La Loi "Libertés et responsabilités des universités", dite LRU est une des premières lois votées après l'élection de Nicolas Sarkozy à l’été 2007. Au 1er janvier 2011, 22 nouvelles universités sont passées dans le régime d'"autonomie" prévu par cette loi, qui couvre désormais 73 universités sur 83. Cette loi accélère la privatisation du financement de l'enseignement supérieur et va aggraver les inégalités entre établissements. Le Parti de Gauche s'engage à l'abroger si un gouvernement du Front de Gauche arrive au pouvoir (voir la fiche programme du PG à ce sujet).
Nous revenons ici sur les premières conséquences de cette loi dont nous rappelons aussi les principales mesures.
Désengagement de l’Etat et universités à plusieurs vitesses
Dès la première vague de 18 universités « autonomes » en 2008, plusieurs ont déchanté face au désengagement financier de l’Etat, sous couvert nouvelles marges de manœuvre de « gestion » accordées aux établissements. 900 postes ont ainsi été supprimés dans le budget 2009 de l’enseignement supérieur. Le nouveau système de répartition des moyens « à la performance », a conduit à un sous financement généralisé et pénalise en particulier les universités à fort potentiel de recherche (considéré comme moins directement performant par rapport au potentiel d’enseignement dans la logique de ce système de répartition des moyens).
Ce système vise à pousser les présidents d’universités à moduler le service des enseignants –chercheurs (comme le leur permet la loi LRU et le nouveau décret statutaire des enseignants chercheurs) pour leur faire faire plus d’heures d’enseignements et moins d’heures de recherches. Au final, cette logique d’économies à courte vue risque d’amputer lourdement la capacité de recherche des universités.
Par exemple, l’université Paris 6 Jussieu (passée à l’autonomie en 2008-2009, 1ère université scientifique de France) a ainsi perdu 5 millions d’euros de dotations en 2009 et accuse un déficit structurel de 400 postes.
Les universités de lettres et sciences humaines sont aussi fortement pénalisées par le nouveau système de répartition des moyens.
Conséquence : la hausse des frais d’inscription
- 40 % des universités pratiquent désormais des sur-frais d’inscription illégaux
- dans 6 universités, les frais d’inscription dépassent les 1 500 euros dans certaines filières
- en 2010, l’université Paris Dauphine a décidé d’augmenter les droits d’inscription de ses 40 masters les plus prestigieux pour les faire passer entre 1 500 à 4 000 euros selon les revenus des parents des élèves, contre 232 euros actuellement (droits d’inscription légaux nationaux). Pour cela, l’université a transformé ces 40 masters de diplômes nationaux en diplômes d’université (une transformation validée par le ministère et qui menace le cadre national des diplômes).
Le volet universitaire du grand emprunt : l’américanisation des universités
Sur les 11 milliards d’euros du « grand emprunt » dédiés à l’enseignement supérieur, 8 milliards seront versés à « une dizaine de campus d’excellence » (sur 81 universités !), selon une logique de hiérarchisation à outrance de l’offre de formation, à l’américaine.
En proportion du total de l’enveloppe universités du grand emprunt, cela représente 73 % des moyens pour 13 % des universités !
Toujours sur le modèle américain, ces dotations (environ 1 milliard par campus d’excellence) seront versées en « capital » que les universités devront placer dans les Fondations prévues par la loi LRU, en lien avec des entreprises et leurs projets de formations et de recherches. Les revenus annuels de ce « capital » abonderont leurs budgets (à hauteur de 400 millions par an environ, soit 40 millions environ par campus d’excellence).
Ce modèle américain, d’ « universités acteurs financiers » a conduit à un véritable désastre aux Etats-Unis avec la crise financière : les universités américaines ont perdu 90 milliards de dollars dans la crise financière, dont 12 milliards rien que pour Harvard, la plus prestigieuse d’entre elles (qui a dû supprimer 275 postes en juin 2009 et geler tous ses salaires).
Principales mesures de la Loi Pécresse sur les universités
La fin du pilotage de l’Etat sur l’enseignement supérieur
Non seulement la loi Pécresse ne propose aucun objectif ni aucun moyen nationaux pour l’enseignement supérieur, mais en plus elle ampute l’Etat du peu d’outils de pilotage dont il disposait encore sur l’offre de formation supérieure. Les contours et le contenu des formations (UFR) pourront désormais être modifiés par simple délibération du conseil d’administration et non plus par un arrêté du ministère. Les présidents d’universités auront donc le moyen de se débarrasser de formations qui leur sembleraient peu attractives ou trop onéreuses, sans que l’Etat n’ait rien à dire. On bascule donc dans un modèle marchand où l’université, à la manière d’une entreprise, sera désormais libre de choisir et d’adapter l’offre proposée aux étudiants devenus clients et aux entreprises devenues financeurs, à condition que cette offre soit rentable. Avec cette logique, les moyens affectés aux formations en sciences humaines risquent évidemment d’être réduits au profit de formations considérées comme plus « rentables » (marketing, finance, communication,…).
