Los Andes (http://www.losandes.com.ar/)
L’Irlande et la France à la Casa Rosada
Le 12/10/2012
Le président irlandais terminait en Argentine une tournée latino-américaine qui incluait le Brésil et le Chili. Durant la rencontré avec Cristina Kirchner, ils se sont tous deux engagés à renforcer les les liens entre leurs pays respectifs.
(…) Ensuite CFK a rencontré Mélenchon qui avait participé la veille, mercredi, à la présentation du plan de gestión de l’AFSCA au Musée du Centenaire. Ce vendredi, il clôturera d’ailleurs avec Abal Medina le cycle de conférence “Débats et combats” qui se déroule au Tecnopolis.
Página 12 (http://www.pagina12.com.ar)
Cette loi est le fruit d'une construction collective
Le 11/10/2012
Par Nicolas Lantos
Cristina Fernandez de Kirchner a fait remarquer que le 10 décembre, Jour International des Droits Humains, entrera en vigueur la clause de "désinvestissement" pour les groupes qui ne se mettent pas en conformité avec la loi. Elle a dénoncé les manigances de la Justice.
Trois ans après l'approbation de la Loi de Services de Communication Audiovisuelle (LSCA), la presque totalité des groupes de médias dont la composition dépasse ce qui est autorisé par la législation a déjà présenté des projets pour se mettre en conformité avant le 7 décembre, date à laquelle selon le critère de la Cour Suprême de Justice, expire la mesure de précaution qui favorise le groupe Clarin, particulièrement visé par cette norme antitrust, puisqu'il possède 250 des 5 000 licences de radio et télévision attribuées dans le pays. Selon ce qu'ont indiqué hier la présidente Cristina Fernandez de Kirchner et le tout nouveau titulaire de l'autorité de la LSCA, Martin Sabbatella, dans le panorama de la communication en Argentine, Clarin est le seul acteur qui, lorsque ce délai aura expiré restera dans l'illégalité, à moins qu'il ne décide de se mettre en conformité dans un délai de deux mois. A ce stade, a fait remarquer CFK, ce vaste combat entre l’État et cette corporation "est un affront à la démocratie, si toutefois il peut y avoir un secteur qui soit au-dessus des trois pouvoirs de l’État".
La dénommée loi des médias" n'est pas un projet du Pouvoir Exécutif, ni un projet d'un législateur, elle a marqué la construction collective" et le droit à la force et à l'insertion "dans la société, a indiqué hier après-midi la présidente lors d'une intervention au Musée du Bicentenaire, derrière la Casa Rosada. Comme en d'autres occasions, le public était composé de fonctionnaires, invités et militants et cette fois, la présence remarquable de jeunes de Nuevo Encuentro, le parti de Sabbatella, aujourd'hui complètement intégré au clan "kirchneriste" qui se réunit sous les auspices de "Unidos y Organizados". Dans son discours, la Présidente a complimenté le nouveau titulaire de l'Autorité Fédérale des Services de Communication Audiovisuels (Afsca) et fait remarquer "qu'il n'est pas besoin d'appartenir à un même parti " pour travailler main dans la main. Les argentins, nous devons comprendre le besoin d'élargir nos bases de soutien " a dit également CFK, dans un message dirigé à l'assistance.
Il y a 5 000 licences audiovisuelles en Argentine, a-t-elle dit, en répétant l’information donnée un peu avant par Sabbatella. 4 500 d'entre elles sont entre les mains de 2 500 propriétaires différents, et tout ceci dans les règles dictées par la LSCA. Parmi les 500 restantes, la moitié est divisée en 25 groupes différents qui sont en train de faire les démarches pour être dans les normes de la nouvelle réglementation. Les 250 restantes appartiennent à Clarin: c'est cette situation que la nouvelle loi cherche à modifier et où rien n'a avancé 1000 jours après son entrée en vigueur. La présidente est allée au devant des versions publiées telles que celles mentionnant que la loi a échoué: parmi "les choses obtenues pendant ces trois années" elle a mentionné "la création de nouvelles productions, de nouveaux contenus, de nouveaux projets, de nouveaux postes de travail". Elle a également comparé cette législation à celle des États-Unis où " celui qui est propriétaire d'un journal ne peut être propriétaire d'aucun média audiovisuel".
CFK a profité de la présence de Jean-Luc Mélenchon, récent candidat à la présidence de son pays avec un programme qui revendiquait beaucoup des politiques menées par les gouvernements nationaux-populaires d'Amérique Latine, pour dénoncer la position de Clarin en marge de cette norme avec l'impunité dont ont bénéficié les responsables de la répression des années 70. A Mélenchon « Il va lui arriver la même chose qu'à Chirac qui ne comprenait pas que Astiz était en liberté » _a évoqué CFK_. On ne peut pas comprendre non plus qu'une loi votée au Parlement argentin à une grande majorité, n'ait toujours pas pu être exécutée après trois ans". Elle est même allée un peu plus loin dans la comparaison lorsqu'elle a expliqué que comme le 8 décembre " c'est la fête de la Vierge et en plus ça tombe un samedi," l'article 161 de la LSCA n'entrera en vigueur que le 10 décembre, Jour des Droits Humains Universels, ni plus ni moins".
