savoir si elle aura été pour le oui ou pour le non au référendum.
Donc là nous allons avoir à nouveau une occasion de démocratiquement dire quelle Europe nous voulons en choisissant le président ou la présidente qui correspond à cette idée.
Richard ARZT : On reprend avec une question qui nous a été envoyée par courrier d’un auditeur qui trouve que la Grande Bretagne vraiment en fait beaucoup et pourquoi la laisser dans l’Europe, puisqu’elle ne veut même pas de l’euro, elle a tout les avantages, mais aucun des inconvénients, c’est comme ça qu’il faudrait les traiter ?
Jean-Luc MELENCHON : C’est un auditeur qui ne manque pas de perspicacité. La question de la place de la Grande Bretagne dans l’Europe a été longtemps posée, n’ayons pas l’hypocrisie de le cacher. Parmi les Français elle s’est posée de manière très aigue. Les Anglais ne jouent pas le jeu. Heureusement que nous n’avons pas adopté la Constitution. De cette manière, nous ne sommes pas ficelés dans le cadre institutionnel où nous aurions été obligés de supporter leurs foucades sans rien y pouvoir. Et donc nous allons peut être pouvoir nous entendre plus facilement avec les Allemands pour faire des bonds en avant.
Richard ARZT : C’est paradoxal parce que les Anglais apparemment ne voulaient pas tellement de la constitution non plus.
Jean-Luc MELENCHON : La constitution, telle qu’elle a été rédigée, est une constitution anglaise. Tony Blair s’en est vanté devant la chambre des communes, les principaux principes que contient ce texte sont des principes anglo-saxons. C’est vraiment pour flatter un nationalisme ridicule que le président Chirac a osé dire que cette Constitution était française?
Anita HAUSSER : C’est Gerhard Schröder qui le disait..
Jean-Luc MELENCHON : Oui, oui, et même qu’elle était issue des principes de 1789 ! Quelle plaisanterie ! Les principes de 1789 sont à peu près absents de cette constitution. C’est une lecture qu’ont fait beaucoup de constitutionnalistes qui se sont intéressés à cette question. Les gens qui ont défilé en France pour nous convaincre de dire oui, disaient tous des choses aimables pour les leaders français, sans se rendre compte que parfois ils flattaient un nationalisme qui n’avait pas de sens.
Gérard COURTOIS : Enfin, vous avez quand même le goût du paradoxe, parce que dire que cette constitution est anglaise, alors que la première chose que Tony Blair a faite c’est de renoncer au référendum qu’il avait prévu d’organiser pour l’approuver?
Jean-Luc MELENCHON : Mais bien sûr ! Vous partez toujours de l’idée que quand les peuples votent non, c’est parce qu’ils sont nationalistes et qu’ils ne veulent pas de l’Europe. Mais il y a mille manières d’être anglais, il y a une manière libérale et une manière de gauche. Je vous fais remarquer que les TUC, c’est-à-dire les syndicats anglais, disent non ! On nous a rebattu les oreilles avec la confédération européenne des syndicats qui aurait dit oui ! Mais les TUC disent non ! Et la CES elle-même s’est dépêchée d’analyser les résultats du non en disant que c’était un non social. Eux ils ne se sont pas trompés. Les TUC anglais sont contre la Constitution, pas parce qu’ils sont nationalistes, pas parce qu’ils sont libéraux, mais justement pour le contraire. Donc il ne faut pas changer le sens du « non » des peuples.
Je voudrais compléter mon idée. J’ai de l’espoir. Pourquoi ? Parce que nous allons être débarrassés de toute une série de dirigeants qui, dans le passé, ont pratiqué le double langage sans fin. Les dirigeants de droite, mais aussi à gauche. Il faut sans cesse rappeler qu’en 2000 les Allemands de gauche, M. Joshka Fisher, puis le chancelier Schröder, avaient proposé aux Français de faire une grande avancée démocratique entre nos deux peuples. C’était quasiment du niveau d’une fusion de nos Parlements ce qui se proposait. C’est le papier de M. Joshka Fisher à l’université Humboldt de Berlin. Qui a dit non ? Ceux là même qui, ensuite, sont venus nous donner la leçon : Lionel Jospin, Hubert Védrine. Pierre Moscovici avait même traité Schröder de « joueur de flutte » parce qu’il nous proposait ça. Et je voudrais vous dire qu’avant les sociaux démocrates, ce sont les membres de la CDU-CSU qui ont proposé aux Français une intégration démocratique de nos deux parlements. Nous allons être débarrassés de l’arrogance de ces dirigeants, ils ne pourront plus venir devant les Français dans la posture des ardents européens qu’ils se sont donnés. Les Français ont compris maintenant. Ils savent que dans le « non » de gauche il y a des Européens extrêmement ardents qui sont prêts à aller très loin. Et je vous dis que si le gouvernement change en Allemagne et qu’après les sociaux démocrates ou réputés tels comme M. Schröder, nous avons des représentants de la CDU CSU qui dirigent, même si ce sont des gens de droite, nous trouverons avec eux un vocabulaire commun pour faire la relance démocratique de l’Europe.
