Le 13 septembre le site internet Mediapart a publié une analyse du Programme du Front de Gauche sous le titre "Le programme encore flou du Front de gauche pour 2012". Compte tenu du nombre important d'approximations, d'omissions et d'erreurs que comporte cet article, nous avons jugé utile d'y répliquer de manière factuelle et argumentée, en toute franchise et fraternité.
Financement et crédibilité : une question de point de vue
Alors que le Programme "l'Humain d'abord" se veut un document simple et précis, accessible à tous (en livre pour 2 euros), Mediapart explique "qu'on aurait pu attendre un pavé très détaillé" ou "une encyclopédie de la révolution citoyenne". Or c'est délibérément que le programme du Front de Gauche ne se place pas du point de vue des experts en programme et en commentaires, mais du côté du citoyen à la recherche de solutions concrètes et radicales.
Le premier reproche avancé par Mediapart est celui du financement du programme. Pour Mediapart "l'absence de plan de financement" "obère cette crédibilité à laquelle tient tant Jean-Luc Mélenchon". Ce reproche d'un "financement incertain" revient ensuite régulièrement pour mettre en question les propositions avancées.
Or, le fait d'avancer des plans de financement entièrement ficelés ne suffit pas à démontrer la crédibilité politique et démocratique. C'est peut-être le gage d'une crédibilité technocratique que certains partis politiques ou candidats recherchent en voulant être le bon élève du système ou des agences de notation. La mise en avant obsessionnelle du financement comme préalable à tout programme politique est une arme, utilisée par le PS et l'UMP, pour expliquer que "tout n'est pas possible". Et pour disqualifier toute proposition ou tout programme qui s'écarterait des bornes admises par l'oligarchie. L'obsession du financement comme préalable à toute crédibilité est ainsi le plus souvent le corollaire du discours expliquant qu'il n'y a pas d'autre politique possible que celle qui est déjà menée. C'est précisément de ce "cercle de la raison" défini par les puissants dont le programme du Front de Gauche veut s'affranchir.
Remettre le financement à sa place
"L'Humain d'abord" situe au contraire sa crédibilité dans la capacité à répondre radicalement – à la racine – aux problèmes du plus grand nombre. Il veut être jugé par le peuple sur sa crédibilité à avancer des solutions d'intérêt général et à proposer une stratégie réaliste pour y parvenir. C'est-à-dire une stratégie assumant les rapports de force nécessaires aux changements qui sont proposés. Le financement ne suffit pas à donner cette crédibilité. Il est un moyen et pas une fin. Il est une conséquence et non pas un préalable. Les financements doivent s'adapter aux objectifs fixés par le peuple et aux besoins humains identifiés comme fondamentaux. Ainsi dans cette conception républicaine, le ministère des finances n'est pas là pour servir la crédibilité financière du pays aux yeux des marchés mais pour servir les priorités du pays en réarmant financièrement l'Etat. Pour cela, et contrairement aux omissions de Mediapart, le programme "l'Humain d'abord" regorge de financements. C'est un programme qui rapporte. A travers notamment la mise en place d'un revenu maximum dans le cadre d'un nouvel impôt sur le revenu avec 14 tranches progressives jusqu'à 100 %. Mais aussi à travers la remise en cause des cadeaux fiscaux de la droite depuis 2002 (qui pèsent aujourd'hui pour 60 milliards par an) ou encore des exonérations de cotisations sociales dont l'efficacité n'a jamais été démontrée (30 milliards par an). Et quand Mediapart mentionne l'idée de taxer autant les revenus du capital que ceux du travail, le site internet oublie d'indiquer que cette mesure rapporterait entre 60 et 100 milliards d'euros par an selon les estimations. Ce n'est pourtant pas anodin car cette somme permettrait d'augmenter entre 20 et 30 % les moyens budgétaires de l'Etat.
Des additions hasardeuses
Dans son analyse des propositions du Front de Gauche, Mediapart mélange aussi les coûts publics et des coûts privés supposés, pour grossir artificiellement l'impression d'un coût exorbitant qui résulterait du programme. Par exemple, après avoir énuméré les propositions pour abolir la précarité, Mediapart indique que "ces mesures seraient sans doute très couteuses". On remarquera tout d'abord le caractère assez approximatif ("sans doute") d'un tel jugement. Et sur le fond on notera que Mediapart mélange des mesures qui auront un coût réel en dépenses publiques (statut d'autonomie des jeunes) et d'autres qui n'en auront aucun (limitation des contrats précaires, droit au CDI à temps plein etc). Or les coûts privés apparemment induits pas ces dernières mesures sociales ne sont nullement des charges pour la société. Ce n'est pas quelque chose de plus que l'économie ou la société devraient financer ex nihilo. Ce sont au contraire des mesures qui se financent en répartissant autrement et plus utilement la richesse produite. Jean-Luc Mélenchon a situé à plusieurs reprises l'ambition de ce partage des richesses qui est occulté par Médiapart : rendre aux travailleurs les 10 points de richesse nationale (soit prés de 200 milliards annuels) qui sont passés depuis 30 ans des poches du travail à celles du capital.