Il a aussi été fait référence aux tentatives de Clarin de manipuler, par le biais de la Chambre, le juge qui devait se prononcer sur cette clause (le juge choisi par le Grupo, Raul Tettamanti, a dû renoncer après que la manigance a été dénoncée). " Pendant ces trois années, nous avons vu des mesures judiciaires et des juges désignés du doigt – a dénoncé la Présidente-. Nous avons vu comment on essayait d'empêcher qu'un organisme de la Constitution, - le Conseil de la Magistrature, créé par la réforme de 1994-, puisse désigner des juges issus d'un concours trois ans plus tôt et qui établit comme principe le juge naturel. Quand on met en place des juges spéciaux, on rompt les principes basiques du Droit Pénal occidental".
Enfin, CFK a mis en exergue le virage qu'a pris la loi pendant les trois dernières années depuis son adoption: "Ce qui a commencé comme un défi pour savoir si la société argentine pouvait se doter d'une nouvelle loi sur les médias, qui assure la pluralité, la diversité, les différentes nuances, s'est transformée, ou plutôt a été transformée par ceux qui refusent précisément d'accepter la validité des institutions, entre autre, en un défi à la démocratie, si réellement il peut y avoir un secteur, ou si réellement il peut y avoir un groupe économique, si réellement il peut y avoir quelqu'un qui soit au-dessus des trois pouvoirs de l'Etat". " Nous serons vraiment libres seulement si chaque nuit, chacun des 40 millions d'argentins, lorsque nous nous couchons après avoir salué nos enfants, embrassé notre compagnon, -pour celui qui a la chance de l'avoir encore-, nous éteignons la lumière en sachant que la loi est pour tous et que le jour suivant, tous vont avoir les mêmes obligations – a insisté encore CFK- Je veux vivre dans ce pays, dans aucun autre, et ce pays, mon pays, c'est la République Argentine.
Página/12 (http://www.pagina12.com.ar)
L’Amérique Latine comme guide
Nicolás Lantos
Le 13/10/2012
Le leader de la Gauche française érige les nouvelles expériences démocratiques latino-américaines en exemples pour l’Europe.
« Le futur n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire » a assuré le dirigeant de la Gauche française, Jean-Luc Mélenchon, lors d’un débat avec le philosophe argentin Enersto Laclau où ils ont développé leurs points de vue sur les principaux défis de la démocratie dans un futur proche face à un monde qui change de manière inédite ses règles du jeu. L’eurodéputé et ancien candidat à la présidence de son pays a averti des risques qu’amènera la sortie d’un système de puissance unique (dominé par les Etats-Unis) et l’échec du modèle d’intégration européen actuel lié au monde financier. Au contraire, les nouvelles expériences démocratiques en Amérique Latine et dans une moindre mesure dans les pays arabes peuvent donner des pistes de chemin à suivre selon les deux intellectuels. Laclau a même demandé au cours de son propos aux dirigeants européens qu’ils se « latinoaméricanisent ». Le chef de cabinet des ministres d’Argentine, Juan Manuel Abal Medina, qui avait été invité à l’évènement, n’a quant à lui pas pu s’y rendre du fait d’un empêchement de dernière minute.
Dans un castillan pas forcément naturel mais fluide, Mélenchon, auteur d’un livre sur les nouvelles formes de représentations politiques appelé « Qu’ils s’en aillent tous » a assuré que la zone euro suivra la même voie que l’Argentine, comparant l’actuelle crise de l’Ancien Continent à celle de l’Argentine à la fin du XXème siècle et début du XXIème. « Nous n’allons pas payer la dette. Nous ne pouvons pas payer la dette. Peu importe ce qu’ils disent, tôt ou tard il faudra ne pas payer, il n’y a pas d’alternative réelle » a expliqué le français pour qui le processus aura différentes étapes de protestation face aux mesures économiques impopulaires et n’arrivera à son comble que lorsque la classe moyenne « qui ne regarde que son propre nombril » se verra obligée de se joindre aux mouvements suite à une quelconque mesure qui l’affectera comme un « supercorralito » [C'est-à-dire comme en Argentine lorsque le gouvernement a bloqué les retraits de liquide à 250 pesos lors de la crise]. Ensuite, après une période d’hostilité à tous les types de politiques ce seront les travailleurs des secteurs les plus pauvres qui « imagineront et créeront les nouvelles formes d’institutions démocratiques nécessaires pour répondre à leurs besoins ».
Bien sûr, au-delà de la manière par laquelle l’Europe va surmonter la crise, Mélenchon est préoccupé par l’évolution que prendra la géopolitique lorsque les Etats-Unis ne seront plus la force hégémonique et par les conséquences de ce changement. « Y aura-t-il une multipolarité heureuse ? En tant qu’européen, je ne peux éviter de me poser cette question, car il a existé un monde multipolaire, c’était le XXème siècle et il s’est soldé par deux guerres mondiales. Y aura-t-il une nouvelle multipolarité joyeuse ? Je ne crois pas » dit l’eurodéputé en commençant son discours pessimiste mais animé. « Cette multipolarité signe-t-elle la naissance du futur ? », c’est la question posée à laquelle il a répondu durant 40 minutes n’en retirant qu’une conviction « Demain ne sera pas seulement la continuité d’hier ».