Anita HAUSSER : Vous croyez qu’eux ils vont proposer la fusion entre la France et l’Allemagne, la fusion démocratique ?
Jean-Luc MELENCHON : Je pense que si nous savons écouter, si nous avons des dirigeants audacieux qui comprennent que la France et l’Allemagne c’est le c?ur battant de l’Europe, que si il y a quelque chose à faire c’est de ce côté là que ça doit commencer, oui nous aurons avec les Allemands des partenaires fraternels qu’ils soient de droite ou de gauche. Vous voyez, c’est un homme de gauche qui vous le dit. Qu’ils soient de droite ou de gauche, les Allemands sont nos frères parce qu’ils ont compris comme nous qu’ou bien on s’entend ou bien on recommence sur le continent la vieille histoire des guerres. Les Allemands ont été beaucoup plus audacieux que nos dirigeants. Nos dirigeants qui ont plaidé le oui ont été les plus frileux et les plus irresponsables quand les Allemands nous ont tendu la main. Ils n’avaient pas le droit de repousser cette main.
Richard ARZT : Vous pensez que vous aurez une image immédiatement favorable auprès des Allemands ou d’autres pays d’ailleurs plutôt libéraux dans l’ensemble quand même, en présentant les projets de rapprochement que vous avez actuellement avec le Parti communiste et la Ligue communiste révolutionnaire ?
Jean-Luc MELENCHON : Résumé comme ça?.. Le fait que je fasse des meetings avec M. Besancenot et Mme Buffet est de nature à effaroucher qui ? Les dirigeants européens ??
Eh bien en tout cas ça serait de nature à les convaincre du fait que les Français sont extrêmement déterminés?. Quant au reste, c’est une discussion. Et une discussion entre partenaires c’est toujours une discussion raisonnable. Moi, M. Arzt, vous savez j’ai déjà négocié deux trois choses au niveau européen, alors bon c’était dans un domaine particulier, celui de l’enseignement professionnel, mais je ne négociais pas avec des gens de gauche, il y avait des gens de droite, les dirigeants italiens, les dirigeants espagnols, etc. Donc, dans une discussion, on essaye de trouver un commun dénominateur. Mais évidemment, si vous essayez de me faire les poches pendant la discussion, je me raidis. Je comprends que l’autre en soit au même point. Si nous faisons des propositions raisonnables qui sont compréhensibles par une personne de droite, comme par une personne de gauche en Europe on peut s’entendre. Si vous proposez une Constitution dans laquelle il n’y a pas de principe économique, vous verrez que droite et gauche tomberont d’accord pour la faire.
Richard ARZT : C’est à dire vous proposez quoi de raisonnable. Donnez-nous un ou deux exemples très précis ?
Jean-Luc MELENCHON : D’abord dégager du texte actuel tout ce qui fait référence à de l’économie. Ensuite j’ai mes propres visions de l’affaire. Il y a des domaines dans lesquels la souveraineté nationale a été transférée au niveau européen. Là il faut que la décision se prenne au niveau européen, sous l’égide du Parlement européen, avec un exécutif responsable devant le Parlement européen. Ce que je suis en train de décrire, ce n’est pas une invention de Jean-Luc Mélenchon. C’est comme ça que fonctionnent toutes les démocraties du monde, toutes à l’exception de cet organisme extravagant qui est l’Union Européenne au point où il en est aujourd’hui. Quand le président Giscard d’Estaing a proposé le Parlement européen avec une élection le même jour dans toute l’Europe, avec un mécanisme électoral qui est à peu près le même dans tous les pays, il avait à l’esprit que c’était une étape que nous franchissions en vue de cette pratique démocratique que le Parlement contrôle les parts de souveraineté nationale que nous avons transférées à l’Union européenne. Chers amis qui m’écoutez, vous devez comprendre que, à ce moment là, la voix d’un Italien, la voix d’un Français, la voix d’un Maltais est égale puisque c’est une personne, une voix. C’est le principe de la démocratie. Ce jour là vous aurez abattu les nationalismes, ce jour là, vous aurez fait naître un intérêt général européen. Voilà pourquoi il faut le faire.
