A Brignoles, accueilli par le maire Front de gauche Claude Gilardo
on commença par la visite au personnel de l’hôpital. Puis ce fut une rencontre sur la question du passage en régie publique de la gestion de l’eau, puisque la commune a fait le grand saut de ce côté. A l’hôpital, on devine qu’il fut question de l’état de la gestion de la santé publique depuis les réformes de droite. Je ne fais pas un compte rendu. Je note quelques moments qui m’ont marqué. Celui où une infirmière demande : « Quand va-t-on arrêter de parler de chiffres et commencer à parler des personnes, de leurs besoins, de leurs soins ». Bonne ouverture pour faire un rappel aux petits névrosés du déficit. Le voici. Jamais ils ne mettent en face des chiffres qu’ils nous jettent à la figure le coût des non-soins, des morts prématurées, des maladies non soignées.
Deuxième image
Celle de ce médecin qui prend le temps de faire un détour par la salle où l’on se réunit pour me glisser deux mots. Je ne sais pas s‘il a ou non un engagement politique. Ce qu’il m’a dit n’est pas dans ce registre. Il fait un constat d’impasse. On demande aux médecins de soigner « tout le monde », avec le meilleur de ce qui peut se faire. Mais on ne leur donne pas les moyens de le faire, compte tenu des limites budgétaires. Hypocrisie ! dit-il. « Au moins les anglo-saxons sont francs, ils disent qu’ils ne soignent plus certains cancers au-delà d’un certain âge, ou certaines catégories sociales de patients du fait de leurs revenus trop faibles ». « Au moins c’est clair » ajoute-t-il. Je mets juste une petite seconde à comprendre ce qu’il veut vraiment me dire. J’ai compris. Voici. Au bout de la chaine des décisions comptables, il y au moins deux personnes qui n’ont guère de marge de manœuvre : le médecin et le malade. Dans ce cas, l’hypocrisie, ce n’est pas seulement de promettre des choses dont on sait qu’elles ne seront pas faites. C’est surtout de s’en remettre au praticien du soin de décider de ce qui se fera ou ne se fera pas. C’est une injonction paradoxale pour le médecin, car son éthique, son serment, sa raison d’être là, c’est de n’avoir comme objectif que le meilleur de l’aide qui peut être apportée.
Troisième image
Le directeur de l’hôpital. Dorénavant figé dans le rôle d’exécutant des décisions de l’agence régionale de santé. Et, de fait, devenu tout puissant, sans l’avoir demandé, puisque le pilotage est désormais exclusivement financier. Lui aussi reçoit des ordres contradictoires. Economiser partout, sur tout. Etre astreint à faire de performances de gestion et devoir en même temps s’adapter aux évolutions d’une carte élaborée ailleurs, sans lui, et d’après des objectifs qui peuvent être contraires à ses propres plans d’économie sur tout. Pour finir, tout passe au rabot. Et même le coût des gestionnaires eux-mêmes. Il y a cinquante directeurs sur la paille, à l’heure actuelle. Combien gèrent dorénavant deux établissements au lieu d’un ? Petit à petit on s’approche du point où la structure se désintègrera. Comme à l’école, comme dans le transport comme partout où les grosses pattes des brutes libérales sont à l’œuvre.
Nicolas Sarkozy est venu ici se moquer du monde. Quel comédien efficace ! Son but est d’enfoncer dans le crâne des gens la résignation sous le coup d’arguments catastrophistes qui les assomment. Là, il lâche devant cent cinquante maires et les caméras de télévision que l’hôpital de Brignoles fait « dix millions de déficit ». Une pause. « Chaque année ». Impossible de hurler depuis la salle car : « c’est tout de même le président de la République » me dira-t-on. Claude Gilardo le maire de Brignoles est aussi le président du conseil de surveillance. « J’allais me trouver mal de rage » me dit-il. Et Sarkozy, l’œil en dessous qui en rajoute en se tournant vers Claude Guéant : « tu te rends compte, Claude ! Dix millions !» Et l’autre de hocher du bonnet en cadence. Bobard. Ces dix millions c’est le déficit cumulé. Il se résorbe d’exercice en exercice. Il résulte pour l’essentiel des manques à payer de l’Etat. Bref de la propagande pure et simple destinée à abasourdir. Et bien sûr c’est une chose de savoir que le plan de route de la droite comporte cet exercice d’enfumage mais s’en est une autre de voir le chef de l’Etat s'y abandonner en y ajoutant des effets de comédie.
