Derrière des affichages budgétaires trompeurs, la nouvelle loi sur l'université présentée par le gouvernement conforte la politique de Nicolas Sarkozy initiée avec la loi LRU de 2007. Cette loi a pourtant renforcé les inégalités entre universités en plaçant un grand nombre d'entre elles en déficit. Et en accélérant la marchandisation et la privatisation de l'enseignement supérieur.
1) GOUVERNANCE, EVALUATION : DES AMELIORATIONS EN TROMPE L'OEIL
La loi présentée par la ministre Fioraso prétend répondre au mécontentement du monde universitaire, grâce :
– d'une part, à l'amélioration de la gouvernance, censée être à l'avenir plus collégiale ( limitation du pouvoir des présidents d'université, qui ne peuvent plus effectuer qu'un seul mandat, et peuvent éventuellement faire l'objet d'une procédure d'impeachment)
– d'autre part, la suppression de l'AERES, agence d'évaluation instituée par la LRU
Mais il ne s'agit là que d'améliorations en trompe l'oeil :
– la gouvernance n'est pas plus démocratique :
– la présence des membres nommés (dont certains n'ont aucune légitimité universitaire, cf. infra) reste importante dans les différents conseils des universités
– le président de l'université est désormais désigné par tous les membres du CA – et non plus par les seuls membres élus (L712-2)
– la procédure d'impeachment reste très encadrée, puisque elle requiert la démission des deux tiers des membres du CA
– un nouvel échelon institutionnel, pour le moins obscur, est mis en place. Il s'agit de la communauté d'université (CU), qui remplace les Pôles de Recherche et d'Enseignement supérieur (PRES) inventés sous Sarkozy pour accélérer la restructuration universitaire en lien avec la course à la "compétitivité". Les problèmes de gouvernance et de démocratie qui vont se poser à ce niveau sont les mêmes que ceux qui se sont posés avec la constitution des PRES = transferts de compétences à la carte et composition aléatoire et non-démocratique des instances dirigeantes…
– l'AERES doit être remplacée par une autre autorité administrative non élue, le Haut Conseil d'Evaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (HCERES), qui procède de la même logique et conserve le même type de missions
2) LA LRU DE SARKOZY PROLONGEE ET AGGRAVEE
Loin de rompre avec la LRU de Sarkozy, la loi Fioraso en prolonge et en approfondit la logique.
La plupart des articles de la nouvelle loi sont repris tels quels de la loi précédente.
le principe d'« autonomie » est réaffirmé clairement.
– L'article L711-1, qui établit que les établissements « sont autonomes », est repris sans modification.
– Le rôle de l'Etat régulateur de l'Etat est encore affaibli : la référence à la « planification » (L123-2) disparaît. La responsabilité du Ministère vis-à-vis des universités et de l'ANR reste très floue.
les problèmes posés par la LRU devraient donc perdurer : mise en concurrence, inégalités croissantes entre les établissements, difficultés budgétaires et perte d'autonomie pour les plus faibles Rappel : près de la moitié des 80 universités françaises sont en difficultés, et plus de 20 d'entre elles seront en déficit en 2013, d'où une différenciation dramatique de l'offre de formation sur le territoire national…
les dispositions concernant le recrutement des enseignants-chercheurs (décret du 23 avril 2009), qui avaient suscité l'ire des universitaires voilà quelques années, restent pour l'instant inchangées. Les comités de sélection conservent la même forme, et les CA gardent la possibilité de casser les décisions de ces comités.
le regroupement des établissements, jusque là encouragé, est désormais obligatoire (avec dérogations pour la région parisienne). C'est un niveau des regroupements d'université (fusion ou Communauté d'université) que se fera désormais la contractualisation avec l'Etat.
la loi Fioraso organise, plus explicitement encore que la loi Pécresse, la perte d'autonomie du monde académique et scientifique, et sa subordination progressive aux impératifs du secteur privé et de « l'économie ».