La rupture se fera « au même moment que la perte de la première place des Etats-Unis » dans le concert des Nations. Le premier défi sera la « gestion des conséquences », particulièrement lorsque le dollar vaudra ce qu’il vaudra vraiment, pas uniquement sa valeur dictée par Washington, ce qui mènera à une « dévaluation monstrueuse ». Mélenchon fît à ce moment de son discours un clin d’œil au public lorsqu’il mentionna que les Etats-Unis avaient arrêté en 2006 de publier les statistiques sur le nombre de billets verts en circulation dans le monde. « Les épargnes libellés en dollars ne se basent que sur la confiance qu’on accorde à cette monnaie. Actuellement, la valeur de ces épargnes ne se base que sur une sorte d’acte de foi », a-t-il expliqué.
La chute de ce pouvoir global nous mènera à une « évolution » de la carte géopolitique mondiale « qui ne sera pas linéaire », mais qui « porte en elle un épisode de changement radical » qui sera une « bifurcation de l’histoire ». Le grand défi face à cette perspective, que le penseur français juge inévitable, est de savoir « comment combattre une crise de cette envergure sans se voir obligé d’accepter l’extension des droits sans limites de l’empire ». La réponse : la création d’une monnaie mondiale, proposition portée aujourd’hui par la Chine mais que Mélenchon assure qu’il porterait s’il arrivait au pouvoir en France. Cependant il établit qu’elle se construira d’une façon différente de celle dont s’est construit l’euro, selon une manière purement financière. « Il faut chercher des convergences économiques et fondamentalement sociales » pour un modèle de monnaie internationale sans le contrôle politique d’un Etat. « Cela – conclut-il – permettrait à la fois d’assainir les comptes du monde entier et récupérer le système monétaire des mains d’un pouvoir impérial, permettant ainsi un vrai multipolarisme ».
De son côté, Laclau a mis l’accent sur la relation entre la société et l’Etat, ou entre représentés et représentants, qui est en crise dans son aspect libéral. En partant des pensées de marxistes comme Antonio Gramsci, l’argentin domicilié à Londres a parlé d’un « Etat intégral », dans lequel la société augmente sa participation en même temps que les représentants choisis démocratiquement ouvrent la voie vers d’autres idées, que cette même société n’avait pas imaginées. L’exemple emblématique est celui de la loi des services de communication audiovisuelle, venue de la société civile mais proposée par le gouvernement, sans qui la loi n’aurait jamais vu le jour, et qui a été reçue favorablement par les individus.
Après un tour de questions durant lequel on a discuté des différences entre l’Union européenne et les formes d’intégration au goût du jour en Amérique Latine, ainsi que des « cacerolazos » du 13 septembre (que Laclau a défini comme étant un conflit avec les paysans, en citant ironiquement la phrase célèbre de Karl Marx dans Le Coup d’Etat du 18 brumaire), on a conclu ce troisième cycle de « Combats et débats » dans lequel passent depuis deux ans différents penseurs politiques contemporains locaux et internationaux.
Página 12 (http://www.pagina12.com.ar)
« La réforme de la banque centrale que vous avez faite, c’est ça que nous demandons en Europe »
Interview de Jean-Luc Mélenchon par Martin Gravnovski
Il a apporta son soutien à la défaite Sarkozy et se revendique des mouvements populaires sud-américains y compris du chavisme. Il explique que son rôle est de créer le débat avec humour, qu’il soutient la réforme des médias et le paiement des retraites par l’Etat. Il souligne que le principal bémol des révolutions citoyennes est d’avoir remis en cause le droit à l’avortement.
Il s’excuse d’avance pour la passion de ses propos lorsqu’il explique en espagnol ses propositions et ses remarques. De visite à Buenos Aires, Jean-Luc Mélenchon, 61 ans, le candidat de la Gauche française qui a totalisé 4 millions de votes au premier tour des dernières élections présidentielles et a appelé à voter pour le socialiste François Hollande au second tour, échange avec Pagina/12 sur ce qu’il a appris en Amérique du Sud et ses propositions pour sortir l’Europe de la crise.
Vous parlez souvent de révolution démocratique en citant l’Amérique Latine comme exemple. Dans quel sens le dites-vous ?
Je le disais. J’ai arrêté de le dire car cela ne me paraissait pas clair et cela pouvait donner lieu à des malentendus à propos de révolutions qui n’avaient pas été démocratiques. Depuis, je préfère parler de révolution citoyenne.
Qu’est-ce que cette révolution ?
L’Humanité n’a jamais été aussi nombreuse. Nous n’avons jamais été aussi concentrés : aujourd’hui la majorité de la population mondiale vit en ville. Nous n’avons jamais été aussi connectés les uns aux autres. La vie humaine est différente de quand il existait de petits groupes de paysans ou des petits groupes d’ouvriers. Aujourd’hui les individus urbains tendent à avoir les mêmes comportements et modes de vie. Tout cela marque le fond anthropologique de ce que nous appelons la révolution citoyenne. Le fait nouveau tient en la prise de conscience de l’existence d’un unique écosystème compatible avec la vie humaine. Il y a un intérêt général. Nous nous ressemblons. Le noir n’est pas inférieur au blanc, la femme n’est pas inférieur à l’homme… La phénoménologie ressemble tout particulièrement à la situation argentine.