De tout ce que j’ai vécu dans ces heures si ensoleillées, à trente degrés de moyenne sur deux jours, je vais retenir des visages de femmes. De femmes qui luttent. Durement, la boule dans la gorge. D’abord celles qui ont été représentées à la tribune du meeting par leur porte-parole, Samira Rassif, militante CGT. Elle parle pour dix autres femmes, en grève pour avoir leurs papiers. Occupation des locaux, jours et nuit. Celles du comité de soutien qui se relayent sur place et qui sont aussi venues ont les yeux rouges de fatigue. « Il y a une femme enceinte de six mois qui dort là par terre avec les autres. Je vous le dit pour qu’on y pense. On lâchera rien après tout ça !» Ces femmes sont surexploitées parce qu’elles n’ont pas de papiers. Leur employeur est « Pierre et Vacances ». C’est du tourisme de luxe. Elles sont femmes de chambre. Elles font aussi la vaisselle, le repassage. Une vie sans horizon autre que ce travail sans fin et la peur permanente. Ensuite je vais citer les femmes dont j’ai rencontré une délégation venue à ma rencontre à Brignoles.
Ce sont les employées d’Unilever, la boîte qui possède le « Thé Eléphant » pour lequel elles bossent. Les patrons ont décidé de fermer l’entreprise parce qu’elle « n’est pas rentable ». En fait parce qu’elle « n’est pas assez rentable ». Ils veulent aller produire la marque de thé, née à Marseille, en Pologne. Parce que les Polonais coûtent moins cher. Bien sûr. La différence de coût, ce sera juste du profit supplémentaire. Ce qui était un salaire ouvrier devient un dividende pour l’actionnaire. Vous n’achèterez pas une boite de plus, vous ne verrez aucune différence de prix. La mort sociale des ouvrières du thé Eléphant, c’est juste pour le dividende des actionnaires. Les femmes veulent créer une coopérative ouvrière. Oui, c’est ça. Une coopérative. S’approprier le moyen de production, la marque et tout le reste. Pas besoin de ces sortes de patrons. Elles font du thé, eux du fric. Ce n’est pas le même métier, pas vrai ? C’est sûr que je vais vous en parler de nouveau bientôt. Mais à cette heure-là, pendant qu’elles me parlaient tout sourire alors que la partie qu’elles engagent est si rude, je me voyais mieux à ma place. Je savais mieux à quoi je sers dans cette empoignade générale que je me propose de représenter dans cette élection de fou en 2012.
Je me sentais plus fort en les écoutant me dire par quel côté elles empoignent leur lutte, quel historique elles en font. Et je dois vous dire aussi qu’elles m’ont dit ce que je devais faire dans la campagne et de quoi je devais parler. Pas les conseils en communications dont on m’abreuve de tous côtés, ni les commentaires de sondages bidons dont on me régale si souvent. Non, non. Des choses à propos de ce qu’il faudrait faire pour que ça aille mieux dans le pays, dans la production, dans la vie. Juste des choses réfléchies et formulées à partir de l’expérience. Rien ne peut davantage me donner du courage. Je penserai à elles quand il faudra de nouveau subir les séances d’humiliation publique de certains plateaux de télé ou de radio. Ce n’est rien, finalement. Je me souviendrai de celles qui triment pour les papiers, pour le boulot. Aussi, je vais garder le souffle de leur énergie. Vraiment, notre peuple est tellement fort. Que de courage, que de dévouement, quelle capacité à rebondir ! Déjà, le matin, à l’hôpital, c’était une femme déléguée syndicale qui me présentait les problèmes et qui m’expliquait comment la lutte était menée. Et c’est une autre femme, venue avec le groupe des militants qui m’accompagnaient qui pensa à faire une pause au milieu du débat pour dire qu’elle était venue dans cet hôpital et qu’elle avait attendu l’occasion de pouvoir dire merci à tous ceux qui s’étaient occupés d’elle. Il y avait des sourires bien émus de tous les côtés. Parmi tous ces gens qui étaient là, tous avaient des idées sur la façon de faire avancer les choses, sur la façon d’organiser le travail et de réussir la mission de santé publique dont ils se sentent investis. Vraiment nous n’aurions pas de mal à faire tourner le pays à partir du savoir-faire de ceux qui le font vivre tous les jours.