07fév 13
Vertige de l’Histoire
Avec Jacky Hénin et les travailleurs d'ArcelorMittal au Parlement européen
Comme ils sont étranges ces jours où tout semble se donner rendez-vous au même moment, comme pour signaler je ne sais quelle connivence des choses, des évènements et des êtres. En quelques heures tout sembla s’accélérer. Hollande parlait à Strasbourg pour ne pas dire grand-chose, puis ce fut le lendemain le tour de Moncef Marzouki président de la république tunisienne qui souleva l’émotion de la salle par un discours qui projetait chacun dans le feu de l’actualité brulante d’une révolution. Il parlait pendant que la rue à Tunis s’enflammait de colère après l’assassinat de notre camarade Chokri Belaïd, secrétaire général du Front populaire, la formation dont nous sommes les plus proches en Tunisie. Il faut se demander si la date de ce meurtre n’a pas été fixée pour percuter la présence de Marzouki devant les députés européens et leur adresser ainsi un signal. Je quittai le parlement après avoir salué une délégation des sidérurgistes qui avait échappé aux gros tirs de lacrymogènes qui ont noyé le cortège des manifestants. Avant cela ils avaient été fouillés et contrôlés un par un à la sortie des cars. Certains ont été menottés d’autres frappés.
Avec Cayo Lara leader de Izquierda Unida au Parlement européen
La nouvelle politique de Jean Marc Ayrault contre l’action syndicale prend la tournure répressive qu’une dépêche AFP annonçait avant-hier. A la même heure, les manifestants devant l’ambassade de Tunisie en France étaient eux aussi copieusement gazés. De chaque point me parvenait les SMS des camarades engagés dans l’action avec nos drapeaux. La veille déjà, à Pétroplus et à Aulnay, Martine Billard et Eric Coquerel avaient aussi pris la tête de nos groupes de camarades venus en renfort de l’action des salariés. De mon côté, j’entrai dans ces moments le cœur plein de mon passage à Rome et l’esprit encore tourneboulé par ma rencontre avec Cayo Larra, le coordinateur d’Izquierda Unida d’Espagne, que les sondages placent dorénavant entre quatorze et seize pour cent des intentions de vote, à seulement huit points du lamentable PS espagnol ! Cayo Larra parlait du vertige de l’approche du pouvoir qui l’étreignait comme avant lui Alexis Tsipras. Je ressens le vertige de l’histoire quand elle se met en mouvement et qu’à la faveur d’un jour de concordance des temps, son beau visage se laisse voir un instant fugitif.
Marzouki, la Révolution, Belaïd, et nous.
Ce que le quotidien nous montre sera notre boussole, bien sûr. Nos amitiés, nos connivences et nos désaccords ne changeront pas pour un discours, je le sais bien. A l’heure où parlait Moncef Marzouki devant l’hémicycle européen, nos solidarités étaient avec nos camarades du Front populaire tunisien, cela va de soi. Et nous savons bien tout ce qui les sépare du parti du président de la République Tunisienne. Mais pour voir plus loin que l’instant et la position politique de chacun, il faut se souvenir que Moncef Marzouki parlait à ce moment-là au nom du peuple tunisien tout entier, tel qu’il est depuis qu’il s’est libéré tout seul de la dictature. Et c’est justice de dire que ce discours fut un moment magnifique d’humanité et de patrimoine commun civilisationnel.
Sans doute y avons-nous été d’autant plus sensible que la langue française fut parlée à la tribune, avec une grâce et une fermeté classique si bien accordée, qu’on l’aurait encore écoutée une heure pour le seul bonheur de sa musique. Marzouki est un médecin qui a fait sa formation à Strasbourg. Sa construction méridionale de maghrébin s’est imbibée de la rigueur austère des nôtres dans l’Est de la France. J’ose dire que je sais de quoi je parle, ayant été rebrassé de même dans ma petite patrie d’adoption franc-comtoise. Ici ce métissage de tempérament renforça la pente naturelle de son propre caractère que l’on dit austère et exigeant. La langue de Marzouki émeut à l’économie des mots. Nous avions pourtant les larmes aux yeux, Younous Omarjee, Jacky Hénin et moi, assis côte à côte sur la montagne tout à gauche de l’hémicycle. La vérité exige qu’on dise combien le style n’était pas la seule cause de tant d’émotions. Le texte de Marzouki avait la hauteur que l’on attend d’un tel moment. Par contraste la laborieuse prestation de François Hollande la veille n’en parut que plus pâle, du peu qu’il nous en restait de souvenir. Marzouki a pensé à haute voix, en grand, le bruit et la fureur de l’histoire arabe et européenne. Et il témoignait aussi de sa vie d’exilé politique en France, ce qui dans le contexte de xénophobie entretenu par la droite de notre pays n’était pas peu de chose. Persuadé de longue main que notre siècle serait celui des révolutions arabes, comme il l’a expliqué souvent, nous dit-il, il a été droit au but quant aux questions que l’on se pose autour d’une seule, finalement, vu de notre rive : la révolution actuelle est-elle une chance ou un danger ?
Il dit qu’elle est une chance parce qu’elle est une révolution sociale et que son contenu démocratique est plus fort que tous les protagonistes qui y prennent part. Et ceci quelles que soient les arrières pensées et calculs de ces derniers. Dans le contexte de l’assassinat de Chokri Belaïd, venant après plusieurs agressions d’intimidation du même type, ce propos peut paraitre très décalé. Pour autant il est juste, en dépit des oiseaux de mauvais augure qui voudraient imputer aux révolutions arabes un contenu fatalement islamiste et violent. Si nous étendons la remarque, nous pouvons en tirer des enseignements pour nous même. Pour ma part, je distingue très fortement les révolutions qui conservent leur caractère pacifique de celles qui se mènent, volens nolens, les armes à la main. Aussi longtemps qu’on peut aller aux rassemblements révolutionnaire en famille, en tenant les enfants par la main, l’horizon n’est pas commandé par celui qui a reçu la plus grosse arme ni par celui qui la lui a fournie. C’est pourquoi la « révolution » libyenne est si mal engagée, et la syrienne davantage encore. Cela ne vous apprend aucune naïveté de ma part. Je sais parfaitement que maintes circonstances s’achèvent dans les rapports de force les plus cruels. Et je sais aussi qu’une révolution gagnée dépend d’un art de réalisation impossible sans un parti préparé à en être l’instrument. Raison de plus pour le préparer à la bonne tâche et non aux songes creux. Raison de plus pour savoir fermement que la violence ne nous sera jamais favorable et qu’il faudra toujours la subir en pensant à la stopper, comme une condition de base de notre projet. Quoi qu’il en soit, j’en reste à l’enseignement Robespierriste : la guerre – et la guerre civile est aussi une guerre – militarise la société et finit par donner le pouvoir aux armes et aux militaires. Et en toute hypothèse « les peuples n’aiment jamais longtemps les missionnaires armés ». Le caractère radicalement pacifique et démocratique de la révolution citoyenne renverse l’ordre des angles morts stratégiques par rapport aux questions du passé : que faire si malgré tout le processus révolutionnaire bascule dans la violence ? Je ne sais pas comment la doctrine citoyenne s’accommoderait d’un tel cas.
Nous avons tous été frappés par les violences qui entourent dorénavant nos mobilisations en France. Violences qui ne sont jamais de notre fait. Une répression sophistiquée s’abat sur le mouvement social. D’abord ce sont des déploiements policiers souvent disproportionnés. Ils semblent surtout destinés à impressionner ceux qui regardent les images, parfois davantage que ceux qui les font vivre. Cela s’est vu à Notre-Dame-des-Landes où, cependant, il y eut des violences spécialement disproportionnées et souvent fort cruelles contre des manifestants totalement et volontairement désarmés. A présent autour de PSA c’est le grand jeu ! La sécurité du territoire est, parait-il, engagée. On a pu lire que Manuel Valls mettait en état d’alerte les services de renseignements dont, parait-il, ce n’était pourtant plus le métier de faire de la police politique. On a vu PSA recruter plusieurs dizaines de vigiles pour cadenasser le site en lutte. Pour être franc, ce n’est pas très nouveau. Sarkozy avait bien criminalisé l’action syndicale et associative. Et sur le terrain, les patrons liquidateurs n’avaient pas la main légère. On se souvient de la milice recrutée par la direction américaine de Molex. Ce qui est nouveau, c’est que la situation actuelle additionne les situations de tension. Du nord au sud du pays, avec deux cent soixante six usines fermées en un an, un pouvoir totalement rallié à la main invisible du marché, à la « politique de l’offre » et la baisse du cout du travail, ça sent le gaz. Il est frappant de voir que c’est l’option répressive qui tient la corde au gouvernement, depuis que la grenade Montebourg a été désactivée. Lui prêche la soumission, Manuel Valls y contraint, Ayrault l’encadre. A cette répression physique et politique s’ajoute la répression médiatique, celle des interminables prêches écrits ou audiovisuels qui valorisent ceux qui cèdent contre les « irresponsables » qui résistent.
Ce nouveau contexte va nous obliger à repenser nos dispositifs de combat. Le danger est celui d’une coupure en deux entre ceux qui veulent aller loin et s’enragent et ceux qui sont sous contrainte ou prennent peur et se détachent. Les stratégies rassembleuses sont la priorité. Le devoir du Front de Gauche sera de ne rien faire qui ajoute à la confusion que le gouvernement Ayrault et le Medef travaillent à créer en divisant les syndicats, par exemple. Par exemple, nous sommes bien d’accord au PG pour ne pas mettre en cause la CFDT, quand bien même nous sommes en accord avec la CGT, FO et Sud-Solidaire contre l’accord avec le MEDEF. C’est, bien sûr, une ligne constante de ne pas se mêler des stratégies syndicales quand elles se contredisent. Mais au cas particulier, l’idée est de centrer l’action contre le texte et son contenu. Pour cela, il faut viser le rassemblement le plus large. Je sais que les sections et militants CFDT y seront certainement aussi en nombre, cela dit en passant. Mais pas question de servir sur un plateau à Ayrault une division syndicale comme prétexte pour bétonner son accord avec le MEDEF et lui faciliter la tâche pour faire passer le texte tel quel au parlement. L’autre danger de division vient du numéro qui aura consisté à souffler le chaud et le froid entre les appels à nationalisation de la sidérurgie et les conseils de capitulation chez Renault ou PSA. Sans oublier les tours de passe-passe à Pétroplus ! A la sortie c’est davantage de démoralisation.
Par contre, face aux appareils de répression, ce qui compte c’est de ruiner leur cohésion et de les cliver de l’intérieur. C’est donc les personnes et leur conscience qu’il faut cibler. Policiers, journalistes et socialistes de métier sont aussi des citoyens qui pensent, votent et agissent à leurs heures de liberté. C’est leur conscience qu’il faut travailler et faire bouger. A Notre-Dame-des-Landes on a vu des policiers et des journalistes hésiter à faire la basse besogne. Le malaise s’est exprimé syndicalement chez les CRS. De manière plus personnelle, chez les Gardes Mobiles qui sont des militaires. Les articles de presse, de leur côté, ont souvent été moins moutonniers et pro-gouvernementaux qu’à l’habitude dès qu’il y a des gros enjeux d’argent engagés. En toute hypothèse la jeune génération des médias est devenue plus factuelle et descriptive. Les papiers peuvent donc devenir aussi décapant que les évènements qu’ils décrivent.
Hollande à Strasbourg. Y a quelqu'un ?
Le président de la République Française était dans l’hémicycle de Strasbourg ce matin-là. Son discours était parfaitement adapté à un auditoire de martiens. En fait les terriens n’étaient pas concernés. Ou alors seulement pour la crainte qu’ils inspirent. Ainsi quand le ci-devant président a osé dire : « ce n’est plus la méfiance des marchés que nous devons craindre mais celle des peuples ». « Oui sire, craignez le peuple il est terrible quand il se fâche! » Un discours où des mots comme « progrès social » ou même « justice sociale » n’ont pas été prononcés une seule fois, cela reste étrange, même quand on sait bien qu’il n’y a rien à attendre d’un social libéral. Il n’a rien dit ou seulement que, dorénavant, ce sera comme auparavant. Un discours où la France est une bourgade européenne qui ne voit ni le monde ni même la Méditerranée ou cent millions de personnes ont pourtant en usage commun la même langue française.
Pour pouvoir ouïr le président français, il aura fallu d’abord bousculer le très rigide protocole du Parlement européen. Le problème vient de notre Vème République. En effet, dans la plupart des autres Etats membres, chef d'Etat et chef du gouvernement ne se confondent pas. C'est pourquoi un protocole différent est réservé à chacun d'entre eux. En tant que chef d’Etat, François Hollande aurait dû faire un simple discours sans débat avec les parlementaires. Formellement, le débat ne pouvait avoir lieu qu’avec Jean-Marc Ayrault. Le président du parlement, Martin Schulz, a donc obtenu qu'on déroge au protocole pour permettre à François Hollande de répondre aux interventions des présidents de groupe. Etrange spectacle donc que celui du chef de l’Etat assis aux côtés du ministre des affaires étrangères sans que le premier ministre soit là ! Ce point réglé pour le parlement, il nous fallait régler notre attitude. C’est le président de la République de notre pays. Je refuse donc qu’on le traite ici, devant cette meute anti-française et contre républicaine, comme nous le ferions à domicile. Et cela même si d’autres ne se sont pas privés de le faire. Nous nous sommes donc levés à son arrivée et à son départ et nous avons applaudi de bon cœur quand il fut question du maintien du siège à Strasbourg par exemple. Mais nos divergences restent. Que dis-je : elles s’aggravent dès qu’on écoute François Hollande. Car la litanie de vœux pieux qu’il a énoncé souligne l’insignifiance des actes qu’il pose en regard.
Car pour ce qui est de faire un moulin à vent avec sa langue et n’avoir rien dit à la fin, François Hollande a battu à plate couture Manuel Barroso et ses indépassables numéros d’indignation sans objet! Ainsi quand, sur ce ton qui n’appartient qu’aux malins, le président tape du poing : « je vous le dit tout net : pas question d’accepter de réduction du budget au-delà de ce qui est acceptable ». En une phrase, toute la duplicité du monde. Et cette autre merveille : « faire des économies oui, affaiblir l’économie non ! ». Raaaaah ! Le reste à l’avenant : un enfilage de perles sans signification particulière ni dessein pour le futur. Un mot est contredit par le suivant. Mais ici les connaisseurs savourent avec délice ces sortes de gesticulations. De toute façon, ils savent bien qui est là. C’est l’homme qui leur a dit dès le début de son propos qu’il saluait le « 6 Pack » et le « 2 Pack », ces politiques d’austérité autoritaires ainsi que le TSCG « dont la France, sous mon mandat, a reconnu l'autorité ». « Il est des nôtres » se disent-ils « il boit le verre comme les autres » ! N’empêche qu’il y avait la question du budget européen. Ce truc s’appelle ici « cadre financier ». Il est voté pour sept ans ! Cette bande d’idéologues prévoit d’en diminuer le montant. Pour faire des économies, évidemment. Sur une somme déjà ridicule qui porte sur à peine 1 % du PIB de l’Union, on devine le caractère misérable de cette réduction purement idéologique ! Surtout si l’on tient compte du fait que toutes les sommes sont déjà préemptées par des politiques déjà engagées. Et enfin on doit savoir que la souplesse de ce budget est égale à zéro puisqu’il est interdit de passer une somme d’une ligne à l’autre en cours d’exécution du budget ! Il faut se rendre compte de ce que cela implique. Avec le projet actuel, l’union européenne fonctionnerait jusqu’en 2020 avec un budget bloqué au niveau où il était en 2008, dernière année avant la crise. Incroyable d’aveuglement ! Et les propositions de cette ombre de Van Rompuy bloquerait les enveloppes de l’Union au niveau plancher de 2003, quand on était encore dans l’Europe à quinze, sans les pays de l’est !
Tous les groupes du parlement jettent donc de grosses larmes. Tout d’un coup les voilà repeints en Keynésiens. Ils récitent avec ferveur que le budget européen est le grand instrument de relance et le seul dont dispose l’Union ! Ma parole ! La grâce les aurait-elle touchés ? Non bien sûr : c’est seulement une comédie. Même quand ils se font le numéro de « l’échec de la discussion, l’Europe en panne » c’est encore une comédie. Car la règle prévoit que faute de nouveau budget, on reconduit celui de l’année passée ! Tout le monde ment, là-dedans. François Hollande n’a pas eu de mal à les renvoyer dans leurs buts : « vous demandez à un socialiste d’empêcher des conservateurs de faire un mauvais budget ! Merci de votre confiance ! Mais pourquoi ne le dites-vous pas aux gouvernements que vous soutenez ? » Mais quand il demande quelle cohérence il y aurait à voter un budget de déflation après avoir adopté en juin un « plan de relance », c’est à son tour de se faire envoyer dans les cordes : « où est votre plan de relance, demande Joseph Daulh le président du groupe de la droite européenne, nous n’en voyons pas la trace ! » Tout le monde a compris. D’ailleurs Hollande lui-même a proposé une réduction de 75 milliards pour ce budget. Comme son plan de relance ne comportait que soixante milliards nouveaux, tous empruntés, 15 milliards auront donc été retiré de l’économie après le « plan de relance » à la sauce Hollande ! Rideau. En avant vers la catastrophe
A Rome, « pour faire parler de soi » ?
Vendredi dernier, j’étais à Rome. J’y ai tenu meeting, aux côtés d'Antonio Ingroia, la tête de liste emblématique de la "Rivoluzione Civile", la « Révolution Citoyenne" italienne. Vous voulez savoir ce qui se passe là-bas en général et à gauche? Mieux vaut lire mes lignes. Car vous n’apprendrez rien en lisant celles que consacre au sujet le « correspondant» de la désormais fameuse rubrique internationale du « Monde », Phillipe Ridet. Car pour lui, le but d’Antonio Ingroia est … « de faire parler de lui ». Ceux qui ont dépensé 1,80 euro pour s’informer devront se contenter de cette puissante appréciation pour tout potage. Ils ne connaitront même pas le nom de la liste que mène Antonio Ingroia. Vous en apprendriez davantage en allant directement sur « Google actualité », le moteur de recherche. Faites-le. Vous agirez généreusement pour la liberté de prendre les lecteurs pour des imbéciles puisque dorénavant Google donnera une subvention au « Monde » même si vous ne l’achetez plus. Venons-en à notre Italie, à notre gauche. Car c’est un front essentiel de la lutte en Europe pour faire craquer la chaine austéritaire.
