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07fév 13
Avec Jacky Hénin et les travailleurs d'ArcelorMittal au Parlement européen
Comme ils sont étranges ces jours où tout semble se donner rendez-vous au même moment, comme pour signaler je ne sais quelle connivence des choses, des évènements et des êtres. En quelques heures tout sembla s’accélérer. Hollande parlait à Strasbourg pour ne pas dire grand-chose, puis ce fut le lendemain le tour de Moncef Marzouki président de la république tunisienne qui souleva l’émotion de la salle par un discours qui projetait chacun dans le feu de l’actualité brulante d’une révolution. Il parlait pendant que la rue à Tunis s’enflammait de colère après l’assassinat de notre camarade Chokri Belaïd, secrétaire général du Front populaire, la formation dont nous sommes les plus proches en Tunisie. Il faut se demander si la date de ce meurtre n’a pas été fixée pour percuter la présence de Marzouki devant les députés européens et leur adresser ainsi un signal. Je quittai le parlement après avoir salué une délégation des sidérurgistes qui avait échappé aux gros tirs de lacrymogènes qui ont noyé le cortège des manifestants. Avant cela ils avaient été fouillés et contrôlés un par un à la sortie des cars. Certains ont été menottés d’autres frappés.
Avec Cayo Lara leader de Izquierda Unida au Parlement européen
La nouvelle politique de Jean Marc Ayrault contre l’action syndicale prend la tournure répressive qu’une dépêche AFP annonçait avant-hier. A la même heure, les manifestants devant l’ambassade de Tunisie en France étaient eux aussi copieusement gazés. De chaque point me parvenait les SMS des camarades engagés dans l’action avec nos drapeaux. La veille déjà, à Pétroplus et à Aulnay, Martine Billard et Eric Coquerel avaient aussi pris la tête de nos groupes de camarades venus en renfort de l’action des salariés. De mon côté, j’entrai dans ces moments le cœur plein de mon passage à Rome et l’esprit encore tourneboulé par ma rencontre avec Cayo Larra, le coordinateur d’Izquierda Unida d’Espagne, que les sondages placent dorénavant entre quatorze et seize pour cent des intentions de vote, à seulement huit points du lamentable PS espagnol ! Cayo Larra parlait du vertige de l’approche du pouvoir qui l’étreignait comme avant lui Alexis Tsipras. Je ressens le vertige de l’histoire quand elle se met en mouvement et qu’à la faveur d’un jour de concordance des temps, son beau visage se laisse voir un instant fugitif.
Marzouki, la Révolution, Belaïd, et nous.
Ce que le quotidien nous montre sera notre boussole, bien sûr. Nos amitiés, nos connivences et nos désaccords ne changeront pas pour un discours, je le sais bien. A l’heure où parlait Moncef Marzouki devant l’hémicycle européen, nos solidarités étaient avec nos camarades du Front populaire tunisien, cela va de soi. Et nous savons bien tout ce qui les sépare du parti du président de la République Tunisienne. Mais pour voir plus loin que l’instant et la position politique de chacun, il faut se souvenir que Moncef Marzouki parlait à ce moment-là au nom du peuple tunisien tout entier, tel qu’il est depuis qu’il s’est libéré tout seul de la dictature. Et c’est justice de dire que ce discours fut un moment magnifique d’humanité et de patrimoine commun civilisationnel.