Gérard COURTOIS : Alors, est-ce que vous avez le sentiment parmi tous vos partenaires du camp du non qui a gagné, de la LCR, d’ATTAC, de la fondation Copernic, du Parti communiste français, j’en oublie sûrement, et d’une partie du PS, est-ce que tout le monde vous suit sur ce terrain là, tel que vous l’imaginez ?
Jean-Luc MELENCHON : Non, non, les opinions sont diverses comme dans toute la société. Il faut maintenant que les débats continuent, que les gens s’accordent. Mais j’observe que beaucoup de choses ont évolué. Par exemple, l’idée même d’un processus constituant. Si je me réfère à ce qu’étaient les positions traditionnelles du Parti communiste en la matière, je vois que sur cette affaire il y a une évolution. Maintenant les communistes parlent assez couramment de « processus constituant ». Certes, ils l’imaginent eux, beaucoup à partir des parlements nationaux. Bon. De la même manière d’autres organisations qui ne s’étaient pas exprimées ont pris position. Par exemple les cinq derniers grands maîtres du Grand Orient de France ont publié une tribune dans le Monde pour dire « il nous faut une constituante pour faire une Constitution européenne ». La Maçonnerie française est une institution extrêmement importante compte tenu de la part qu’elle a prise à la naissance de notre République. Et je pourrais vous donner comme ça de nombreux exemples de gens qui ont formulé d’autres points de vue et qui commencent maintenant à s’impliquer, se sont approprié la thématique européenne.
LA STRATEGIE DU TRAIT D’UNION
Richard ARZT : Dites nous exactement où vous en êtes où actuellement de vos rapprochements avec les partis qu’on vient d’évoquer. Est-ce que, avec votre club, enfin votre mouvement « Pour la république sociale », vous avez l’initiative ? Où en êtes vous ?
Jean-Luc MELENCHON : Nous remplissons d’après certaines mauvaises langues la fonction « d’idiots utiles ». Ce n’est pas agréable de se faire traiter d’idiots. Mais utiles pourquoi pas ? Je connais plein d’idiots qui sont utiles à rien.
Richard ARZT : Comme je ne sais pas qui a dit ça?
Jean-Luc MELENCHON : Vous avez mauvaise mémoire, M. FRECHE, maire de Montpellier et plusieurs autres ont dit que quiconque travaillait avec les communistes – c’est nouveau dans le vocabulaire socialiste – étaient des « idiots utiles ». Il s’est créée une très drôle ambiance. Par exemple, vous m’interrogez comme si c’était quelque chose de curieux que l’on s’accorde avec des communistes?
Anita HAUSSER : C’était plus avec la LCR qu’avec les communistes?
Jean-Luc MELENCHON : Ah oui mais vous savez des fois on commence par la LCR et ensuite on fini par le Parti communiste, je connais trop ces enchaînements. La LCR, quel est le problème avec la LCR ? Je ne comprends pas ce que vous me demandez.
Anita HAUSSER : On n’avait pas vu qu’il y avait eu un revirement de ce côté là.
Jean-Luc MELENCHON : L’idée fantasmatique que beaucoup se font des différentes formations politiques ne correspond pas toujours a la réalité. Mais en toute hypothèse, ce n’est pas à nous d’en juger. C’est à eux de dire ce qu’ils pensent. Moi ma conception de la vie à gauche, c’est l’union sans exclusive. L’union sans exclusive ça veut dire que chacun se détermine librement. Il y a des gens qui peuvent dire « nous on n’en veut pas de votre union parce que vous êtes M. MELENCHON un socialiste et que moi je ne peux pas supporter les socialistes ». C’est la vie ça. Par exemple Mme LAGUILLER s’est prononcée très clairement. Elle a dit qu’elle ne voulait rien de tout ça. Bon c’est son droit. Elle a bien le droit.