C’est Paolo Ferrero, secrétaire général de Rifondazione, le parti avec lequel nous travaillons au sein du Parti de la Gauche Européenne, qui m’avait adressé l’invitation à participer à ce meeting. Les camarades mettent les bouchées doubles pour animer leur campagne. Ce qui se joue en Italie c’est évidemment d’abord la sanction de la politique d’austérité de l’odieux technocrate nommé par Bruxelles, le libéral dogmatique Mario Monti. Vous avez dû oublier comment ce type a été nommé sénateur à vie par le président avant de devenir trois jours plus tard premier ministre par une sorte de putsch venu de la Commission européenne. D’ailleurs la campagne électorale italienne, elle-même, a commencé par un coup de force. Fin novembre, Mario Monti a annoncé sa démission sans pourtant avoir perdu « la confiance » du parlement. Pour le faire, il a prétexté une simple déclaration d’Angelino Alfano, le secrétaire fantoche du parti berlusconien qui était censé le soutenir aux côtés de tout le petit monde des eurolâtres, depuis les quasi fascistes jusqu’aux sociaux libéraux. C'est sur cette simple déclaration à la presse que le président de la république, Gorgio Napolitano, s'est appuyé pour décréter l'impossibilité d'une nouvelle majorité et dissoudre. Manœuvre qui se voulait géniale. Le Monti encensé par toutes la presse européenne et notamment « Le Monde » allait prendre tout le monde de vitesse et s’imposer au centre du paysage en faisant manger tout le monde dans sa main. Déjà les sociaux libéraux jappaient dans l’antichambre, frémissant d’impatience devant leur gamelle. Une ruse bien commencée. Le gouvernement de « gestion des affaires courantes » a pu agir sans être embarrassé et faire voter des textes aussi importants que la loi de finance et même « la règle d'or » pendant un mois entier alors que, formellement, il était censé ne plus y avoir de majorité ! Pour tromper le monde, mentir et manipuler tout le monde, il n’y a rien au-dessus d’un eurocrate, Mario Monti, protégé par un social libéral, Giorgio Napolitano ! Tout cela devait se dénouer glorieusement avec les élections du 24 et 25 février. Hélas rien ne se passe comme prévu par les très intelligents. Mario Monti est dans les choux dans les sondages. Il se traine à 12 ou 14 % ! Les « démocrates », le PS local, qui faisaient les malins se font rattraper par Berlusconi de jour en jour. Et l’autre gauche fait son retour.
Du coup c’est le modèle français qui fonctionne : chantage au vote utile, pluie d’injures contre les nôtres, verrouillage médiatique grossier pour interdire en toute bonne conscience notre participation aux débats de fin de campagne. Ils ont peur. Ce qui se joue aussi c’est le retour de notre gauche au parlement italien. Car là-bas il n’existe plus sous couleur de « gauche » que le « Parti Démocrate ». Un organisme de fin de parcours qui réunit les carriéristes de l’ancien parti communiste suicidé, ceux de l’ancien PS dissous dans la corruption et quelques rogatons de la démocratie chrétienne. Un parti social libéral de « centre gauche » que venaient déjà soutenir à chaque élection François Bayrou et François Hollande. Avec la liste que mène Antonio Ingroia, une étape est franchie, à la française, là aussi. « Révolution citoyenne » est un front de gauche élargi à des mouvements de la société civile.
Antonio Ingroia lui-même n'est pas un militant politique. C'est un juge très connu des italiens pour son combat contre la mafia et les liens de celle-ci avec l'Etat italien. L'homme est connu pour sa droiture. C’est l’incorruptible. Il n'a, en effet, pas hésité à mettre en cause des hommes politiques de droite, dont Silvio Berlusconi, mais aussi l'actuel président de la République, Giorgio Napolitano, dans l'affaire de "l'accord Etat-Cosa Nostra". Il a mis ainsi sa vie en danger en s'affrontant à l'une des plus puissantes mafias, celle de la région dont il est originaire: la Sicile. Placé sous haute protection, Antonio circulait jusqu'à il y a peu en voiture blindée. En Novembre 2012, après avoir rendu sa dernière sentence, il est parti au Guatemala, mandaté par l'ONU, pour travailler au sein de la Commission Internationale contre l’Impunité au Guatemala. Ce n’était pas une promenade de santé. Mais l’homme n’oubliait pas son pays. Il gardait l'œil sur l'actualité juridico-politique italienne et le faisait savoir dans le journal Il Fatto Quotidiano dont il est éditorialiste. Fin Décembre 2012, à l’invitation des mouvements et partis réunis au sein de la liste « Rivoluzione Civile », il accepte de devenir candidat au poste de « Premier » comme on dit en Italie pour parler du chef du gouvernement. Tel est l’homme que le petit plumitif arrogant de la grandiose rubrique internationale du journalissime « Le Monde » décrit comme n’ayant d’autre objectif que de « faire parler de lui ».
La "Rivoluzione Civile" est née fin Décembre 2012. Il s'agit d'une coalition de plusieurs partis et mouvements sociaux et politiques. On compte notamment parmi eux le Parti de la Refondation Communiste, les Verts, l’Italie des Valeurs de di Pietro, le Parti des Communistes Italiens, le Mouvement Orange de Di Magistris, un nombre conséquent de mouvements de lutte contre les Grands Projets Inutiles et Imposés (No TAV, No Muos, No Mose etc), les mouvements de la campagne pour « l’eau, bien commun », les mouvements anti nucléaires, les mouvements contre le paiement de la dette (No Debito etc), des personnalités du monde syndical et notamment de la FIOM (les métallurgistes de la CGIL) et des personnalités féministes. Lesquels ont en commun de n’avoir pour projet que de « faire parler d’eux » cela va de soi.
Paolo Ferrero de Rifondazione est pour beaucoup dans la formation de cette liste d’union à laquelle il œuvre depuis longtemps. Rifondazione, le parti dont il est secrétaire général, avait pris position pour la formation d'une telle liste dès son Congrès de Décembre 2011. Je crois que l’expérience progressive et pragmatique du Front de Gauche français éclairait la voie. Au Front de Gauche, on connaît bien Paolo Ferrero. Il m'avait soutenu pendant les élections présidentielles. Il était présent à nos Estivales cet été . Il était aussi présent dans le carré de tête de la manifestation du 30 Septembre dernier contre le TSCG aux côtés d'autres membres éminents de la Gauche Européenne. L'homme aime particulièrement la France qu'il connaît bien. Il parle et lit d'ailleurs parfaitement le français. Il faut dire qu'il vit dans le Piémont et qu'il passe fréquemment la frontière. Il m’a raconté comment il discute avec les gens, dans les commerces frontaliers pour prendre la température politique du moment chez nous. Nos campagnes électorales et militantes lui sont bien connues.
Paolo est un artisan de longue date du rassemblement de la gauche italienne. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas un ancien du PCI, le grand Parti Communiste Italien dont certains membres, comme l'actuel président italien, Giorgio Napolitano, ont organisé la dérive jusqu'à en faire l'actuel Parti Démocrate, favorable à la rigueur et au libéralisme accru. Paolo vient de "Démocratie prolétaire", une coalition pour une "nouvelle gauche" regroupant déjà à l'époque plusieurs formations de toute la gauche radicale et parfois affiliées à différentes internationales. En 1991, quelques jours après la transformation du PCI en Parti Social Démocrate (PSD), il soutient la fondation du "Mouvement pour la Refondation Communiste", auquel il adhère avec la majorité des dirigeants et des membres de son groupe d’origine, en compagnie de diverses formations de la gauche radicale italienne que rejoignirent tous ceux qui refusaient à l'époque le suicide de la gauche. Ce mouvement deviendra l'actuel "Parti de la Refondation Communiste" dit "Rifondazione". En 2006, Paolo a été ministre de la Solidarité sociale du gouvernement Prodi II. Une expérience désastreuse dont il a beaucoup appris. Non seulement du point de vue de la gestion de l'Etat mais aussi sur ce qu'on peut craindre du « Parti Démocrate » italien. Ce « parti démocrate » a en effet remplacé, en plus droitier, le tout nouveau « Parti social-démocrate » dont les fondateurs eux-mêmes jugeait l’imagerie trop liée à la tradition de gauche. N’empêche que nos amis ont d’abord marché d’un désastre à l’autre. Exactement ce qui nous pendait au nez en France après 2007. D’ailleurs je n’ai jamais caché que cet effondrement de la gauche italienne avait joué un rôle considérable dans notre décision de quitter le PS et de former aussitôt un Front électoral avec les communistes français. En 2008, dans un contexte de faillite électorale, Paolo est élu secrétaire général de Rifondazione sur une ligne très critique vis-à-vis de la stratégie de "l'Unione" une alliance électorale de la gauche jusqu’au centre droit. Il s’oppose encore à la participation de Rifondazione au gouvernement Prodi II. Mais il reste isolé. Les désastres s’enchainent. Notre gauche est alors éliminée du parlement. Et ce n’était pas fini. En 2009, pour les élections européennes, Paolo obtient la création d'une "liste anticapitaliste". Mais près de la moitié du parti cède aux sirènes social-libérales et scissionne sous la houlette de Nicchi Vendola. Un de ces grands esprits qui dénonçaient les outrances et la dérive gauchisante de son parti pour monter dans le premier train bien servi. Comme en Grèce, comme partout où il faut choisir entre la rupture et le vieux monde de la gauche d’avant ! La gauche radicale italienne disparaît alors aussi du Parlement européen.
Paolo Ferrero a alors fait preuve d'un grand courage en décidant de continuer son combat pour l'union de notre gauche en dépit de tous les revers ! Il a même tendu la main au liquidateur Nicchi Vendola. Sans résultat. Il parvient quand même en 2010 à mettre sur pied la "Fédération de la Gauche" avec plusieurs formations de Gauche. Il est conscient de la faiblesse de cette Fédération. Il voit bien la dérive du parti de Nicchi Vendola vers une soumission totale aux « Démocrates » sociaux libéraux. Il propose alors en décembre 2011 une alliance large. Il ne s’agit plus de fixer une identité politique mais de prendre en charge une tâche en commun : réunir tous ceux qui s'opposeront aux politiques austéritaires et néolibérales mises en œuvre par le gouvernement Monti. Les « Démocrates », amis de Bayrou et Hollande, bons petits soutiens de Monti, n'était évidemment pas concernés. Cette méthode a été la bonne. Mais quelle patience, quelle endurance, pour Paolo et ses amis après tant de revers ! C’est de cette façon que nous aussi nous avons construit notre Front de Gauche. Aujourd'hui en Italie, presque tous ceux qui s'opposent à ces politiques ont répondu à la main tendue de Paolo.
La liste « Révolution Citoyenne » a de l’allure ! Antonio Ingroia est une figure de proue à l'envergure indiscutable. Quant au programme sur lequel les différentes formations se sont mises d'accord, il est en opposition claire aux combines des démocrates et aux politiques de l’union européenne. Le programme de la « Rivoluzione Civile » : opposition au libéralisme économique de Berlusconi et du gouvernement Monti, opposition au TSCG et à la règle d’or, objectif de « rendre l’Union européenne autonome des marchés financiers », volonté de placer l’UE « sous le contrôle des institutions élues par le peuple », appel à un Etat italien laïque, mise en place d'un enseignement public et d'une recherche publique, « non aux pouvoirs économiques », mise en place d'une santé publique de qualité, enfin appel à revenir immédiatement sur la destruction du Code du travail voulue par Berlusconi et mise en œuvre par Monti.
Avec la Rivoluzione Civile, la gauche pourrait faire son retour au Parlement. Nous revenons du néant, ne l’oublions pas ! La liste est actuellement créditée de 4 à 6% dans les sondages. Elle devrait donc faire son entrée à la Chambre des députés, où le seuil d'entrée est de 4%. On peut même espérer qu'elle réussisse, même plus difficilement, au Sénat où le seuil est de 8% pour les listes uniques. Il y aurait donc de nouveau un point d’appui parlementaire et un seuil de crédibilité de franchi pour faire face à la suite du processus de désintégration de l’Etat italien. C’est-à-dire qu’il y aurait en Italie aussi une alternative à gauche. Ce risque est mesuré par nos ennemis médiatico politiques. La notice fielleuse du « Monde » est en phase avec la campagne de dénigrement et d’occultation sur place. Cela se fait au prix de mesures d’une sophistication byzantine. Ici la Commission de surveillance de la RAI a décidé de ne faire participer au débat final avant l'élection que les candidats « issus de coalitions » (plusieurs listes jointes en une coalition, les votes se portant sur une liste) et pas les candidats « issus de listes uniques » (une seule liste donc, comme celle de la Rivoluzione civile) ! Un scandale grotesque. Une mesquinerie qui en dit long sur ce que sont devenues nos grandes « démocraties » de l’âge européen.
Mais ce n'était pas le plus important ce jour là, quand je suis arrivé à Rome. Ce n’est pas de cela que Fabio Amato, le responsable international de Rifondazione, nous a parlé en premier en venant nous chercher à l'aéroport vendredi matin. Fabio avait une nouvelle au plus haut point satisfaisante. Le matin même, une partie importante de ses anciens camarades partis en 2008 avec Nicchi Vendola, avaient décidé de quitter leur formation SEL ("Gauche Ecologie et Liberté") liée aux « Démocrates » sociaux-libéraux et de rejoindre la Rivoluzione Civile. La nouvelle, conjuguée à ma présence à Rome ce jour-là, allait, selon lui, mettre la Rivoluzione Civile au premier plan dans les médias. Fabio était certain de son fait : il y aurait beaucoup de monde le soir au meeting conjoint du PGE et de la Rivoluzione Civile où j'intervenais. Fabio avait d'ailleurs décidé de faire les choses en grand, au théâtre Capranica. Ce théâtre du XVème siècle est situé en plein cœur de Rome, à deux pas de la Chambre des députés. Sur place, le responsable de notre Parti de Gauche en Italie, Guillaume Mariel, nous attend. Il est venu spécialement d'Arezzo pour nous accompagner aujourd'hui et aider à la traduction en cas de difficulté de communication. Guillaume est bien connu des camarades de Rifondazione. Il a passé l'été dernier à sillonner l'Italie avec Fabio Amato pour présenter l'expérience du Front de Gauche. Une tournée qui a visiblement porté ses fruits. Il a aussi été le suppléant de Michèle Paravicini sur la très vaste 8ème circonscription des français de l'étranger. Autour de lui et d'Hélène, une camarade du PCF, un Front de Gauche Italie s'est formé. Guillaume m'annonce que tous les camarades romains se sont mobilisés pour être présent au meeting du soir. Je suppose que ce sont eux qui lançaient les applaudissements nourris qui m’ont accueilli. Il faut dire que j’évoluais dans les rues dans une ambiance très française car les supporters de l’équipe de France de Rugby étaient nombreux en goguette, amicaux et enjoués.
En fait je suis tombé par hasard sur Antonio Ingroia dans la rue en partant déjeuner. C'était ma première rencontre avec lui. Il sortait d'une des trois conférences de presse qu'il devait donner dans la journée. Celle-ci concernait l'annonce faite le matin même par des dirigeants de SEL qu'ils rejoignaient la Rivoluzione Civile. Une bonne nouvelle qui marquait visiblement les visages de l'entourage d'Antonio. J'ai ensuite rejoint Paolo Ferrero pour le déjeuner dans un petit restaurant où la Rivoluzione Civile a ses habitudes. Le quartier général de campagne est situé deux rues plus loin. Il a fallu déjeuner en vitesse ! Misère, quelle vie ! Spaghettis à la carbonara. Paolo m’explique comment ce plat qui a des allures de met traditionnel est en fait une trouvaille des bidasses américains à la Libération. Ils le fabriquaient avec le lait, les œufs en poudre et les filaments de lardons des rations de l’armée. Puis on parle d’Antonio Ingroia, bien que nouveau venu en politique, il est fortement marqué à gauche philosophiquement. Selon Paolo, l'homme apprend vite au contact des autres maintenant qu’il est sorti de l’isolement de sa situation dangereuse de juge anti-maffia. Et plus il apprend plus il renforce ses convictions. J'en aurai la confirmation le soir même. "Nous voulons devenir plus qu'une coalition électorale, un mouvement durable comme le Front de Gauche en France" a-t-il dit. "La Rivoluzione Civile n'est pas qu'une coalition électorale, c'est un mouvement historique. Utilisons-la bien". Pour l’instant, Paolo fonce. Il a un direct sur une chaîne de télé, une heure plus tard à peine. Bon vent camarades ! Le moment venu la salle est comble. Enthousiaste. Le drapeau est relevé. Nous sommes chez nous.
30jan 13
Un post de combat
Dans ce post, il y a vraiment beaucoup de choses. Qui veut juste du commentaire sur l’actualité comme je l’ai vécue s’en tiendront au premier chapitre sur les nouvelles brèves et diverses. Qui veut anticiper les événements à venir liront ce que je leur apprends à propos du rail et des idéologues fous de la Commission européenne. Et enfin, qui n’a pas envie de se faire bourrer le crâne sans réagir, à propos des licenciements chez Goodyear, lira l’argumentaire que je lui propose. Il faut en effet s’attendre à voir être distillée une grosse dose de résignation chez les salariés sur le sujet. L’affaire fonctionne comme dans le cas Renault : il s’agit d’une préparation psychologique à l’arbitraire de l’accord MEDEF-Ayrault. Mais il n’est pas dit que le PS parvienne à faire taire la volonté d’amendements des parlementaires. Bref ceci est un post de combat. Et pour commencer à vous y insérer, voici un lien vers la pétition en ligne pour l’amnistie des syndicalistes qui va faire l’objet d’une proposition de loi soumise au vote du Sénat le 28 février prochain.
Des nouvelles brèves et diverses
Ici il est question de luttes et de manifestations. Celles des salariés qui se sont donné rendez-vous aux Champs-Elysées et devant le ministère du travail. Mais aussi pour « le mariage pour tous » à propos duquel je parle aussi de nos actions avenir. Ensuite il est question des vociférations du PS contre le Front de Gauche en général et contre moi en particulier. Et enfin un mot du nouveau document d’orientation adopté par le Front de Gauche après cinq mois de discussion que le PS n’a pas réussi à faire échouer. Pas plus qu’il n’a pu empêcher le dialogue de s’organiser entre le PG et Europe-Ecologie-Les-Verts. Deux claques que le Parti tout puissant s’est infligé du seul fait de son arrogance et de son sectarisme.
Ce mardi, un salarié de Sanofi est mort. Il s’est suicidé en avalant il y a quinze jours une cuillère de cyanure sur son lieu de travail. La lutte est une affaire toute humaine. J’y pensais en parcourant les rangs des camarades de toutes ces entreprises en lutte qui s’étaient donné rendez-vous sur les Champs-Elysées avec les Virgin et aussi devant le ministère du travail autour des « licencielles » venues présenter leur proposition de loi contre les licenciements. Elles ont été reçues par un membre de cabinet. Laurence Parisot, la présidente du MEDEF aurait été reçue par le ministre lui-même, n’en doutez pas. D’ailleurs, la veille, ce fut la réception en grande pompe au siège du PS rue de Solférino ! Deux poids deux mesures. Raison de plus pour tenir bon ! Quand je suis passé saluer les manifestants aux Champs-Elysées, j’ai échangé une poignée de main avec Jean-Pierre Mercier le dirigeant de la CGT d’Aulnay. Lui m’a lancé l’alarme. Les salariés en grève ont besoin d’aide. Des sous ! Il faut donc partout où on le peut monter des collectes pour transmettre le soutien demandé.
A l’inverse, à la manifestation pour le « mariage pour tous », ce qui était frappant cette fois-ci comme pour la précédente c’est l’ambiance extrêmement apaisée qui régnait. Si je le note c’est parce que cela me semble être une caractéristique peu ordinaire pour qui, comme moi, lit dans une manifestation comme dans un livre. Par contraste je viens de dire que nos manifestations sociales sont beaucoup plus tendues. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi nos rangs sont souvent très coléreux puisqu’il s’agit le plus souvent de bataille en défensive contre un recul social. Mais il est moins évident de sentir la raison de l’expressive joie tranquille qui s’exprimait ce dimanche. Je pense que la reconnaissance du mariage pour tous libère la société d’une tension qu’elle contient. La recrudescence des actes homophobes dans la période récente souligne de quoi il s’agit. Je pense que nous n’effacerons pas en un instant ce genre de préjugés ni l’agressivité du refoulé qu’il exprime chez certaines personnes démunies de recul sur elles-mêmes. Mais je me dis qu’il s’agit néanmoins d’un seuil franchi. Je vais en donner l’exemple qui me vient à l’esprit pour décrire cette idée. J’ai l’âge de me souvenir de la période où le divorce était rare. J’ai connu et je connais des sociétés où il l’est toujours quand il n’est pas encore tout simplement interdit. C’est alors la multiplication des situations scabreuses, des pauvres secrets de Polichinelle, des malentendus disloquant les codes sociaux dominants. Ils pourrissent la vie des gens, qu’ils aient à assumer les mensonges exigés par la société ou qu’ils s’y trouvent impliqués. Je m’amuserais volontiers à faire une comparaison qui me fait sourire quand je lis le statut de quelqu’un sur Facebook qui donne comme description de sa situation matrimoniale : « c’est compliqué », réponse rendue disponible par le réseau social lui-même. Quand la société tout entière rend « compliquée » la vie des gens, ce n’est pas du tout de même nature que quand les gens se la rendent compliquée par eux-mêmes. Car il faut s’en souvenir : l’orientation sexuelle n’est pas un choix. C’est un fait qui s’impose à chacun d’entre nous. Je pense que la force de banalisation que contient « le mariage pour tous » aura cette première vertu d’être une thérapie d’apaisement des relations de civilité. Il sera toujours temps, ensuite, de se souvenir que le mariage n’est pas une revendication de gauche.
