L'argument de la semaine

Présidentielle : la bataille du sens des résultats

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Face à la tentative d'effacement médiatique du résultat du Front de Gauche, l'analyse chiffrée des résultats du 1er tour de la présidentielle montre que c'est le Front de Gauche qui enregistre la plus forte progression dans cette élection. Et que la stratégie d'affrontement avec Le Pen a commencé à faire reculer fortement le FN dans de nombreuses villes et quartiers populaires.

Les urnes ont démenti la rengaine médiatique selon laquelle la campagne présidentielle n'aurait pas intéressé les Français. Avec plus de 80 %, la participation atteint un niveau élevé et relativement homogène. C'est donc plutôt le traitement médiatique de la campagne qui a été méprisé par les Français. Alors que Sarkozy et Hollande ont monopolisé pendant des mois 75 % du temps d'antenne radios et télés, ils totalisent à eux deux à peine 43 % des inscrits sur les listes électorales. Une large majorité des électeurs n'a donc pas voté pour les deux candidats qui figureront au 2nd tour. Et prés de 80 % des électeurs n'auront pas voté au 1er tour pour le candidat qui concentrera l'essentiel des pouvoirs quand il sera élu. Un symptôme cuisant du déni démocratique que représente la monarchie présidentielle de la 5ème République.

Le recul de Sarkozy

Nicolas Sarkozy perd 1,8 millions d'électeurs par rapport à 2007. L'analyse géographique de ses résultats montre que son électorat le plus fidèle et mobilisé est celui de la grande bourgeoisie. Il n'y perd quasiment aucun suffrage : il réalise par exemple 46,5 % à Versailles contre 47 % en 2007 et parvient même à améliorer son score dans le 7ème arrondissement de Paris où il se hisse de 56 à 58 %, ou encore à Neuilly où il obtient 72,64 %. Les grandes fortunes ont donc fait bloc autour du Président des riches. Son recul est beaucoup plus fort dans la partie plus populaire de l’électorat de droite. Il perd 50 000 voix dans le Pas de Calais. Dans les fiefs de piliers de l'UMP, la chute est particulièrement forte : à Saint-Quentin dans l’Aisne chez Xavier Bertrand Sarkozy passe de 31 % à 25 %. Et à Perpignan en milieu populaire ou à Meaux chez Jean-François Copé, Sarkozy passe de 34 % à 27 %.

Le FN perce à droite

Marine Le Pen gagne 2,6 millions de voix par rapport au score de son père en 2007. Avec prés de 18 %, elle dépasse le score historique du FN en 2002 mais ne parvient pas au niveau cumulé des scores de son père et de Mégret (19 %). 70 % de sa progression vient du recul de Sarkozy. L'électorat de droite perdu par Sarkozy se retrouve directement chez Marine Le Pen. On assiste donc à une accélération de l'extrême-droitisation de la droite plutôt qu'à une percée populaire de Marine Le Pen chez de nouveaux électeurs. Par exemple à Florange, commune qui vit des hauts fourneaux d'Arcelor Mittal, Sarkozy perd 606 voix et Marine Le Pen en gagne 636, mais Jean-Luc Mélenchon en gagne aussi 654, manifestement arrachées à l'abstention. Les vases communicants à droite entre Le Pen et Sarkozy sont particulièrement marqués dans le Nord et l'Est de la France où le FN réalise ses meilleurs scores. Marine Le Pen a ainsi atteint quasiment le même score que Nicolas Sarkozy dans plusieurs régions : Picardie, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais, mais aussi Languedoc-Roussillon. Sans les efforts du Front de Gauche pour endiguer la montée du FN, le scénario d'une élimination de Sarkozy par Le Pen n'était donc pas très éloigné. Le FN dépasse en effet les 20 % dans 11 régions (une sur deux) et dans 43 départements.

La gauche progresse grâce au Front de Gauche

Le total des voix de gauche augmente fortement par rapport à la dernière présidentielle, en passant de 13,3 millions (36,4 %) à 15,7 millions (43,7 %). C’est le meilleur score global de la gauche à une présidentielle depuis 1988. François Hollande n'est responsable que d'une petite partie de cette dynamique puisqu'il ne gagne que 770 000 voix par rapport à Ségolène Royal. Et encore à Evry chez Manuel Valls le nombre de voix PS stagne et à Lille chez Martine Aubry le PS perd même des voix entre les deux présidentielles. L'essentiel de la dynamique de la gauche vient au contraire de la percée du Front de Gauche qui apporte les deux tiers des voix supplémentaires engrangées par la gauche.