Anita HAUSSER : Est-ce que vous avez fait évoluer Olivier Besancenot et la LCR vers?
Jean-Luc MELENCHON : Je vais le vérifier. Car nous avons sorti la gauche de sa léthargie. Nous avions une situation avec un parti socialiste tout puissant, c’est à dire tout puissant dans des élections?
Anita HAUSSER : Hégémonique?
Jean-Luc MELENCHON : Oui, tranquille, sûr de lui, ne proposant plus rien, se contentant d’être là, de se rendre incontournable et de dire aux gens « vous votez pour nous ou c’est Le Pen ». Voilà, ça c’était le c?ur de l’argumentation du discours socialiste. Nous avons secoué tout ça. Nous sommes maintenant dans autre chose où l’on reparle contenu, où l’on reparle projet. A l’instant, vous avez beaucoup évoqué les formations politiques. Mais vous savez, il y a quelque chose qui a échappé à l’attention de beaucoup d’observateurs, c’est la puissance inouïe du débat démocratique qui s’est crée grâce à Internet ! Des milliers de gens se sont mêlés d’argumentaires et de débats. C’est pour ça que j’ai eu si souvent le sourire dans cette campagne, parce que je savais que quoi qu’il se dise au sommet, de toute façon tout ça était rediscuté à la base sur la toile. C’est pour vous dire qu’il y a eu une grande ébullition. Et moi je veux être modestement à ma place. Si je veux être utile, au risque d’être pris pour un idiot, je veux être utile à l’union. Donc je voudrais fonctionner avec mes amis comme un trait d’union. Trait d’union avec toute la gauche, sauf ceux qui n’en veulent pas, ceux qui ne veulent pas de l’union, ou alors qui seraient arrogants, je ne sais pas, par exemple, disons la Ligue communiste viendrait, nous dirait, « voilà si vous prenez pas tout notre programme, au revoir on s’en va ». Et bien on leur dirait « bien, au revoir ! ». Mais si ce sont des gens raisonnables?
Richard ARZT : Vous ne savez pas ce qui se passe alors ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Non. Mais si ce sont des gens raisonnables ? Eux aussi, ils sont mis au pied du mur d’une réalité. Veulent-ils oui ou non participer à un gouvernement ? Voilà : ils doivent se poser la question.
Anita HAUSSER : Alors vous les avez beaucoup fréquentés pendant quelques mois, comment est-ce que vous pensez qu’ils vont évoluer ?
Jean-luc MELENCHON : D’abord c’était très plaisant de les fréquenter, figurez-vous ! On les présente comme des diables affreux, mais c’était très plaisant. Ils ont beaucoup contribué à la mobilisation populaire. Voilà, je pense que ça les a fait aussi évoluer, parce que celui qui dit qu’il est ressorti indemne de cette campagne est un menteur. Moi même je ne suis pas ressorti indemne de cette campagne. J’ai été brûlé par le feu de cette campagne qui m’a ressourcé, qui m’a replacé au milieu de mon élément naturel.
Richard ARZT : Et donc la suite, comment vous voyez les choses, pour finir sur cette question ?
Gérard COURTOIS : Je prolonge la question de Richard. Il y a eu un rassemblement contre le traité constitutionnel, peut il y avoir demain un rassemblement pour un projet ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Il le faut absolument. Nous sommes dans des matières humaines. Ce qui est nécessaire est souvent possible du moment qu’on en a la volonté. Donc, est-ce que c’est possible ? M. Courtois je ne vous dirai pas que l’affaire est réglée et c’est bien pourquoi il y a beaucoup de travail.
Gérard COURTOIS : Quelles seraient les bases d’un tel projet ?
Jean-Luc MÉLENCHON : M. COURTOIS, cette question telle que vous me la posez, je la pose à Mme BUFFET, à M. BESANCENOT, à Mme BAVAY le 3 juillet à Arles, à l’université d’été de PRS, « pour la république sociale » le mouvement que j’anime. Eh bien je leur pose cette question : l’union est elle possible ? Quand ? Dans quel délai ? A quelle condition ? Parce que je ne le sais pas M. COURTOIS ! Je sais seulement que c’est nécessaire. Je vais me battre de toutes mes forces pour essayer d’y parvenir, non pas comme un illuminé qui voudrait l’union pour elle même, mais pour bien cerner quelles sont les difficultés. C’est comme ça que le président MITTERRAND a fait avec le Parti communiste et j’ai déjà dit que nous n’avons pas eu peur des chars de l’Armée Rouge, ça n’est pas pour avoir peur de la bicyclette de M. BESANCENOT. Donc nous sommes des gens rationnels, raisonnables, discutons sur des contenus et vous verrez que nous aimons assez notre pays et le peuple français pour trouver des solutions. Peut être ça vous paraît grandiloquent, mais c’est comme ça que je vois la politique.