L’Argentine ?
Rappelez-vous. D’abord, les gens se désintéressent des partis politiques et parfois des syndicats ou ne vont pas voter.
Oui, l’Argentine en 2000 et 2001.
Deuxième moment : la politique néolibérale isole et fragmente, on dirait qu’il n’y a pas de pouvoir distinct ni alternatif. Celui qui souhaite autre chose est vu comme un irresponsable ou un fou. Peu importe qu’il y ait plus de pauvres dans les rues ou que les ouvriers n’aient plus d’emplois. Comme disent les libéraux, la société n’est-elle pas habituée à ce que ces gens souffrent ? Mais il y a aussi celui qui s’est marié convenablement, est allé à l’école, a acheté la maison et la voiture qui convenaient. Celui qui a tout bien fait. Un jour il découvre que le retrait d’argent est limité ou que son patrimoine a disparu. Il n’est pas prêt pour la lutte, néanmoins, la réponse est claire « Qu’ils s’en aillent tous ». Au Venezuela, ça a été le billet de bus collectif.
Vous parlez du Caracazo de 1989.
Oui. Ou En Bolivie, en 2005, le prix de l’eau. En fait, dans chaque pays il y a eu un évènement en apparence insignifiant… En Tunisie un homme qui vendait des fruits a eu des soucis avec la police. Ce qui ressort dans ces évènements n’a pas de programme politique ni d’idéologie. Les gens ne demandent qu’à régler des problèmes concrets. Nous avons maintenant des problèmes concrets et fondamentaux. Comment cela se peut-il qu’il n’y ait pas d’école ni d’eau ? Pourquoi dans mon pays les trains ne circulent plus autant ou comment est-ce possible que les avions soient bloqués au sol à cause de l’hiver ? Il ne faisait pas froid avant ? Cet enchevêtrement de détails conduit beaucoup d’individus à une conclusion : ce système ne fonctionne pas parce qu’il ne permet pas que nous vivions tous ensemble. Il y a des sujets plus graves, bien-sûr. Les hôpitaux. En France, la situation de l’organisation sanitaire empire. Désormais certaines femmes doivent se rendre à deux heures de chez elles pour accoucher. Ce n’est pas possible. Ce n’était pas comme ça avant. Les gens refusent la politique, mais en font comme jamais. Ces gens veulent tout réorganiser.
Oui, s’occuper de problèmes concrets pour chercher des solutions, c’est faire de la politique.
Bien-sûr ! Mon programme parle de radicalité concrète. La révolution commence à partir de faits quotidiens. Je prends de l’eau mais vous n’avez pas les moyens de vous en payer. Je peux dire tout ce que je veux, mais l’eau n’est pas disponible. L’agriculture la confisque. Nous comprenons la réalité économique via des valeurs, des faits culturels, la reconstruction de l’être et pas uniquement grâce à un programme politique déterminé. Nous sommes dans une situation dans laquelle les gens refusent de se mêler de politique alors qu’ils en font comme jamais. C’est le moment citoyen car chacun ne fait pas qu’exprimer ce qui est bien pour lui comme il le fait au moment de voter démocratiquement. Le moment citoyen c’est quand on exprime ce qui est bon pour la République et pour tous les citoyens. Même si j’ai une formation de matérialisme historique, je cherche de nouvelles catégories. Il y a les classes libératrices, c’est ce que disait le marxisme de la classe ouvrière, mais le nouvel acteur est le citoyen humain. L’acteur c’est le Peuple. La lumière est à la fois une vague et une matière. Les ouvriers sont le peuple et le peuple, la société, inclut forcément la classe ouvrière. C’est aussi ça la réalité.
Voyons voir par rapport à l’Amérique Latine.
Ce que je raconte n’a pas été créé en France. C’est venu d’Amérique du Sud. Après la chute du dit camp socialiste nous nous sommes sentis perdus. Même les non-communistes. Nous étions-nous totalement trompés ?
Quelle est votre réponse ?
Non. Et l’Amérique du Sud nous l’a enseigné. Quand certains annonçaient la fin de l’histoire, d’autres inventèrent la théorie du choc des civilisations. Je parle des états-uniens.
Samuel Huntington.
Oui. C’est un point central car cette théorie établit le mode de pensée des chancelleries européennes et du Département d’Etat Américain. Les deux racontaient que la chute du communisme permettrait qu’il ne reste qu’un système basé sur l’égoïsme social.
L’Amérique du Sud, bien qu’il y ait des différences de parcours entre les pays, est en train de construire un Etat-Providence et de Bien-être. L’Europe semble, elle, être en train de le détruire. C’est ça le moment de la citoyenneté ?
C’est un moment important. De citoyenneté et de civilisation. Aujourd’hui nous allons à reculons en Europe. En France, où nous avions une culture politique et géopolitique conséquente, avec un intérêt certain pour l’Amérique du Sud, de par nos liens culturels et de part des ancêtres communs, il n’y a aujourd’hui plus rien.
Pourquoi cette évolution ?
Parce que l’on a diabolisé les révolutions citoyennes sud-américaines. Pour que les peuples européens se taisent, il faut les convaincre qu’il ne se passe rien de positif dans un autre coin du monde. Chávez est un démon. Kirchner aussi. Ce sont des cubains dissimulés. C’est ainsi que l’ignorance est totale concernant les programmes et les réalités. Nous, français, ne savons pas ce qu’il en est des modernisations en Argentine.