Sans doute y avons-nous été d’autant plus sensible que la langue française fut parlée à la tribune, avec une grâce et une fermeté classique si bien accordée, qu’on l’aurait encore écoutée une heure pour le seul bonheur de sa musique. Marzouki est un médecin qui a fait sa formation à Strasbourg. Sa construction méridionale de maghrébin s’est imbibée de la rigueur austère des nôtres dans l’Est de la France. J’ose dire que je sais de quoi je parle, ayant été rebrassé de même dans ma petite patrie d’adoption franc-comtoise. Ici ce métissage de tempérament renforça la pente naturelle de son propre caractère que l’on dit austère et exigeant. La langue de Marzouki émeut à l’économie des mots. Nous avions pourtant les larmes aux yeux, Younous Omarjee, Jacky Hénin et moi, assis côte à côte sur la montagne tout à gauche de l’hémicycle. La vérité exige qu’on dise combien le style n’était pas la seule cause de tant d’émotions. Le texte de Marzouki avait la hauteur que l’on attend d’un tel moment. Par contraste la laborieuse prestation de François Hollande la veille n’en parut que plus pâle, du peu qu’il nous en restait de souvenir. Marzouki a pensé à haute voix, en grand, le bruit et la fureur de l’histoire arabe et européenne. Et il témoignait aussi de sa vie d’exilé politique en France, ce qui dans le contexte de xénophobie entretenu par la droite de notre pays n’était pas peu de chose. Persuadé de longue main que notre siècle serait celui des révolutions arabes, comme il l’a expliqué souvent, nous dit-il, il a été droit au but quant aux questions que l’on se pose autour d’une seule, finalement, vu de notre rive : la révolution actuelle est-elle une chance ou un danger ?
Il dit qu’elle est une chance parce qu’elle est une révolution sociale et que son contenu démocratique est plus fort que tous les protagonistes qui y prennent part. Et ceci quelles que soient les arrières pensées et calculs de ces derniers. Dans le contexte de l’assassinat de Chokri Belaïd, venant après plusieurs agressions d’intimidation du même type, ce propos peut paraitre très décalé. Pour autant il est juste, en dépit des oiseaux de mauvais augure qui voudraient imputer aux révolutions arabes un contenu fatalement islamiste et violent. Si nous étendons la remarque, nous pouvons en tirer des enseignements pour nous même. Pour ma part, je distingue très fortement les révolutions qui conservent leur caractère pacifique de celles qui se mènent, volens nolens, les armes à la main. Aussi longtemps qu’on peut aller aux rassemblements révolutionnaire en famille, en tenant les enfants par la main, l’horizon n’est pas commandé par celui qui a reçu la plus grosse arme ni par celui qui la lui a fournie. C’est pourquoi la « révolution » libyenne est si mal engagée, et la syrienne davantage encore. Cela ne vous apprend aucune naïveté de ma part. Je sais parfaitement que maintes circonstances s’achèvent dans les rapports de force les plus cruels. Et je sais aussi qu’une révolution gagnée dépend d’un art de réalisation impossible sans un parti préparé à en être l’instrument. Raison de plus pour le préparer à la bonne tâche et non aux songes creux. Raison de plus pour savoir fermement que la violence ne nous sera jamais favorable et qu’il faudra toujours la subir en pensant à la stopper, comme une condition de base de notre projet. Quoi qu’il en soit, j’en reste à l’enseignement Robespierriste : la guerre – et la guerre civile est aussi une guerre – militarise la société et finit par donner le pouvoir aux armes et aux militaires. Et en toute hypothèse « les peuples n’aiment jamais longtemps les missionnaires armés ». Le caractère radicalement pacifique et démocratique de la révolution citoyenne renverse l’ordre des angles morts stratégiques par rapport aux questions du passé : que faire si malgré tout le processus révolutionnaire bascule dans la violence ? Je ne sais pas comment la doctrine citoyenne s’accommoderait d’un tel cas.