Le Front de Gauche : une force solide et homogène

Avec prés de 4 millions de voix (11,11 %), Jean-Luc Mélenchon fait gagner 3 millions de voix au Front de Gauche depuis son lancement aux élections européennes de 2009 (6,5 %). La force ainsi constituée est d’autant plus solide qu’elle est désormais bien répartie sur le territoire : le Front de Gauche fait plus de 7 % dans tous les départements, 10 % ou plus dans 70 départements et plus de 13 % dans 20 départements. C’est donc une force politique nouvelle qui s’est affirmée sur l’ensemble du territoire, bien au-delà l’implantation historique des organisations qui la constituent. De grandes villes sans tradition communiste forte ont ainsi voté à plus de 15 % pour Jean-Luc Mélenchon, comme Grenoble, Toulouse, Lille ou Montpellier. De spectaculaires progressions sont aussi enregistrées là où Jean-Luc Mélenchon a porté des clivages politiques forts. Ainsi en Alsace, le Front de Gauche a été la première force politique à militer pour l’abolition du Concordat et a augmenté son score de plus de 300 %. A Marseille aussi, le discours clair et décomplexé de Jean-Luc Mélenchon sur les bienfaits du métissage a rencontré un écho populaire de masse en hissant le Front de Gauche à prés de 14 % sur la ville et à plus de 20 % dans plusieurs arrondissements populaires des quartiers nord. Là aussi c’est la stratégie de combat Front contre Front qui a permis de tenir tête au Front national.

Car contrairement aux fantasmes des médias, le score élevé de Marine Le Pen n’a pas fait reculer Jean-Luc Mélenchon. Au contraire, là où le FN progresse, le Front de Gauche progresse aussi. En particulier en terres ouvrières qui sont loin d’être acquises à Marine Le Pen. Ainsi à Petit-Couronne en Seine Maritime où la fermeture de la raffinerie Petroplus menace 900 ouvriers et où tous les candidats à la présidentielle se sont rendus : Sarkozy perd 249 voix, Hollande en gagne 114, Le Pen 436 et Mélenchon 693, soit la plus forte progression. Enfin, signe de l’utilité du Front de Gauche pour faire reculer la droite, les deux départements où Sarkozy réalise ses plus mauvais scores – la Seine-Saint-Denis et l’Ariège – sont aussi ceux où le Front de Gauche obtient ses meilleurs résultats, avec prés de 17 % et des pics à 25 % dans de nombreuses villes populaires.

Déjouer la déformation médiatique des résultats

Une semaine après le 1er tour, les principaux médias ont dessiné un tableau largement déformé de la réalité des résultats. Voici un démontage des principaux mensonges rencontrés à ce sujet.

Marine Le Pen a fait 20 % et a rempli ses objectifs – FAUX

La déformation concernant le résultat du FN a débuté dés 20h le soir des élections quand de nombreux médias ont annoncé à tort que Marine Le Pen avait réalisé ou dépassé le seuil de 20 % des voix. Alors qu’elle en a obtenu 17,9 %. Au-delà de la seule erreur de chiffre (une erreur de plus de 11 %), cette fausse annonce a complètement changé le sens du résultat du FN. Car elle a fait croire que Marine Le Pen avait atteint l’objectif qu’elle s’était fixé d’atteindre les 20 %. Ce mensonge a aussi pu conduire à une comparaison erronée avec le score de l’extrême droite en 2002. Car si elle avait atteint les 20 % comme l’ont annoncé plusieurs grands médias, Marine Le Pen aurait dépassé le résultat historique de l’extrême droite en 2002. Alors qu’avec ses 17,9 %, Marine Le Pen est en réalité en dessous des 19 % réalisés par son père et Bruno Mégret en 2002. Quant aux journalistes qui ont cru intelligent de dénigrer cet argument en indiquant qu’elle avait gagné 1 million de voix, ils ont juste oublié que par rapport à 2002, il y 4,8 millions d’électeurs supplémentaires inscrits sur les listes électorales.

Curieusement, tous les médias ont souligné que le Front de Gauche n’avait pas réussi à dépasser Marine Le Pen mais aucun n’a mis en avant qu’elle n’avait pas atteint les objectifs qu’elle s’était fixés. Ni son objectif d’atteindre les 20 %. Ni celui d’être au second tour comme elle l’annonçait. Ni celui que Jean-Luc Mélenchon ne fasse pas la moitié des voix qu’elle ferait alors qu’il en fait 62 %.

Pas vu à la télé !

Quand le Front de Gauche fait reculer le FN

Même s’il n’y ait pas encore parvenu nationalement, le Front de Gauche a commencé à atteindre son objectif de dépasser le FN dans plusieurs grandes villes et de nombreux quartiers populaires.A Lille, le FN passe de la 3ème place en 2002 à la 4ème place en 2012. Et il se fait doubler par le Front de Gauche qui grimpe à 15 %. Même scénario à Montpellier : de la 2ème place en 2002 il descend à la 4ème en 2012. Et là aussi le Front de Gauche lui passe devant en se hissant à la 3ème place.
La dégringolade du FN est encore plus prononcée dans les banlieues populaires des grandes villes comme Vaulx-en-Velin, Aubervilliers, Stains ou Mantes la Jolie. Souvent arrivé en tête en 2002, il est relégué en 4ème position en 2012 en étant largement dépassé par le Front de Gauche. Ainsi à Vaulx-en-Velin, Marine Le Pen passe de la 1ère à la 4ème place avec 13,83 % contre 21,7 % pour son père en 2002. Le Front de Gauche lui passe devant et se hisse à la 2ème place avec 18,42 %. A Grigny, où se trouve la cité de la Grande Borne en Essonne, le FN chute de 17 à 11 % et le Front de Gauche se hisse à plus de 21 %.