A propos du Brésil, on fait l’inverse. Pour discréditer Lula, la droite européenne le présente élogieusement comme le conservateur qu’il n’est pas.
Effectivement. Lula a été sanctifié lorsqu’ils ont vu que Chavez ne cessait de prendre de l’importance. Ils ont inventé l’image d’une Gauche tranquille qui ne faisait rien de bizarre. Mais ça s’est terminé subitement. Les journaux de droite au Venezuela, par exemple, bien que je devrais dire simplement les journaux car ils sont tous de droite au Venezuela, ont expliqué que Capriles se disait proche de Lula. Capriles lui-même l’expliquait. Et un jour, Lula a publié une vidéo pour soutenir Chávez. Les journaux du lendemain, sans aucune honte, expliquèrent que Lula était un alcoolique. Peu leur importe la vérité. L’important pour eux c’est la propagande. C’est pour cela qu’ils se moquent de ce qui se passe en Argentine sauf lorsque l’on y commet un terrible archaïsme, comme ils disent, en nationalisant le pétrole. Je crois que le contrôle étatique du pétrole est l’une des seules sorties sur l'actualité argentine dans la presse française depuis cinq ans. Une autre sans doute qui a été traitée est celle de la solidarité avec les paysans pauvres et misérables qui ne pouvaient pas payer les droits pour exporter leur soja en 2008. Il n’y a rien eu sur l’égalité des droits dans le mariage, rien sur la Charte Organique de la Banque Centrale, que vous avez faite et que nous demandons pour la BCE, rien sur le poison que représente la retraite par capitalisation privée et comment ça s’est soldé en Argentine. Vous ne savez pas à quel point ces choses sont des avancées importantes dans le monde d’aujourd’hui.
Lorsque l’on a débattu sur le mariage égalitaire, un archevêque a appelé à la croisade. Vous parlez souvent de la laïcité comme d'une valeur importante.
La laïcité est fondamentale pour le fait républicain. Bien entendu, cela ne signifie pas rejeter celui qui croit, l’insulter ou le chasser. Ça, c’est honteux. C’est plutôt le fait d’instaurer une séparation stricte entre le fait politique et le fait religieux. Cette séparation doit être institutionnelle. Si la séparation existe, il n’y a pas de soucis concernant les croyances de chacun. La croyance de l’autre peut même m’aider à comprendre quel est l’intérêt général. Je ne peux pas dire non plus en tant qu’Etat qu’il faut suivre telle ou telle politique économique simplement parce que le marché le demande. Il n’y a pas de vérités indiscutables. La foi relève la sphère privée.
Il ne doit pas y avoir une religion d’Etat.
Non.
Ni même une philosophie d’Etat.
Non monsieur.
Ni même une idéologie d’Etat.
Non. Rien de cela. La laïcité a une racine philosophique. Elle considère que tous les êtres humains sont semblables et égaux par nature. Que nous sommes des êtres de conscience. Ton corps biologique n’est pas l’important. Tu es le père de l’enfant que tu aimes. Ta paternité c’est ton amour, pas ton sang. De par cette idée je veux aborder un sujet important : le droit à l’avortement. C’est central dans la définition de l’être humain. Une aptitude biologique ne peut être un destin. La taille ne détermine pas si quelqu’un sera architecte ou biologiste. Le sexe non plus. Et si vous ne voulez pas un enfant, ce n’est pas un enfant. C’est un fœtus. Qui est responsable de son corps ? Tous. La femme aussi. Je ne suis pas pour l’avortement. Je suis pour le droit à l’avortement. Si l’Eglise veut agir sur la foi de chacun, qu’elle le fasse librement. Personne ne lui retire ce droit. Pour moi, le retard sur le droit à l’avortement est la face la plus sombre des révolutions citoyennes en Amérique Latine. Et ce n’est pas un sujet anodin parce que c’est lié à la conception que nous avons de l’être humain.
Il y a pire : lorsque le Parlement uruguayen a voté le droit à l’avortement, Tabaré Vazquez l’a bloqué.
C’est une honte. Les individus n’ont pas choisi un homme de Gauche pour qu’il fasse autre chose qu’une politique de Gauche. Et il n’existe pas de politique de Gauche sans la prise en compte du droit à l’autonomie et au développement de chaque personne. C’est quelque chose avec laquelle on ne peut pas transiger.
Une discussion classique à Gauche est de se demander quel type de crise est en train de vivre le capitalisme. Une crise terminale ? Je le demande à l’homme de Gauche que vous êtes.