Nous avons tous été frappés par les violences qui entourent dorénavant nos mobilisations en France. Violences qui ne sont jamais de notre fait. Une répression sophistiquée s’abat sur le mouvement social. D’abord ce sont des déploiements policiers souvent disproportionnés. Ils semblent surtout destinés à impressionner ceux qui regardent les images, parfois davantage que ceux qui les font vivre. Cela s’est vu à Notre-Dame-des-Landes où, cependant, il y eut des violences spécialement disproportionnées et souvent fort cruelles contre des manifestants totalement et volontairement désarmés. A présent autour de PSA c’est le grand jeu ! La sécurité du territoire est, parait-il, engagée. On a pu lire que Manuel Valls mettait en état d’alerte les services de renseignements dont, parait-il, ce n’était pourtant plus le métier de faire de la police politique. On a vu PSA recruter plusieurs dizaines de vigiles pour cadenasser le site en lutte. Pour être franc, ce n’est pas très nouveau. Sarkozy avait bien criminalisé l’action syndicale et associative. Et sur le terrain, les patrons liquidateurs n’avaient pas la main légère. On se souvient de la milice recrutée par la direction américaine de Molex. Ce qui est nouveau, c’est que la situation actuelle additionne les situations de tension. Du nord au sud du pays, avec deux cent soixante six usines fermées en un an, un pouvoir totalement rallié à la main invisible du marché, à la « politique de l’offre » et la baisse du cout du travail, ça sent le gaz. Il est frappant de voir que c’est l’option répressive qui tient la corde au gouvernement, depuis que la grenade Montebourg a été désactivée. Lui prêche la soumission, Manuel Valls y contraint, Ayrault l’encadre. A cette répression physique et politique s’ajoute la répression médiatique, celle des interminables prêches écrits ou audiovisuels qui valorisent ceux qui cèdent contre les « irresponsables » qui résistent.
Ce nouveau contexte va nous obliger à repenser nos dispositifs de combat. Le danger est celui d’une coupure en deux entre ceux qui veulent aller loin et s’enragent et ceux qui sont sous contrainte ou prennent peur et se détachent. Les stratégies rassembleuses sont la priorité. Le devoir du Front de Gauche sera de ne rien faire qui ajoute à la confusion que le gouvernement Ayrault et le Medef travaillent à créer en divisant les syndicats, par exemple. Par exemple, nous sommes bien d’accord au PG pour ne pas mettre en cause la CFDT, quand bien même nous sommes en accord avec la CGT, FO et Sud-Solidaire contre l’accord avec le MEDEF. C’est, bien sûr, une ligne constante de ne pas se mêler des stratégies syndicales quand elles se contredisent. Mais au cas particulier, l’idée est de centrer l’action contre le texte et son contenu. Pour cela, il faut viser le rassemblement le plus large. Je sais que les sections et militants CFDT y seront certainement aussi en nombre, cela dit en passant. Mais pas question de servir sur un plateau à Ayrault une division syndicale comme prétexte pour bétonner son accord avec le MEDEF et lui faciliter la tâche pour faire passer le texte tel quel au parlement. L’autre danger de division vient du numéro qui aura consisté à souffler le chaud et le froid entre les appels à nationalisation de la sidérurgie et les conseils de capitulation chez Renault ou PSA. Sans oublier les tours de passe-passe à Pétroplus ! A la sortie c’est davantage de démoralisation.
Par contre, face aux appareils de répression, ce qui compte c’est de ruiner leur cohésion et de les cliver de l’intérieur. C’est donc les personnes et leur conscience qu’il faut cibler. Policiers, journalistes et socialistes de métier sont aussi des citoyens qui pensent, votent et agissent à leurs heures de liberté. C’est leur conscience qu’il faut travailler et faire bouger. A Notre-Dame-des-Landes on a vu des policiers et des journalistes hésiter à faire la basse besogne. Le malaise s’est exprimé syndicalement chez les CRS. De manière plus personnelle, chez les Gardes Mobiles qui sont des militaires. Les articles de presse, de leur côté, ont souvent été moins moutonniers et pro-gouvernementaux qu’à l’habitude dès qu’il y a des gros enjeux d’argent engagés. En toute hypothèse la jeune génération des médias est devenue plus factuelle et descriptive. Les papiers peuvent donc devenir aussi décapant que les évènements qu’ils décrivent.
Hollande à Strasbourg. Y a quelqu'un ?
Le président de la République Française était dans l’hémicycle de Strasbourg ce matin-là. Son discours était parfaitement adapté à un auditoire de martiens. En fait les terriens n’étaient pas concernés. Ou alors seulement pour la crainte qu’ils inspirent. Ainsi quand le ci-devant président a osé dire : « ce n’est plus la méfiance des marchés que nous devons craindre mais celle des peuples ». « Oui sire, craignez le peuple il est terrible quand il se fâche! » Un discours où des mots comme « progrès social » ou même « justice sociale » n’ont pas été prononcés une seule fois, cela reste étrange, même quand on sait bien qu’il n’y a rien à attendre d’un social libéral. Il n’a rien dit ou seulement que, dorénavant, ce sera comme auparavant. Un discours où la France est une bourgade européenne qui ne voit ni le monde ni même la Méditerranée ou cent millions de personnes ont pourtant en usage commun la même langue française.
