18nov 11
Dans son édition du vendredi 18 novembre 2011, l'Humanité a organisé une interview croisée entre Jean-Luc Mélenchon et des syndicalistes des entreprises Fralib et Still-Saxby.
Chez Fralib comme chez Still, vous combattez la décision de grands groupes (Unilever dans le premier cas, Kion dans le second), auxquels vous appartenez, de fermer vos usines, en contestant les fondements mêmes de ces choix. Pourquoi ?
Olivier Leberquier. Dans notre groupe, les effectifs en France sont passés, dans les dernières décennies, de 12 500 à moins de 3 000 salariés. On a été de restructuration en restructuration. Dès l'annonce de la fermeture de Fralib, la logique, pour nous, était de se battre, non pour obtenir de quelconques indemnités de licenciement, mais pour le maintien de l'activité et des emplois qui vont avec, seul moyen de conserver la possibilité pour nos familles de vivre dignement. Nous avons fait la démonstration que, contrairement à ce que dit Unilever sur notre entreprise, elle est très rentable. En fait, ils ont monté complètement artificiellement le projet de fermeture, parce qu'ils veulent toujours plus de profits. Nous disons qu'à un moment donné, il va bien falloir que quelqu'un les arrête. Ou alors on continue à baisser la tête, et à les laisser nous prendre tout, alors qu'ils nous ont déjà pris beaucoup : en 1989, le salaire d'entrée chez Fralib était 46 % au-dessus du Smic ; en 2009, au niveau du Smic. Dans le même temps, ils ont augmenté la productivité par salarié de plus de 50 %. Et ça ne leur suffit pas : ils veulent continuer à vendre la marque Éléphant, vendue exclusivement en France, mais ils ne veulent plus la fabriquer ici, mais en Pologne. Nous disons donc : « Ça suffit ! »
Jean-Marc Coache. L'annonce du projet de fermeture de Still a été faite le 5 juillet dernier. Le 3 juillet, un samedi, la direction avait demandé aux salariés de Montataire de venir travailler en heures supplémentaires pour produire des chariots… Cela pour dire que nous avons aujourd'hui un carnet de commandes exceptionnel, plus de 7 000 chariots. On a touché la participation aux bénéfices en avril 2011 sur l'exercice 2010 : un signe que l'entreprise va bien. Nous trouvons la fermeture injuste aussi parce que nous avions signé un accord sur le temps de travail, adapté au marché. On a accepté de faire 38 h 50 payées 35. On a été bernés. Chez Still, on n'est plus dans une logique industrielle : c'est le financier qui mène la danse. Du fait d'un montage financier de Goldman Sachs sur le groupe Kion, celui-ci doit payer 20 millions d'euros d'intérêt chaque mois à la banque. C'est plus que ce que l'on propose aux salariés de Montataire dans le « plan social » (15 millions) ! Si l'argent que nous versons aux banques était mis en capitaux propres dans l'entreprise, cela représenterait trois fois plus que l'économie envisagée par la fermeture de Still et le licenciement des 255 salariés…
Jean-Michel Mlynarczyk. On trouve cela d'autant plus injuste que notre bassin d'emploi de Montataire est l'un des plus touchés par le chômage en France : 22 % de chômeurs, dont 40 % ont moins de 25 ans. On aura du mal à retrouver du travail.
Les cas Fralib et Still sont emblématiques de la destruction du tissu industriel de notre pays. Quel est votre diagnostic, Jean-Luc Mélenchon ?
Jean-Luc Mélenchon. Qu'est-ce qui frappe ces deux entreprises ? Ce n'est pas l'obsolescence du produit, ni la sous-qualification des ouvriers, ni le manque de productivité, ni la qualité de la marque. Dans les deux cas, nous avons affaire au même phénomène : la financiarisation de l'économie. Ces entreprises sont profitables ; ce qui leur est reproché, c'est de ne pas l'être assez. Voilà pourquoi le coeur de l'action politique gouvernementale, si elle doit être de gauche, doit viser à définanciariser l'économie, à limiter de toutes les manières possibles l'influence du grand capital sur l'économie, la vie de la nation. Ici est appelé, par la politique de réindustrialisation, l'ensemble des dispositions que le Front de gauche imagine pour combattre la spéculation et la pression à l'augmentation des taux de profit.