Philosopher sur ce sujet plutôt que guerroyer ? Pourquoi ? C’est que je crois la partie gagnée au plan législatif. L’enjeu dès lors est de fortifier la victoire par la pédagogie davantage que par la seule force du fait légalement accompli. D’autant que la droite, quoiqu’elle en dise, ne reviendra pas sur la loi ainsi qu’on l’a vu en Espagne après des manifestations autrement plus nombreuses qu’en France. Mais le devoir de pédagogie s’impose. Non pas face à ceux dont la conviction est faite quoiqu’il arrive. Mais en direction de ceux qui ne parviennent pas à se faire une idée stable sur le sujet ou bien sur les questions qui y sont liées. Il faut s’inspirer des décennies de combat mené par les associations impliquées. Leur solitude longtemps. C’est la pédagogie patiente qui a permis la victoire qui s’annonce. Pour nous c’est un sujet particulier de fierté de savoir que c’est Martine Billard, notre co-présidente, qui déposa la première proposition de loi en faveur du mariage pour tous. Le vote de cette loi ne sera pas une faveur accordée mais un combat qui aboutit. Bien sûr reste pendante la douloureuse question de l’homoparentalité. Certes, étrangement, les députés du Front de Gauche ne sont pas unis sur cette question. Ce ne sera pas le seul sujet où nos députés voteront chacun pour soi. Cette étrange règle de la double autonomie permanente des députés vis-à-vis du groupe et du groupe par rapport au Front de Gauche conduit à faire que l’accord se fasse à minima en permanence. Peu importe. Nous nous repèrerons sur les plus en phase avec le programme du Front de Gauche, dans chaque cas. Ici, sachez qu’une fois de plus, Marie-George Buffet, à l’Assemblée, nous représentera bien. Il est cependant déplorable que personne n’ait défendu ses amendements en commission des lois.
Mais le groupe Front de Gauche au Sénat sera unanime pour défendre ces amendements. C’est une bonne chose. C’est conforme à l’avis dominant dans nos rangs et parmi nos électeurs. C’est ce qu’affirme une note que m’ont envoyée les camarades de la commission LGBTI du Parti de Gauche. « Le site Altantico a publié à la veille de la grande manifestation du 27 janvier à Paris pour l'égalité des droits LGBT, le dernier sondage IFOP d'opinions sur le mariage et sur l'adoption. Le commentaire des résultats du sondage par Jérôme Fourquet de l'IFOP rend totalement invisible le Front de Gauche puisqu'il ne parle que des "sympathisants PS" et des "sympathisants UMP"… Et pourtant!!… Hormis les données générales de ce sondage IFOP qui montre une remontée du soutien au mariage homo (63%) et à l'adoption homoparentale (49%) dans l'opinion générale, et cela après la manif du 13 janvier, on apprend dans le tableau détaillé en page 3, que c'est parmi l'électorat de Jean-Luc Mélenchon et les sympathisants du Front de Gauche que l'on trouve le plus de personnes favorables à l'adoption et au mariage égalitaire… Ce qui confirme le sondage d'il y a 2 semaines qui portait uniquement sur le mariage.
Sur le mariage homo, selon la proximité politique : EELV 89%; FDG 85%; PS 81% vote présidentiel : Jean-Luc Mélenchon 85% ; Hollande: 76% (Bayrou et Le Pen juste supérieurs à 50%). En ce qui concerne l'adoption homoparentale le classement par proximité politique est encore plus net : FdG 72% (dont 53% tout à fait favorables) ; PS 67% (dont 43% tout à fait) ; EELV 61% (dont 27% tout à fait)… Modem 71% (dont 47% tout à fait) !! Même classement selon les électorats à l’élection présidentielle : Jean-Luc Mélenchon 69%, Hollande 63%, Bayrou 51%. Curieusement il y a un gros décrochage de l'électorat EELV sur l'homoparentalité. Celui-ci reflète le débat qui éclate actuellement seulement en leur sein venant d'opposants qui invoquent le "naturalisme" supposé écologique de la parentalité… Bonne leçon sur ce que le naturalisme appliqué à l’être humain peut donner…
Deuxième leçon d'ensemble, elle vient des données socio-économiques. Elles donnent des résultats qui vont à l'encontre de beaucoup d'idées reçues… Car on voit alors que les clivages sont nettement politiques et encore plus nettement générationnels. En revanche, pas de gros clivages socio-professionnels. On notera malgré tout, contre certaines idées reçues, que les ouvriers et employés comme les professions intermédiaires, sont plus favorables que la moyenne à l'égalité des droits LGBT !!! Tandis que les classes supérieures sont plus défavorables que la moyenne. Et les retraités sont très défavorables. Les retraités? Cela recoupe le clivage générationnel…
Mais ce n'est pas tout : les régions Nord-Ouest et Nord-est sont nettement plus favorables que l'Ile-de-France… Les habitants des communes rurales sont plus favorables que ceux des villes de régions qui eux-mêmes sont plus favorables que ceux de l'agglo parisienne ! Qui l'eût cru ? Bref, l'égalité des droits LGBT, ce n'est pas qu'une revendication pour bobos parisiens…"
Excellent traitement médiatique de la manifestation « mariage pour tous » ! Des centaines de tweets ont dit la colère de toute sorte de gens, inclus des journalistes contre la grossière sous-information donnée sur cette mobilisation par comparaison avec celle de l’église catholique et de l’extrême-droite la quinzaine précédente. De cette façon le rejet et le dégoût à l’encontre des médiacrâtes s’accroît et avec eux la délégitimation du grossier système médiatique de notre pays. Comme on le sait dans la lutte se forgent les consciences et l’éducation collective. Personne n’a été dupe du procédé. La manipulation n’a rien empêché ni rien falsifié dans la perception du public. Nous n’y avons rien perdu donc. Mais ceux qui ont vu le procédé cette fois-ci le soupçonneront les autres fois sur d’autres sujets. C’est un bénéfice collatéral inespéré. La colère des gens faisait plaisir à voir. Nous avons avancé dans la compréhension populaire de l’infamie de ce système médiatique et du besoin de le révolutionner en profondeur.
Les dirigeants du PS mènent une rude offensive contre le Front de Gauche en ce moment. La ligne reste la même depuis quelques semaines : taper en faisant un chantage aux municipales sur le Parti Communiste. Dans l’imaginaire bureaucratique du Parti des situations acquises et des places disponibles, le monde entier est censé être à son image un ramassis de carriéristes effrénés. Pour eux, donc, les sortants communistes sont supposés être plus accommodants. L’idée de diviser PCF et PG se limite à cela. La manœuvre est si grossière et donne des résultats si contre-performants qu’il faut commencer à se demander si ce n’est pas un coup de billard à deux bandes. En effet la façon qu’à le PS de parler au PCF est si grossière, si vulgaire et la ficelle finale est si grosse ! Bref, on dirait bien que ceux qui parlent de cette façon ont bien pour objectif de braquer les communistes, c’est-à-dire qu’ils comptent sur l’effet inverse de leurs adjurations. Car plus ils parlent et plus la cohésion du Front de Gauche contre les maîtres-chanteurs et le dégoût de leurs méthodes s’accroissent. L’exercice d’intimidation est spécialement pervers et mené par des personnages qui sont coutumiers de ces façons de faire. Ceux-là entonnent le grand air de « l’unité pour deux ou trois » destiné à la parade. Puis ils menacent, tempêtent et injurient.
Carnouvas, « secrétaire aux relations extérieures » du PS comparant le PCF au FN, il fallait oser ! Mais pourquoi ces gesticulations ? C’est simple. Ce discours est à usage exclusivement interne au PS. La base y renâcle de plus en plus. En atteste le maigre succès de la « réunion des 2000 secrétaires de sections » tenue par Harlem Désir. J’ai noté le chiffre annoncé officiellement. Je me souviens que ce genre de réunion regroupait auparavant non moins officiellement 5000 secrétaires. C’est dire quel enthousiasme règne dans ce parti quelques mois après la conquête de la présidence ! En nous désignant à une vindicte confuse et bavarde c’est en réalité une opération de maintien de l’ordre qui est engagée contre ceux qui de l’intérieur montreraient leur accord avec les critiques raisonnées que nous formulons. Les récalcitrants seront privés de candidatures ou de prébendes ou bien les deux en même temps.
Après cela il y a aussi la compétition interne entre, par exemple, Jean-Christophe Cambadélis et Harlem Désir pour la tête de liste nationale aux élections européennes. Car il se dit que la liste sera nationale de nouveau. On comprend qu’Harlem Désir n’ait pas envie de revenir sur le hachoir francilien qui lui a donné moins de quatorze pour cent la dernière fois. Et Jean-Christophe Cambadélis sera à cette date le président du Parti Socialiste Européen, si personne ne lui a scié la planche d’ici là. Que sais-je encore ? Rien de consistant. Juste des intrigues de palais. Mais l’essentiel de la manœuvre qui consistait à empêcher l’accord au Front de Gauche sur le nouveau document d’orientation stratégique a échoué.
Et du coup c’est bien la meilleure réplique que nous avons à faire à tout cela : le nouveau texte « stratégie » que la coordination nationale de notre Front de Gauche unanime a été adopté en dépit de toutes les pressions jusqu’à la dernière minute pour qu’il ne le soit pas. Je donne sur ce blog la version maquettée de ce document qui actualise notre stratégie commune. Le blog d’Eric Coquerel raconte son histoire. Est-ce parce que le PS a découvert trop tard le point d’avancement du document ? Ou bien parce qu’ils se sont mis à croire à leur propre propagande à propos de divisions dans le Front de Gauche, si complaisamment relayée dans leur presse amie de « Libération » ou du « Nouvel observateur ». Toujours est-il que le PS a raté le coche. Le texte a été signé ! Il va maintenant être discuté dans toutes les organisations de base et mis en pratique j’en suis certain. Ainsi se construit le Front de Gauche : dans l’action commune de masse, dans le soutien et la participation aux luttes, dans la construction d’une compréhension commune des événements et des tâches.
De même l’opération cordon sanitaire tentée par le PS pour isoler le PG du reste de l’écologie politique est un gros échec. La démarche ininterrompue que nous avons entreprise en direction du plus ancien parti de l’écologie politique en France d’une part, et le refus de ce dernier de se faire instrumentaliser pour les basses œuvres du PS ont permis que le dialogue se construise concrètement et respectueusement. Nos équipes se sont donc rencontrées mardi pour « faire converger un certain nombre de réflexions » au moment où déjà EELV et le PG ont « eu des positions convergentes notamment sur le traité européen, la critique sur l'accord avec le Medef, Notre-Dame-des-Landes ». « Nous avons des zones de convergence, nous voyons comment les partager », a renchéri Jean-Philippe Magnen, selon l’AFP qui rapporte ses propos. « Le porte-parole d'EELV cite en exemple "l'éco-industrie ou la transition énergétique ». Et il ajoute : « Le PG n'a pas été convié au débat national sur la transition énergétique et nous le regrettons », souligne l'écologiste.
Il ne s’agit pas de faire des choses qui ne sont pas. Le PG est membre du Front de Gauche et il y tient comme à sa propre identité. EELV est membre de la coalition au gouvernement et il n’a pas l’intention d’y renoncer. « Nous n'avons pas fait le même choix stratégique », a déclaré pour nous Eric Coquerel. « Les écologistes ont en effet choisi de participer au gouvernement alors que le Parti de Gauche a choisi de rester en dehors » souligne l’AFP qui fait préciser l’idée par Jean-Philippe Magnen : « On assume les stratégies différentes, ce n'était pas une rencontre pour parler des élections à venir ». Et l’AFP de relever : « Entre écologistes et Parti de Gauche "il n'y a pas de donneur de leçon" », selon Eric Coquerel qui fait allusion aux rapports tendus entre le PS et le PG. Quelles conclusions pratiques ? Nos deux partis ont décidé « d'ouvrir des ateliers de "l'écologie politique concrète" sur le logement, la transition énergétique, la fiscalité » pour, autant que possible, « élaborer des propositions communes ». En dépit de toutes les violences et les oukases du PS le dialogue continue à gauche, avec toutes ses difficultés mais aussi toute la force propositionnelle et d’espérance concrète qu’il contient.
Le cas Goodyear. Apprenez à argumenter !
Vous allez beaucoup entendre parler de Goodyear ces temps-ci. Vous allez avoir besoin d’arguments pour résister à la résignation devant une « conséquence de la crise » et du « refus de négocier » des travailleurs du site ! Jeudi 31 janvier, la direction du groupe Goodyear a convoqué un Comité central d'entreprise. Officiellement, il s'agit d'« une information aux représentants du personnel concernant la stratégie du groupe pour le site d'Amiens-Nord ». En fait, Goodyear veut fermer l'usine et licencier les 1250 salariés. Mais pourquoi ? Est-ce inévitable ? Il faut argumenter !
L'usine fabrique des pneumatiques de deux sortes : des pneus pour les engins agricoles et des pneus "tourisme", c'est-à-dire pour les voitures individuelles. Comme d’habitude c’est le gros refrain de la rentabilité insuffisante et de l’atonie du marché qui nous est servi. Comme d’habitude le contexte fonctionne comme un effet d’aubaine pour justifier une opération financière. Car c’est bien une nouvelle fois un cas de licenciements boursiers. En effet, le groupe Goodyear se porte bien. Et même très bien ! Il est aujourd'hui le troisième fabricant mondial de pneus avec cinquante sites de production à travers le monde. Goodyear se vante d'avoir réalisé en 2011 sa "meilleure performance depuis 2000" avec un chiffre d'affaires de 23 milliards de dollars, en hausse par rapport 2010. Et un bénéfice de 343 millions de dollars. Le PDG de Goodyear est payé 12 millions de dollars par an. Le problème posé ? Les principaux actionnaires sont tous des fonds d'investissement américains ! Des prédateurs malfaisants et parasites !
Depuis des années, Goodyear cherche à se débarrasser de l'usine d'Amiens-Nord. Sur place, les salariés sont des têtes dures. Depuis cinq ans, ils ont systématiquement mis en échec les projets de la direction. Déjà en 2007-2008, la direction avait fait du chantage à l'emploi aux salariés. A l'époque, elle avait exigé des salariés qu'ils acceptent un "plan de modernisation" en échange de 52 millions d'euros d'investissement sur le site. Ce plan prévoyait plus de 400 suppressions d'emplois, une augmentation du temps de travail et une remise en cause de toute l'organisation du travail avec le passage en 4×8. Malgré le chantage à l'emploi, les salariés et la CGT avaient rejeté ce plan. Sur le trottoir d’en face, l’autre usine du groupe avait cédé au chantage. France 2 en a tiré un reportage à charge contre les récalcitrants. Un Pujadas rayonnant de joie l’a présenté. Certes, les raisonnables travaillent désormais 48 heures sans augmentation de salaires six jours sur sept ! Mais ils ont gardé leur boulot ! Les autres vont le perdre ! Un raisonnable s’exprime : « C’est invivable, on n’a plus de vie ! Mais que faire ? On doit nourrir nos familles. » Sourire compréhensif de David Pujadas.
En fait la direction veut briser la résistance. La direction a lancé plusieurs plans sociaux pour abandonner l'activité pneus de tourisme. Le plan présenté en 2009 prévoyait notamment 800 licenciements. A chaque fois, la justice a annulé le plan social pour absence de justification économique et donc "absence de cause réelle et sérieuse aux licenciements". Mais les multirécidivistes du délit économique n’ont pas de « peine plancher », eux. Ils sont autorisés à recommencer avec prière de ne pas se faire prendre la fois suivante. Goodyear a donc ensuite essayé de vendre l'usine à la découpe. Goodyear a ainsi tenté de vendre la partie pneus agricoles à un autre groupe américain, le groupe Titan. Mais là encore, les salariés ont mis le projet en échec. La CGT a refusé le plan de licenciements qui devait accompagner la cession à Titan. Puis ce fut le "plan de départs volontaires", qui était le plan B de la direction. Pourquoi ? Parce que le repreneur, Titan, refusait de s'engager sur les volumes de production affectés au site d'Amiens-Nord. Dit autrement, la "reprise" s'apparentait par beaucoup d'aspects à une liquidation en silence. Goodyear refilait le sale boulot à une entreprise beaucoup moins solide qui devrait payer beaucoup moins d'indemnités aux salariés à licencier. On connait le procédé pour lequel le dépeceur de Samsonite à Hénin-Beaumont a été condamné. Le journal Fakir donnait alors la parole au délégué syndical CGT de l'usine : « On devait rendre notre réponse au 30 novembre [2011], mais pour nous, c’est non ! Quand on leur demande "quel chiffre d’affaires vous prévoyez ?", ils ne savent pas ; dans leur tableau y a marqué "zéro". Zéro, pour moi, c’est une boîte fermée ». Le 2 décembre de cette année-là, le patron de Titan, Maurice Taylor a confirmé que ces craintes étaient fondées. Dans Le Monde, il a déclaré : « Il aurait été préférable que Goodyear ferme toute son usine et que nous rachetions les équipements de fabrication des pneus agraires pour les produire hors de France ». Voilà qui était dit. Cynique et cru !
Goodyear est contraint d'assumer publiquement sa volonté de fermer l'entreprise. Si j'ai rappelé toute cette histoire, c'est pour montrer que nous ne devons pas être dupes des arguments de la direction. Ils vont être récités de tous côtés par les médias. Retenons l’essentiel pour nos conversations avec nos amis autour de nous. L'abandon du site d'Amiens-Nord ne s'explique pas par je ne sais quelle raison conjoncturelle. Il correspond à une stratégie pensée de longue date : fermer un site où les salariés sont combatifs pour aller là où la main d'œuvre est moins chère et plus corvéable. La conjoncture n'est qu'un prétexte. C'est ce qu'il faut avoir à l'esprit lorsque la direction prétend que la rentabilité du site aurait brutalement chuté de 23% fin 2012. Qui veut tuer son chien l'accuse d'avoir la rage. Si le site rencontre des difficultés, c'est que la direction a elle-même organisé ces difficultés. Selon les syndicats, elle n'a pas suffisamment investi depuis des années. Et elle a constamment privilégié d'autres sites du groupe dans l'attribution des volumes de production. Pour mieux justifier aujourd'hui la fermeture. Dites-le.
Siim Kallas : une catastrophe ferroviaire programmée ?
Siim Kallas c’est le nom de l’Estonien qui est en charge du rail à la Commission européenne. Un enragé dogmatique dans l’offensive contre les services publics. Sa prochaine cible, c'est le TGV et les trains « grandes lignes ». Ainsi que l'ensemble du système ferroviaire et de sa gestion. La Commission doit en effet présenter son "quatrième paquet ferroviaire" le 30 janvier. Elle se propose de détruire ce qu'il reste du service public ferroviaire.