Pour pouvoir ouïr le président français, il aura fallu d’abord bousculer le très rigide protocole du Parlement européen. Le problème vient de notre Vème République. En effet, dans la plupart des autres Etats membres, chef d'Etat et chef du gouvernement ne se confondent pas. C'est pourquoi un protocole différent est réservé à chacun d'entre eux. En tant que chef d’Etat, François Hollande aurait dû faire un simple discours sans débat avec les parlementaires. Formellement, le débat ne pouvait avoir lieu qu’avec Jean-Marc Ayrault. Le président du parlement, Martin Schulz, a donc obtenu qu'on déroge au protocole pour permettre à François Hollande de répondre aux interventions des présidents de groupe. Etrange spectacle donc que celui du chef de l’Etat assis aux côtés du ministre des affaires étrangères sans que le premier ministre soit là ! Ce point réglé pour le parlement, il nous fallait régler notre attitude. C’est le président de la République de notre pays. Je refuse donc qu’on le traite ici, devant cette meute anti-française et contre républicaine, comme nous le ferions à domicile. Et cela même si d’autres ne se sont pas privés de le faire. Nous nous sommes donc levés à son arrivée et à son départ et nous avons applaudi de bon cœur quand il fut question du maintien du siège à Strasbourg par exemple. Mais nos divergences restent. Que dis-je : elles s’aggravent dès qu’on écoute François Hollande. Car la litanie de vœux pieux qu’il a énoncé souligne l’insignifiance des actes qu’il pose en regard.
Car pour ce qui est de faire un moulin à vent avec sa langue et n’avoir rien dit à la fin, François Hollande a battu à plate couture Manuel Barroso et ses indépassables numéros d’indignation sans objet! Ainsi quand, sur ce ton qui n’appartient qu’aux malins, le président tape du poing : « je vous le dit tout net : pas question d’accepter de réduction du budget au-delà de ce qui est acceptable ». En une phrase, toute la duplicité du monde. Et cette autre merveille : « faire des économies oui, affaiblir l’économie non ! ». Raaaaah ! Le reste à l’avenant : un enfilage de perles sans signification particulière ni dessein pour le futur. Un mot est contredit par le suivant. Mais ici les connaisseurs savourent avec délice ces sortes de gesticulations. De toute façon, ils savent bien qui est là. C’est l’homme qui leur a dit dès le début de son propos qu’il saluait le « 6 Pack » et le « 2 Pack », ces politiques d’austérité autoritaires ainsi que le TSCG « dont la France, sous mon mandat, a reconnu l'autorité ». « Il est des nôtres » se disent-ils « il boit le verre comme les autres » ! N’empêche qu’il y avait la question du budget européen. Ce truc s’appelle ici « cadre financier ». Il est voté pour sept ans ! Cette bande d’idéologues prévoit d’en diminuer le montant. Pour faire des économies, évidemment. Sur une somme déjà ridicule qui porte sur à peine 1 % du PIB de l’Union, on devine le caractère misérable de cette réduction purement idéologique ! Surtout si l’on tient compte du fait que toutes les sommes sont déjà préemptées par des politiques déjà engagées. Et enfin on doit savoir que la souplesse de ce budget est égale à zéro puisqu’il est interdit de passer une somme d’une ligne à l’autre en cours d’exécution du budget ! Il faut se rendre compte de ce que cela implique. Avec le projet actuel, l’union européenne fonctionnerait jusqu’en 2020 avec un budget bloqué au niveau où il était en 2008, dernière année avant la crise. Incroyable d’aveuglement ! Et les propositions de cette ombre de Van Rompuy bloquerait les enveloppes de l’Union au niveau plancher de 2003, quand on était encore dans l’Europe à quinze, sans les pays de l’est !