Dans votre combat, chez Still comme chez Fralib, vous faites appel à l'intervention des responsables politiques. Qu'en attendez-vous ?
Jean-Marc Coache. Qu'ils se battent concrètement sur le terrain. Les paroles ne suffisent plus, il faut un électrochoc. Si on veut conserver cette industrie, c'est maintenant. Dans dix, vingt ans, on aura perdu notre savoir-faire. Still, notre entreprise, a 133 ans d'existence, on s'est transmis de génération en génération notre savoir-faire, on est parvenus à faire des chariots 100 % électriques : quand on parle écologie, on est là en plein dedans. Cette démarche écologique, nous la défendons aussi contre la délocalisation : on achète des pièces en Inde. Pas cher, c'est vrai, mais derrière, on se retrouve avec des problèmes de qualité. Pourquoi ? Parce qu'on ne demande que des prix à nos fournisseurs. Il faut pouvoir changer le financement de l'industrie. Les montages financiers LBO, comme celui dont on a été victimes, ça devrait être interdit. On devrait pouvoir financer une entreprise avec des capitaux propres. Aujourd'hui, chez Still, on paye pour notre travail, et on re-paye encore sur les emprunts ! On ne s'en sortira jamais !
Gérard Cazorla. Il y a besoin d'avoir un prolongement politique pour nos luttes syndicales. Dans notre lutte, nous portons le problème de la désindustrialisation, du chômage, de la fiscalité aussi. Comment peut-on laisser des multinationales comme Unilever continuer à délocaliser le profit vers des paradis fiscaux pour payer le moins d'impôt possible en France ? ! Il faut des lois pour interdire les licenciements faits uniquement pour avoir plus de profits et payer davantage les actionnaires. Il faut un contrôle de l'État sur les cadeaux faits à ces gens-là sous forme d'allégements de cotisations sociales, sur cet argent public donné à des entreprises pour qu'elles s'implantent ici. Pourquoi n'auraient-elles pas des comptes à rendre quand elles veulent s'en aller ? D'autre part, nous, à Fralib, nous avons un projet portant un autre modèle pour faire fonctionner les entreprises. Notre idée, c'est, avec l'argent que nous espérons pouvoir tirer d'Unilever, avec l'outil de travail, la marque Éléphant, de mettre tout cela au profit d'un collectif de salariés, dans le cadre d'une coopérative, pour que ça leur donne un droit d'intervention dans les futurs choix économiques et sociaux de l'entreprise. Aujourd'hui, les comités d'entreprise, les comités de groupe, voire les comités européens n'ont qu'un droit consultatif. Nous voulons qu'il y ait un choix, et qu'on puisse peser sur les choix de l'entreprise.
Élodie Groutsche. Les choses maintenant se passent au niveau européen. Il faut que les règles que nous demandons pour la France soient prises au niveau européen. Pour moi, à partir du moment où il y a un marché dans un pays, la production pour ce marché doit être faite dans le pays. Les produits Éléphant qui répondent au marché français doivent être fabriqués en France. De la sorte, chaque pays pourra avoir ses structures de production. Les pays d'Europe de l'Est pourront se développer, et nous, nous pourrons garder nos usines.