On devine la sacro-sainte motivation de ce nouveau délire. La Commission européenne veut renforcer la concurrence dans les transports ferroviaires. Pour cela, elle veut séparer encore plus strictement qu'aujourd'hui la gestion du réseau ferré et l'exploitation des lignes. Sans être trop technique, je m'explique. Ces deux activités sont séparées et exercées par des entreprises différentes. D'un côté, Réseau ferré de France (RFF) gère l'infrastructure, c'est-à-dire les voies, leur entretien, leur rénovation. RFF attribue aussi les droits de passage aux compagnies ferroviaires : les sillons. De son côté, la SNCF exploite les lignes en proposant des trains parfois en concurrence avec des opérateurs privés pour le fret ou le transport international de passagers. Mais dans les faits, RFF est une coquille presque vide. Pour assurer la gestion quotidienne, RFF a en fait recours à une filiale de la SNCF appelée « SNCF Infra ». C'est dire le degré de bêtise de cette séparation ingérable ! En attendant, c’est cette branche de la SNCF qui effectue la gestion et la maintenance quotidiennes du réseau ferré pour le compte de RFF.
Pour la Commission européenne, c'est une atteinte insupportable au dogme de la "concurrence libre et non faussée" ! Le commissaire européen chargé des transports, l'Estonien Siim Kallas, a donc mijoté un plat très épicé. Son avant-projet de réforme exige une séparation totale entre le gestionnaire du réseau et les exploitants des lignes. C'est "l'Unbundling". Le bon sens montre au contraire que l'efficacité et la qualité du service public exigent de revenir à une intégration beaucoup plus forte entre le gestionnaire et l'exploitant et même, dès que possible, à une entreprise unique. Mais le dogmatisme du commissaire est sans limite. Frédéric Cuvillier lui-même, le ministre des Transports français, a estimé devant deux commissions de l'Assemblée nationale que cette décision « n'a pas de nécessité, ne s'explique pas » et que « le commissaire Kallas doit remettre le métier sur son bureau ». Manifestement, il n'a pas été assez clair. Le fanatique estonien a répondu avec une rigidité absolue : « Notre proposition reste en l'état à ce stade. Nous ne l'avons pas modifié d'un iota. Notre philosophie n'a pas changé sur la séparation ». Philosophie ? Ce type devrait soigner ses traductions. Faux jeton comme pas un, à propos de ses échanges avec le ministre français, il a même ajouté : « Il n'y avait pas de divergences radicales. Les divergences portaient sur des détails, elles peuvent être réglées sans trop de soucis ».
De deux choses l'une. Soit le commissaire européen ment et il s'apprête à fouler aux pieds l'opposition de la France dans une grande brutalité libérale. Soit le commissaire européen dit vrai et la résistance du ministre français n'est en fait qu'un jeu de rôle de pacotille. Nous avons toutes les raisons d'être inquiets. Car le gouvernement Ayrault ne semble s'opposer que très mollement. C'est en tout cas ce que nous enseigne un autre aspect de ce dossier. Car le projet de la Commission européenne prévoit aussi la libéralisation totale du transport ferroviaire avec l'ouverture à la concurrence de l'ensemble des trains grandes lignes dont le TGV. Le journal Les Echos a révélé le 10 janvier dernier les projets de la Commission sur le sujet. Consternant !
Il faut savoir que le fret ferroviaire est déjà ouvert à la concurrence depuis 2006. Les lignes internationales, comme Paris-Turin, sont elles aussi déjà ouvertes à la concurrence depuis 2009. Les lignes régionales sont menacées à brève échéance, d'ici 2019. Seules les grandes lignes desservant uniquement des villes françaises, trains Corail et TGV, étaient jusqu'à présent épargnées. Je dis "épargnées" car le bilan de l'ouverture à la concurrence est effrayant comme après chaque privatisation. Par exemple, dans le fret, la libéralisation et l'ouverture à la concurrence a eu pour conséquence une baisse du transport ferroviaire au profit du transport routier ! Selon les chiffres de l'INSEE, en 2005, dernière année avant l'ouverture à la concurrence, le fret ferroviaire représentait 10,9% du transport de marchandises en France. Depuis l'ouverture à la concurrence, la part du ferroviaire a progressivement chuté à 9,5% en 2011. Et encore, c'est sans compter l'année 2010 où le ferroviaire a atteint un plus bas historique. Cette année-là, à peine 8,6% des marchandises ont été transportées par le rail. Du jamais vu depuis des décennies ! En parallèle, le transport routier est en hausse. Sa part dans le transport de marchandises est passée de 87% en 2005 à près de 89% en 2011. L'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire est donc une politique anti-écologique. Elle aboutit à mettre davantage de camions sur les routes !
Il y a tout lieu d'avoir les mêmes craintes pour le transport de voyageurs. Car les mêmes causes produiront les mêmes effets. Pour gagner des appels d'offres, les concurrents de la SNCF vont chercher à casser les coûts. Pour cela, ils rogneront sur la sécurité, la qualité, la régularité, les conditions de travail des salariés et ainsi de suite comme d’habitude. Et les usagers, pardon « les clients », auront de moins en moins envie de prendre le train. S'ils en ont encore la possibilité. Car la Commission propose l'éclatement total du système ferroviaire. Selon « Les Echos », la Commission propose que l'exploitation de chaque ligne fasse l'objet d'un appel d'offre spécifique. Comprenez le désastre. Avec un appel d'offre distinct par ligne, il sera impossible de compenser des pertes sur une ligne par des bénéfices sur une autre. C'est la fin du système qui permet la péréquation entre les lignes. C'est un principe fondamental du service public qui est mis à mal. Bien sûr, les groupes privés ne seront intéressés que par les lignes les plus rentables. Et les autres seront donc progressivement délaissées sinon abandonnées. Ce qui obligera les usagers à se reporter sur la voiture pour leurs déplacements.
D'autant que la Commission européenne a choisi l'option la plus brutale. Elle a ainsi écarté l'idée d'accorder l'exploitation de plusieurs lignes à la fois, par lots ou par secteurs géographiques au profit d'une vente à la découpe, ligne par ligne. Même le journal « Les Echos » écrit que « les modalités prévues pour cette libéralisation sont propices à faciliter l'arrivée de nouveaux acteurs. Bruxelles prévoit que cette concurrence se fasse en « open access » : tout le marché est ouvert, et chacun vient sur la ligne qui l'intéresse quitte à délaisser les liaisons non rentables. L'exécutif européen n'a donc pas retenu l'autre option envisagée au départ, à savoir les franchises : une entreprise gagne l'exploitation de toute une zone géographique, avec des obligations de desserte ». Pour la Commission européenne, le transport ferroviaire est une marchandise comme les autres. Elle ne s'embête pas avec l'aménagement du territoire, l'égalité d'accès sur tout le territoire, de l'égalité devant les tarifs ni aucune des préoccupations de la conception républicaine de la vie en société.
Qu'en pense le gouvernement Ayrault ? Interrogé sur l'ouverture à la concurrence des grandes lignes et du TGV, le ministre des Transports a été bien timide. Il aurait dû refuser absolument toute nouvelle ouverture à la concurrence. Devant les commissions des affaires européennes et du développement durable de l'Assemblée nationale, son opposition s'est limitée à « nous avons demandé 2019 et pas avant ». On comprend que le commissaire européen n'ait pas eu très peur. De mon côté, je dis clairement ceci : si la Commission s'entête dans son aveuglement et sa brutalité, la France devra désobéir. Et ne pas appliquer le "quatrième paquet ferroviaire". Avant de revenir sur les trois premiers.
Lu dans vos commentaires…
10 – Daneel dit le 30 janvier 2013 à 11h32
Concernant le terme "Unbundling", c'est un principe qui vient des telecoms. Ceci consiste à obliger les opérateurs historiques des telecoms fixes (France Telecom par exemple) à ouvrir leurs infrastructures à leurs concurrents. Ainsi ces derniers peuvent louer les infrastructures de l'opérateur national à un niveau de prix plafonné par les régulateurs. Dans ce système, les opérateurs historiques n'ont pas le droit de favoriser leur propre entreprise et donc leurs entités qui gèrent la partie « services » doivent payer comme les autres, au prix du marché. Cette démarche bizarre (…) a réduit d'une façon importante la volonté des grands opérateurs (…) à investir dans des nouvelles infrastructures. Ainsi l’Union Européenne accuse un retard considérable dans la modernisation des infrastructures d’internet fixe (fibre optique en particulier) par rapport à d’autres régions du monde. D’autre part, la réglementation au niveau européen et de chaque pays ne touche que rarement les opérateurs de câble qui utilisent une technologie différente non soumise aux restrictions mentionnées. Pur hazard, (ou non ?) des actionnaires nord-américains possèdent la majorité de ces derniers. Ce monsieur Kallas veut apparemment reproduire ce schéma dans les transports…
25jan 13
La guerre au temps des liquidateurs
Le spot de campagne de Rafael Correa
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Dans ce spot de campagne, Rafael Correa parcourt tout l'Equateur à vélo, son mode de transport et son sport de prédilection. Il y croise les principales réalisations de ces six dernières années : routes sans dangers et éclairées partout dans ce pays de volcans où d'autres modes de transport sont difficilement envisageables, développement des énergies alternatives, de l'enseignement et de la santé… Un spot que Rafael Correa termine en levant le poing gauche dans un environnement pur. L'écosocialisme est en marche en Equateur.
Je vais sortir mes chaussures de manifestation pour dimanche pour l’égalité du droit au mariage. De retour du meeting de lancement de notre campagne contre l’austérité, je fais une pause écriture pour renouveler le dialogue que ce blog entretient avec tant d’entre vous. D’ailleurs vous avez été nombreux à suivre en direct sur ce blog le meeting. Nombreux aussi sont ceux qui ont regardé la retransmission sur les sites du PG et du PCF. Ces moyens de diffusion changent profondément notre rapport aux médias dans la mesure où nous n’en sommes plus dépendants pour faire connaître notre travail et nos idées. Le temps où ils avaient le pouvoir de faire comme si les choses n’existaient pas est fini. En cette période de guerre dont « la première victime est toujours la vérité » selon le mot de Kipling, nous pouvons mesurer quelle ouverture cela nous ménage. L’épisode lamentable de la meute se déchaînant contre moi pour nier mon calcul du coût quotidien de la guerre est tellement significatif. Il s’achève dans le ridicule pour mes détracteurs. J’en profite pour faire d’autres révélations que je vous propose de découvrir au premier chapitre de cette publication. Après je viens de nouveau sur l’accord MEDEF-Ayrault et le scandale de l’abandon de poste du gouvernement dans l’affaire Renault. Je conclus cette longue note par un appel d’air sur la campagne électorale de Rafael Correa en Equateur. La révolution citoyenne va sans doute gagner haut la main dans le pays qui l’a nommée le premier. Et sous les couleurs de l’homme qui l’a incarnée.
La presse en treillis se vautre en m'attaquant
Combien coûte la guerre au Mali ? Aucun article de presse ne s'était posé la question avant mon émission sur France Inter dimanche 20 janvier. Bien sûr, le coût ne peut pas être le seul critère pour décider d'une intervention militaire. La légitimité des buts de guerre et la légalité internationale sont décisives. Mais je m’amuse de vous donner à lire comment ceux qui ont essayé de démentir mes déclarations sur ces questions se sont pris les pieds dans le tapis. Et chemin faisant je fais des révélations que n’importe lequel de mes détracteurs aurait pu trouver s’il faisait son métier au lieu que de se croire légitime à me laver à l’eau sale. Mais il est vrai que c’est moins fatiguant. Bien sûr, une fois de plus, le glapissant Jean-Michel Aphatie s’est distingué. Il va sans doute reconnaître son erreur : question d’éthique et d’indépendance politique, bien sûr.
Dans une période où le gouvernement impose une politique d'austérité la question du coût d’une guerre ou « les intérêts fondamentaux de la France ne sont pas impliqués » est légitime. J'ai donc fait mes calculs. J'ai été aidé en cela par mes camarades de la commission Défense du Parti de Gauche. Sur France Inter, j'ai donc pu affirmer que cette guerre coûtait deux millions d'euros par jour à la France. Aussitôt, les grands médias se sont réveillés. Pas dans l'espoir d'informer nos concitoyens : le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian avait estimé sur France 5 qu'« il était un peu trop tôt » pour donner un chiffre. Il s’agissait de montrer comme d’habitude que seuls les journalistes donnent les bonnes informations, même quand ils n’en donnent pas, parce que le ministre leur a dit qu’il n’y en a pas. Je devais être rendu suspect. Comme souvent, c'est le médiacrate Jean-Michel Aphatie qui a sonné l'alerte contre moi. L'émission sur France Inter était encore en cours que, déjà, sur Twitter, il exigeait la "source du chiffrage". De son côté, il ne disait même pas à quel chiffrage ses propres investigations avaient abouti. Bien sûr, il ne s'était pas posé la question. D'ailleurs, personne ne se l'était posée. L'équipe d'"Arrêt sur images" s'est même demandée « pourquoi personne ne parle du coût de la guerre » lors de sa conférence de rédaction de lundi matin, après ma déclaration sur France Inter.
Aussitôt, chacun y alla de son article ou de sa chronique. La radio France Info s'est empressé de se demander : « Jean-Luc Mélenchon dit-il vrai sur le coût de l'opération Serval ? » au Mali. Pour cela, la radio a interrogé le 21 janvier Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'IRIS. Et surprise ! Celui-ci a déclaré, à propos de mon estimation : « Ça ne paraît pas impossible ». C'était compter sans Sébastien Hughes, journaliste pour le site internet de France Télévision. Il a ainsi écrit que « l'opération Serval devrait être un peu moins "gourmande" et donc revenir un peu moins cher » que l'opération en Libye. Pourquoi ? Parce que le porte-avions Charles de Gaulle n'est pas mobilisé au Mali. La guerre en Libye ayant coûté 1,6 millions d'euros par jour, le journaliste concluait que j'avais tort.
Le blog "décodeurs" du journal "Le Monde" a lui aussi affirmé que j'avais tort après avoir bien entortillé la question. Dans son "désintox" de l'émission de France Inter, il a jugé "hasardeux" l'estimation de deux millions d'euros par jour. Selon Le Monde, « ce chiffre n'est qu'un ordre de grandeur sans doute élevé ». Le journaliste Samuel Laurent s'interrogeait : « Comment fait M. Mélenchon pour déterminer que la France dépense "deux millions d’euros par jour" ? Mystère. Le gouvernement n’a en effet jamais fourni cette information. Mais le chiffre semble quelque peu exagéré au regard des autres opérations militaires extérieures ». Vous avez bien lu. Le gouvernement ne l’a pas dit donc « Le Monde » s’en tient là. Il ne cherche pas. Il répète la parole officielle. Et Le Monde de conclure, affirmatif : « L'opération au Mali ne coûte donc probablement pas plus cher que celle menée en Afghanistan qui ne revenait pas à 2 millions d'euros par jour mais à 1,4 million. […] Affirmer que le coût est de 2 millions d'euros par jour est donc au mieux un ordre de grandeur théorique ».
Deux jours plus tard, patatras ! Le ministre de la Défense en personne m'a donné raison ! Contre « Le Monde » et « France télévision » ! Mercredi 23 janvier, dans l'émission "Politiques" de France24, RFI et L'Express, Jean-Yves Le Drian a ainsi évalué, "de manière un peu grossière", "à peu près à 30 millions d'euros le coût de l'opération à l'heure actuelle". Sachant que l'opération avait commencé douze jours avant, le 11 janvier, on arrive à une moyenne de 2,5 millions d'euros par jour. C'est même plus que ce que j'avais dit ! Le journaliste du Monde a dû corriger sa propre note de blog pour tenir compte des chiffres donnés par le ministre de la Défense en personne. Il a ainsi dû reconnaître que « on ne peut plus dire que l'opération malienne coûte moins que la présence française en Afghanistan l'an dernier » comme il l'écrivait deux jours plus tôt. Ici la cellule "chiffrage" du Parti de Gauche vaut donc mieux que « Le Monde » » ou « France Télévision ». A moins que le ministre de la Défense ne soit pas une "source" suffisamment crédible aux yeux de Jean-Michel Aphatie ! En tous cas, je me suis bien amusé de voir les décrypteurs bouffis de prétention s’entortiller là-dedans. Car le vrai sujet était ailleurs.
En effet dans mon interview j’ai dit que puisque ni la résolution de l’ONU ni sa charte ne pouvaient être invoqués comme base légale de l’intervention, ce ne pouvait être qu’au nom de l’accord de défense qui nous lie au Mali. Et j’avais même ajouté pour exciter la meute : « Comporte-il un volet secret ? », comme il y en a un avec nos chers amis Qataris qui ont donné un « prix de la liberté de la presse » au dessinateur du « Monde » Jean Plantu et financent aussi les milices que nous affrontons au Mali. J’aimais bien cette histoire de « clause secrète » pour exciter la meute. En plus elle courrait comme bruit de couloirs chez les messieurs dames qui savent la vérité et auraient préféré qu’on ne s’y intéresse pas. Pas de danger que les « décrypteurs » qui sont occupés à m’asperger d’eau sale s’intéressent à ce genre de « détail ».
En fait, la France et le Mali ne sont liés que par un « accord de coopération militaire technique ». Il date de 1985. C’est le seul document officiel, il est consultable par tout un chacun. Ce n’est rien d’autre qu’un traité garantissant la formation, en partie, de l’armée malienne par l’armée française (déjà…). En aucun cas cet accord de coopération ne prévoit une aide militaire française concrète, ni en cas d’agression par un Etat tiers, ni en cas de guerre civile. Jusque-là les décrypteurs ont seulement raté une info à donner. Mais il y a bien plus savoureux.
Voyez plutôt : dans son article 2 cet accord stipule que : « Les formateurs militaires français (…) ne peuvent, en aucun cas, prendre part à la préparation et l'exécution d'opérations de guerre, de maintien ou de rétablissement de l'ordre ou de la légalité (…) au Mali ». Voilà ce qu’il faut savoir. L’accord de défense qui lie la France au Mali interdit l’intervention actuelle ! On mesure en lisant cela le niveau d’abaissement de la bande de supplétif des armées en campagne que sont ces soit-disant informateurs du public décrypteurs et autres farceurs. On mesure ce que valent leurs jérémiades habituelles sur leur « devoir d’information » et autres bla ! bla ! qui leur servent de prétexte à raconter la vie privée des gens d’après les ragots de leurs dîners en ville plutôt que d’exercer le minimum de curiosité et de méthode de travail qui devrait aller avec leur métier !
Il est vrai que les mêmes avant cela n’avaient eu aucune curiosité quand on leur a couiné aux oreilles que l’intervention était « légitimée par la résolution de l’ONU ». La 2805 précisait-on même, la bouche avancée comme pour avaler un petit four dans la salle de presse de l’Elysée. Mais aucun n’alla jusqu’à lire ladite résolution, ni la commenter. On nous régala de fins croquis sur l’ambiance et « l’allure de chef de guerre » de François Hollande et les confidences anonymes de ses prétendus conseillers. Pourtant la résolution 2085 du conseil de sécurité n’a pas été appliquée, et elle ne l’est toujours pas. En effet, l’article 11 de la résolution 2085 imposait un retour devant le Conseil de Sécurité. Et alors seulement le Conseil pouvait déclarer une intervention nécessaire. Cette analyse du texte est la seule valable. Elle est d’ailleurs confirmée par Monsieur Araud, ambassadeur de France à l’ONU. Il a reconnu que la France n’agit pas, actuellement, dans le cadre de la résolution 2085 mais dans le cadre d’une « Opération française d’urgence » (sic !). Alors les marioles, vous descendez du char ?
