L'humanité fait face depuis plusieurs mois à une envolée des prix de certains produits agricoles sans rapport direct avec les difficultés de production et d'approvisionnement. Principale cause de cette flambée des cours : la spéculation qui est notamment alimentée par les banques.
Les prix sur les marchés de matières premières ont explosé
La spéculation sur les marchés de produits agricoles est responsable de la hausse des prix
Selon Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE) : "nous ne pouvons rien contre l'augmentation immédiate des prix du pétrole ou des matières premières" (Europe 1, 20/02/2011).
L'augmentation de la consommation alimentaire dans les pays émergents, et en Chine surtout, serait seule responsable de l'augmentation des prix.
Pourtant, selon Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation, les produits alimentaires ne manquent pas : "aujourd'hui comme en 2008, il n'y a pas de problème de pénurie […] Les prix du blé, du maïs et du riz ont augmenté dans de très fortes proportions. Ce n'est pas dû à une diminution des stocks ou des récoltes mais aux traders qui réagissent aux informations et spéculent sur les marchés."
- La spéculation sur les marchés financiers anticipe et aggrave les variations de prix des matières premières agricoles.
Sur les marchés s'échangent des contrats à terme. Ils permettent une promesse de vente/ou d'achat d'une quantité de matières première agricole à une date future pour un prix fixé. Cela sécurise le producteur contre les aléas climatiques.
Il s'agit de quantités réelles de produits agricoles, finalement livrées à l'acheteur.
A partir du milieu des années 1990, sous la pression des néolibéraux et de l'OMC, les marchés des matières premières ont été progressivement déréglementés. Les contrats d'achat et de vente de produits agricoles sont devenus des produits dérivés que des spéculateurs totalement étrangers à l'agriculture ont eu la possibilité de s'échanger entre eux.
Cela a créé un marché irréel de la "spéculation alimentaire".
Au moment de la crise immobilière aux Etats-Unis, qui commence en 2006, les banquiers et les traders ont retiré des milliards de dollars qu'ils avaient placés dans l'immobilier pour les investir notamment dans les marchés financiers alimentaires.
Selon un gestionnaire de fonds chez Masters Capital Management (auditionné par le Sénat américain en 2008), la spéculation aggrave la variation des prix liée aux aléas des récoltes. "Mettons qu'on apprenne qu'il y a eu une mauvaise récolte quelque part dans le monde. Normalement, le prix devrait alors augmenter d'environ 1 dollar. Mais quand on a un marché spéculatif à 70 ou 80 %, comme c'est le cas actuellement, le prix monte de 2 ou 3 dollars pour couvrir les coûts annexes"
Les céréales : le blé, le colza, le maïs, le riz et le soja représentent directement ou indirectement 80 % de l'alimentation de la planète. Les variations sur les marchés boursiers sont extrêmes alors que les pays sont autosuffisants à 90 %. Les prix sont donc déterminés par la frange de 10 % des produits qui s'échangent entre pays, cible des spéculations boursières !
La cacao : la flambée des prix du cacao peut s'expliquer en partie par les mauvaises récoltes mais surtout par les excès de la spéculation. Avec l'aide de BNP Paribas, Anthony Ward, dirigeant du fonds britannique Armajaro, a racheté en aout 2010 près de 240.000 tonnes de cacao (7 % de la production mondiale) sur le marché londonien du NYSE Liffe. Cette opération a fait artificiellement grimper le cours boursier du cacao à sa cote la plus élevée depuis 33 ans.
La situation est désormais pire que lors des émeutes de la faim en 2008
Les investissements spéculatifs massifs sur les matières premières agricoles à partir de 2006 ont conduit à une augmentation brutale des prix et aux émeutes de la faim en 2008 qui ont secoué l'Egypte, le Maroc, l'Indonésie, les Philippines, Haïti – où elles ont fait au moins cinq morts et abouti à la chute du gouvernement -, ainsi que plusieurs pays africains : Nigeria, Cameroun, Côte d'Ivoire, Mozambique, Mauritanie, Sénégal, Burkina Faso.
Selon la FAO (Organisation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture), les échanges de denrées alimentaires représentent 1.000 milliards de dollars en 2010, revenant quasiment à leur niveau de 2008 (1.030 milliards), l'année des émeutes de la faim.
L'indice des prix agricoles est en février 2011 à 231 points sur l'index établi par la FAO.
L'indice des prix agricoles était en juin 2008 à 213,5 points sur ce même index de la FAO, au moment des émeutes de la faim.
Pour le moment, il n'y a pas eu au sens propre du terme d'émeutes de la faim en 2010/2011, mais les révolutions en Tunisie et en Egypte sont parties des révoltes contre l'augmentation du prix du pain.
Les banques françaises spéculent sur les matières agricoles
BNP Paribas : depuis juin 2010, elle propose à ses clients fortunés de placer leur argent dans un fonds luxembourgeois, Hopti Hedge. A l'aide de modèles informatiques ultra-complexes, ces placements permettent de jouer sur les cours des matières premières agricoles.
BNP Paribas était l'une des banques agissant en 2010 pour le compte du fonds spéculatif britannique Armajaro qui a fait flamber les prix du cacao en rachetant 7 % de la production mondiale.
La Société Générale et le Crédit Agricole : elles proposent aux investisseurs des ETF (exchange-traded funds), également appelés " trackers ". Ces produits suivent les cours des matières premières et permettent de spéculer sur les cours du blé, du soja, du coton, du sucre ou du maïs. Contrairement à un contrat à terme (qui offre la possibilité d'acheter à un prix connu d'avance une quantité donnée de céréales par exemple à une date donnée) les ETF n'offrent aucun service mais spéculent sur les variations de taux ! Mais, comme ils augmentent artificiellement la demande, ils amplifient la hausse des cours.
Ce sont les filiales Lyxor de la Société Générale et Amundi du Crédit Agricole qui offre à ses clients cette possibilité de spéculation sur les matières premières agricoles.
Le cour du " tracker " Crédit agricole d'Amundi a augmenté de plus de 84 % depuis juin 2010.