Les ouvriers votent Le Pen – FAUX

Le déferlement médiatique a repris pour assigner les ouvriers au vote Le Pen. Pour cela, les médias s’appuie sur des sondages beaucoup plus que sur la réalité des résultats électoraux. Il s’agit de sondages « sortis des urnes » qui portent sur des échantillons d’à peine quelques centaines d’ouvriers. Ils prétendent mesurer un vote Le Pen des ouvriers compris entre 29 et 35 % selon les instituts. Quant au vote ouvrier pour Jean-Luc Mélenchon, il serait compris entre 11 % (pour IPSOS) et … 18 % (pour IFOP) ! D’emblée, les écarts considérables entre ces « estimations » en montrent le peu de validité. Et même si elles étaient vraies, cela signifierait qu’entre 65 et 70 % des ouvriers ne votent pas pour le FN. Et encore c’est sans tenir compte de l’abstention ouvrière que les sondeurs situent autour de 30 %. Si on rapporte ainsi le score du FN au total des ouvriers inscrits sur les listes électorales, ce sont 80 % des ouvriers qui ne votent pas pour le FN. Alors que les médias annonçaient un « plébiscite ouvrier pour Marine Le Pen » (Journal du Dimanche, 24 avril 2011) ou la présentaient complaisamment comme « candidate préférée des ouvriers » (Le Monde, même date). Non seulement les médias ne reconnaissent pas leur erreur mais ils continuent à déformer la réalité, à l’image d’i-télé dans un reportage au lendemain du 1er tour évoquant « Marine Le Pen plébiscitée par les ouvriers ». A l’inverse, un autre résultat des mêmes sondages sortis des urnes n’est jamais mis en avant par les médias. C’est le vote FN des artisans, commerçants et chefs d’entreprises qui est quasiment aussi important que celui des ouvriers. Pourtant aucun journal n’a jamais titré sur Marine Le Pen « candidate préférée des patrons ».

Gorgés de sondages plutôt que d’analyse détaillée des résultats électoraux, les médias passent ainsi sous silence la percée réalisée par le Front de Gauche en milieu ouvrier. Ainsi à Florange (Arcelor-Mittal), à Montbéliard (PSA Sochaux), à Saint-Nazaire (chantiers de l’atlantique Alstom) ou encore à Douai et à Lens dans le Nord-Pas-de-Calais, le Front de Gauche gagne plus de voix que le FN entre 2007 et 2012.

Le résultat du vote à Montbéliard illustre bien la dynamique ouvrière du Front de Gauche (voir diagramme ci-dessous). Dans cette ville dirigée par le directeur de campagne de François Hollande, Pierre Moscovici, Jean-Luc Mélenchon est allé soutenir le 24 janvier les ouvriers de PSA en lutte sur le plus grand site industriel du pays.

Il n’y a pas de poussée de gauche – FAUX

Cette fausse impression résulte de la centralité médiatique donnée au résultat du FN. Elle provient aussi chez plusieurs médias de droite de la présentation du résultat de Nicolas Sarkozy comme nettement plus élevé que prévu. On retrouve cette manipulation dans la bouche de Sarkozy lui-même. Ce dernier a par exemple affirmé dans l’Est républicain mercredi 25 avril : « Il n’y a aucune poussée de gauche. Le total gauche est très inférieur à ce qu’il était à d’autres élections. » La réalité des chiffres est pourtant exactement contraire. La droite perd 3,2 millions de voix (dont 1,7 millions pour le seul Sarkozy) et la gauche en gagne 2,3 millions en réalisant un de ses scores les plus élevés de la 5ème République.
En sous-estimant la poussée de la gauche, les médias ont aussi passé sous silence son origine. Le Front de Gauche supporte en effet les 2/3 de la progression de la gauche. Et c’est la première fois depuis 30 ans que deux candidats de gauche font un score à deux chiffres. Le score de Jean-Luc Mélenchon permet ainsi de déplacer le centre de gravité de la gauche. Alors que l’autre gauche autonome du PS représentait moins de 20 % des voix de la gauche en 2007, elle en représente désormais 30 %. Et elle s’affirme avec le Front de Gauche comme le seul vote utile pour faire reculer le FN et faire progresser la gauche.



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