Une crise très classique. Mesdames, Messieurs, c’est finalement un conflit de redistribution des richesses. Mon pays est plus riche que jamais. Mais cette richesse va de plus en plus de la poche du capital à celle du travail. Il y a 25 ans dans mon pays ce n’était pas le communisme qui gouvernait, non ? Et maintenant que se passe-t-il ? Où va l’argent ? Où est-il passé? Il est passé à la sphère financière qui vit de son côté et qui, fréquemment, quand survient une crise importante, fait qu’une partie de la richesse part en fumée. La Banque Centrale Européenne, en plus de cela, ne veut pas prêter ne serait-ce qu’un euro aux banques centrales des Etats. Par contre elle a prêté des millions et des millions d’euros aux banques pour qu’elles se refinancent. Elles ont eu de l’argent pas cher et l’ont prêté de nouveau à des taux très élevés. C'est-à-dire qu’en plus elles ont fait de la crise une affaire. On dirait de l’humour noir. Une folie. On croit qu’il n’existe qu’une manière de gérer la société et son économie. On assiste de plus en plus au parasitisme de certains qui vivent de mieux en mieux tandis que d’autres qui vivent de plus en plus mal. L’Amérique Latine a idéalisé l’Union Européenne mais où sont les mêmes instances démocratiques dans le Mercosur ? L’intégration économique ne mène pas directement à l’intégration citoyenne. Au contraire. Le capital accepte l’intégration à la condition qu’il y ait la régulation la plus faible possible. Aujourd’hui, en Europe, avant d’examiner le budget au Parlement, il doit être présenté à la Commission européenne pour qu’elle vérifie le niveau de déficit. Si ce n’est pas le cas, la Commission y opère des coupes budgétaires. Et si un Parlement vote contre ce nouveau budget, il est condamné économiquement. Je pense que les français ne l’ont pas bien compris.
Ah bon ?
Non, bien sûr que non. Quand ils le comprendront ils se rendront compte du problème. On a fait une révolution contre le roi dont le sujet principal était celui de savoir qui devait décider du budget et des impôts.
Vous faites référence à la Révolution française de 1789.
Oui. Aujourd'hui, on à faire à un autre roi, qui peut exercer son droit de veto pour s'opposer à tout ce que veulent les peuples. Il s'agit de la Commission européenne.
Vous avez été candidat au premier tour de l'élection présidentielle, et au second tour, vous avez appelé à voter pour le socialiste François Hollande.
Pour nous débarrasser de Nicolas Sarkozy. Et nous nous en sommes débarrassés. Notre nouveau président est un social-démocrate qui n'a en réalité pas grand-chose à voir ni avec la social-démocratie, ni avec l'Etat social, qu'il a l'intention de démanteler. C'est un social-libéral. Hollande poursuivra le travail de sape de notre modèle social car il continue à retirer de l'argent de l'économie nationale. Il fermera des hôpitaux, des écoles…
Que proposez-vous pour mettre un frein à ce processus ?
L'action populaire. J'ai tout essayé avant. J'ai été membre du Parti socialiste pendant 30 ans, dirigeant politique pendant 15 ans, et Ministre de l'Education de Lionel Jospin. Malheureusement, force est de constater que la social-démocratie au sens premier du terme a disparu, comme a disparu avant elle le communisme d'Etat. Le premier ministre grec, Georges Papandréou, est le président de l'Internationale socialiste. Mais quand les marchés financiers ont attaqué son pays, il n'a même pas résisté une heure. Pas plus que José Luis Rodriguez Zapatero en Espagne. Aujourd'hui, nous payons le prix de leur capitulation. Si les gouvernants avaient résisté, nous n'aurions pas assisté à cette vague de spéculation qui finira aussi par atteindre l'Allemagne, bien qu'elle se croie intouchable.
L'Allemagne aussi ?
Bien sûr. C'est un tigre de papier à la population vieillissante, qui fait de moins en moins d'enfants. Elle croit qu'elle est la seule à pouvoir produire ce qu'elle produit. Mais ne pensez-vous pas que les Chinois ou les Indiens en seront un jour capables ? Ses principaux clients sont les Espagnols, les Français, les Portugais. Plus de 80 % du commerce des pays européens s'effectue à l'intérieur des frontières de l'Europe. Si la récession se poursuit, elle finira par atteindre l'Allemagne. On continuera à tailler dans le budget, puis on constatera que la récession est là et que les recettes diminuent, et les agences de notation reverront la note du pays à la baisse. C'est un cercle vicieux.
Comment rompre ce cercle vicieux ?
Je le répète : par l'action populaire. Aujourd'hui, le peuple ne comprend pas la problématique de la dette. Il faut expliquer, informer, provoquer la réflexion avec humour, lever le voile sur ce sujet. Il se produira ce qui s'est produit en Argentine. A un moment donné, les gens ne comprennent pas ce qui se passe. Mais ensuite, ils sentent qu'ils sont pris à la gorge. Je ne sais pas comment le changement arrivera, mais il arrivera. Je le sens dans les manifestations. Les gens s'approchent de moi et me demandent d'agir. Mais que puis-je faire sans être au pouvoir ? Aujourd'hui, à Buenos Aires, il y a moins de personnes qui dorment dans la rue qu'à Paris. Nous sommes la cinquième puissance mondiale. Pourtant, ni la police ni les pompiers ne pénètrent dans certains quartiers. En Europe, nous commençons à observer ce que vous, en Amérique latine, connaissez déjà : l'activité des cartels de la drogue, qui tuent en pleine rue. Nous n'y sommes pas habitués. J'ai beaucoup de peine pour mon pays.
Que feriez-vous si votre parti était au pouvoir ?