Jean-Luc Mélenchon. Pour nous, au Front de gauche, il n'y a pas de fatalité. Nous revenons toujours à la démonstration concrète que les camarades de Fralib et de Still viennent de faire : comment des décisions destructrices sont prises alors qu'elles ne sont pas justifiées économiquement. Le Front de gauche n'est pas l'addition des revendications catégorielles. Il essaye d'incarner l'intérêt général. Dans chacune de ces luttes, nous voyons un visage de l'intérêt général se manifester. Quand des travailleurs défendent leur entreprise, l'industrie, ils défendent l'intérêt général du pays. Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit : une économie puissante, harmonieuse, un système où circule bien la richesse produite, nécessite une industrie puissante, comme on doit avoir une agriculture puissante. Pour cela, comme Élodie, je défends la logique de la relocalisation. Cela entre dans le cadre de la planification écologique, au coeur du programme du Front de gauche, l'Humain d'abord !
Élodie a aussi évoqué le besoin de nouvelles règles à l'échelon européen…
Jean-Luc Mélenchon. La monnaie unique doit nous servir au moins à une chose : d'étalon de comparaison, en vue d'un Smic européen. On ne va pas demander du jour au lendemain que le Smic bulgare soit au niveau du Smic français. En revanche, nous aurions des zones d'homogénéisation du Smic, et ces zones pourraient converger. Il y a bien des critères de convergence économiques, financiers : rien ne s'oppose à ce qu'on ait des critères de convergence sociaux, sinon la décision des capitalistes qui veulent faire prévaloir dans tous les domaines la concurrence libre et faussée. Aujourd'hui, du fait du traité de Lisbonne, il est interdit de contrôler les flux des capitaux, de limiter la concentration des entreprises. Il y a même un fonds d'ajustement de l'Europe à la mondialisation qui donne de l'argent, quand des entreprises sont fermées, pour aider à licencier les gens, y compris quand ce sont des grands groupes bénéficiaires. Il y a donc bien besoin d'une initiative au niveau européen. Cela dépend du rapport de forces que notre pays est capable de constituer. Aujourd'hui, notre pays ne cherche pas à avoir un rapport de forces : le président Sarkozy tient à l'Europe le discours que le Medef lui a préparé en France.
Concrètement, quelles propositions faites-vous pour donner un prolongement aux luttes des Fralib, des Still et de tant d'autres, pour défendre l'industrie ?
Jean-Luc Mélenchon. Dans les comportements des patrons de Fralib et de Still, il y a une irresponsabilité sociale absolue, tant à l'égard des salariés que des territoires concernés. Je propose que la collectivité retrouve des droits, en particulier celui de réquisition dans certaines circonstances. Ensuite, c'est la participation des travailleurs eux-mêmes : il n'y a pas mieux placés, pour contrôler le sens d'une décision économique, que les travailleurs qui sont en première ligne. Le programme du Front de gauche prévoit des droits nouveaux pour les salariés. Il faudrait presque qu'on s'excuse de demander un droit de veto social. Mais pourquoi ? Est-ce qu'« ils » s'excusent, eux, de tout saccager ? ! Nous pensons également que la forme de la propriété capitaliste financière n'est pas la seule forme possible, il n'y a pas que l'appât du gain qui mène l'humanité : nous croyons que les coopératives doivent bénéficier d'un encouragement. En cas de décision de fermeture, il devrait y avoir un droit de préemption pour les travailleurs s'ils se proposent, comme chez Fralib, de reprendre l'entreprise.
Le front des luttes que le Front de gauche a créé est-il une structure de soutien aux salariés qui résistent dans leurs entreprises ?
Jean-Luc Mélenchon. Il ne faut pas minimiser le soutien qu'attendent de nous les femmes et les hommes qui luttent durement, dans l'angoisse. Il s'agit de luttes pour la vie ou contre la mort sociale. Au-delà de la fraternité humaine, le Front de gauche encourage ces luttes car elles participent à notre objectif de révolution citoyenne. Pour nous, la citoyenneté commence à l'entreprise. N'est-ce pas Jean Jaurès qui déclarait : « La Révolution a laissé les Français rois dans la cité et serfs dans l'entreprise. » Nous, nous voulons abolir ce servage-là. À chaque fois que les travailleurs se mettent en mouvement, ils posent la question de leur pouvoir d'intervention sur les décisions.
