Les co-présidents du Parti de Gauche Jean-Luc Mélenchon et Martine Billard ont été reçus vendredi 30 novembre par le Président de la République concernant les conclusions du rapport Jospin sur les institutions. Voici l'analyse du Parti de Gauche sur les propositions de ce rapport qui sont un énième replâtrage de la Vème République.
Remarques du Parti de Gauche au sujet du rapport Jospin
La dernière fois que les Français étaient appelés aux urnes, l’abstention a atteint 44%. C’est un record absolu pour un second tour d’élections législatives sous la Cinquième République. Scrutin après scrutin, il est devenu impossible de nier la crise démocratique qui frappe notre pays.
Un problème ? Une commission ! Telle fut assez classiquement la réponse du nouveau président de la République François Hollande. Mais en matière de renouveau démocratique, de telles méthodes font en réalité partie du problème.
Confier le débat sur le « renouveau démocratique » à une commission composée d’experts non élus travaillant à huis-clos ne peut que creuser le fossé entre les institutions et le peuple traité en mineur qu’il ne serait besoin ni de consulter ni même d’informer.
Choisir d’exclure de cette commission tout autre courant d’opinion que le PS ou l’UMP ne peut qu’aggraver un bipartisme qui étouffe la représentation de la diversité politique du pays.
Faire présider cette commission par Lionel Jospin, c’est confirmer d’entrée de jeu l’inversion du calendrier électoral et conforter la thèse présidentialiste dont notre démocratie a pourtant largement souffert sous Sarkozy.
Nous n’attendions pas de cette commission la convocation de l’Assemblée constituante défendue par le Front de Gauche. Mais qu’au moins le pouvoir accepte un débat large et transparent dans lequel il confronterait son point de vue aux autres options en présence, avant que le peuple n’en décide directement ou par l’intermédiaire de ses représentants. Telle est la définition même de la démocratie !
Une telle méthode a conduit logiquement à des résultats désolants sur le fond. L’ambition des travaux de la commission est restée très faible : apporter des correctifs aux institutions actuelles, mais pas question d’en modifier l’équilibre général, encore moins de remettre en cause la Ve République et le présidentialisme. On relève des absences criantes : rien sur l’extension des pouvoirs du Parlement, rien sur les libertés fondamentales, rien sur le pluralisme dans les médias, rien sur le financement public des partis, rien ou presque sur la parité et l’égalité femme/homme.
On peut en définitive regrouper les propositions contenues dans le rapport en trois axes :
I. Aggraver le présidentialisme et le bipartisme
Traumatisé par le résultat des élections de 2002, Lionel Jospin est resté convaincu que sa défaite était liée au nombre de candidats au premier tour. Aussi, les propositions de la commission sont animées de la volonté d'empêcher les petits partis d’avoir des candidats et de limiter les capacités d'accès aux médias aux autres partis que le PS et l’UMP.
a) Empêcher les petits partis d’être représentés à la présidentielle
Il est proposé de remplacer le système actuel (un candidat doit être parrainé par 500 élus) par un parrainage citoyen, en fixant à 150 000 le nombre de signatures nécessaires pour concourir.
Avec ce système, de nombreux candidats, pourtant représentatifs de vrais courants de pensée politique dans notre pays, n'auraient vraisemblablement pas pu se présenter aux dernières élections, : les deux candidats trotskistes, Nathalie Arthaud (202 002 voix) et Philippe Poutou (411 000 voix), voire Nicolas Dupont-Aignan (643 000 voix) ou même Eva Joly (828 000 voix). Par exemple, pour qu’Eva Joly puisse être candidate, près de 20 % de ses électeurs et électrices seraient obligés de révéler publiquement leur vote; et le chiffre est de 75% pour Nathalie Arthaud. Rappelons que le secret du vote est un principe constitutionnel…
Si 150 000 signatures ne font que environ 0,23 % de la population (en fait plutôt 0,34% car il s'agit de la population inscrite sur les listes électorales), ces signatures devraient être réunis dans au moins 50 départements soit la moitié des départements, avec au plus 7500 signatures par départements, soit par exemple 0,33 % de la population parisienne et jusqu'à 1,4 % de la population du 50 ème département français par la population. Cette limite de signatures par départements aura clairement comme résultat d'empêcher des petits partis d'obtenir cette répartition.