Pour commencer, je n'irais pas implorer Madame Merkel. Je ne lui demanderais pas si elle est d’accord avec ce que je veux faire. Les autres pays sont de droite, mais ça ne fait rien, ce ne sont pas des ennemis. Changeons les statuts de la Banque Centrale Européenne. Ce sera le premier outil pour financer le développement et la récupération de l’activité économique. Et ensuite il y a la radicalité concrète que je vous ai mentionnée. La planification écologique. Le soin à ne pas détruire la planète et à ne pas nous détruire nous-mêmes. Nous nous trouvons face à une urgence. Nous sommes capables de relever le défi, mais nous sommes gouvernés par des dirigeants qui ne comprennent pas le monde et ne savent pas quoi faire pour l'améliorer. Vous le savez bien, vous qui avez connu cinq présidents en peu de temps suite à la crise de fin 2001, avant l'arrivée au pouvoir de Nestor Kirchner. Au Venezuela, le Caracazo s'est soldé par des centaines de morts.
Il ne s'agit donc pas d'un problème d'intérêts, mais d'un manque de lucidité.
Oui. L'aspect culturel est toujours important chez les élites. Ils sont convaincus de ce qu'ils pensent et de ce qu'ils font. Ce sont des gens cultivés qui me prennent pour un hurluberlu. Quant à moi, je suis la preuve que les événements se produisent de façon très traditionnelle. Est-ce pour mon intelligence que quatre millions de personnes ont voté pour moi ? Et le camarade Alexis Tsipras, en Grèce, a-t-il obtenu 18 % des suffrages, puis 28 %, uniquement grâce à ses capacités individuelles ? Nous arriverons au pouvoir. Je ne sais ni quand, ni comment, mais la chaîne se brisera, comme elle s'est brisée en Argentine. Un jour, les gens réfléchiront, observeront, et il en sortira quelque chose de positif. Bien sûr, il y a des problèmes. Où n'y en a-t-il pas ? Mais il y a les droits de l'homme, il y a cette loi sur la presse qui a été votée…
Ce n'est pas une loi sur la presse, elle concerne uniquement les services de communication audiovisuels.
Alors, il faut en adopter une autre. On parle beaucoup de l'indépendance de la presse, mais c'est en fait la liberté de tous dire la même chose. Or la démocratie, ce n'est pas le consensus, qui est dictatorial, ce sont au contraire les désaccords, qui traduisent l'expression populaire.
Je suis d'accord avec cet aspect, mais pas sur le premier point. Selon moi, la presse écrite ne doit pas être régulée.
Ce n'est pas mon point de vue.
La Capital (www.lacapital.com.ar)
«L'Europe se dirige vers un scénario type « qu’ils s’en aillent tous»
Le 13/10/2012
Jean-Luc Mélenchon a obtenu quatre millions de voix (soit 11 % des suffrages) aux élections présidentielles de cette année. Il y a représenté une nouvelle gauche cherchant comment atteindre le progrès social dans un contexte multipolaire. Après avoir milité des années au sein du PS de son pays, il a quitté le parti en 2008, quand « la social-démocratie s'est définitivement muée en social-libéralisme ».
Le co-président du Parti de gauche, en déplacement en Argentine pour rencontrer Cristina Fernandez, a dialogué avec des mouvements socialistes partisans du kirchnérisme (comme celui dirigé par Hector Cavallero dans la province de Santa Fe) et s'est penché sur le processus politique argentin, qu'il considère « comme un pays qui servira de modèle à l'Europe ». Dans une interview exclusive accordée à LaCapital au Sénat, Jean-Luc Mélenchon a déclaré : « Ce qui m'intéresse, c'est la naissance de l'être humain universel ».
Pourquoi l'Europe est-elle en proie à une crise économique si grave ?
La crise européenne est une crise de la redistribution des richesses. De nombreuses explications ont été inventées dans le but de culpabiliser les peuples. On raconte par exemple qu'il y a trop de dépenses sociales, ou que les Grecs n'aiment pas travailler et ne paient pas leurs impôts. Mais tout ceci est un ramassis de mensonges. En réalité, ceux qui ne contribuent pas à l'effort fiscal en Grèce, ce sont les armateurs, les banquiers et l'Eglise. S'il repose sur des fantasmes, le débat est dépourvu de sens et d'intérêt.
Votre pays, qui est la deuxième puissance de l'Union européenne, pourrait-il connaître le même sort que la Grèce ou l'Espagne ?
La France est plus riche qu'elle ne l'a jamais été. Son économie pèse 2 000 milliards d'euros par an. Mais ces 25 dernières années, 10 % du PIB sont passés du travail au capital, ce qui explique la situation actuelle : les revenus transférés des travailleurs vers les rentiers se transforment en manne financière puis disparaissent. Ils ne produisent rien, ni pour les nations, ni pour les peuples.
Ce transfert de richesses du travail vers le capital peut se comprendre lorsque les gouvernements sont de droite, mais comment l'expliquer lorsque des partis socialistes et sociaux-démocrates ont été au pouvoir, comme en Espagne, en France, en Grèce et même au Royaume-Uni ?
Il s'agit d'un phénomène nouveau et qui complique l'avenir. Les peuples ont bâti ces partis socialistes, progressistes. Ces derniers ne sont pas tombés du ciel ; ils sont le fruit de nombreuses luttes.