Comment êtes-vous reçu par les salariés lors de vos déplacements dans les entreprises en lutte ?
Jean-Luc Mélenchon. Ils sont contents de nous voir, d'autant que nos visites s'accompagnent de journalistes, qui mettent de la lumière sur leur combat. Ces déplacements leur procurent de l'énergie et leur font chaud au coeur. Jusqu'ici, nous avons reçu un accueil formidable, que ce soit à la Fonderie du Poitou ou à ArcelorMittal. Nulle part il n'y a eu d'ambiguïté ou la moindre gêne, chacun était à sa place et tous plus forts d'être ensemble. Comme nous sommes en pleine campagne électorale, nous n'hésitons pas à parler de cette échéance expliquant que nous ne sommes pas là pour témoigner. Conscients que si nous gouvernions le pays, nous aurions en face de nous des adversaires terriblement puissants, nous savons que nous ne pourrions rien faire si nous n'avions pas une mobilisation des femmes et des hommes dans leurs entreprises pour résister au choc et rendre des coups.
Chez Fralib et chez Still, comment abordez-vous l'échéance électorale de 2012 ? À quelles conditions feriez-vous confiance à la gauche, après ses précédentes expériences gouvernementales ?
Olivier Leberquier. Ce n'est pas pour moi une question de confiance. Ce n'est pas parce que la gauche serait au pouvoir en 2012 que nos vies changeraient automatiquement. Je rejoins Jean-Luc Mélenchon sur ce qu'il vient de dire : on est en ce moment au milieu de la bagarre avec les capitalistes autour de nous, qui ne vont pas fuir le pays, la manne étant trop importante. Ils savent très bien où ils se gavent. En revanche, si la gauche prend le pouvoir, il faut que la lutte soit continuelle et qu'elle monte d'un cran pour que les choses changent réellement. Le capitalisme broie partout et sème la misère, en France comme ailleurs. Et seul le peuple peut changer le système. Il faut tirer l'oreille d'Unilever en lui disant : « Maintenant on va siffler la fin de la récréation, tu arrêtes de délocaliser, tu arrêtes de pomper le fisc français, tu dois payer ce que tu dois si tu veux continuer à vivre ici. » Si à la base, on ne poussait pas, rien de tel ne se ferait.
Dans vos entreprises, est-ce qu'il y a un espoir ou un doute face à ces échéances électorales qui arrivent en pleine crise systémique ?
Jean-Marc Coache. Le doute est persistant. Au niveau mondial ou en Europe, les peuples ne décident plus. Nous ne sommes plus en démocratie. Des têtes de chefs d'État sont tombées, ce ne sont pas les peuples qui l'ont voulu, même si, comme en Italie, la population en est contente. Ce ne sont ni le peuple ni l'État qui ont fait partir Berlusconi. Ce sont les marchés financiers. Il faut redonner aux citoyens la force et la responsabilité d'élire des représentants d'État. Et que ces derniers aient vraiment du pouvoir et prennent des décisions. La finance ne devrait pas avoir ce pouvoir de continuer à nous manipuler. L'homme doit reprendre sa place centrale.
Jean-Michel Mlynarczyk. Georges Marchais disait que l'on allait tout droit dans le mur avec le capitalisme. Dans les années 1970, j'écoutais ses interventions à la télévision, ça me choquait. Et là, on est dedans. J'espère qu'un parti pourra avoir les mêmes idées que celles de Georges Marchais. La vie a changé, nous ne sommes plus dans la même problématique qu'à son époque et donc il faut que ce parti auquel je pense soit plus moderne.
