Dans tous les sens et le plus possible, pourvu qu'on en parle : voilà la stratégie du gouvernement à propos de la sécurité. La quantité de discours et d'annonces est impressionnante, la quantité de lois l'est tout autant : 23 lois sur ce thème depuis 2002 et une centaine de modifications du Code Pénal. Tout cet arsenal législatif n'a pas pour objectif de mettre en place une réelle politique publique qui prendrait les problèmes à bras le corps, pour les résoudre. Le seul but poursuivi est d'alimenter une agitation politique pour faire peur, d'une part, et faire croire, d'autre part, à une action efficace du gouvernement. D'ailleurs, les résultats calamiteux de la politique de sécurité depuis 2002, selon Brice Hortefeux, ne seraient dus qu'au laxisme des magistrats. Dans le même temps, alors que les effets d'annonces font de la sécurité LA priorité du gouvernement, les effectifs de policiers, réduits drastiquement au nom de l'équilibre budgétaire public, seront en 2013 ce qu'ils étaient en 1997.
Faire peur, d'abord, en instrumentalisant l'insécurité. A chaque fois que la droite est en difficulté, "la guerre" à nouveau déclarée aux délinquants, aux trafiquants, aux voyous et à l'insécurité en général, permet de détourner l'attention des vrais problèmes. En réactivant le sentiment d'insécurité le gouvernement occupe l'espace médiatique et rassemble son électorat sur la base du rejet de l'autre et du repli sur soi. La surenchère de la droite ultra cet été, qui associe insécurité et immigration, en est un exemple frappant. Les différentes propositions de lois qu'elle a déposées ont toutes pour point commun de vouloir instaurer une nationalité sous conditions. Hervé Mariton propose de mettre en place une période d'essai de cinq ans après la naturalisation pour "vérifier" que le naturalisé se "comporte correctement". Philippe Mariani (l'inventeur des tests ADN pour les immigrés…) souhaite introduire une possibilité de déchéance de la nationalité pour tous les auteurs de crimes, français depuis moins de 10 ans et condamnés à plus de 5 ans de prison. Lionel Luca, lui, veut supprimer l'acquisition automatique de la nationalité pour les mineurs nés de parents étrangers et rétablir une manifestation de volonté.
Remettant en cause l'unité de la nationalité et jouant dangereusement avec des thèmes du Front National, ces propositions de lois n'ont qu'un objectif d'affichage. Elles ne servent qu'à faire croire, d'une part, que les problèmes d'insécurité sont dus à des déviances personnelles de quelques individus dont il faudrait se débarrasser. D'autre part, elles suggèrent que le gouvernement traite les problèmes en proposant des mesures concrètes, puisque des lois sont déposées. Or, le mécanisme d'utilisation politique du thème de l'insécurité a besoin d'être réactivé sans cesse : si l'insécurité disparait, elle n'est plus une arme politique. D'où le foisonnement de discours, d'annonces et de lois. Depuis 2002, sept lois différentes ont été adoptées sur la délinquance des mineurs par exemple. Rien que sur la récidive, une loi par an a été votée depuis 2007. Chaque nouvelle loi est déposée alors même que la précédente n’est pas encore appliquée. La même surenchère est appliquée sur l’immigration : le nouveau projet de loi Besson sur l'immigration constituera, s'il est adopté, la sixième loi durcissant les conditions de séjour et d’accès à la nationalité depuis cinq ans. Avant même le discours de Grenoble de Sarkozy, déjà au début de l'été, l'Assemblée avait voté la proposition de loi d'Eric Ciotti, visant à suspendre automatiquement les allocations familiales en cas d'absence d'un élève à l'école. Après le discours de Grenoble, le même Eric Ciotti demande, dans une nouvelle proposition de loi, jusqu'à deux ans de prison et 30 000 euros d'amende pour les parents de mineurs délinquants.
Adoptée sans bilan des précédentes, proposées pour répondre à des faits divers, ces lois ne résolvent rien. Dans les faits l'insécurité augmente : depuis 2004, le nombre d'agressions a progressé entre 2 % et 5 % par an. La nouvelle loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (appelée LOPPSI 2) poursuit la politique d'hypocrisie du gouvernement : d'un côté une surenchère dans la surveillance de la population et un durcissement des mesures judiciaires, de l'autre une réduction des effectifs de policiers et une privatisation de la sécurité publique. Il est prévu dans cette loi une extension de la vidéosurveillance (passer de 20 000 à 60 000 caméras), y compris en cas de désaccord des communes. De nouvelles mesures de répression sur internet vont être mises en place : possibilité d'installation de mouchards informatiques par la police, filtrage administratif des sites illicites, création d'un délit d'usurpation d'identité sur internet. La loi prévoit également une extension automatique des peines planchers pour violences aggravées, le port de bracelet électronique à l'issue des peines pour les récidivistes condamnés à plus de 5 ans de prison ou encore l'application de la peine de sureté de 30 ans aux meurtriers de policiers.
Dans le même temps, les effectifs de policiers sont sans cesse réduits. 5000 postes de policiers ont déjà été supprimés depuis 2007. Les effectifs actuels sont donc les mêmes que ceux de 2002, ce qui annule les créations d'emplois affichées par Sarkozy à son arrivée au ministère de l'intérieur. 5000 nouvelles suppressions de postes dans la police sont prévues par la loi LOPPSI 2 d'ici 2013. Si ces mesures sont appliquées, cela ramènera les effectifs à leur niveau de 1997. La politique du gouvernement de réduction comptable des dépenses aura donc conduit à la perte de 10 000 fonctionnaires de police en 6 ans. Dans le même temps, la population a augmenté de 4 millions d'habitants. En réalité, la LOPPSI 2 poursuit la politique de privatisation en catimini de la sécurité publique. Aujourd'hui 170 000 agents privés sont en fonction pour 220 000 policiers et gendarmes. La loi prévoit également de transférer une partie des missions de sécurité aux collectivités territoriales. Cela ne va faire qu'aggraver les inégalités d'effectifs entre les territoires. Seules les collectivités riches pourront financer un nombre suffisant de policiers.
Enfin, les propositions faites récemment par Hortefeux confirment à la fois sa volonté d'aggraver les peines et sa méfiance envers les juges. Il se prononce pour l'abrogation de la disposition permettant d'aménager toute peine inférieure ou égale à deux ans de prison ferme. Le ministre de l'Intérieur se propose également de faire passer la majorité pénale de 18 à 16 ans et se dit pour l'introduction de jurés dans les tribunaux correctionnels. Il souhaite aussi réfléchir à l'élection des juges d'application des peines ou des présidents de tribunaux correctionnels. La logique sous-jacente à ces propositions est celle qui ne condamne pas un fait, mais qui condamne une personne.
La surenchère sécuritaire actuelle du gouvernement cherche des boucs émissaires et fait porter la responsabilité de problèmes par d'autres. Elle ne peut mener qu'à la division et est une garantie pour l'échec. Il ne s'agit pas de nier les problèmes existants mais de sortir des mesures d'affichage. Des moyens humains nécessaires à une politique de prévention à long terme doivent être mobilisés car la sécurité ne peut pas être dissociée des problématiques d'aménagement du territoire et d'organisation du vivre ensemble.