Qu'est-il arrivé à ces partis, à l'Internationale socialiste ?
Un courant au sein du mouvement socialiste universel, que nous appelons le social-libéralisme, a réussi à imposer sa loi. Les partisans de ce courant ont renoncé tout d'abord à vaincre le capitalisme, puis à le modifier. Et ils se sont adaptés, en finissant par intégrer totalement les idées capitalistes.
Qu'est-il advenu de la social-démocratie, qui était si en vogue dans les années 1970 ?
Ce courant libéral au sein des partis socialistes ce ne sont plus des sociaux-démocrates. La social-démocratie a bâti l'Etat social en Europe. Mais aujourd'hui, elle ne construit plus rien. Elle a perdu son lien historique avec les syndicats. Nous appelons ce mouvement « social-libéralisme » car il évoque une origine socialiste mais s'apparente aujourd'hui au libéralisme.
Comment s'est produite cette mutation ?
Elle a commencé dans les années 1980 avec Bill Clinton, Tony Blair et l'Allemand Gerhard Schröder – le pire de tous –, qui a fait passer l'âge de la retraite de 63 à 67 ans (cet homme peut-il être qualifié de socialiste ?). Elle s'achève aujourd'hui de manière honteuse : Georges Papandréou, président réélu de l'Internationale socialiste, ex-premier ministre grec, a capitulé en une heure face aux marchés financiers. Au lieu de résister, il s'est précipité à Berlin pour demander pardon et se plier à toutes les exigences de l'Allemagne. Le social-libéralisme s'est écroulé en Grèce, il s'est écroulé en Espagne avec José Luis Zapatero, et il pourrait bien s'écrouler en France avec François Hollande.
Pourtant, les voix que vous avez recueillies au premier tour (11 % des suffrages, soit 4 millions d'électeurs) se sont reportées sur François Hollande au second…
Oui, et Hollande ne l'a emporté que d'un million de voix sur Sarkozy. Il devrait donc appliquer une partie de notre programme politique. Or ce n'est pas le cas.
Que pensez-vous des partis membres de l'Internationale socialiste d'Amérique du Sud ?
L'Internationale socialiste (IS) a représenté une espérance extraordinaire après la chute du camp socialiste. Elle a permis à beaucoup de partis de se rapprocher, d'apprendre. Ça c'était la première étape. Mais depuis, elle est devenue progressivement social-démocrate. En Amérique latine, des partis de l'IS tels que l'APRA d'Alan Garcia sont corrompus et répressifs. Et que dire du Mouvement de la gauche soi-disant révolutionnaire de Bolivie, avec une personnalité comme Jaime Paz Zamora, et tant d'autres ? Mais il y a aussi des socialistes honnêtes, dont je ne partage pas le point de vue, mais qui sont sincères.
A qui pensez-vous ?
A Tabaré Vasquez, qui a au moins le mérite d'être resté dans le Frente Amplio et de ne pas s'être ligué contre nous, contrairement à ce que font les socialistes dans presque tous les pays. Contre Luis Inacio Lula Da Silva, contre Hugo Chavez, contre Evo morales, contre Cristina Kirchner et contre le progressisme, ils préfèrent s'allier à la droite. C'est ce qui va aussi se passer en Europe.
Que pensez-vous du progressisme et du populisme de gauche en Amérique latine, incarné par Cristina Fernandez, Hugo Chavez, Evo Morales, Dilma Rousseff, Pepe Mujica et Rafael Correa ?
Ce qui se passe en Amérique du Sud représente le phénomène le plus important de ce début de siècle. Quand le camp socialiste s'est effondré, on nous a annoncé la fin de l'histoire : libéralisme pour tous et pour toujours. Mais il y a eu l'Amérique latine. Nous commençons par soutenir le mouvement, puis nous en tirerons des leçons. Le cas argentin servira de modèle à l'Europe. France, Grèce, Espagne… Nous avons beaucoup de points communs avec ce pays : une culture, des sources idéologiques et un lien historique.
L'exemple sud-américain pourrait-il permettre d'engager un processus politique en Europe ?
Ce que je crois, c'est que nous, les Européens, allons imiter les Argentins. D'abord, « qu'ils s'en aillent tous », ensuite, le peuple s'éloignera des institutions et cherchera à résoudre des problèmes concrets sans suivre de programme idéologique. Le « qu'ils s'en aillent tous » suppose une dépolitisation totale, mais cette phase sera suivie d'une période de grande politisation. Il s'agira là d'un processus révolutionnaire, avec ou sans guillemets, parce qu'il modifiera la hiérarchie des normes. De tous les mouvements latino-américains, l'exemple argentin incarne le processus le plus pur.
Cette évolution politique en Amérique du Sud relève-t-elle selon vous d'un processus commun aux différents pays ?
Il existe incontestablement des caractéristiques communes. Nous sommes tous des êtres humains, et le néolibéralisme s'avère incapable de nous apporter les réponses que nous cherchons. Cela dit, chaque pays a sa propre histoire. Je ne parlerais donc pas de modèle commun, mais plutôt de sources d'inspiration communes. Le Venezuela et l'Argentine, par exemple, présentent à la fois des points communs et des divergences. L'erreur serait donc de copier. Il s'agit plutôt de s'inspirer de ces expériences pour penser d'autres voies.