– la loi (L123-2) assigne à l'université la mission de participer à « la croissance et la compétitivité de l'économie et à la réalisation d'une politique de l'emploi prenant en compte les besoins des secteurs économiques et leur évolution probable » (cette mission est réaffirmée dans plusieurs autres articles)
– les établissements doivent s'attacher « à développer le transfert des résultats obtenus vers le monde socio-économique » (L123-5)
– dans le CA de l'université doit figurer « au moins un représentant du monde économique et social » désigné par le président du Conseil économique et social régional
– des « personnalités du monde économique » doivent également siéger au Conseil Stratégique de la Recherche
ces dispositions ne sont pas marginales. Elles sont très significatives, et traduisent bien la vision que G. Fioraso a de l'université [1]
toujours moins de cohérence nationale :
– l’habilitation nationale des diplômes est remplacée par une accréditation globale délivrée (pour 5 ans) par les ministère aux établissements, qui ont ensuite toute latitude pour mettre au point leurs diplômes. Cette mesure menace l’unité de l’offre de formation et le principe d’égalité territoriale.
– les régions se voient reconnaître une compétence plus grande en matière de politique universitaire :
Modifications apportées au code de l’éducation : « Art. L. 214-2. – La région fédère et coordonne les initiatives visant à développer et diffuser la culture scientifique (…).
« Dans le cadre des orientations du plan national, la région définit un schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation qui détermine les principes et les priorités de ses interventions. « Elle détermine les objectifs et les investissements prévus par des programmes pluriannuels d’intérêt régional en matière de recherche. Les orientations du schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation sont prises en compte par les autres schémas établis par la région en matière de formation, d’innovation et de développement économique. La région est consultée sur les aspects régionaux de la carte des formations supérieures et de la recherche. »
Ces mesures sont à relier, sur un plan plus général, à l’acte III de la décentralisation et au désengagement général de l'Etat organisé au nom de l'austérité dans la continuité avec la politique de Sarkozy.
référence incantatoire au développement du numérique.
Au mieux, un gadget. Au pire, un vecteur de la marchandisation du savoir. Le numérique intéresse beaucoup les « réformateurs » dans la mesure où il permet 1° de diminuer le ratio enseignant/étudiants et 2° de produire des ressources de formation que l'on peut ensuite monnayer largement.
la religion de « l'international » :
– le ministre doit désormais « veiller à la mise en cohérence de la stratégie nationale avec celle élaborée dans le cadre européen »
– l'article L121-3 prévoit de nouvelles exceptions à l'obligation d'enseigner en français
3) UNE LOI SILENCIEUSE SUR LA PRECARITE
La loi reste floue sur plusieurs points importants :
– elle prévoit la disparition des Unités de Formation et de Recherche « UFR ». Mais rien de précis n'est dit sur la nature et le fonctionnement des « composantes » que se substituent aux UFR.
– elle impose en outre le remplacement des Conseil Scientifique et Conseil des Etudes par un Conseil Académique unique. Là encore, la logique et les conséquences de cette mesure restent floues.
surtout, la loi ne dit rien sur le prolème crucial de la précarité dans l'université.
– les premiers documents préparatoires insistaient sur la nécessité de faire appliquer la loi Sauvadet (CDIsation et titularisation des CDD employés sur des fonctions pérennes). Cette préoccupation semble avoir été escamotée en cours de route.
– les créations de postes annoncées par la ministre sont très insuffisantes. Le nombre de nouveaux postes annoncé (1000 sur l'année) reste très inférieur au nombre de poste gelés par les universités en 2012 (1500).
Pour participer à la mobilisation contre cette loi : voir les campagnes du Parti de Gauche dans les universités.
[1] Ancienne collaboratrice du maire de Grenoble Michel Destot, en charge de l'économie et de l'innovation, elle a fait carrière dans des institutions associant, généralement à l'échelle régionale, université et entreprise, recherche et affaires (start-up au sein du CEA ; Agence Régionale du Numérique ; Institut d'Administration des Entreprises de Grenoble ; PDG de la SEM Minatec…). C'est cette expérience (applications économiques de la recherche en sciences dures), et non sa lointaine expérience d'étudiante et d'enseignante (sciences sociales et anglais) qui semble conditionner sa vision de l'université.
La ministre, dont le discours a de forts accents managériaux, 1° insiste volontiers sur la valorisation économique de la recherche, et 2° prône des « stratégies de site ouverts sur les écosystèmes » locaux, sur le « tissu local ». Traduction :
– 1° la recherche qui compte est celle qui produit des savoirs monnayables ; les humanités ne sont là que pour le supplément d'âme
– 2° les établissements de second rang doivent adapter leur offre de formation aux besoins des entreprises locales