Tous les groupes du parlement jettent donc de grosses larmes. Tout d’un coup les voilà repeints en Keynésiens. Ils récitent avec ferveur que le budget européen est le grand instrument de relance et le seul dont dispose l’Union ! Ma parole ! La grâce les aurait-elle touchés ? Non bien sûr : c’est seulement une comédie. Même quand ils se font le numéro de « l’échec de la discussion, l’Europe en panne » c’est encore une comédie. Car la règle prévoit que faute de nouveau budget, on reconduit celui de l’année passée ! Tout le monde ment, là-dedans. François Hollande n’a pas eu de mal à les renvoyer dans leurs buts : « vous demandez à un socialiste d’empêcher des conservateurs de faire un mauvais budget ! Merci de votre confiance ! Mais pourquoi ne le dites-vous pas aux gouvernements que vous soutenez ? » Mais quand il demande quelle cohérence il y aurait à voter un budget de déflation après avoir adopté en juin un « plan de relance », c’est à son tour de se faire envoyer dans les cordes : « où est votre plan de relance, demande Joseph Daulh le président du groupe de la droite européenne, nous n’en voyons pas la trace ! » Tout le monde a compris. D’ailleurs Hollande lui-même a proposé une réduction de 75 milliards pour ce budget. Comme son plan de relance ne comportait que soixante milliards nouveaux, tous empruntés, 15 milliards auront donc été retiré de l’économie après le « plan de relance » à la sauce Hollande ! Rideau. En avant vers la catastrophe
A Rome, « pour faire parler de soi » ?
Vendredi dernier, j’étais à Rome. J’y ai tenu meeting, aux côtés d'Antonio Ingroia, la tête de liste emblématique de la "Rivoluzione Civile", la « Révolution Citoyenne" italienne. Vous voulez savoir ce qui se passe là-bas en général et à gauche? Mieux vaut lire mes lignes. Car vous n’apprendrez rien en lisant celles que consacre au sujet le « correspondant» de la désormais fameuse rubrique internationale du « Monde », Phillipe Ridet. Car pour lui, le but d’Antonio Ingroia est … « de faire parler de lui ». Ceux qui ont dépensé 1,80 euro pour s’informer devront se contenter de cette puissante appréciation pour tout potage. Ils ne connaitront même pas le nom de la liste que mène Antonio Ingroia. Vous en apprendriez davantage en allant directement sur « Google actualité », le moteur de recherche. Faites-le. Vous agirez généreusement pour la liberté de prendre les lecteurs pour des imbéciles puisque dorénavant Google donnera une subvention au « Monde » même si vous ne l’achetez plus. Venons-en à notre Italie, à notre gauche. Car c’est un front essentiel de la lutte en Europe pour faire craquer la chaine austéritaire.
C’est Paolo Ferrero, secrétaire général de Rifondazione, le parti avec lequel nous travaillons au sein du Parti de la Gauche Européenne, qui m’avait adressé l’invitation à participer à ce meeting. Les camarades mettent les bouchées doubles pour animer leur campagne. Ce qui se joue en Italie c’est évidemment d’abord la sanction de la politique d’austérité de l’odieux technocrate nommé par Bruxelles, le libéral dogmatique Mario Monti. Vous avez dû oublier comment ce type a été nommé sénateur à vie par le président avant de devenir trois jours plus tard premier ministre par une sorte de putsch venu de la Commission européenne. D’ailleurs la campagne électorale italienne, elle-même, a commencé par un coup de force. Fin novembre, Mario Monti a annoncé sa démission sans pourtant avoir perdu « la confiance » du parlement. Pour le faire, il a prétexté une simple déclaration d’Angelino Alfano, le secrétaire fantoche du parti berlusconien qui était censé le soutenir aux côtés de tout le petit monde des eurolâtres, depuis les quasi fascistes jusqu’aux sociaux libéraux. C'est sur cette simple déclaration à la presse que le président de la république, Gorgio Napolitano, s'est appuyé pour décréter l'impossibilité d'une nouvelle majorité et dissoudre. Manœuvre qui se voulait géniale. Le Monti encensé par toutes la presse européenne et notamment « Le Monde » allait prendre tout le monde de vitesse et s’imposer au centre du paysage en faisant manger tout le monde dans sa main. Déjà les sociaux libéraux jappaient dans l’antichambre, frémissant d’impatience devant leur gamelle. Une ruse bien commencée. Le gouvernement de « gestion des affaires courantes » a pu agir sans être embarrassé et faire voter des textes aussi importants que la loi de finance et même « la règle d'or » pendant un mois entier alors que, formellement, il était censé ne plus y avoir de majorité ! Pour tromper le monde, mentir et manipuler tout le monde, il n’y a rien au-dessus d’un eurocrate, Mario Monti, protégé par un social libéral, Giorgio Napolitano ! Tout cela devait se dénouer glorieusement avec les élections du 24 et 25 février. Hélas rien ne se passe comme prévu par les très intelligents. Mario Monti est dans les choux dans les sondages. Il se traine à 12 ou 14 % ! Les « démocrates », le PS local, qui faisaient les malins se font rattraper par Berlusconi de jour en jour. Et l’autre gauche fait son retour.