Ce n’est pas fini. La deuxième façon de légitimer l’intervention fut d’invoquer l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Or, le recours l’article 51 de la Charte des Nations Unies est conditionné à l’existence préalable d’une agression armée de la part d’un autre État. Ce n’est évidemment pas le cas ici car personne ne songe à mettre en cause le Qatar, je suppose en dépit de ses relations avérées, ai-je lu dans « Le Monde », avec les bandes armées que nous sommes en train de combattre. Dans le même journal j’ai lu que l’ONU avait du mal à légitimer l’intervention française. On comprend pourquoi. En l’espèce, il est légitime de dire que la France « tord le bras » à l’ONU. A la fin des fins l’argument massue ce sont les deux lettres du « Président » malien, président par intérim après que le précédent a été putsché. Avec ce genre d’arguments il aurait donc fallu accepter l’intervention soviétique en Afghanistan puisqu’elle avait été demandée par le président Babrack Karmal. Lui aussi luttait contre des fanatiques qui donnèrent ensuite Al-Qaïda soi-même !
Quoi qu’on en pense et en dépit des doutes jetés par mes « décrypteurs » sur la question, ce putsch a été réalisé par un officier ayant suivi des entraînements dans trois académies militaires des Etats-Unis et soutenu par des troupes elles-mêmes formées par les Etats-Unis dans le cadre de l'opération « Enduring Freedom – Trans Sahara » (OEF-TS), à savoir la formation d’unités spécialisées dans la lutte contre terroriste. Comment « Le Monde » peut-il dire que « cela n’est pas prouvé ». Peut-être compte tenu de l’ambiance très spéciale qui règne au service international de ce journal. La violence politique armée, les coups d’Etat, tout cela est blanc ou noir dans cette rédaction selon au nom de qui les choses sont faites. Le journal a donc publié le 25 octobre dernier une tribune du capitaine putschiste malien Amadou Haya Sanogo, sous la signature acceptée par le journal de « président du comité militaire de suivi des réformes des forces de défense et de sécurité (Mali) ». Il venait juste de renverser le président ! « Le Monde » ne s’arrêta pas à ce détail et publia sans commentaire ni aucune des leçons de morale réservées aux gouvernements de gauche latino-américain, les lignes de cet homme : « En mars 2012, nous avons cru devoir prendre nos responsabilités pour agir et aboutir à ce qu'on appelle un coup d'Etat. Il est à notre sens vertueux car nous n'avions que le seul dessein de sauver ce qui restait de la République. » Aucun décrypteur ne nous fit l’exégèse de ce qu’est un « coup d’état vertueux » ! Rien ne lui fut demandé du moment que l’intéressé faisait sienne les mantras du choc des civilisations : « … la bataille pour libérer le nord du Mali, écrivait-il, s'inscrit dans une guerre mondiale contre le terrorisme. Dans les années 1990, la communauté internationale avait fait preuve de cécité politique en laissant le commandant Massoud seul face aux talibans en Afghanistan. Le nord du Mali est comparable à l'Afghanistan des années 1990 quand Al-Qaida venait de s'y installer pour en faire une base mondiale pour le terrorisme » Aucun décrypteur de la sérénissime rédaction n’alla jusqu’à s’interroger sur la pertinence de la comparaison que faisait cet homme du président de son pays, en le comparant au Maréchal Pétain et en se comparant lui-même au général De Gaulle. Toutes ces pitreries se concluaient par ce noble coup de menton : "La bataille de France doit avant tout être la bataille des Français", disait de Gaulle. Pour nous aussi, la bataille de Tombouctou, de Kidal et de Gao doit avant tout être la bataille de l'armée malienne. C'est pourquoi nous sommes d'accord avec la position du président François Hollande, « l'armée malienne n'a besoin que de soutien logistique pour libérer le nord du pays. » Les décrypteurs du monde devraient maintenant aller lui demander ce qu’il pense de la situation et pourquoi pas publier une nouvelle tribune ?
Le cas Renault.
L'abandon de poste du gouvernement
Vous l’avez tous appris, Carlos Ghosn patron de Renault décide la suppression de 7500 postes en France d’ici à 2016. Je veux faire le point sur ce sujet et vous donner quelques éléments d’analyses à diffuser autour de soi auprès de ceux que cette annonce a rendus attentif au problème posé. N’oubliez jamais en cours de lecture que nous allons parler d’une entreprise dont les profits de groupe ont été de 3,5 milliards d’euros en 2010, de 2,1 milliards en 2011. A la moitié de cette année le groupe était encore bénéficiaire, avec 800 millions de bénéfices !
Pour quelles raisons un tel plan est-il devenu imaginable par Renault ? Il ne fallait pas être un grand économiste pour prévoir que les politiques d’austérité en Europe contracteraient le marché automobile européen. Tous les constructeurs souffrent. Le marché accuse une baisse de 8% en 2012 ! Encore une fois, dans cette affaire, on devine que les classes populaires et moyennes sont en première ligne. Tout se tient. L’acquisition ou le remplacement de la voiture passe après la nécessité de se nourrir et de se chauffer. Les riches n’ont pas ce genre de tracas. Mais ils achètent des voitures allemandes de très haut de gamme, pas de Renault. La stratégie de Renault est donc réputée fautive depuis le début. L’argument est qu’en positionnant Renault sur le segment « moyenne gamme », l’entreprise se serait condamnée elle-même. Cet argument c’est l’argument du marché roi. Seuls les riches peuvent acheter une voiture, donc produisons pour les riches. La vraie question est : pourquoi les autres ne peuvent-ils acheter de véhicule ? Pourquoi ne peuvent-ils en changer pour acquérir des véhicules plus écologiquement responsables. Le problème posé est donc social et économique au départ. Ce n’est pas une question de « segment de marché » et autres gargarismes pédants de perroquet médiatique qu’il faut poser.
Ghosn est une caricature de capitaliste borné. Il a fait de Renault le champion des délocalisations. Afin de réduire les coûts et d’augmenter ses marges, bien sûr ! Il a donc multiplié les délocalisations de production depuis cinq ans. Résultat : les deux tiers des voitures Renault immatriculées en France aujourd’hui sont fabriquées à l’étranger. Absurde démonstration d’un des fondamentaux de la critique du capitalisme que nous faisons depuis les premiers manuels de marxisme. A qui compte-t-il vendre des voitures en France ? Aux chômeurs sans ressources de ses anciennes usines ? Et pourtant il persiste et signe. Le dumping social est un moyen de plus pour obtenir des baisses de salaires par un gros chantage à l’emploi ! La direction tente maintenant d’extorquer un gel des salaires en menaçant de fermer deux sites si l’accord dit « de compétitivité » n’était pas accepté. Au choix donc : ou bien les salariés auront moins d’argent pour acheter leur voiture ou bien ils n’en auront plus du tout. Et vous savez pourquoi ? Parce que le marché se contracte et manque d’acheteurs! Et vous savez pourquoi ? Parce que les salariés perdent leur emploi. Notamment dans l’automobile ! Carlos Ghosn est l’autre nom d’Ubu roi ! Mais c’est le patron le mieux payé de France, avec 13 millions d’euros de salaire annuel.
La vérité est que ce type est un saboteur. La stratégie globale du groupe Renault-Nissan que dirige Carlos Ghosn est donc directement responsable. Depuis l’alliance avec Nissan, Carlos Ghosn a misé prioritairement sur le développement de l’activité du constructeur japonais au détriment de Renault. Depuis 1999, la production de Nissan a augmenté de 60%. Celle de Renault seulement de 10%. Les dégâts prévisibles sont de longue portée: sur les 7500 emplois supprimés qu’annonce Renault, 2000 relèvent de l’activité de recherche !
Que fait le gouvernement devant une telle incompétence ? Rien. Comme d’habitude ! Le Gouvernement ne fait rien, il approuve même le plan et soutient la direction de Renault. Le ministre du redressement productif ajuste des lignes rouges autour de la catastrophe comme le pompier impuissant dessine le contour du corps sur la route après l’accident. « Les lignes rouges que le gouvernement a tracées, dit-il, n’ont pas été franchies : pas de licenciement et pas de fermeture de site ». Mais 8000 emplois que la France n’aura plus en 2016 tout de même ! De la même façon pour le ministre Sapin, une suppression d’emploi est un « outil industriel » qui permet « d’éviter la catastrophe sociale » (sur France info vendredi 18 janvier). Tenant la catastrophe pour inéluctable, le gouvernement félicite donc Renault de prendre les devants. Il se réjouit de la douceur et de l’anticipation de Renault qui ne procède pas comme PSA. Il devrait non seulement refuser ce plan de suppression d’emplois mais il devrait exiger le remplacement de Carlos Ghosn. En tant que principal actionnaire il en a les moyens et le devoir. L’Etat détient 15% du capital de Renault et deux de ses administrateurs siègent pour cela au Conseil d’Administration. Au lieu de cela, il paye mais ne décide rien. Après avoir versé près de 5 milliards d’aides et d’avances à Renault en quatre ans, l’Etat s’accommode d’une influence stratégique quasi nulle, ne contribue d’aucune manière à réorienter la production et félicite un patron incapable quand il supprime 7500 emplois dans notre pays. Il trace « des lignes rouges » mais il les oublie aussitôt une fois démenties, deux jours plus tard, par les menaces et les chantages du patron sur les salariés ! Le gouvernement n’est décidément pas du côté des salariés !
Les députés de gauche ne doivent pas voter l'accord MEDEF-Ayrault
Le MEDEF veut faire la loi. Laurence Parisot, sa présidente, l'a dit très clairement le 15 janvier sur France Info. Elle a exigé « que le Sénat et l'Assemblée nationale respectent, à la lettre, le texte » de l'accord signé le 11 janvier. Ce genre d’injonction, relayée par le gouvernement et les adjudants de chambrée du PS doit faire réfléchir. Je continue ici l’analyse de ce texte dangereux.
Le MEDEF est totalement relayé par le gouvernement. François Hollande a demandé au gouvernement de présenter un projet de loi pour "transcrire fidèlement" l'accord signé par trois syndicats avec le patronat. Le journal Le Monde du 16 janvier parle même de "verrouillage" à propos de l'attitude du nouveau pouvoir envers sa propre majorité parlementaire. L'article nous indique que « le texte devrait être défendu par Jean-Marc Ayrault [lui-même] et que les rapporteurs du texte ont déjà été désignés, plus de trois mois avant l'arrivée du projet de loi en débat ; ce seront les présidents de groupe eux-mêmes, Bruno Le Roux à l'Assemblée et François Rebsamen au Sénat. » Puis Le Monde cite anonymement « un député proche du premier ministre ». On sait que ces anonymes sont des inventions de journalistes. La citation est donc une suggestion du journal de référence selon qui « sur un sujet comme celui-là, le gouvernement pourrait engager sa responsabilité avec le 49-3 », « soit l'alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution, qui permet au gouvernement de faire passer un projet de loi sans le soumettre au vote, l'Assemblée ne pouvant s'opposer que par une motion de censure » ! Dans ces conditions le gouvernement assume totalement le contenu du document initié par le MEDEF. Il est juste alors de parler d’un « accord MEDEF-Ayrault » pour aller à l’essentiel !
Le gouvernement et d’une façon générale tout le cercle de ceux qui ont fait tomber les syndicats de salariés dans ce traquenard sont très fébriles. On le comprend. Le projet de loi ne sera présenté en Conseil des Ministres que le 6 ou le 13 mars. Et le vote au Parlement n'interviendrait qu'en avril et mai. Les salariés ont donc plusieurs mois devant eux pour s'informer sur le contenu de l'accord et se mobiliser. Il faut bien se rappeler que ce qui est pompeusement nommé « accord » n’a pas été signé par la CGT et FO, qui représentent déjà la moitié des salariés, avant qu’on y ait ajouté Sud Solidaire et la FSU ! Quoi qu’il en soit, à eux deux, ces deux syndicats sont nettement plus représentatifs que les trois signataires. D'ailleurs, si les nouvelles règles sur la représentativité syndicale votées en 2008 s'appliquaient, « l'accord » ne serait pas valable. Mais elles ne s'appliqueront qu'à partir d'avril prochain. On comprend que le gouvernement ait été pressé que la négociation s'achève ! Sinon son piège ne pouvait pas se refermer sur les salariés. A quelques mois près, il aurait dû assumer seul ce qui lui serait devenu impossible de maquiller en « accord », même avec de bon relai pour signer.
Il devra assumer. Car rien ni personne n'oblige ni le gouvernement ni le Parlement à reprendre l'accord tel quel. En République, le législateur est libre de voter comme il le croit juste. Il n’existe pas de mandat impératif. D’ailleurs le code pénal punit sévèrement les tentatives de faire voter ou d’empêcher de voter un législateur selon ses convictions. Les députés pourront donc reprendre l'accord. Où inscrire dans la loi tout autre chose. Les députés et sénateurs du Front de Gauche déposeront des amendements, cela va de soi. Ils créeront le débat. Il est probable qu’ils ne seront pas seuls. Plusieurs parlementaires du PS ont déjà fait savoir que ce texte est à leurs yeux "déséquilibré" en faveur du patronat et donc "pas acceptable". Ils ont raison. Donc rien n’indique qu’après deux ou trois mois de campagne de sensibilisation à la base, il reste grand-chose de la muraille disciplinaire qui semble se dresser aujourd’hui depuis les sommets.
Si la démocratie représentative républicaine est malmenée par les méthodes de police politique du gouvernement sur sa majorité, il serait faux de croire que ce serait au bénéfice de la démocratie sociale. L’un de ses outils les plus chèrement conquis est mis à mal par l'accord signé le 11 janvier. On y trouve en effet une proposition particulièrement hostile aux droits des Comités d’entreprise. Une proposition de Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen ! Elle implique un dispositif apparemment technique. Mais il a une grande incidence pour la vie de millions de salariés. Il s'agit de ce qu'on appelle les "seuils sociaux". Actuellement, la loi prévoit que les salariés ont le droit d'élire des délégués du personnel dans toutes les entreprises qui emploient 11 salariés et plus. Et que toutes les entreprises qui atteignent ou dépassent le seuil de 50 salariés doivent créer un comité d'entreprise. Les délégués du personnel comme le comité d'entreprise sont une limite à la toute-puissance de l'actionnaire ou du directeur de l'entreprise. Cette limite est parfois bien faible et devrait être renforcée pour donner plus de droits aux salariés. Mais pour le MEDEF, c'est déjà trop. Bien sûr, il ne peut obtenir la suppression pure et simple de ces instances décisives pour que les salariés se défendent. Mais il s'évertue depuis des années à essayer de rendre plus difficile leur création.
Le MEDEF vient de marquer des points. L'accord MEDEF-Ayrault prévoit que les entreprises ne seront plus obligées de créer les instances de délégués du personnel et comité d'entreprise dès que les seuils sont franchis. Elles auront désormais un an pour les mettre en place. C'est une manière de retarder leur création. Pourtant la loi prévoit déjà qu'un comité d'entreprise n'est mis en place que si une entreprise atteint le seuil de 50 salariés pendant douze mois. Avec l'accord du 11 janvier, les salariés devraient donc attendre deux ans entre le passage du seuil et la création effective du Comité d'entreprise. Pendant deux ans, c'est autant de droits qu'ils ne pourront faire valoir.
Cette sorte d’attaque du MEDEF contre les droits des salariés était jusqu'à présent reprise seulement par la droite et l'extrême-droite. Dans son projet pour les élections de 2012, l'UMP affirmait vouloir « supprimer les effets de seuil sociaux ». Quant au FN, dans ses "grandes orientations économiques" présentées en avril 2011, il dénonçait « des effets de seuils pervers ». Il appelait lui aussi à « lisser ces effets de seuil ». Pour quelle raison un parlementaire de gauche devrait-il accepter de valider par son vote un tel recul de la démocratie sociale dont on lui rebat pourtant les oreilles au paradis des discours sur la « social-démocratie » ?
Le MEDEF a voulu camoufler ses prises de guerre pendant toute la négociation. C'est le sens de l'enfumage autour de la taxation des contrats précaires. Le journal Le Figaro a vendu la mèche. Vendredi 11 janvier après-midi, à quelques heures de la fin de la négociation, l'éditorialiste Marc Landré l'écrivait noir sur blanc sur le site internet du journal : « Le Medef a finement joué. En sortant le plus tard possible sur une taxation des contrats courts […], le patronat a centré le débat sur cette question au final secondaire, et pour détourner l'attention de sujets plus fondamentaux qui fâchent, comme un accroissement de la flexibilité pour les entreprises. "Ça nous a permis de tenir la négociation et de maintenir les syndicats à la table des discussions", se félicite un négociateur patronal, pas mécontent de la stratégie arrêtée. En faisant cette ultime proposition, à la dernière minute […] Les patrons tuent toute possibilité d'ouvrir un nouveau front de contestation sur autre chose ». La soi-disant intransigeance du MEDEF sur cette question était donc purement tactique et manipulatoire. Doit-on pour cela voir des députés dument informés avaliser par leurs votes une manœuvre aussi grossière ?
La révolution citoyenne dans son pays
Sans doute ne le savez-vous pas. Rafael Correa a demandé et obtenu de l’Assemblée nationale équatorienne l’autorisation de prendre congé de son mandat présidentiel depuis le 15 janvier dernier. Il l’a fait pour se consacrer exclusivement à la campagne électorale. Comme je l’ai fait à l’occasion de la campagne électorale au Venezuela, je dédie une partie de l’audience de ce blog à la connaissance de ce qui se joue dans cette élection en publiant un bilan de l’action gouvernementale des nôtres. J’en profite pour rappeler l’existence et l’intérêt des referendums révocatoires que prévoit la constitution en Equateur comme au Venezuela.
Vous allez pouvoir trouver un bon document de la commission « Amérique latine » du Parti de Gauche sur le bilan de la « Révolution citoyenne » en Equateur. Il s’agit d’un « kit militant ». Il est donc fait pour militer. Comment ? En le faisant connaître aux équatoriens de France et de Belgique francophone. Mais aussi peut-être autant à tous ceux qui veulent connaitre les réussites de notre politique là où elle s’applique. Cette politique que haïssent les Etats Unis, l’Union européenne, la droite. Sans oublier les sociaux-libéraux comme ce Michel Sapin qui la qualifie de « gauche tonitruante » par opposition à la « gauche qui agit » qu’incarnerait le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.
C’est donc désormais le vice-président Lenin Moreno qui remplace Rafael Correa à la tête de l’Equateur jusqu’aux élections législatives et présidentielle du 17 février prochain. Ce n’était pas une obligation constitutionnelle. Mais Rafael Correa veut qu’aucune confusion entre le président et le candidat ne soit possible. Nicolas Sarkozy aurait dû faire de même s’il avait voulu être remboursé… Une décision emblématique pour Correa qui a fait de l’honnêteté l’un de ses slogans de campagnes. « los honestos somos más » : « Nous, les gens honnêtes, nous sommes la majorité » proclame-t-il. A moins d’un mois du scrutin, le mouvement PAIS a bon espoir de voir son champion sortant réélu. Rafael Correa et son candidat à la vice-présidence Jorge Glas, son ancien ministre des Secteurs stratégiques, sont en effet très haut dans les sondages. Dans le pire des cas, les estimations de votes les donnent à 49% ! Il est dans toutes les autres enquêtes d’opinion crédité de plus de 60% des voix. Loin devant le suivant : Guillermo Lasso, candidat du mouvement de droite CREO. Créo ? Traduction : « je crois ». On ne doit pas se demander à quoi ce type croit réellement puisqu’il est l’un des principaux actionnaires d’une des plus grandes banques du pays, le Banco Guayaquil. Dans l’ambiance de la « révolution citoyenne » ce CV n’est pas si bien reçu ! Lasso est donc crédité de 11% des estimations de votes, ce qui est vraiment peu. Les autres candidats sont évalués en-dessous des 5%. Les instituts de sondages ne valent pas mieux là-bas qu’ici mais comme ils sont aussi à droite là-bas qu’ici, on ne peut pas les soupçonner de tendresse pour notre candidat quand les enquêtes le donnent élu au premier tour.