Anita HAUSSER : Est-ce que vous arriverez à ne pas vous disperser, à vous occuper de cette union ou de ce rassemblement et en même temps du projet pour le parti socialiste ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Oui, il va falloir faire les deux ! Ca c’est déjà fait vous savez. Je vais vous rappeler un souvenir qui maintenant est un peu lointain : la grève générale de mai 68, ensuite vous avez le parti socialiste qui se réunissait en 1971 au congrès d’Épinay, en un an et demi nous faisons un programme socialiste qui fait 450 pages et en un an et demi nous négocions le programme commun qui est prêt en 1973.
Richard ARZT : Tout ça se faisant au profit de François Mitterrand ? Aujourd’hui ce serait au profit de qui ? Parce que vous roulez pour Laurent Fabius, question plus directe ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Je crois que tout le monde est guéri de rouler pour quelqu’un. Et si on commence par les problèmes de personne, on est mal parti. Mais il faut bien admettre que ce n’est pas lui le plus mal placé aujourd’hui. Si vous voulez bien y réfléchir sereinement, non pas vous, mais ceux qui nous écoutent. En particulier ceux qui d’une manière tout à fait extravagante agitent toujours le personnage de Laurent Fabius comme une espèce d’épouvantail. Mais épouvantail de quoi ? Que quelqu’un comme moi dise que cet homme n’est pas le plus mal placé, ça s’entend, non, On pourrait attendre de moi des critiques. Mais que ceux qui ont toujours été d’accord dans le passé avec lui sur ce qu’il faisait et à quoi, semble-t-il, il a mis un terme avec ce débat constitutionnel, que ceux là poussent des cris me paraît tout à fait inouï. Je dis ce qui est une chose évidente, que tout le monde a compris : à gauche, on ne peut pas mettre en place un candidat à la présidentielle de 2007 qui ait pris position pour le oui compte tenu de la force du débat qui vient d’avoir lieu, compte tenu, je le dis franchement, des injures qui ont été adressées aux tenants du non, et surtout maintenant compte tenu du fait que le processus de ratification enjambe la présidentielle. Par conséquent, vous prenez le problème par le bout que vous voulez, vous avez des millions de Français de gauche qui ont voté non et ne mettront jamais un bulletin de vote pour un gars ou une fille qui les a appelés à voter oui. Je suis obligé de vous dire que c’est la réalité. Par conséquent on peut constater que M. Fabius n’est peut être pas le socialiste le plus mal placé pour la prochaine présidentielle. Ce qui ne vaut pas adhésion de ma part ou allégeance. C’est un fait. Est-ce qu’on est capable de parler de faire autrement qu’en terme quasi féodal d’allégeance aux personnes ? C’est un fait. Par conséquent, ce qui est important c’est de discuter avec lui pour comprendre jusqu’où il a compris le message. Est-ce qu’il a bien compris que la masse des Français?.
Anita HAUSSER : Quand allez vous discuter avec lui ? Est-ce que vous l’avez invité à venir à Arles ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Non, parce que ça n’est pas une université d’été socialiste. Le mouvement PRS n’est pas une organisation liée au parti socialiste.
Anita HAUSSER : Alors, quand allez-vous engager le dialogue avec lui ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Ça se passe dans le PS. Vous savez c’est très simple, on se téléphone tous les trois ou quatre jours et quand ce n’est pas lui c’est Bartolone que j’ai au téléphone, et quand ce n’est pas Bartolone c’est un autre. Les socialistes parlent entre eux. En tous cas ceux qui veulent bien parler. Car, il y en a qui sont en ce moment encore en véritable état de choc et de deuil. Ils ne parlent avec personne. Ou quand ils sortent la tête c’est pour nous aboyer dessus. On attend donc qu’ils se calment et que les vacances soient passées. Ensuite la discussion va reprendre plus tranquillement. Moi, ce que je veux faire ? Le trait d’union avec toute la gauche sans exclusive et le trait d’union dans le parti socialiste. Je sais très bien le piège qui nous attend. C’est qu’on me dise « eh bien, M. MELENCHON vous êtes tellement sympathique, vous avez des idées tellement formidables, déposez votre texte » et puis on va voir M. EMMANUELLI, on lui dit « M. EMMANUELLI, écoutez vous êtes tellement sincère, déposez votre texte », M. MONTEBOURG « déposez votre texte » et comme ça en une poussière de textes, un débat incompréhensible?