Du coup c’est le modèle français qui fonctionne : chantage au vote utile, pluie d’injures contre les nôtres, verrouillage médiatique grossier pour interdire en toute bonne conscience notre participation aux débats de fin de campagne. Ils ont peur. Ce qui se joue aussi c’est le retour de notre gauche au parlement italien. Car là-bas il n’existe plus sous couleur de « gauche » que le « Parti Démocrate ». Un organisme de fin de parcours qui réunit les carriéristes de l’ancien parti communiste suicidé, ceux de l’ancien PS dissous dans la corruption et quelques rogatons de la démocratie chrétienne. Un parti social libéral de « centre gauche » que venaient déjà soutenir à chaque élection François Bayrou et François Hollande. Avec la liste que mène Antonio Ingroia, une étape est franchie, à la française, là aussi. « Révolution citoyenne » est un front de gauche élargi à des mouvements de la société civile.
Antonio Ingroia lui-même n'est pas un militant politique. C'est un juge très connu des italiens pour son combat contre la mafia et les liens de celle-ci avec l'Etat italien. L'homme est connu pour sa droiture. C’est l’incorruptible. Il n'a, en effet, pas hésité à mettre en cause des hommes politiques de droite, dont Silvio Berlusconi, mais aussi l'actuel président de la République, Giorgio Napolitano, dans l'affaire de "l'accord Etat-Cosa Nostra". Il a mis ainsi sa vie en danger en s'affrontant à l'une des plus puissantes mafias, celle de la région dont il est originaire: la Sicile. Placé sous haute protection, Antonio circulait jusqu'à il y a peu en voiture blindée. En Novembre 2012, après avoir rendu sa dernière sentence, il est parti au Guatemala, mandaté par l'ONU, pour travailler au sein de la Commission Internationale contre l’Impunité au Guatemala. Ce n’était pas une promenade de santé. Mais l’homme n’oubliait pas son pays. Il gardait l'œil sur l'actualité juridico-politique italienne et le faisait savoir dans le journal Il Fatto Quotidiano dont il est éditorialiste. Fin Décembre 2012, à l’invitation des mouvements et partis réunis au sein de la liste « Rivoluzione Civile », il accepte de devenir candidat au poste de « Premier » comme on dit en Italie pour parler du chef du gouvernement. Tel est l’homme que le petit plumitif arrogant de la grandiose rubrique internationale du journalissime « Le Monde » décrit comme n’ayant d’autre objectif que de « faire parler de lui ».