Gérard Cazorla. Il faut redonner des moyens aux peuples de s'exprimer et leur ouvrir des perspectives. Car le capitalisme a, depuis des années, désintéressé les peuples de la politique. Il faut donc réintéresser le peuple à la politique, qu'il puisse déjà retourner aux urnes. L'abstention est particulièrement importante dans les couches les plus populaires. C'est elles qui sont le plus dans la misère, et que la crise touche principalement. Donner de l'espoir n'est pas gagné. Il faut que la gauche ait un courage politique, qu'elle arrête, comme elle l'a fait dans le passé, d'accompagner le capitalisme et de l'adapter. Il n'est pas adaptable. Nous, à notre niveau syndical, à Fralib, nous avons le courage de nous affronter à Unilever. On doit aussi le faire au niveau politique. Or, malheureusement, cela n'en prend pas le chemin actuellement.
Dans un point de vue dans l'Humanité, vous indiquiez, Élodie Groutsche, que des salariés de Fralib étaient tentés par le vote Front national…
Élodie Groutsche. Certains salariés sont déçus par les politiques et pensent que le seul choix qui s'ouvre à eux, c'est le Front national. Ils pensent que le Front national va prendre des décisions radicales. Je leur dis, moi, que le radicalisme est aussi à gauche, du côté du Front de gauche. Mais c'est un radicalisme qui va dans le sens des salariés. Le problème du FN est qu'il donne des douces chimères aux gens en prenant le discours du Front de gauche. Il n'appliquera jamais ce discours puisque c'est un parti de droite. Il ne remettra jamais les salariés au coeur de l'économie. Mais il est difficile de se faire comprendre. Le désespoir est profond. Je discute beaucoup avec les salariés de Fralib avec qui j'essaie de faire passer le message que le FN n'est pas la solution. L'autoritarisme à tout prix, la sécurité à tout prix, cela ne peut pas marcher. La démocratie est indispensable, le tout-sécuritaire est mortel.
Olivier Leberquier. Moi, je relativise l'intention de vote en faveur du Front national. De plus, j'estime qu'il n'y a que par des actes que l'on peut montrer que le FN n'est pas du côté des ouvriers. Ainsi, au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur, sur l'ensemble des partis politiques, seul le Front national s'est opposé au vote bloquant la fermeture de l'usine de Fralib Gémenos. Quand ces salariés ont su ce qui s'était passé au conseil régional, ils ont compris que le FN est du côté du patron et pas de notre côté.
Quelle est votre réaction, Jean-Luc Mélenchon, à ces propos ?
Jean-Luc Mélenchon. Je pense moi aussi qu'il faut relativiser. Il n'empêche, nous avons une lutte idéologique à mener. Les nazis n'avaient pas hésité à utiliser le nom de national-socialiste pour leur parti. Ils prétendaient lutter contre la « ploutocratie », disaient-ils. Ils participaient aux grèves et essayaient de déloger les ouvriers communistes qui dirigeaient les grèves pour prendre leur place. C'est un classique de l'histoire, que l'extrême droite prenne les masques, les habits de la gauche pour se faire entendre et entrer comme le loup dans la bergerie, avec la tenue du berger. En face, nous devons appliquer l'effet Dracula : allumer la lumière. Comme le font les syndicalistes de Fralib : au conseil régional de Paca, seul le Front national vote pour la fermeture de l'entreprise. Les seuls discours moralisateurs ne peuvent suffire, il faut revenir continuellement sur les contenus. Dans la lutte ouvrière, le Front national est un grand danger. Parmi les ouvriers de tous les niveaux de qualification et de toutes nationalités, y compris française, on trouve des enfants, des petits-enfants de l'immigration. Ce sont eux que l'extrême droite montre du doigt. Elle sème d'emblée la division entre des salariés. Le Front national est l'ennemi de classe, un ennemi qui se déguise habilement.
Dans votre entreprise, à Still-Saxby, les salariés font-ils le lien entre leur lutte et l'élection présidentielle ?