La campagne est un révélateur de la puissante adhésion populaire à la révolution citoyenne. La présence de milliers de sympathisant dans chacun des déplacements et des meetings de campagne que Rafael Correa enchaîne sans relâche sur les places publiques, suivant un style que nous avons en commun dans le monde, prouve que l’enthousiasme citoyen est là. Le 4 janvier dernier, jour du lancement officiel de la campagne, ils étaient plus de 30 000 à s’être réunis dans le Stade « Los Reales Tamarindos » à Porto Viejo, sur la côte équatorienne. Les premiers mots de Rafael Correa à cette occasion auront été à l’image de la révolution citoyenne permanente qu’il mène avec son équipe et les citoyens équatoriens depuis maintenant 6 ans : « Nous avons commencé, avec une grande joie, cette bataille démocratique où les soldats sont les citoyens et les balles sont les votes ». Quant à Jorge Glas, il a dès ce premier rendez-vous de campagne endossé la bataille pour la répartition des richesses. Apparemment celui-là n’est décidément pas comme Cahuzac qui ne « croit pas à la lutte des classes ». « Il est temps de redistribuer la richesse entre les équatoriens, a-t-il dit. Le meilleur est à venir. La lutte pour redistribuer la richesse sera très dure. Nous ne pourrons la mener que si nous disposons de la majorité à l’Assemblée. » Une majorité parlementaire pour aider la lutte de classes ! C’est vrai qu’on ne voit ni Sapin ni Ayrault dans ce rôle ! Pour Correa et son équipe, il est crucial de faire comprendre aux citoyens l’importance du rôle joué par les députés dans le processus démocratique qu’ils animent.
La Révolution citoyenne implique de nombreuses formes d’implication populaire. Pour autant elle ne nie pas l’importance des institutions représentatives. Faire comprendre l’importance du rôle d’instruments des citoyens que peuvent devenir les députés nationaux est essentiel. N’oublions pas que dans ce pays où la révolution a gagné sur le mot d’ordre « qu’ils s’en aillent tous ! ». On part de loin en matière de méfiance et de rejet des élus ! La nouvelle constitution en a tenu compte avec clarté. Rappelons à ce propos qu’en Equateur tout élu peut être révoqué par référendum au bout d’un an de mandat, droit qui est maintenu jusqu’au début de la dernière année de mandat de l’élu. Pour être soumis à un référendum révocatoire il suffit qu’au moins 10% des inscrits sur la circonscription électorale concernée en fassent la demande. Un tel référendum révocatoire est aussi possible à l’encontre du Président de la République si 15% des inscrits le demandent. Dans tous les cas, la révocation demandée est validée si les citoyens concernés l’approuvent à la majorité absolue. Ce référendum révocatoire est une clef essentielle des nouvelles démocraties institutionnelles que nous voulons faire naître de ce côté-ci de l’Atlantique. Et beaucoup du reste du programme mise en œuvre aussi, d’ailleurs. Voyez par vous-même en ouvrant le document. Il est très important pour ce que nous entreprenons en France et en Europe que le plus grand nombre d’entre nous élève son niveau de connaissance et d’analyses raisonnées et informées à l’égard de ce que nous entreprenons dans le monde. Nous ne sommes pas « seuls ».
Lu dans vos commentaires…
195 – Guillaume dit le 28 janvier 2013 à 23h04
Petit exercice. Sachant que le patron de Renault gagne 13 000 000 d'euros par an, combien pourrait-on payer d'ouvriers de chez Renault, s'il ne gagnait plus que 360 000 € annuel (et il en aurait bien assez !), et que le salaire net de chaque ouvrier était 20 fois inférieur ? Réponse : 13 000 000 – 360 000 = 12 640 000 € à répartir. Sachant qu'un ouvrier serait censé gagner au minimum : 360000/20 = 18000 (soit 1500 € net mensuel). Cela permettrait de faire travailler : 12 640 000 / 18000 = 702 ouvriers. A ouais, quand même ! Qu'il s'en aille, et je veux bien prendre sa place pour 360 000 € par an ! Que se vayan todos !
19jan 13
Penser pendant la guerre
Dans ce post, il est question du « style » en politique, de la manifestation du 27 en faveur du droit au mariage civil pour les homosexuels et bien sûr de la guerre. Quand c’est la guerre la parole politique publique et médiatique vire au noir et blanc. Le premier devoir du temps de guerre est de continuer à réfléchir. Sur tous les sujets. Et aussi sur la guerre. Surtout quand ses buts et sa légitimité ne sont pas assurés. La solidarité patriotique s’obtient au prix de la vérité et non des élans d’un jour dans des engagements aveuglés.
Questions de style
GQ ! Ce soir-là je suis allé au Musée d’Orsay pour la soirée de remise des oscars du magazine GQ. J’y jouais le rôle de « l’homme politique de l’année 2012». Pour le style. Oui parlons de style.
Le « style » c’est le moment où le fond rejoint la forme et donne à voir un tout. J’ai créé un style selon cette rédaction. Entre un mathématicien, un grand cuisinier, et ainsi de suite. Ainsi de suite ? C’est-à-dire, vu de ma place à table et dans la salle des « lauréats », il s’agit surtout de Fabrice Luchini, réactionnaire assumé, qui entretient avec moi un rapport du type qui unit la mangouste et le crotale. On devine la mutuelle attraction, l’assaut du jeu des cabotinages, la joute serrée des mots et des références littéraires. Luchini n’aime pas Robespierre à qui il me compare autant par jeu que pour se situer. Ce fut notre sujet. Il me promit des lectures et j’en fis de même. Il me demanda conseil pour lire sur la Grande Révolution parce que je crois que je la lui ai présentée sous un jour nouveau. J’hésitais. Lui proposer Jaurès, Soboul ou plus directement Hazan me sembla trop anguleux pour lui. Je suggérais Michelet quoique je ne sois pas du même angle que celui-ci, et de très loin. Mais je me suis dit qu’un acteur et un littéraire entrerait plus facilement dans la beauté de ce moment de l’histoire par une évocation fortement teintée de lyrisme comme celle-là. Le tout est de lui mettre l’eau à la bouche, en quelque sorte. Bien sûr on parla à table du revenu maximum annuel à trois cent mille euros. « Avant ou après impôt » me demande Luchini. Je lui explique que la tranche à cent pour cent est inclue dans le barème de l’impôt. Les trois cent mille euros restent acquis ! Peut-être l’ai-je rassuré ! Pourquoi cette somme, comment, et ainsi de suite. Je ne dis pas que j’ai convaincu mais je vois bien que l’idée est alors comprise dans son sens exact : ni une punition ni une aigreur sociale mais un choix de vie en société où il est mis une limite à l’accumulation et aux consommations ostentatoires. A noter : stupeur de la tablée d’apprendre que le revenu maximum fut voté la nuit du 4 aout quand furent abolis les privilèges féodaux. Le maximum à l’époque avait été fixé à 3000 livres de rente. Luchini n’a pas de raison a priori de nous être hostile. Et parmi tous ces gens que je vois là, si certains ne seront jamais de notre bord ni d’aucun appui politique, combien cependant sont venus me dire qu’ils votaient avec nous et comptaient sur nous. Mais oui ! Vous ne le croiriez pas. Moi aussi j’étais scotché. Et je ne parle pas seulement de ceux qui servent à table, ouvrent les portes qui étaient tous, parfois imprudemment selon moi, chaleureusement heureux des salutations que nous nous fîmes contre l’usage qui fait ignorer les « petites mains » dans ces sortes de soirées. Je parle de quelques-uns des beaux messieurs et belles dames avec qui j’ai passé la soirée et partagé le repas. Quant aux autres, quoi ? Ils sont aussi notre pays. Il importe aussi qu’ils comprennent ce que nous allons faire et pourquoi nous voulons le faire. Surtout s’ils ne veulent pas en entendre parler. Et puis je suis rentré chez moi dans un Paris au froid de loup. Ce matin, au métro vers la gare de l’est où j’allais prendre mon train pour retourner à Strasbourg, un homme dormait par terre dans le hall avec son chien. Les Cendrillons d’hier savaient-ils que tous les carrosses redeviennent des citrouilles après minuit dans ce monde ci ?
Ce matin un sms de victoire. Les camarades m’apprennent que les Pilpas ont gagné au tribunal. Peut-être mes lecteurs se souviennent-ils que je m’étais rendu dans l’entreprise en décembre pour soutenir la lutte, juste avant le meeting à Toulouse contre l’austérité ! Donc voilà : le plan social est rejeté. L’employeur est condamné à payer 2500 euros de frais de justice. Ces Pilpas vont sans doute fêter ça. C’est si dur de tenir en lutte ! Tout tient à la capacité du groupe humain à rester soudé. En tenant compte des contraintes qui pèsent sur chacun, et qui ne sont pas toujours dites car la pudeur est là aussi. Une victoire c’est comme un matin de printemps : plein de promesses. La cohésion se renforce, on prend confiance en soi. Mais je suppose qu’il faudra aussitôt penser la suite. Car les décisions de justice favorables aux travailleurs sont méprisées par les puissants. Ils comptent sur l’usure et l’angoisse du lendemain qui ronge les salariés. Ce mépris ne leur coute rien car il est rarement sanctionné. Et le nouveau gouvernement n’aide jamais. On se souvient du sort des Sodimédical et de leurs trente-deux victoires judiciaires. Et on se souvient du « on ne vous oublie pas » que le président Hollande leur avait lancé quand les salariées étaient venues l’interpeller à la foire de Chalons sur Marne. Pour finir, on sait la suite ! Si l’accord avec le MEDEF passe, les courageux qui peuvent bloquer individuellement un « accord d’entreprise » qui diminue les salaires ou allonge la durée du travail seront réduits au silence. D’autant que le texte signé prévoit que les licenciements se feront non plus sur des critères généraux, par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, mais sur une évaluation des compétences professionnelles. Vague à souhait, cette disposition est faite pour pousser chacun à penser d’abord à sauver sa peau en compétition avec les autres. On devine le résultat sur l’action collective ! La lutte des classes….
Ambiance lunaire au parlement européen. Un « débat » impromptu a été décidé sur la situation au Mali. Dans cette enceinte subliminalement anti française et assez névrotique ment anglo-saxonne, la guerre du Mali a pourtant valu à notre pays beaucoup de remerciements. Comment aurait-il pu en être autrement ? Ici phosphore la plus grande concentration de bellicistes de la planète, après le parlement nord-américain bien sûr. Certes, Daniel Cohn-Bendit ne put s’empêcher de dire toute arrogance germanique bien bue que cette guerre « dépassait peut-être les moyens des Français ». Mais il jeta pourtant le bon pavé dans la mare. En effet il dit son malaise à entendre toutes les belles déclarations guerrières qui se succédaient mais qui au bout du compte n’empêchait pas que sur le terrain seuls les Français se trouvaient là. Les autres parlent. Et c’est tout. En effet. Comme ce néant ambulant de baronne Ashton, sommet d’une bureaucratie diplomatique dont elle attendait que la fonction créa l’organe et qui se résume à une couteuse nullité. Car il y a tout de même deux ans que tous les signaux d’alerte ont été donné en Europe sur la situation au Mali. Et pas que là ! Les grands esprits et la pauvre baronne en restèrent à la seule chose qui compte à leurs yeux : l’imposition de gré ou de force d’accords commerciaux de libre-échange. Ceux-là même qui disloquent ce qui reste d’Etat après dix années de politique violente d’ajustement structurel sous la houlette du FMI et de la banque mondiale. Un train-train libéral tellement aveuglé qu’il continue pendant que l’effondrement de l’état malien en signifie l’insondable cruelle stupidité. Même l’ONU a déclaré que ces accords étaient de nature à mettre en péril l’économie des Etats concernés. Mais quoi ? L’ONU, pour ces gens-là c’est pour faire la guerre avec bonne conscience. Pas pour donner un avis économique. Le jour même où ce ramassis de bavards sans consistance avait achevé leur « débat » arrivait dans les tuyaux du vote un rapport concernant l’approbation de tout le train d’accords avec les pays d’Afrique qui ont cédé aux injonctions européennes. Les récalcitrants sont en cours d’intimidation et sous le coup de diverses menaces comme celle de se voir fermer le libre accès aux marchés européens ! Une audace protectionniste réservée à quelques-uns donc. Telle est « l’Europe qui nous protège ». Ce matin j’ai appris que l’Europe allait réfléchir aux mesures à prendre pour former l’armée malienne. Scrogneugneu, on va voir ce qu’on va voir ! La baronne peut aller piocher des idées auprès des USA qui ont déjà dépensé des millions de dollars dans cette formation pour ces officiers maliens qui sont maintenant en guerre contre l’armée régulière. Les gringos sont les rantanplans militaires de la planète.
Le jour de la guerre juste, urgente et bienfaisante.
Quand la guerre commence, amis lecteurs, sortons notre barda de combat. Je ne parle ni d’armes ni d’aucune des impédimentas d’une armée en campagne. Je parle de notre modeste cerveau et de nos capacités d’analyse et de mémoire. Et aussi de nos capacités d’empathie.
Mali : ils le savaient avant
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Oui, j’ai bien écrit « empathie ». Les dévastations de la guerre, les ruines et les plaies, les morts et les blessés, sont davantage que des quantités que les nombres résument. Dans la guerre davantage que dans n’importe quelle autre calamité tout est humain. De tout cela, des êtres humains sont responsables, ce sont eux qui commencent la scène, qui la finissent, eux qui sont les causes et vivent les effets. Nous, qui ne sommes pas sur le front, ni sous le feu des combats mortels, nous sommes pourtant pilonnés là où nous sommes disponibles. C’est-à-dire dans notre imaginaire et dans notre capacité à comprendre ce qui se passe. Car c’est bien là que tout se joue pour nous si nous voulons y trouver notre place et notre accomplir nos devoirs de citoyen que tout concerne. Quand la guerre commence les étiquettes volent dans l’air et se collent comme des mouches sur les points de vue qui s’expriment. Le paysage est construit au premier coup de feu. D’un côté les « pour » de l’autre les « contre ». D’un côté les patriotes de l’autre les tireurs dans le dos. Les guerriers et les défaitistes. Et ainsi de suite. Le paysage de l’esprit en temps de guerre semble contraint au noir et blanc.
La première fois j’en fus tout culbuté. Penser de façon autonome exigea un énorme effort de contrôle de soi et une obsession de la documentation qui confinait au bachotage. Ce fut pour la première guerre d’Iraq. Je m’y opposais. J’avais du cran. D’abord parce que le président Mitterrand en était. Ensuite parce que les bienfaits attendus de la guerre était très évidents. Non seulement l’odieux Saddam Hussein allait devoir évacuer le pauvre petit Koweït mais en plus les monarchies du golfe, à commencer par celle du Koweït, allaient ensuite se tourner vers la démocratie et le respect du droits des femmes en particulier. Mais j’y ai pris le goût de penser tout seul et de tenir tête de tous côtés. Ce fut bien utile quand je me suis ensuite opposé à la guerre en Somalie contre « l’ennemi public numéro un » des Etats unis et de l’occident, le général Aïdid, épisode et ennemi dont malheureusement personne ne se souvient. Là encore il fallait de l’audace car il s’agissait de sauver les somaliens de la famine, rétablir l’état et la démocratie. Puis ce fut guerre d’Afghanistan contre le mollah Omar et les odieux talibans de ce temps-là. Mon incroyable refus à cette occasion montre bien que je suis « toujours contre tout », même le meilleur, puisqu’il s’agissait quand même de sauver la démocratie, de rétablir les droits des femmes et je ne sais plus quoi d’autre encore très bon et très juste. Du coup à la deuxième guerre d’Iraq je fus tout surpris de voir que je n’aurais pas à résister tout seul contre le rétablissement de la démocratie, de la paix civile et contre les armes de destruction massive alors que chacune de ces raisons avait paru suffisante, la fois d’avant, pour me faire peindre en munichois avec du goudron et des plumes. Au moment de la guerre de Libye, j’eus droit au goudron et aux plumes de nouveau, mais des deux côtés de la dispute. Après avoir voté au parlement européen un vœu comportant mention d’une zone d’exclusion de l’espace aérien sur décision de l’ONU, je me vis peint en suppôt de l’impérialisme. Mais je fus vite repeint, moins d’une semaine plus tard par le point de vue adverse, en grossier anti-américain et munichois viscéral pour avoir condamné l’entrée en guerre, les bombardements et l’arrivée de l’Otan. Il est vrai qu’il était question de rétablir la démocratie, la paix civile et encore bien d’autres choses excellentes que seul un esprit butté comme moi ne pouvait accepter de soutenir. J’ai dû oublier une guerre où l’autre dans ce petit récit. Il me sert de mise en garde : je suis entraîné, cultivé et sachant. Le son du clairon n’arrive pas à m’empêcher de penser ni à me faire oublier ce que je sais. Et ce n’est pas parce que la guerre est en noir et blanc que l’intelligence doit s’y conformer. Le bilan des précédentes excellentes guerres à mener d’urgence et sans débat possible est disponible aux yeux de tous. Le souvenir est encore frais de la clameur des louanges précédentes pour les stratèges, héros et grands penseurs des glorieux épisodes précédents. Impossible d’oublier ces civils ampoulés que les mots de la guerre virilisaient jusqu’à l’épectase, ces militaires à la retraite se disputant les plateaux de télé, bref de toute cette faune qui nous accablaient de sa suffisance et de ses certitudes et leur refrain de trompettes ! Leurs clones sont de retour. Allons de notre côté. Continuons à penser. Pour tenir bon il faut comme toujours avoir des principes. Quelle est la légitimité de l’action ? Qui agit, et décide, et de quel droit ? Quels sont les buts de guerre ? Ça aide pour commencer.
La guerre du Mali est d’abord une guerre. Ce qui se déroule et ce qui se prépare soulève des problèmes techniques et politiques souvent liés -mais pas toujours- et engendre des situations qui ont leur autonomie. De plus, cela va de soi, ce qui se déroule modifie de fond en comble toutes les données politique et les rapports de force antérieurs. Et chaque étape de son déroulement, la guerre réorganise le futur lointain qui lui restera lié. Dans la vie des êtres humains, la guerre est comme un seuil entre deux moments qui obéissent à des lois différentes. Jamais autant qu’après l’enclenchement d’une guerre il n’y a autant un avant et un après. La guerre génère une illusion d’optique extrêmement dangereuse. Elle fait croire que les problèmes sont assez simples pour se régler par la force. Ici vaincre les bandits peints en islamistes ne doit pas faire perdre de vue que la sécession du nord du pays est antérieure à leur arrivée. Quelle a une base très ancienne et que cette affaire implique plusieurs pays de la zone contenant une population Touareg. Je n’ose écrire berbère pour ne pas compliquer l’analyse. Stopper une colonne de pick-ups est une chose. Reconquérir le nord du pays une tout autre affaire. Le reconquérir contre qui ? Les islamistes ou les Touaregs ? Et pour rendre le terrain repris à qui ? Les putschistes au pouvoir ? Des élus ? Donc nous allons organiser les élections ? La définition des buts de guerre est un commencement indispensable.