Autonomie et globalisation : la gestion des universités comme des entreprises
Les universités auront la possibilité de recevoir leurs dotations d’Etat sous forme d’un budget global incluant la masse salariale. Cette disposition sera obligatoire pour toutes les universités d’ici 5 ans. Elles seront alors libres de recruter, de gérer et de rémunérer leurs personnels. Quant au président, dont les pouvoirs vont être considérablement renforcés par la loi, il pourra attribuer des primes comme il le souhaite à tout le personnel. L’Etat reporte ainsi sur les universités les arbitrages qu’il n’arrive plus à effectuer lui-même au niveau national en situation de pénurie : aux universités désormais de choisir leurs priorités entre les personnels administratifs et techniques et les enseignants, entre le 1er et le 2nd cycle, entre la formation et la recherche, entre l’équipement et l’emploi. La globalisation budgétaire est ainsi un puissant moyen pour l’Etat d’accélérer son désengagement en masquant déficits et pénuries dans le budget désormais « global ». Dans cette logique, seuls des sacrifices permettront de dégager des marges de manœuvre.
Avec des effets pervers inattendus à la clef :
L’ouverture aux fonds privés : désengagement de l’Etat et creusement des inégalités
Les universités pourront désormais créer des fondations qui leur permettront de collecter des financements privés, provenant d’entreprises ou d’autres personnes privées. Grâce à l’article 32, ces financeurs privés pourront bénéficier de réduction d’impôt sur le revenu pour les particuliers ou d’impôt sur les sociétés pour les entreprises. On mesure ici toute l’ambition idéologique de la loi Pécresse : l’Etat n’est plus prêt à investir directement dans les universités mais il veut bien faire des cadeaux fiscaux à de riches contribuables pour qu’ils financent celles-ci à sa place. Le résultat est connu d’avance : à la hiérarchie des financeurs (de la firme multinationale qui peut placer plusieurs millions d’euros sur le marché universitaire à la PME qui n’en a que quelques milliers) va correspondre une hiérarchie des universités, qui seront très inégalement placées dans la course aux fonds privés, selon leur localisation, leur profil disciplinaire (les sciences du vivant seront rentables mais pas les sciences sociales) ou leur prestige et leur histoire. Au final, les flux privés les plus conséquents iront logiquement aux universités déjà les mieux dotées. Sans parler des effets de sélection des formations et des travaux de recherche que cela va induire à moyen terme. Une logique guidée par le court terme et radicalement incompatible avec les horizons longs nécessaires à certains programmes de recherche.
Des inégalités aggravées par la marchandisation du patrimoine universitaire
L’inégalité devant les fonds privés sera encore aggravée par deux autres dispositions. D’une part l’octroi à terme des financements publics aux universités « en fonction de leurs résultats en matière d’accès de leurs étudiants au diplôme et d’insertion de leur diplômés sur le marché du travail » (Sarkozy), qui ne pourra qu’enfoncer un peu plus les établissements défavorisés. D’autre part la possibilité pour les universités de se faire transférer par l’Etat la pleine propriété de leurs locaux et de les vendre ou de les valoriser comme elles le veulent (articles 32 et 33). Un dispositif qui va bénéficier aux grandes universités parisiennes ou des grandes villes de province dont le patrimoine est beaucoup plus précieux que celui des petites universités. De quoi creuser encore les inégalités déjà existantes. Sans parler des effets pervers sur l’utilisation des locaux, comme le risque que la location commerciale d’une partie des locaux soit plus rentable que leur affectation à des formations peu pourvoyeuses de financements privés.
Ce qui attend la France : l’impasse du modèle américain
Depuis les années 1980, les universités américaines ont été considérablement autonomisées et les financements publics ont été progressivement remplacés par des fonds privés, au prix d’une explosion des inégalités. Les droits d’inscription ont aussi été largement déréglementés dans un deuxième temps, après que les libéraux ont savamment orchestré une crise de financement chronique de certaines universités. Rien de tel qu’une sévère pénurie pour convertir les universités elles-mêmes aux seules vertus des fonds privés et de l’envolée des frais d’inscription. Une question de survie pour beaucoup d’universités, qui va rapidement se poser en France avec l’application de la loi Pécresse. Aucun des risques évoqués avec la loi Pécresse n’est théorique, tous sont vérifiés concrètement dans le système américain :