Au final, cette mesure va contre le pluralisme politique, et même contre le principe constitutionnel du secret du vote.
b) Effacer les petits partis qui arriveraient quand même à être représentés à la présidentielle
Une fois franchi cet obstacle des signatures, les propositions de modifications suivantes visent à dresser de nouveaux obstacles supplémentaires
En matière de financement public, il est proposé de remplacer le système actuel (où un candidat à plus de 5% des suffrages exprimés est remboursé) par un système avec 11 tranches de remboursement espacées de 2 points (de 0% à 2%, de 2% à 4% etc. la dernière tranche correspondant à plus de 20% des suffrages exprimés). Évidemment, ceux qui font plus de 20% seraient les mieux remboursés. Ce sont justement l’UMP et le PS qui font toujours plus de 20% . Cette modification a donc pour objectif de réduire le remboursement de tous les autres candidats. Ainsi en 2012, le candidat du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, serait moitié moins remboursé que les deux candidats UMP et PS. En plus les dépenses seraient engagées sans visibilité aucune du remboursement prévisible puisque celui-ci dépendrait du résultat.
Cette modification du financement introduirait donc une inégalité de traitement des candidats.
Il est aussi proposé de ne plus rembourser les prêts des partis politiques faits aux candidats. Sous prétexte que cela pourrait conduire à un enrichissement d'un candidat par détournement du remboursement !!! Pourtant actuellement les règles sont formelles : le candidat doit prouver qu'il a bien remboursé son parti. Les comptes des partis sont soumis à contrôle annuel. Donc tout existe pour le contrôle. La menace avancée est donc totalement inexistante. La modification aura donc pour conséquence d'écarter les candidats n'ayant pas d'apport personnel suffisant et auquel une banque peut refuser un prêt faute de garanties personnelles suffisantes. Cette mesure serait donc typiquement une mesure réservant aux détenteurs de capitaux de patrimoine ou de la confiance des banques, la candidature à la présidentielle.
Les règles de financement ainsi modifiées ne seraient pas plus justes contrairement à ce qui est écrit dans le rapport mais bien plus injustes !
En matière de temps de parole dans les médias audiovisuels, Lionel Jospin propose que le principe d’égalité s’applique seulement pendant la campagne officielle (les 15 derniers jours), et non plus, comme aujourd'hui, une fois la liste des candidats agréée par le Conseil constitutionnel (c'est-à-dire un mois avant le 1er tour). Bref, hormis les 15 derniers jours, le droit à l’expression médiatique serait limité aux candidats choisis par les médias et l'élection de 2012 nous a montré que dans ce cas cela voulait dire le PS, l'UMP et le FN.
Couplé avec l'avancée dans l'année de la tenue de l’élection présidentielle et des élections législatives, cela réduirait le temps de campagne médiatique pendant lequel les candidats extérieurs au système en place peuvent se faire connaître et percer. On se demande d'ailleurs si ce n'est pas l'objectif poursuivi.
c) Renforcer le présidentialisme
Après avoir renforcé le bipartisme à la présidentielle, la boucle est bouclée en renforçant le présidentialisme. Ainsi le délai entre l’élection présidentielle et les élections législatives serait réduit à trois semaines, contre cinq aujourd'hui, ce qui imposerait de déposer les candidatures le lundi, lendemain du dimanche de deuxième tour de l'élection présidentielle, et réduirait la campagne législative à 15 jours ! Bref, il s’agit d’aggraver les effets de l’inversion du calendrier électoral, en augmentant encore la soumission des élections législatives au résultat de la présidentielle.
Renforcement du présidentialisme et du bipartisme forment un ensemble cohérent dont nous ne voulons clairement pas !
II. Répondre à l’absence de représentativité du Parlement par des symboles qui masquent mal le renforcement du bipartisme
Aujourd'hui, le Parlement n’est absolument pas représentatif. A l’Assemblée nationale, l’UMP et le PS ont 90 % des sièges en ayant obtenu à peine 55 % des suffrages exprimés. Le Sénat, qui, élu au suffrage indirect, ne représente pas directement les citoyens, surreprésente massivement les territoires ruraux, en total décalage avec les réalités démographiques actuelles.
a) Une dose de proportionnelle totalement symbolique
Il est proposé que 10% des députés (soit 58 sur 577) soient élus à la proportionnelle, sur une liste nationale, les autres restant élu au scrutin uninominal majoritaire dans des circonscriptions. Seulement 10 % ! Ça veut dire que 90% des députés seraient encore élus selon un mode de scrutin qui ôte toute réelle représentativité à l’Assemblée nationale.