Hollande avait à peine fini de parler quand j’ai écrit mon communiqué à propos de l’intervention au Mali. On devine que j’ai pesé mes mots. On comprend aussi après ce que je viens de raconter ce que sont devenues toutes les nuances de ce que j’ai écrit : une transcription en noir et blanc. Qui n’est pas « pour », sans condition, sans réserve, sans question, sans mémoire et sans prédiction défavorable est donc « contre ». C’est-à-dire pour « laisser faire ». Donc pour la prise de Bamako par les terroristes, pour la charia, les supplices publics et l’asservissement des femmes. A moins qu’étant opposé à tout cela, mais sans me mettre au garde à vous, je sois seulement un inconscient des réalités de notre temps « dans-le-monde-qui-change-et-où-il-faut-defendre-les-frontières-de-la-démocratie-et-des-droits-de-l’homme-et-surtout-ceux-des-femmes » devant chaque pick-up rempli de barbus. Amen !
Ceci étant mis en facteur commun contre tout ce que je vais écrire à présent, voyons ce que j’ai osé dire, dix minutes après que Hollande ait parlé. J’ai affirmé que l’intérêt d’une telle intervention pour régler le problème posé au nord de ce pays était discutable. Puis j’ai ajouté que l’intérêt de mener cette opération, alors que les intérêts fondamentaux de la France ne sont pas en cause selon le président lui-même, est très discutable à moins de se proclamer Zorro de la planète. D’autant plus discutable qu’il y a des armées africaines très professionnelles dans le secteur. Puis j’ai conclu en notant que le fait de décider cela tout seul sans saisir le gouvernement ni le parlement est condamnable. Ce sera mon plan pour poser ici quelques arguments qui valent la peine de marquer une pause dans la marche au pas des esprits et des commentaires.
On a vu pourquoi est discutable l’idée de penser régler par la force et comme une seule question l’agression islamiste et la sécession du nord du Mali. Mais la légalité internationale de l’intervention elle-même n’est pas aussi assurée que le gouvernement veut bien le dire. Contrairement à ce qu'affirment nombre de médias sans l'avoir vérifié, cette intervention n'a été ni autorisée a priori, ni validée a posteriori par l'ONU. Les paragraphes 10 et 11 de la résolution 2085 de l’ONU, demandaient d'ailleurs expressément aux parties engagées dans la planification militaire des opérations (CDEAO, Union africaine, pays voisins du Mali, autres pays de la région, partenaires bilatéraux et organisations internationales) de retourner devant le Conseil de sécurité « avant le lancement des offensives ». Or cela n’a pas été fait. C'est même l'ambassadeur de France auprès des Nations Unies, Gérard Arnaud, qui l'a avoué. Il admet lundi 14 janvier que l’intervention est une « opération française d’urgence » et pas encore une mise en œuvre de la Résolution 2085. Et il ajoute que la question de savoir comment passer de l’une à l’autre est « une vraie question ». En effet, c’est problème sérieux de savoir comment mettre en conformité une opération militaire française avec une mission internationale dont le nom même induit un commandement africain. La seule intervention pour laquelle l'ONU a clairement donné un mandat est celle d'une mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine, dite MISMA. Pourtant, de l’aveu même de l’ambassadeur français à l’ONU après la réunion qui s’est tenue à huis clos lundi 14 janvier et qui n’a donné lieu à aucune nouvelle résolution, les contingents africains n’étaient toujours pas arrivés à Bamako trois jours après le début de l’intervention. Notons que, dans les premières heures, l’orchestre médiatique affirma pourtant en boucle que l’intervention se faisait avec la participation de troupes africaines. Notez : en temps de guerre les informations pipeautées circulent vite et beaucoup par le biais des réseaux d’intoxication communicationnels, de la flemme, du panurgisme et de «l’ubris militaris » des médias.
Les inconditionnels de l’opération « Serval » invoquent l’article 51 de la Charte des Nations Unies qui prévoit un droit de défense légitime en cas d’attaque armée d’un pays membre. Or la légitimité de l’appel des autorités provisoires du Mali à une intervention française est aussi discutable : l’actuel gouvernement du pays n’est pas un gouvernement démocratique mais le résultat d’un coup d’état mené en mars 2012 par le capitaine putschiste Sanogo. Ce dernier impose maintenant ses décisions au président par intérim Dioncounda Traoré. Pour l’heure, aucune date n’est fixée pour la tenue des élections qui devaient avoir lieu en 2012. Il nous est donc non seulement permis d’affirmer que la légalité internationale de cette intervention est discutable mais aussi que la légitimité de l’appel à l’aide du gouvernement Malien fait problème. Même si cela n’enlève rien à la nécessité de stopper l’agression vers Bamako, cela montre que de toute façon le problème de départ reste entier. On ne peut commencer sans finir. Et pour finir il faut chasser ceux qui nous ont appelés. Dans son principe même l’intervention contient une logique de substitution de l’autorité au Mali. C’est l’aventure assurée.
Mon communiqué affirmait ensuite que la décision d’intervenir alors que les intérêts fondamentaux de la France ne sont pas en cause est discutable. C’est le Chef de l’Etat lui-même qui l’a dit dans son allocution en affirmant que «la France sera toujours là lorsqu’il s’agit, non pas de ses intérêts fondamentaux, mais des droits d’une population ». J’espère bien que ce n’est pas la nouvelle doctrine diplomatique de notre pays. Et encore moins sa nouvelle doctrine militaire ! Car sinon la France n’a pas fini d’intervenir partout. De plus, de quel droit s’agit-il ? Et de quelle population ? La phrase de Hollande n’a aucun sens concret. Pourquoi l’a-t-il prononcée ?
Pour finir, mon communiqué condamnait une décision prise par le seul Chef de l’Etat sans consultation préalable du Parlement et sans réunion du Gouvernement. Plus qu’ailleurs, ces instances doivent avoir leur mot à dire dans le domaine des interventions des forces armées à l’étranger. Nul besoin de revenir je crois sur la démonstration. Si le chef des armées est le président de la république, c’est aussi d’après l’idée que cela évite que les seuls paramètres des militaires comptent dans la décision de guerre à prendre. Il fut un temps récent où les socialistes le savaient. C’est d’ailleurs la substance d’un amendement (n°292) qu’avaient soumis les membres du groupe socialiste (signés par deux ministres actuels, Montebourg et Valls, et par l’actuel président du groupe Socialiste à l’Assemblée Nationale, Bruno Le Roux) au moment de la révision constitutionnelle de juillet 2008. Ils souhaitaient alors que « le Gouvernement informe le Parlement des interventions des forces armées à l’étranger dans les trois jours qui suivent le début de celles-ci », qu’il «précise les objectifs poursuivis et les effectifs engagés» et enfin qu’il soumette «ses propositions au vote des deux assemblées dans les deux semaines qui suivent leur information ». Ils motivaient cet amendement en expliquant que « dans une logique démocratique avancée, il est nécessaire que le Parlement se prononce par un vote ». Le PS a peut-être changé d’avis, moi pas.
L’égalité est une et indivisible
Je veux revenir sur la manifestation du 27 en soutien au « mariage pour tous ». Mes lignes sont destinées à aider à argumenter pour convaincre de faire l’effort de se mobiliser pour la manifestation du 27.
Je déplore l’inertie du PS qui se contente de parler alors qu’il dispose de tous les moyens lui permettant d’agir pour réussir une mobilisation de masse. Je le déplore d’autant plus qu’il a déclenché la bataille en sachant que le choc serait rude et qu’il y aurait une forte mobilisation des opposants au projet de loi. Rien n’a été pensé ni organisé de façon globale et cohérente. Tout est à la va comme je te pousse. Que ce soit pour la bataille d’influence dans la rue ou pour la bataille parlementaire où les amendements sur la PMA déposés et retirés aggravent l’impression désastreuse de marche à reculons.
Tous les êtres humains sont semblables par des besoins qui fondent des droits universels. De là nous tirons notre adhésion à l’idée de l’égalité absolue en droits des êtres humains. Dès lors nous considérons que la bataille qui se livre dans l’arène sociale à propos des droits des travailleurs est la même que celle qui se mène à propos du mariage et de l’adoption. Dans cette bataille, qui veut l’égalité à un endroit la veut toujours à l’autre. Inversement, qui ne veut pas l’égalité des droits civiques finit toujours par s’opposer aussi à l’égalité des droits sociaux. La bataille pour l’égalité des droits est une et indivisible.
On peut expliquer historiquement cette indivisibilité, en revenant au point nodal que fût la Révolution Française de 1789 : c’est là que s’est noué le rapport nécessaire qui existe aujourd’hui entre la lutte pour l’égalité des droits sociaux et celle pour l’égalité des droits civiques. La Révolution fût la première révolution menée par une nation au nom de principe et d’objectifs universels et pas nationaux. Une opposition brutale s’est alors manifestée entre des républicains libéraux qui se battaient pour l’avènement d’une société civile égalitaire conforme à leur conception universaliste de l’humanité et les conservateurs qui souhaitaient le maintien de l’ordre inégalitaire de l’Ancien Régime au prétexte théorique que l’inégalité naturelle avait permis l’établissement de cet ordre.
C’est cette opposition qui sous-tend aujourd’hui encore la lutte que nous devons mener. La droite et l’extrême-droite considèrent l’inégalité comme l’état de nature et bien sûr, la nature elle-même comme essentiellement inégalitaire. De Maurras qui affirmait que « l’égalité ne peut régner qu’en nivelant les libertés, inégales de leur nature » à Copé qui reproche à la gauche de « travestir la devise de la République » en se méprenant sur le sens de l’Egalité que nous entendrions comme « égalitarisme » (Discours du 31 janvier 2012), la droite et l’extrême droite ont toujours pensé que l’égalité n’était qu’une pondération nécessaire des libertés, non leur condition première. Dès lors, pour elles, toute lutte pour l’égalité des droits est une lutte contre-nature, qu’elle soit sociale ou civique. La conception naturaliste de la famille et la vision figée du couple ont cet arrière-plan philosophique et politique. Les adversaires de la liberté du mariage des homosexuels, tels que la droite et l’extrême droite, sont descendus dans la rue dimanche parce qu’ils pensent qu’un ordre naturel va être violé. Comme chaque fois que l’égalité est établie ils concluent que c’est au prix d’une violence contre nature.
Dans la question de la liberté du mariage homosexuel, il n’est donc pas question pour nous de faire preuve de « tolérance » ni même de bienveillance à l’égard des homosexuels mais bien de reconnaître un fait de la raison : tous les êtres humains sont égaux et doivent par conséquent avoir les mêmes droits. C’est aussi pour cette raison que nous ne saurions nous contenter de nous battre pour une loi qui serait vue comme une simple expérimentation. En tant qu’elle revendique et assume l’égalité absolue en droit des êtres humains, notre tâche est de convaincre la société que la lutte pour l’égalité des droits civiques est la même que la lutte pour l’égalité des droits sociaux. Plus forte sera l’adhésion de la société à cette égalité civile, plus forte sera la pression qui pèsera sur les conservateurs en matière sociale.
Lu dans vos commentaires…
247 - Hucher Alain dit le 22 janvier 2013 à 14h58
Les publications objectives sur Robespierre ne manquent pas. Deux récentes, Robespierre, la probité révoltante de Cécile Obligi et Robespierre Portraits croisés de M. Biard et P. Bourdin (sd). Pas des hagiographies mais des livres qui vont provoquer la réflexion.
14jan 13
Donne-moi ta montre, je te donnerai l’heure
Je crois qu’ils ne sont pas arrivés au niveau qu'ils espéraient. Nous-mêmes, nous avions parfois fini par leur donner le point avant qu’ils ne l’aient disputé. Donc les adversaires du « mariage pour tous » disent avoir réuni 800 000 personnes. Ils disent : « comme en 1984 ». Sauf qu'en 1984 ils prétendaient, jusqu’à hier, avoir été un million. Et que comme la population a beaucoup augmenté depuis cette date, pour faire aussi bien, ils auraient du être plus nombreux qu’en 1984. Bonne nouvelle donc pour nous. La dynamique n’y est pas comme on avait pu le penser. Ce n’est pas une raison pour s’estimer tranquilles. Un débat fracassant a lieu. Nous devons l’assumer. Notre devoir est de convaincre parce que c’est un sujet qui demande un fort appui de consentement dans la société. Et c’est une question de fond. J’exprime dans mes vœux comment je pose le problème. Mes camarades de « la télé de gauche » en ont fait un petit extrait en vidéo. Utilisez-la si elle vous paraît utile.
Ce post est beaucoup tourné vers les questions sociales. J’espère vous être utile en vous proposant un premier décryptage politique de l’accord désastreux conclu entre le MEDEF et des organisations syndicales de salariés. Dans cette circonstance je me sens en phase avec les syndicats qui ont refusé de signer. Mes raisons politiques me semblent rejoindre leur raison syndicale. Cette osmose devrait s’exprimer dans la bataille d’opinion tout au long des mois qui nous séparent de la présentation du texte au parlement. Le donnant-donnant sous Hollande c’est « donne-moi ta montre, je te donnerai l’heure »
Jour sombre. Fête au MEDEF
C’est un jour sombre que celui de cet « accord » dit de « Wagram ». Le prétendu « compromis historique » annoncé avec emphase par François Hollande au cours de sa première conférence de presse de l’Elysée a fonctionné comme un traquenard. Il est quasiment hors sujet de la question de la fameuse « flexisecurité » et personne n’aura l’audace de prétendre qu’il soit de nature à faire créer un seul poste de travail dans le pays. Par contre c’est une nouvelle étape cruciale dans le démantèlement de l’ordre public social et le renversement de la hiérarchie des normes sociales. Mais les députés ont le dernier mot. C’est leur vote qui décide. Ceux de gauche sont mis au pied du mur. Ici je ne vais pas commenter tous les articles. A cette heure je n’en ai pas assez lu et je n’ai pas pu assez consulter pour le faire. Mais j’aborde à partir d’exemples pourquoi tout cela est condamnable.
Ce fut donc une séance de dépeçage d’acquis sociaux « en échange » d’espérances fumeuses. Le tout est absolument infesté de la doctrine de la politique de l’offre : il s’agit de produire à flux tendu et au moindre prix en n’assumant aucune des conséquences sociales de ce choix pour la société. Ainsi quand on apprend que le CDD de moins d’un mois sera taxé pour être moins avantageux et que ceci ou cela est donné « en échange » je suis dégouté deux fois. D’abord parce que le CDD de moins d’un mois était autrefois interdit. On aurait pu espérer d’un gouvernement de gauche qu’il rétablisse une telle interdiction. Ensuite parce que le CDD de moins d’un mois est une perturbation pour toute la société et pas seulement pour les salariés concernés. En effet un tel CDD génère des coûts particuliers sur les comptes sociaux. D’où tient-on que l’affaiblissement d’une nuisance s’échange contre une concession prise à ceux qui la subissent ? Cet exemple montre les pièges du vocabulaire et de la perte de vue de l’ensemble des questions posées si on se laisse aller. Il en va de même sur l’accès de tous les salariés à « une assurance complémentaire » qui nous est présenté comme une concession. Depuis quand le recours aux assurances privées est-il devenu une revendication salariale ? Les quatre milliards que cela « coûtera » vont aller dans les compagnies d’assurance. La revendication des fondateurs de la sécurité sociale c’était plutôt que son fonctionnement et ses prestations soient étendus. Là encore comme pour la taxation des CDD, ce n’est pas parce que le négociateur d’un syndicat a concentré toute l’attention sur ce point qu’il est central ou même que la notion si trompeuse de « donnant-donnant » doit s’appliquer.
J’ai pris la question de la précarité en commençant mon propos pour illustrer ce besoin de prise de hauteur sur l’ensemble de la discussion. Mais aussi pour rappeler que le programme « L’Humain d’abord » prévoyait un tout autre chemin à propos des emplois précaires. Car la précarité est une question politique. Parce que la précarité est d’abord et lourdement féminine dans sa composition genrée. A l’inégalité qui est ainsi soulignée s’ajoute l’impact social : les femmes concernées ont en charge des familles qui dépendent parfois entièrement d’elles. Ensuite les salariés précaires représentent une masse immense transversale à tous les niveaux de qualification et de salaires. Sa situation est un des facteurs les plus notoires de l’instabilité de la consommation qui est le moteur numéro un de l’activité du pays. Les précaires ne peuvent ni correctement ni responsablement consommer du fait de l’incertitude de leur revenu. Ils ne peuvent prétendre ni aux prêts ni parfois au logement. De plus quand le code du travail est respecté, il l’est des fois tout soudain, alors c’est l’objet du travail qui est précarisé. Car les précaires enchaînent dans un même poste et une même entreprise des dizaines de contrats successifs. On vient de voir ce que cela donne quand un chercheur est dans cette situation et qu’il est pour finir expulsé plutôt que reconduit. C’est pourquoi le programme du Front de Gauche prévoyait une limite au nombre de contrats précaires dans les entreprises privés : 5% dans les grands groupes, 10% dans les petites entreprises ! Et titularisation immédiate de tous les précaires de la fonction publique. Pour nous le précariat est une question politique. J’en reviens au point de vue global.
Compte tenu du bilan de cette « négociation », on est en droit de se dire que ce rendez-vous imposé par le gouvernement a fonctionné comme un traquenard pour les nôtres. Y venir était obligatoire. Le gouvernement avait dit que sinon il déciderait lui-même. Que ne l’a-t-il fait ! Là c’est le MEDEF qui amène le texte de départ sur lequel s’organise la discussion. Et il suffit qu’une partie des négociateurs de la partie salariée signe pour que l’affaire soit considérée comme acquise. Pourtant, le MEDEF est une ultra minorité sociale et, sans faire injure à quelque syndicat que ce soit, ceux qui ont signé, même additionnés, sont loin de représenter une majorité des salariés. Ajoutons que si les nouvelles normes de représentativité syndicale avaient été en vigueur, certains n’auraient pas pu signer ce soir-là ! Dès lors pourquoi cela devrait-il avoir force de loi ? Ce sera la question posée aux députés de gauche. Car quoi qu’en dise le nouveau gouvernement, le parlement a le dernier mot. Je l’ai toujours rappelé dans des dizaines de débats du temps où j’étais sénateur, quand on nous faisait déjà le chantage à la sacro-sainte négociation qui représente « un point d’équilibre » ! Les députés ont le dernier mot car c’est eux qui représentent la partie absente de la discussion, partie qui se confond avec le tout : la société. Les syndicats patronaux et salariés agissent sur la base et dans l’intérêt de leurs mandants. Les députés sont mandatés pour agir au nom de l’intérêt général. Raison de plus pour se méfier des expérimentations hasardeuses et contre-républicaines que François Hollande a annoncées et qui visent à mettre dans la constitution que les accords de cette sorte s’imposeraient au gouvernement et au parlement.