La "Rivoluzione Civile" est née fin Décembre 2012. Il s'agit d'une coalition de plusieurs partis et mouvements sociaux et politiques. On compte notamment parmi eux le Parti de la Refondation Communiste, les Verts, l’Italie des Valeurs de di Pietro, le Parti des Communistes Italiens, le Mouvement Orange de Di Magistris, un nombre conséquent de mouvements de lutte contre les Grands Projets Inutiles et Imposés (No TAV, No Muos, No Mose etc), les mouvements de la campagne pour « l’eau, bien commun », les mouvements anti nucléaires, les mouvements contre le paiement de la dette (No Debito etc), des personnalités du monde syndical et notamment de la FIOM (les métallurgistes de la CGIL) et des personnalités féministes. Lesquels ont en commun de n’avoir pour projet que de « faire parler d’eux » cela va de soi.
Paolo Ferrero de Rifondazione est pour beaucoup dans la formation de cette liste d’union à laquelle il œuvre depuis longtemps. Rifondazione, le parti dont il est secrétaire général, avait pris position pour la formation d'une telle liste dès son Congrès de Décembre 2011. Je crois que l’expérience progressive et pragmatique du Front de Gauche français éclairait la voie. Au Front de Gauche, on connaît bien Paolo Ferrero. Il m'avait soutenu pendant les élections présidentielles. Il était présent à nos Estivales cet été . Il était aussi présent dans le carré de tête de la manifestation du 30 Septembre dernier contre le TSCG aux côtés d'autres membres éminents de la Gauche Européenne. L'homme aime particulièrement la France qu'il connaît bien. Il parle et lit d'ailleurs parfaitement le français. Il faut dire qu'il vit dans le Piémont et qu'il passe fréquemment la frontière. Il m’a raconté comment il discute avec les gens, dans les commerces frontaliers pour prendre la température politique du moment chez nous. Nos campagnes électorales et militantes lui sont bien connues.
Paolo est un artisan de longue date du rassemblement de la gauche italienne. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas un ancien du PCI, le grand Parti Communiste Italien dont certains membres, comme l'actuel président italien, Giorgio Napolitano, ont organisé la dérive jusqu'à en faire l'actuel Parti Démocrate, favorable à la rigueur et au libéralisme accru. Paolo vient de "Démocratie prolétaire", une coalition pour une "nouvelle gauche" regroupant déjà à l'époque plusieurs formations de toute la gauche radicale et parfois affiliées à différentes internationales. En 1991, quelques jours après la transformation du PCI en Parti Social Démocrate (PSD), il soutient la fondation du "Mouvement pour la Refondation Communiste", auquel il adhère avec la majorité des dirigeants et des membres de son groupe d’origine, en compagnie de diverses formations de la gauche radicale italienne que rejoignirent tous ceux qui refusaient à l'époque le suicide de la gauche. Ce mouvement deviendra l'actuel "Parti de la Refondation Communiste" dit "Rifondazione". En 2006, Paolo a été ministre de la Solidarité sociale du gouvernement Prodi II. Une expérience désastreuse dont il a beaucoup appris. Non seulement du point de vue de la gestion de l'Etat mais aussi sur ce qu'on peut craindre du « Parti Démocrate » italien. Ce « parti démocrate » a en effet remplacé, en plus droitier, le tout nouveau « Parti social-démocrate » dont les fondateurs eux-mêmes jugeait l’imagerie trop liée à la tradition de gauche. N’empêche que nos amis ont d’abord marché d’un désastre à l’autre. Exactement ce qui nous pendait au nez en France après 2007. D’ailleurs je n’ai jamais caché que cet effondrement de la gauche italienne avait joué un rôle considérable dans notre décision de quitter le PS et de former aussitôt un Front électoral avec les communistes français. En 2008, dans un contexte de faillite électorale, Paolo est élu secrétaire général de Rifondazione sur une ligne très critique vis-à-vis de la stratégie de "l'Unione" une alliance électorale de la gauche jusqu’au centre droit. Il s’oppose encore à la participation de Rifondazione au gouvernement Prodi II. Mais il reste isolé. Les désastres s’enchainent. Notre gauche est alors éliminée du parlement. Et ce n’était pas fini. En 2009, pour les élections européennes, Paolo obtient la création d'une "liste anticapitaliste". Mais près de la moitié du parti cède aux sirènes social-libérales et scissionne sous la houlette de Nicchi Vendola. Un de ces grands esprits qui dénonçaient les outrances et la dérive gauchisante de son parti pour monter dans le premier train bien servi. Comme en Grèce, comme partout où il faut choisir entre la rupture et le vieux monde de la gauche d’avant ! La gauche radicale italienne disparaît alors aussi du Parlement européen.