Une série d'approximations, d'omissions et d'erreurs
Alors que Mediapart centre son analyse sur le "flou" supposé du programme "L'Humain d'abord", on ne peut que s'étonner des approximations et erreurs commises dans la présentation de celui-ci, à l'opposé de la rigueur d'analyse qui fait la réputation de ce média.
Par exemple, la présentation de la proposition de SMIC à 1 700 euros est particulièrement imprécise. En effet pour Mediapart le Front de Gauche "prône un SMIC à 1 700 euros net par mois. Il est aujourd'hui de 1 365 euros … brut". Une présentation manifestement destinée à faire croire que le Front de Gauche avance des propositions excessives. Or Mediapart passe sous silence que le programme propose d'abord le SMIC à 1 700 euros bruts en 2012, comme le revendique la CGT. Et qu'il fixe ensuite l'objectif d'un SMIC à 1 700 euros nets dans la législature qui durera jusqu'à 2017. Cela n'a donc aucun sens de mettre en face les 1 700 euros nets que le SMIC atteindra dans quelques années si le Front de Gauche gouverne, et ses 1 365 euros bruts actuels.
On remarque la même imprécision pour présenter les propositions de salaire maximum et de revenu maximum. A ce sujet, Mediapart n'a pas saisi la distinction entre le salaire et le revenu (qui englobe non seulement les salaires mais aussi les revenus non salariaux, et notamment ceux de l'épargne) puisqu'il mélange ces deux propositions jusqu'à les confondre. Alors qu'elles sont clairement distinguées et expliquées dans le programme "l'Humain d'abord". Cela conduit non seulement Mediapart à déformer ces propositions mais même à attribuer au Front de Gauche une proposition qu'il n'a jamais faite. Lisez plutôt ce qu'écrit Mediapart : "serait instauré un salaire maximum de 30 000 euros par mois, dans le public et dans le privé." Or il s'agit du revenu maximum, et non pas du salaire, qui serait fixé à 30 000 euros par mois, en référence à 20 fois le revenu médian. Dans les entreprises, le Front de Gauche ne prévoit pas de fixer de limite chiffrée au salaire maximum, précisément pour que cette mesure soit un outil pour augmenter tous les salaires, à commencer par les plus bas. Le salaire maximum consiste ainsi à imposer un écart maximum de 1 à 20 entre les salaires d'une même entreprise. Une proposition qui a aussi été avancée par la Confédération européenne des syndicats. L'intérêt de fixer un écart et pas un niveau plafond est d'enclencher un cercle vertueux dans lequel l'entreprise est obligée d'augmenter d'abord les plus bas salaires si elle veut augmenter les plus hauts. Une dimension essentielle qui est omise par la manière avec laquelle Mediapart présente cette proposition.
Banques : un contresens sur les nationalisations
Sur la question tout aussi cruciale des banques, Mediapart n'a pas vu que le Front de Gauche propose "la nationalisation de banques et de compagnies d'assurances" (page 35) … au point de lui faire dire le contraire ! Mediapart écrit : "en mariant la caisse des dépôts, le crédit foncier, Oséo et la Banque postale, le Front de Gauche veut créer un pôle financier public" Une présentation tronquée puisqu'elle n'évoque qu'une des trois branches du pôle public défendu par le programme. En plus des institutions financières publiques actuelles, il propose en effet aussi de mettre en réseau dans le même pôle, d'une part des banques mutualistes et d'autre part des banques commerciales dans leur activité de détail, grâce à "la nationalisation de banques". Mediapart ne l'a pas vu. Et il tire de cette présentation tronquée une conclusion mensongère :"une proposition qui rejoint le programme du PS mais qui s'éloigne de celui du NPA qui défend la nationalisation des banques" Alors que précisément le Front de Gauche écrit que son pôle financier public suppose "la nationalisation de banques", à la différence du PS qui l'exclut ! Cela signifie évidemment pas que le changement de la propriété des banques serait la principale solution à la crise financière. Par exemple, les nationalisations bancaires pratiquées par Gordon Brown en Angleterre n'ont nullement servis des objectifs d'intérêt général et ont au contraire éponger des pertes privées avec de l'argent public. Le Front de Gauche appelle à l'inverse à une refonte globale du système financier, en remettant en cause ses normes de fonctionnement, à commencer la libre circulation des capitaux. De manière à orienter les financements de manière radicalement différente, grâce notamment à un pôle financier public.