L’accord Wagram entre dans la série des dispositions prises pour inverser l’ordre public social républicain qui est déjà très abimé. En fait, il finit le travail. J’explique. En France, quand un accord de branche est signé, ses conclusions sont étendues à tous les travailleurs. Raison pour laquelle les salariés en France sont en Europe les mieux couverts par des conventions collectives. Cette transposition était d’autant plus facile à faire qu’aucun accord de branche ne pouvait avoir un contenu inférieur à ce que prévoyait avant sa signature la loi en vigueur. Sous Sarkozy, cet ordre fut inversé. Un accord d’entreprise pouvait prévaloir sur un accord de branche et l’accord de branche être en retrait sur le contenu de la loi. Mais au bout de la chaîne, il restait le verrou individuel : le salarié et son contrat de travail. Si l’accord d’entreprise changeait le contenu de son contrat de travail, il pouvait tout simplement refuser et il avait les tribunaux avec lui. Il fallait alors le licencier pour motif économique. Quant aux autres salariés, il leur fallait tous signer individuellement un avenant à leur contrat de travail pour que l’accord s’applique. C’est de cette façon que les Conti furent contraints un par un. En fin de la précédente mandature, Martine Billard alors députée PG de Paris avait fait partie du tout petit quarteron de députés de gauche qui avaient bataillé et gagné contre un amendement déposé par le député de droite Wasserman qui supprimait ce verrou. Ce que l’UMP et le MEDEF n’ont pas obtenu sous Sarkozy, ils viennent de l’obtenir sous Hollande. L’accord d’entreprise s’imposera au salarié, et s’il le refuse il sera licencié sans aucun des droits du licenciement économique. Le verrou a sauté.
Sous couvert de « protection de l’emploi », de compétitivité, le droit va varier au gré des signatures « d’accords » le pistolet sur la tempe des salariés. La rédaction du passage concerné est un petit chef d’œuvre d’arrogance. Pour les accords "de maintien dans l'emploi", en contrepartie de l'engagement de ne pas licencier, une entreprise en difficulté peut conclure un accord majoritaire pour "ajuster" temps de travail et rémunérations, sans passer par un plan social si elle licencie au moins 10 salariés refusant ces changements. La durée de cet état d’exception dans l’entreprise est de 2 ans maximum. Quand l'entreprise va mieux, elle doit "partager le bénéfice économique" de l'accord avec les salariés. Le nouveau salaire ne peut être inférieur au SMIC (merci patrons ! mais c'est la loi), il ne pourra déroger à la durée légale, à la durée maximale du travail, aux repos quotidiens et hebdomadaires, aux congés payés et au 1er mai. Trop bons ! Merci patron ! En bref on reçoit en contrepartie de s’être fait dépouillé le droit de se garder ce qui reste. C’est le vieil adage "donne moi ta montre je te donnerai l’heure". Qui douterait que cette inversion de la hiérarchie des normes soit la gourmandise de l’accord liront encore cet article du texte qui a été signé : « Un accord collectif puisse fixer, par dérogation aux dispositions concernées du chapitre III du Titre III du Livre II du code du travail, des procédures applicables à un licenciement collectif pour motif économique ». L'accord d'entreprise sera donc supérieur au code du travail dans le cas d’un licenciement pour motif économique et il s'imposera aux salariés ! Pas moins que ça ! Et sous un gouvernement de gauche. Certes les minimums légaux de SMIC, jours fériés, etc. survivent encore à ce séisme. Mais on peut quand même considérer qu'il ne reste quasiment plus rien de la hiérarchie des normes et du principe de faveur.
Finance : Virgin est aussi un cas d'école.
Les magasins de disques et livres « Virgin » sont en difficulté, on le sait. 26 magasins sont touchés dans toute la France et 1 000 salariés sont menacés de licenciement. La mise en scène veut que ce soit l’exemple de l’affaire qui meurt faute « d’avoir pris le tournant à temps ». Certes cette affirmation a sa part de vérité. Mais le fond de scène ne doit pas être perdu de vue. Une nouvelle fois c’est une conséquence de la financiarisation de l’économie.
Que la stratégie de l’entreprise ait été calamiteuse, les syndicats de l’entreprise ont fait assez de mises en garde sur le sujet pour que nous ayons le devoir de nous en souvenir. Cela ne fait que rendre plus inacceptable le commentaire de Jérôme Cahuzac à leur propos sur Europe 1 : « Je ne sais pas quoi dire aux salariés. Etre membre du gouvernement, ce n’est pas avoir une réponse à tout. Les syndicats doivent comprendre qu’une gestion d’entreprise, c’est tous les jours, et pas seulement se mobiliser quand il est déjà trop tard ».
Si le gouvernement ne sait pas quoi dire qu’il le demande aux salariés. Ils ont alerté à temps et pas seulement en dernière minute. Mais le gouvernement ne leur a donné aucun droit nouveau pour contrôler la gestion des entreprises. Humour noir. Le même Cahuzac avait vu comme solution, la « réforme du marché du travail pour éviter les licenciements ». Ayons la cruauté de demander ce que « l’accord historique » que vient d’imposer le MEDEF et voulu par François Hollande aurait apporté dans cette situation. Mais il faut aller plus loin. La mise en dépôt de bilan a été décidée par leur actionnaire, le fonds Butler Capital. Ce désastre fournit un nouvel exemple emblématique de la destruction d’entreprises organisée par la finance. Je l’ai travaillé avec mon équipe parce que je n’aimais pas l’ambiance des commentaires à ce propos. Et je n’aime pas qu’il y ait d’angle mort à nos analyses contre la financiarisation de l’économie. Ici c’est un cas très significatif. Tous campent « Virgin » et l’état de ses comptes. Mais qui pointe la responsabilité de son propriétaire le fond Butler ? Le faire ne sert pas seulement à comprendre la genèse d’une catastrophe. Il nous aide à signaler des voies de recours immédiat. L’enseigne Virgin a été mise à genoux, certes. Mais le fond qui la possède ne l’est pas, lui, de son côté, et il dispose donc des moyens financiers du redressement.
Contrairement aux apparences anglo-saxonnes de son nom, le fonds Butler Capital est un fonds d’investissement français. Il a été fondé par l’oligarque Walter Butler, enfant chéri des privatisations successives des gouvernements de droite depuis les années 1980. Enarque, Butler n’a servi que 3 ans l’Etat avant de passer le reste de sa carrière à utiliser sa connaissance de l’appareil d’Etat pour faire des affaires aussi juteuses qu’entourées d’échos sulfureux. Il a pu explorer toutes les opportunités de profit des privatisations en pilotant en 1986 au cabinet de François Léotard la privatisation de TF1 au bénéfice du groupe Bouygues. Il travaillait à l’époque en binôme avec un autre grand vampire de la finance, Jean-Marie Messier, qui officiait au cabinet du ministre de l’économie Edouard Balladur. Butler est ensuite passé par la plus réputée des formations des voyous de la finance : la banque Goldman Sachs. Toujours elle. La même qui organise le pillage des brevets d’Alcatel et qui a spéculé sur la Grèce en trafiquant ses comptes. Butler rend lui-même hommage à cette école du vice : « Goldman, c’est là que j’ai appris à lire, à écrire et à compter dans les affaires. »
Fort de cette formation, Butler a ensuite entamé une brillante carrière de charognard. Il s’est spécialisé dans les entreprises malades mais proches de la sphère publique. De manière à pouvoir obtenir des renflouements par les fonds publics. Son coup de maître en la matière fut la privatisation de la compagnie maritime SNCM. Proche de Dominique de Villepin, Butler obtient en 2006 d’être le repreneur privilégié de la SNCM que l’Etat privatise. Il obtient préalablement son renflouement à hauteur de 150 millions d’euros sur fonds publics. Puis il devient l’actionnaire principal de l’entreprise en raflant 38% du capital pour moins de 15 millions d’euros. Ce prix est fixé très bas officiellement parce que les comptes de l’entreprise sont dans le rouge. Mais les aides publiques aidant, l’entreprise se redresse. Et Butler la revend à peine deux ans plus tard, en 2008, au groupe Véolia, pour la somme de 73 millions d’euros ! Sur le dos du contribuable, Butler a ainsi multiplié sa mise par cinq. Mais quand il ne parvient pas à faire payer ses investissements par l’Etat puis à rapidement revendre, Butler a une autre méthode pour maximiser ses gains : il dépèce les entreprises. Une spécialité des fonds d’investissement. C’est ce qui est arrivé au leader français de la fabrication de costumes, César. Promise à un redressement rapide grâce à Butler, cette entreprise a vu tous ses sites français disparaître et sa production délocaliser en Chine. Butler a lui-même expliqué cette méthode meurtrière au Figaro : « Quand le malade arrive au bloc en piteux état, il ne faut pas en vouloir au chirurgien si cela se passe mal. » Butler a une autre règle, affichée sur son site internet. Il prétend obtenir « le meilleur d’une entreprise » en effectuant des investissements d’une « durée moyenne de 5 ans ». Bingo ! C’est exactement la durée actuelle de l’investissement dans Virgin ! L’heure du dépeçage planifié sur 5 ans a donc sonné pour Virgin. Grâce à des artifices comptables cette fois-ci. Mais toujours avec la même logique meurtrière.
Chez Virgin, Butler a été appâté par la bonne santé de l’enseigne qu’il a rachetée début 2008 au groupe Lagardère, via Hachette. Pendant 5 ans Butler a fait cracher les magasins sans planifier les investissements nécessaires à leur évolution et donc à leur pérennité. Tout en tenant secret le prix d’achat de départ de l’enseigne, Butler prétend qu’il y a investi 15 millions d’euros en 5 ans. Pour une enseigne de cette envergure, c’est le montant d’une aumône. Cela représente à peine 570 000 euros d’investissements par magasin en 5 ans, soit à peine 100 000 euros par magasin et par an. Des investissements d’autant plus ridicules comparés aux 400 millions d’euros annuels de chiffres d’affaires que rapportait Virgin quand Butler l’a racheté. Fidèle à sa logique de vampire se débarrassant de ses victimes au bout de 5 ans, Butler a commencé en 2012 à liquider discrètement l’enseigne en fermant des magasins de manière isolée. Il a ainsi commencé par fermer les magasins de Metz et de Toulouse. Il a alors été pris la main dans le sac par la justice, qui a contesté le motif économique de ces fermetures isolées. Les juges ont exigé que Butler assume un plan social au niveau de l’ensemble de Virgin et que la situation économique de l’enseigne soit appréciée par rapport à la santé financière du groupe Butler. Cette première condamnation n’a pas empêché Butler de continuer son plan pour se débarrasser des magasins à moindres frais. Ces fermetures par étape lui ont notamment permis d’afficher une baisse, logique, de chiffre d’affaires lui permettant de justifier fictivement des difficultés économiques. Avançant toujours masqué mais bien décidé à en finir, Butler a ensuite organisé et médiatisé la cessation de paiement de Virgin à la fin de l’année 2012. Là aussi les apparentes difficultés comptables servent à masquer le désengagement programmé de l’investisseur. L’étape suivante fut l’annonce du dépôt de bilan. Avec une caractéristique habituelle chez Butler : le refus de prendre en charge financièrement l’accompagnement social des salariés licenciés. Officiellement parce que l’enseigne n’a plus d’argent ! Alors que les caisses de Butler sont pleines après avoir vidé celles de Virgin.
Ce scénario de pillage financier va se reproduire de plus en plus souvent si la loi n’intervient pas. Des solutions concrètes existent pour empêcher de tels pillages. J’ai notamment proposé pendant la campagne présidentielle de moduler les pouvoirs de vote, et donc de décision, des actionnaires en fonction de la durée de leur investissement. Ainsi un actionnaire qui n’est là que depuis 5 ans ne pourrait plus décider seul de fermer l’entreprise. Autre piste pour prévenir de tels saccages : donner aux représentants des salariés un droit de véto sur les décisions stratégiques de l’entreprise. C’est certes une limitation du pouvoir que l’actionnaire tire du droit de propriété sur l’entreprise. Mais comment justifier que le droit de propriété donne aux actionnaires un pouvoir de vie et de mort sur le tissu économique du pays et des travailleurs eux-mêmes. Le droit de propriété est par définition relatif. Il doit être compatible avec les droits des travailleurs à vivre dignement de leur travail. Et avec les intérêts économiques fondamentaux de la Nation.
Pour en terminer avec le débat face à Jérôme Cahuzac
Je ne veux rien perdre de l’émotion et du fait politique qui résulte du débat avec Jérôme Cahuzac. Bien sûr, sa perception est encombrée des commentaires qui se font dans la bonne presse à son sujet. Le premier inconvénient de cette présence partisane est qu’elle fausse la compréhension de départ de la scène. Non un débat n’est pas un match ! C’est un donné à voir d’idées. Par conséquent Cahuzac n’a pas « perdu le match » quand bien même a-t-il fini en débandade psychologique comme le montrent ses innombrables erreurs et le fait que dans la déroute nerveuse, il se soit mis à compter en francs. Laisser réduire un débat à un match ne peut avoir qu’un résultat : désigner un vainqueur et un vaincu. Mais qui les désigne alors ?
L’arbitre ce serait alors bien sur la meute des esprits « indépendants, éthiques et bla, bla » qui a déferlé contre moi en tweets qui défilaient sur l’écran pendant le débat sans mention de leur qualité de journaliste. A la fin c’est se mettre dans la main de gens aveuglés de préjugés hostiles et même parfois haineux. Quand on lit dans « Le Figaro » que j’ai été « malmené sur le fond et sur la forme » dans ce débat, on comprend que le journalisme n’est plus dans ce cas qu’un prétexte pour la haine de classe et de caste. Pourquoi donner à cette sorte de gens le pouvoir d’être des arbitres quand ils ne se cachent même pas d’être des tireurs dans le dos ? Qu’aurait-on écrit si je m’étais mis à parler en francs dans le débat après avoir été président de la commission des finances six ans et ministre en exercice du budget ! Et si je m’étais trompé sur la date de création de la CSG en zappant François Mitterrand ? Et si j’avais confondu les ressources de la mer avec le commerce maritime ! Et si j’avais additionné des taux de barèmes d’impôts avec des taux de CSG et ainsi de suite. Avec de tels préjugés, je ne peux « gagner le match » que si mon vis-à-vis ressort avec le nez en sang. Et encore ! Ma violence serait stigmatisée. Je le vois bien puisque les injures de Cahuzac me traitant de « clown » sont complaisamment mises sur le même plan que « Hollandréou » et « Cahusacandréou » dont tout le monde comprend pourtant qu’il s’agit d’une caractérisation politique. L’après débat est devenu un enjeu politique de réseaux d’influence. Elle ne concerne que peu de monde mais aucun enjeu ne doit être négligé par notre mouvement.
Cette leçon ne doit jamais être perdue de vue. Car c’est un effet constant. Vous souvenez vous de mon premier débat avec Marine Le Pen en février 2011 ? Elle venait d’être élue présidente du FN. Nous étions alors en pleine période de dédiabolisation de l’extrême-droite, opération qui a pour corollaire ma propre diabolisation. Le journal « Libération » s’était déjà illustré. On se souvient qu’il titrait récemment sur « Le Pen que tout le monde voudrait comme grand-père » pour aider la campagne que préparait Marine Le Pen à Hénin-Beaumont en cas d’annulation de l’élection. A l’époque, en 2011, il avait déjà titré à mon sujet, peu avant ce débat avec Marine Le Pen, avec l’habituelle photo répulsive de moi : « L’homme qui veut faire perdre Strauss-Kahn ». On voit le cheminement qui sert à mettre en scène la thèse du vote utile en toute circonstance. Là, après le débat, le titre de « Libération » fut « match nul ». Terrible jeu de mots. Mais il remplissait sa fonction politique. Ce retour sur le passé ne me sert qu’à bien illustrer ce que charrient et impliquent des mots apparemment innocents comme « match » à propos d’un débat d’idées. Cela souligne une fois de plus que le système médiatique en tant que système est la deuxième peau du système politique dominant. C’est une arène et non un miroir. Plus d’une fois le système médiatique est le seul en lice face à nous et d’une façon générale comme protagoniste de la situation politique. Voyez aujourd’hui. Est-ce l’activité politique des socialistes ou de l’UMP qui fait la réalité ? Non, bien sûr, il n’y en a pas. Aucun thème de débat ne vient d’eux. D’eux ne sortent que des histoires qui ne concernent que leur fonctionnement. Pas leur idée. Cahuzac fait exception dans ce paysage vide. Voila pourquoi il fait relief.
Car Jérôme Cahuzac a marqué le point qu’il voulait atteindre en préemptant le terrain qu’il voulait s’approprier, contre vents et marées, quand bien même devait-il pour cela me céder en route des marqueurs de légitimité à gauche qu’aucun autre solférinien n’aurait lâché si peu que ce soit. Il s’est positionné comme la figure du social-libéralisme assumé et cela modifie le paysage des forces socialistes. C’est pour cela que j’ai comparé ce débat au débat entre les deux gauches, entre Mitterrand et Rocard. Si Jérôme Cahuzac ressort blanchi de l’enquête préliminaire, il aura fait la démonstration dans son milieu qu’il fonctionne politiquement face à l’antipode que je suis et qui annonce la concurrence à la domination social-libérale. Il assume cette concurrence. Et surtout il montre qu’il vaut mieux que la plupart des autres prétendants au rôle, les Moscovici, Sapin, et ainsi de suite qui se sont tous défilés face à moi en décembre. En ce sens, l’émission a permis que l’on découvre un « nouveau Cahuzac », candidat à être chef de file au PS. Ça c’est bon. Il était inéluctable, et sain à mes yeux, que soit assumée l’orientation qui dans les faits structure l’ère Hollande. Car c’est ce qui rend possible le débat. Nous y avons intérêt car c’est ce qui permet la compréhension de ce que nous sommes nous de notre côté. Sans cette mise en place du paysage, le choix à gauche est indiscernable. Sans repères stables et nets, impossible de s’orienter.
Sinon nous restons enfermés dans le jeu de rôle et la langue de bois des solfériniens. Ceux-là essaient de scotcher toute la gauche dans le paysage préfabriqué et stérile d’une alternative infernale : ou bien « nous », quoi que « nous » fassions, ou ne fassions pas, soit la droite et l’extrême-droite. Dans ce monde-là il ne saurait y avoir jamais d’alternative à gauche. Par conséquent, pour eux, le Front de Gauche n’existe pas, du fait de l’insupportable Mélenchon et de son PG. Comme l’a dit Harlem Désir à propos de la composition de son comité de liaison des commensaux du gouvernement : « En ce qui concerne le PC, la porte est ouverte ». Toute cette rhétorique repose sur un chantage qui tourne en rond sur des appels à l’unité qui sont en fait une injonction au silence dans les rangs et à la division du Front de Gauche. Sa force d’impact est évidente et d’ailleurs les solfériniens ne se privent pas de rappeler leur principal argument idéologique : les listes aux municipales et ce qui va avec. La schlague et les punitions à vocation éducative n’ont pas manqué ces temps derniers. Ainsi quand Pierre Cohen, maire de Toulouse, président de l’association des élus socialistes décide de retirer sa délégation à notre camarade Jean-Christophe Sellin pour s’être abstenu sur les recettes du budget de la ville. Cette façon de faire revenir plus vite à la niche tous ceux que l’air du large asphyxie a son impact. Ainsi quand le secrétaire aux relations extérieures de la rue de Solférino compare le PCF au Front National à propos de sa vidéo de vœux. Bref on trouve toujours des faibles ou des malins pour gémir, à chaque coup de fouet, et couiner leur refus de « faire le pari de l’échec », d’avoir « la posture du recours » et ainsi de suite dans l’art de payer sa cotisation d’entrée au club des gens dignes de la répartition des faveurs du maître. En vain. Le cœur du dispositif du Front de Gauche a tenu dans les épreuves les plus compliquées et il tiendra encore. Qui en sort est mort. Les divergences ne font sortir personne du cadre du Front de Gauche quand bien même les mouvements d’adhésion d’un parti vers l’autre se font en cas de divergences ou de convergences. Et ces mouvements sont utiles et féconds car ils facilitent une clarification de chaque composante, donc une meilleure cohésion du tout, comme on le dirait de pièces dont les formes en se précisant permettent l’effet tenon-mortaise.