Jean-Marc Coache. Non, je ne le sens pas vraiment. Il n'y a pas vraiment de discussion autour de cette question. La politique est aujourd'hui perçue comme un gros mot, les médias la font ainsi percevoir. Il nous faut pourtant de vraies émissions politiques et pas les matraquages de télé-réalité. On arrive aujourd'hui à bourrer le crâne des gens, on les dépolitise. En dehors des médias, il y a aussi des hommes politiques qui portent des mauvaises images. On le voit tous les jours, avec DSK. Or, on parle peu des problèmes du peuple. Faire de la politique paraît dépassé, alors que le tout-financier est une façon de faire la politique. Les financiers utilisent pourtant bien la politique pour arriver à leur fin. Il faut à tout prix que les gens se repolitisent. Que l'on ait des idées divergentes, c'est tout à fait normal. Il faut remettre l'homme dans son contexte, qu'il ait un pouvoir et qu'il ait les responsabilités de ses décisions.
Jean-Luc Mélenchon. Je suis largement d'accord avec ce que je viens d'entendre. Je pense que la dépolitisation est un objectif du capitalisme et l'un de ses outils. Son intérêt est que les gens ne se mêlent pas de politique. Car, quand ils le font, ils en parlent comme viennent de le faire les camarades autour de cette table ronde, d'une façon compréhensible. À la télévision, on ne comprend rien quand ils nous parlent d'économie. Et c'est fait exprès. Pour moi, il y a un rapport entre la pression vers la dépolitisation et le fait que l'on rende invisibles, dans les médias, la classe ouvrière, les employés, les salariés. Le CSA lui-même l'a fait remarquer l'année dernière et a interpellé l'ensemble des médias : seulement 2 % des ouvriers sont montrés à la télévision – avec les salariés employés, ils représentent 18 % -, alors qu'ils sont 53 % de la population active du pays. Tandis que les cadres supérieurs représentent 60 % des gens que l'on y voit. L'image idéalisée d'une société « moyennisée », comme ils disent, ne tient aucun compte des réalités de classes du pays. On efface dans le même mouvement ce qui existe de commun entre les différents secteurs du salariat. Ainsi de la précarité qui lie toutes les catégories.
Nicolas Sarkozy s'est fait élire en flattant le monde ouvrier. Qu'est-ce qui fait, Jean-Luc Mélenchon, que les ouvriers aujourd'hui peuvent espérer en la gauche pour la prochaine élection ?
Jean-Luc Mélenchon. Le message lancé en 2007, « travailler plus pour gagner plus », a été entendu par bon nombre de salariés. Les précaires ont pu être sensibles à ce discours, en pensant : « On va nous donner du travail à temps plein, ou des heures supplémentaires. » Mais les heures supplémentaires, ce sont les patrons qui les donnent et le temps partiel est le fléau qui ravage la classe ouvrière, et notamment sa partie féminine. Les socialistes, eux, n'ont jamais dit comment les travailleurs pouvaient gagner plus, ils n'ont jamais parlé de la feuille de paie. Nous, nous voulons porter le Smic à 1 700 euros. On me dit que ce n'est pas possible, moi je leur dis : comment feriez-vous pour vivre avec 1 000 euros ? Nous, nous savons que l'on peut augmenter le Smic avec le partage des richesses. Les capitalistes doivent lâcher une part de ce qu'ils ont pris pour eux, c'est-à-dire des dix points de la richesse produite par le pays qui sont passés des poches du travail à celles du capital au cours des trente dernières années. C'est une réponse concrète. Avec le Front de gauche, les travailleurs pourront gagner davantage, donc consommer intelligemment davantage. Ce qui est bon pour la relance de l'activité.
Gérard Cazorla est secrétaire CGT du CE de Fralib.
Jean-Marc Coache est élu au comité d'entreprise européen de Still-Saxby.
Élodie Groutsche est syndicaliste CGT chez Fralib.
Olivier Leberquier est délégué syndical CGT chez Fralib.
Jean-Michel Mlynarczyk est secrétaire CGT du CE de Still-Saxby.
Entretien réalisé par Yves Housson et Mina Kaci.