Des omissions qui banalisent les propositions du Front de Gauche
Sur la question des banques et des marchés financiers, Mediapart cite plusieurs propositions du Front de Gauche mais note que sa volonté de séparer les banques de dépôt et celles d'investissement "figure en bonne place dans le programme socialiste". Mais le site internet omet de signaler que les autres propositions du Front de Gauche à ce sujet sont divergentes avec ledit programme socialiste. En particulier quand elles remettent en cause la liberté de circulation des capitaux sacralisée par le Traité de Lisbonne que le PS défend.
Mediapart opère la même omission sur les retraites où le site internet fait comme si les propositions du Front de Gauche étaient "du moins sur le papier" similaires à celles du PS. Alors que "sur le papier", elles sont justement très différentes ! Mediapart prétend que comme le PS le Front de Gauche revendique le retour de l'âge légal de la retraite à 60 ans. S'il s'agit bien de l'intégralité de la proposition du PS, ce n'est pas du tout l'intégralité de celle du programme L'Humain d'abord. Le Front de Gauche propose en effet "la retraite à 60 ans à taux plein" avec "75 % du salaire de référence". Cela fait une différence majeure par rapport au PS qui est favorable à l'allongement de la durée de cotisation à 41 annuités et au-delà. Ce qui réduit la retraite à 60 ans à un droit au rabais pour les retraités de partir avec une pension de misère.
Quand le Front de Gauche critique l'annualisation du temps de travail, Mediapart croit aussi utile d'objecter qu'elle aurait "été adoptée par la gauche plurielle de Lionel Jospin, dont le PCF faisait partie". Or l'annualisation du temps de travail n'a pas été inventée par le gouvernement Jospin mais par le gouvernement Balladur dans la loi quinquennale pour l'emploi de 1993. Et on rappellera également que les parlementaires communistes, et ceux qui sont aujourd'hui au Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon en particulier, ont combattu les modalités d'annualisation et de précarisation du temps de travail que comportait notamment la loi Aubry de 2000. A la tribune du Sénat en octobre 1999, Jean-Luc Mélenchon s'est opposé à toute dérèglementation du temps de travail, en combattant notamment le forfait jours pour les cadres, funeste invention de Martine Aubry. A la différence du PS, le Front de Gauche est donc tout à fait cohérent et légitime quand ses portes paroles dénoncent encore aujourd'hui l'annualisation et la précarisation du travail.
L'illusion sociale-démocrate
Dans son analyse, Mediapart met à plusieurs reprises en avant la préoccupation sociale-démocrate du dialogue social, en reprochant au Front de Gauche de ne pas tenir assez compte des partenaires sociaux. Le site internet l'accuse ainsi de faire de la négociation sociale un "tête à tête entre les syndicats et l'Etat" et d'"évacuer les chefs d'entreprise du cadre". Or l'invocation sociale-démocrate du dialogue social comme méthode de changement aujourd'hui est particulièrement anachronique et illusoire. Ces appels font comme si le patronat désormais aux mains de la finance était disposé à négocier des normes sociales. Alors qu'il n'est là, en tout cas dans sa dimension organisée au sein du Medef, que pour exiger la destruction de toutes les régulations sociales. Quelle est donc l'alternative de Mediapart quand il reproche au Front de Gauche de proposer une nouvelle convention d'assurance chômage "en lieu et place des partenaires sociaux" ? C'est précisément un dossier sur lequel l'impasse du dialogue social est aujourd'hui patente puisque la préoccupation unique du patronat dans cette négociation est devenue de réduire les coûts des entreprises et de maximiser les profits en oubliant tout objectif d'intérêt général lié à l'utilité économique et sociale d'indemniser les chômeurs.
L'occultation de la proposition de VIème République
Un tropisme social-démocrate, volontiers insensible à la forme des institutions, se ressent aussi dans la présentation que fait Mediapart des propositions institutionnelles du Front de Gauche. Le site internet lui prête "quelques intentions institutionnelles". Et il passe sous silence la proposition de 6ème République, qui est pourtant singulière dans le paysage politique depuis que le PS a abandonné cette perspective. Mediapart écrit aussi que dans le programme "l'Humain d'abord" "le sort du président de la République n'est pas tranché, même s'il est promis "une primauté de l'assemblée nationale sur l'exécutif". Or, le programme du Front de Gauche précise justement que "les pouvoirs exorbitants du président doivent être supprimés dans le cadre d'une redéfinition générale et d'une réduction de ses attributions" Le Front de Gauche tranche donc clairement en faveur d'une réduction du pouvoir présidentiel.
En passant à côté de la refondation républicaine des institutions qui est proposée par le Front de Gauche, le site internet explique même qu'"il ne faut pas s'attendre à un grand projet de nouvelle constitution, puisque celui-ci sera avant tout débattu par la population". Or c'est exactement l'inverse que porte le Front de Gauche dans son projet de révolution citoyenne. C'est parce que le peuple va se mêler de redéfinir lui-même la règle du jeu de la vie publique en élisant une assemblée constituante que cette règle du jeu pourra enfin changer en profondeur.