En plus, tous les partis (y compris les partis déjà surreprésentés) seraient concernés par le partage des 58 sièges. Ce ne serait donc pas un mécanisme de compensation/correction à destination des partis lésés dans leur représentation à cause du scrutin majoritaire (comme c'est le cas en Allemagne).
Ainsi un parti qui obtiendrait 10% des suffrages exprimés mais 0 député au scrutin majoritaire aurait droit à 6 députés (soit 1% des sièges à l’Assemblée nationale) ! Le Front de gauche aurait seulement 13 sièges contre 10 aujourd'hui ( à supposer que le redécoupage qui en découle ne vise pas à supprimer des députés FG comme le précédent) alors qu’il en aurait 40 à la proportionnelle intégrale !
Notons aussi la demi-mesure proposée pour l’élection des députés représentant les Français de l’étranger.
Consciente du ridicule d’une élection au découpage électoral surréaliste (l’une des circonscriptions fait quasiment un tiers de la planète) et où, aux dernières législatives, 11 députés ont été élus avec 80% d’abstention, la commission propose de faire élire ces députés à la proportionnelle. Mais au lieu de les faire élire sur une seule liste de 11 sièges (où un parti à 10% pourrait avoir au moins un siège), elle invente un distinguo entre Europe et « reste du monde » pour qu’il y ait deux circonscriptions avec des listes à 5 ou 6 sièges (dans l’objectif que seuls les candidats du bipartisme puissent se faire élire).
b) Remettre en cause la discipline républicaine dans l’espoir d’arracher quelques sièges au concurrent de gauche
Pour éviter qu’il n’y ait qu’un seul candidat au 2nd tour des législatives au scrutin majoritaire (par exemple, si le deuxième au 1er tour se désiste en faveur du premier : discipline républicaine à gauche), la commission propose que, dans cette situation, celui qui est arrivé troisième puisse candidater au 2nd tour, même s’il ne réunit pas les conditions requises par le code électoral pour être au 2nd tour (avoir obtenu les suffrages de 12,5% des inscrits). Et si le troisième se désiste aussi, alors ce serait le quatrième etc.
Cela permettrait à un candidat PS arrivé deuxième au 1er tour de se maintenir face à un candidat Front de Gauche qui l'aurait devancé et se faire ainsi élire au 2nd tour contre le FDG grâce aux voix des électeurs de droite !
c) Augmenter le nombre de sénateurs PS grâce à des tours de passe-passe juridiques
La commission propose de revenir au scrutin de liste proportionnel dans les départements élisant 3 sénateurs, de modifier le collège électoral qui élit les sénateurs, en enlevant à juste titre les députés, en modifiant la pondération dans les municipalités au profit des grandes villes et surtout en renforçant le poids des conseillers régionaux et des conseillers généraux dans le collège : les conseillers régionaux représenteraient 15% du collège et les conseillers généraux pareil (donc 30% à eux deux). Ainsi plutôt qu'un redécoupage des cantons, la commission propose une usine à gaz de pondération.
d) Refuser les mesures qui s’imposent pour la parité
La commission propose de modifier la modulation des aides financières aux partis politiques. Ceux qui ne respectent pas la parité toucheraient un peu moins de financements publics.
C’est faible ! Si des partis préfèrent déjà voir leur subvention publique baisser plutôt que présenter des candidates femmes au scrutin majoritaire, ce n’est pas ça qui les fera changer d’avis. Soyons clairs : le seul moyen efficace de garantir la parité, c’est de mettre le scrutin de liste partout ! A défaut, c'est la deuxième fraction du financement public, celle qui porte sur le nombre réel d'élus, qui devrait être modulée.
III. Des mesures de « déontologie » dont les plus intéressantes ont peu de chances d’entrer concrètement en application
Certaines sont intéressantes, mais elles ont peu de chances d’entrer concrètement en application. On en prendra 3 exemples : le cumul des mandats et des fonctions, le statut pénal du président de la République et la réforme du Conseil constitutionnel
a) La réforme du cumul des mandats et des fonctions
La commission propose d’interdire le cumul des fonctions ministérielles avec tout mandat local (pas seulement pour les exécutifs locaux, mais aussi pour le fait de siéger dans une assemblée délibérante). Bonne idée : l’exercice des fonctions gouvernementales suppose un engagement à temps plein, et il faut éviter les suspicions de conflit d’intérêt. La commission propose aussi d’interdire le cumul d’un mandat de parlementaire avec tout mandat électif autre qu’un mandat local simple (conseiller municipal, conseiller général, conseiller régional), mais sans aller jusqu’à vouloir le mandat unique, ce qui est regrettable.