Anita HAUSSER : Ça serait le texte pour le congrès ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Voilà, nous les socialistes avons ce défaut d’être nombrilistes. On va avoir un congrès en novembre et alors on oublierait une réalité, celle de l’exigence qui s’est manifestée le 29 Mai. Voilà ce que je veux dire à ceux qui sont des connaisseurs, et aux autres, ils vont décrypter très vite. Lorsque nous avons tenu le grand congrès du parti socialiste à Metz qui a décidé de confirmer la ligne de l’Union de la gauche contre M. Rocard qui voulait autre chose et bien d’autres qui déposaient des textes qui ne servaient à rien, comment avons gagné ce congrès ? Le président Mitterrand a gagné avec 39 % virgule quelque chose ! Il n’avait pas la majorité absolue. La règle interne du parti socialiste c’est que c’est le texte qui est en tête des suffrages autour duquel se fait la synthèse. J’adjure mes amis de comprendre qu’il faut que par minimum de décence à l’égard du peuple français, qu’après avoir tous appelé à voter non, on ne se donne pas le ridicule de s’éparpiller dans dix sous textes avec des nuances admirables à tous les coups, passionnantes pour l’esprit, mais qui n’ont aucune portée concrète. Tous ceux qui ont voté non doivent se retrouver parce que c’est la condition du succès, de M. Fabius à M. Emmanuelli. Tout le monde de ceux qui ont voté non, parce que c’est la condition pour dire aux autres, ceux qui ont voté oui, leur dire écoutez les gars, les filles, stop, la guerre est finie, il n’y a plus de Constitution, donc rejoignez nous.
Anita HAUSSER : Il faut que vous les déposiez bientôt vos textes. Vous avez assez peu de temps pour vous entendre ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Ah oui, c’est fou cette histoire ! Comme si on avait besoin de cette précipitation ! On a maintenant jusqu’au 9 juillet pour déposer des textes.?
Anita HAUSSER : Peut-être même moins?
Jean-Luc MÉLENCHON : C’est le premier temps. Ca s’appelle des contributions. Alors chacun va dire ce qu’il à dire. Moi aussi je dirais ce que j’ai à dire. Et puis dans un deuxième temps, il faut présenter des textes qui sont soumis au vote. Ca va se passer à peu près vers la fin septembre. Tout ça va être bouclé en deux temps trois mouvements. Personnellement je trouve ça lamentable. Mais bon, je m’y plie. Ce n’est pas moi qui ai la décision. Je ne peux pas faire autrement.
Gérard COURTOIS : Mais pour obtenir ce que vous considérez comme une condition élémentaire pour que la gauche l’emporte en 2007, c’est à dire d’avoir un candidat qui a voté non à la constitution, ça suppose que les partisans du non prennent la direction du parti socialiste en réalité. Donc c’est ça l’objectif de votre démarche avec Laurent Fabius et tous les partisans du non ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Exactement ! C’est exactement ça qu’il faut faire. Je suis peut être une personne qui dit les choses trop directement ?
Anita HAUSSER : Les démarches sont avancées ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Mais bien sûr ! Pour l’instant nous sommes dans une phase, comment dire, ? habituelle. Chacun surgit dans la prairie et agite ses plumes pour montrer combien il est irremplaçable ! Je vais faire comme tout le monde ! Je vais dire ce que je pense avec mes amis : pourquoi la République sociale est une perspective indépassable pour le socialisme français ! Et je pense que de cette manière nous allons faire vivre le débat comme les autres. Et puis après il faudra faire un texte. Là je dis stop ! Il faut faire un seul texte parce qu’il faut entraîner tous les socialistes pour pouvoir tendre la main à toute la gauche, pour pouvoir convaincre les Français. Si nous voulons en 2007 être élus, il faut qu’on élise quelqu’un qui tienne la route et qui soit capable de s’appuyer sur le non des Français pour dire à tous les autres peuples d’Europe : maintenant nous sommes en état de discuter sérieusement. Ce n’est plus M. Chirac qui change d’avis tous les 8 jours qui vous parle au nom de la France.