Mais tout cela suppose de modifier l’article 23 de la Constitution, donc d’avoir une majorité des 3/5 au Congrès, ce que le gouvernement n'a pas, d'autant que des sénateurs PS et non des moindres continuent à s'y opposer. Il ne reste que le référendum pour en finir avec le cumul des mandats. Le gouvernement le voudra-t-il ?
b) Le statut du chef de l’Etat
La commission veut mettre fin à l’inviolabilité du Président de la République en matière pénale et en matière civile. Nous y sommes tout à fait favorables. Mais là encore, cela suppose une révision constitutionnelle (articles 67 et 68), donc une majorité des 3/5e.
c) La réforme du Conseil constitutionnel
La commission propose de supprimer la disposition constitutionnelle qui permet aux anciens présidents de la République d’être membres de droit à vie du Conseil constitutionnel.
Totalement insuffisant ! Les autres membres du Conseil constitutionnel sont nommés par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. Si les trois sont du même parti, comme aujourd'hui, tous les membres du Conseil constitutionnel sont nommés par le même parti. C’est l’ensemble du mode de nomination au Conseil constitutionnel qu’il faut revoir.
Synthèse des dix erreurs du rapport Jospin
1) Un parrainage citoyen qui s’avère anti-démocratique
Au lieu des 500 signatures de maires, il faudrait recueillir 150 000 signatures citoyennes pour se présenter à la présidentielle. -> Un chiffre qui représente 20 % des électeurs d’E. Joly et 75 % des électeurs de N. Arthaud ! Cela empêcherait les « petits candidats » de se présenter et nuirait au principe constitutionnel de secret du vote.
2) Un nouveau système de remboursement qui favorise les deux grands partis
Système de remboursement par tranche, dans lequel plus on fait de voix, mieux on est remboursé : un système moins égalitaire que l’actuel.
3) Une réduction de moitié du temps d'égalité dans les médias entre les candidats à la présidentielle
Ce créneau commence actuellement une fois la liste des candidats validés par le Conseil constitutionnel, soit un mois avant le 1er tour. Le rapport Jospin propose que ce délai se réduise au temps de la campagne officielle, soit les 15 derniers jours.
4) Les élections législatives escamotées : réduction de 5 à 3 semaines du délais entre présidentielles et législatives
Cela aggraverait les effets de l’inversion du calendrier électoral, renforçant encore l’effet d’entrainement de la présidentielle sur les résultats des législatives.
5) Une dose ridicule de proportionnelle aux législatives (10 %)
C'était la proposition de Nicolas Sarkozy pendant sa campagne. En 2012, avec ce système, le FdG aurait obtenu 13 députés au lieu de 10 (40 si l’élection s’était faite à la proportionnelle intégrale)
6) La révision du mode de maintien des candidats au second tour des législatives au détriment de la gauche
Si un des deux candidats arrivés en tête du premier tour se désiste, le troisième pourrait se maintenir, voire le 4ème si le troisième ne veut pas se maintenir. Un candidat PS arrivé second derrière un candidat FdG pourrait donc arguer d’un maintien d’un candidat de droite pour se maintenir au second tour.
7) Une manoeuvre pour conserver la majorité PS au Sénat : donner aux conseillers généraux et régionaux plus de poids dans le collège électoral des sénateurs
Une mesurette qui passe à côté de l'enjeu du rééquilibrage de la représentation des communes dans le collége électoral des sénateurs, et plus largement de la refondation du Sénat.
8) Une fausse interdiction du cumul des mandats
Les parlementaires ne pourraient plus être membre ou chef d’un exécutif local, mais pourraient conserver un mandat local simple. Le cumul entre mandats exécutifs locayx pourra continuer. Pourquoi ne pas interdire vraiment le cumul des mandats ?
9) L'augmentation à la marge les sanctions financières pour les partis ne respectant pas la parité
10) Une réforme a minima de la composition du Conseil constitutionnel
Les anciens Président de la République n’y siégeraient plus, mais le mode de nomination des membres du conseil ne serait pas modifié (3 par le pdtAN, 3 par le pdt Sénat et 3 par le PdtR)