Richard ARZT : Néanmoins, est-ce que, en toute hypothèse, vous soutiendrez le candidat socialiste en 2007 quel qu’il soit ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Oh mais vous savez c’est une promesse qu’il m’est très facile de faire aujourd’hui ! Puisque je pense que c’est un candidat du non qui l’emportera. M. ARZT que voulez vous me dire ? Vous voulez me dire : M. MELENCHON est-ce que vous êtes prêt à déclencher une scission du Parti socialiste ? C’est une question sérieuse, je le comprends bien ! Je vois bien que les continents sont en train de s’écarter au Parti socialiste. Je le vois bien ! Je vois bien le risque et la catastrophe que ce serait pour la gauche que de s’éparpiller en petites miettes ! Donc moi je ne poserai pas un seul acte qui pousse le Parti socialiste à la scission. Mais ce que je veux dire avec force, c’est que ses chefs actuels doivent comprendre que le loyalisme de parti, la loyauté, l’appartenance à un mouvement qui vient de si loin, ne peut pas être un argument permanent pour faire taire tout le monde et nier les réalités. Ce n’est plus possible !
Il faut qu’ils arrêtent de s’enfermer entre eux, de sortir des phrases aussi lamentables que celle que je vous ai lues tout à l’heure, et de rester dans les batailles du passé. Maintenant il faut tourner la page. Ceux qui ont perdu ont perdu ! Ils n’ont pas perdu dans un vote interne, ils ont perdu devant la France et devant l’Europe. C’est à dire que 55%, 15 millions de Français ! Vous comprenez, ce n’est pas 10.000 adhérents dans un coin qu’on aura regroupés à coups de sifflet.
Gérard COURTOIS : Dont une bonne partie de droite et d’extrême droite, cela dit parmi ceux qui ont voté non
Jean-Luc MÉLENCHON : Dont une certaine partie?
Anita HAUSSER : Ce n’était pas 15 millions de Français de gauche.
Jean-Luc MÉLENCHON : Bien ! Expliquons nous là-dessus puisqu’il faut y revenir? Je le comprends. La politique, c’est de la dynamique, l’histoire des peuples c’est de la dynamique. Qui sont les gens qui sont allés voter à l’extrême droite ces dernières années ? La masse c’est le peuple qui n’a plus de représentant, qui se sent perdu, abandonné, et à qui on jette en pâture l’étranger. Ceux là sont partis voter à l’extrême droite. Mais pour la première fois depuis 15 ans, nous, la gauche, nous avons repris la tête du mouvement dans ce milieu populaire. On leur a dit : on peut faire autre chose, on peut faire autrement. C’est ça de la dynamique ! C’est ça M. COURTOIS ! Ca veut dire que c’est nous, la gauche, qui sommes en tête du processus du non ! Même s’il y a des gens qui, à d’autres élections ont voté à l’extrême droite. Donc, n’allons pas entacher le sens du non ! Pourquoi le faire? Pour lui nuire, pour le salir, pour dire qu’au fond des gens comme moi sont peut-être des gens suspects ? Je ne dis pas que c’est ce que vous dites, mais combien de fois cet argument a été utilisé !? J’ai vu par exemple Jack Lang dire : « moi je ne vote pas comme Le Pen ! » Quelle honte, quelle honte?
Gérard COURTOIS : Alors quelles seraient les conditions pour que les deux camps du PS qui se sont déchirés se réconcilient ?
Jean-Luc MÉLENCHON : Que la raison l’emporte?
Gérard COURTOIS : Un peu plus précisément comme est-ce qu’on peut dépasser ce fossé ou cette coupure qui s’est?
Jean-Luc MÉLENCHON : Moi je propose une solution. Je dis à tous mes camarades : regardez en face la réalité. Maintenant la Constitution est l’invitée de la présidentielle. Vous devez choisir votre candidat parmi ceux qui ont voté non, voilà. Et donc, à partir de là, tout le monde est bienvenu ! Et puis on ne va pas passer notre vie sur un texte constitutionnel qui est mort. Donc : en avant, mais du côté de ce qui vient d’être voté !