Paolo Ferrero a alors fait preuve d'un grand courage en décidant de continuer son combat pour l'union de notre gauche en dépit de tous les revers ! Il a même tendu la main au liquidateur Nicchi Vendola. Sans résultat. Il parvient quand même en 2010 à mettre sur pied la "Fédération de la Gauche" avec plusieurs formations de Gauche. Il est conscient de la faiblesse de cette Fédération. Il voit bien la dérive du parti de Nicchi Vendola vers une soumission totale aux « Démocrates » sociaux libéraux. Il propose alors en décembre 2011 une alliance large. Il ne s’agit plus de fixer une identité politique mais de prendre en charge une tâche en commun : réunir tous ceux qui s'opposeront aux politiques austéritaires et néolibérales mises en œuvre par le gouvernement Monti. Les « Démocrates », amis de Bayrou et Hollande, bons petits soutiens de Monti, n'était évidemment pas concernés. Cette méthode a été la bonne. Mais quelle patience, quelle endurance, pour Paolo et ses amis après tant de revers ! C’est de cette façon que nous aussi nous avons construit notre Front de Gauche. Aujourd'hui en Italie, presque tous ceux qui s'opposent à ces politiques ont répondu à la main tendue de Paolo.
La liste « Révolution Citoyenne » a de l’allure ! Antonio Ingroia est une figure de proue à l'envergure indiscutable. Quant au programme sur lequel les différentes formations se sont mises d'accord, il est en opposition claire aux combines des démocrates et aux politiques de l’union européenne. Le programme de la « Rivoluzione Civile » : opposition au libéralisme économique de Berlusconi et du gouvernement Monti, opposition au TSCG et à la règle d’or, objectif de « rendre l’Union européenne autonome des marchés financiers », volonté de placer l’UE « sous le contrôle des institutions élues par le peuple », appel à un Etat italien laïque, mise en place d'un enseignement public et d'une recherche publique, « non aux pouvoirs économiques », mise en place d'une santé publique de qualité, enfin appel à revenir immédiatement sur la destruction du Code du travail voulue par Berlusconi et mise en œuvre par Monti.
Avec la Rivoluzione Civile, la gauche pourrait faire son retour au Parlement. Nous revenons du néant, ne l’oublions pas ! La liste est actuellement créditée de 4 à 6% dans les sondages. Elle devrait donc faire son entrée à la Chambre des députés, où le seuil d'entrée est de 4%. On peut même espérer qu'elle réussisse, même plus difficilement, au Sénat où le seuil est de 8% pour les listes uniques. Il y aurait donc de nouveau un point d’appui parlementaire et un seuil de crédibilité de franchi pour faire face à la suite du processus de désintégration de l’Etat italien. C’est-à-dire qu’il y aurait en Italie aussi une alternative à gauche. Ce risque est mesuré par nos ennemis médiatico politiques. La notice fielleuse du « Monde » est en phase avec la campagne de dénigrement et d’occultation sur place. Cela se fait au prix de mesures d’une sophistication byzantine. Ici la Commission de surveillance de la RAI a décidé de ne faire participer au débat final avant l'élection que les candidats « issus de coalitions » (plusieurs listes jointes en une coalition, les votes se portant sur une liste) et pas les candidats « issus de listes uniques » (une seule liste donc, comme celle de la Rivoluzione civile) ! Un scandale grotesque. Une mesquinerie qui en dit long sur ce que sont devenues nos grandes « démocraties » de l’âge européen.
Mais ce n'était pas le plus important ce jour là, quand je suis arrivé à Rome. Ce n’est pas de cela que Fabio Amato, le responsable international de Rifondazione, nous a parlé en premier en venant nous chercher à l'aéroport vendredi matin. Fabio avait une nouvelle au plus haut point satisfaisante. Le matin même, une partie importante de ses anciens camarades partis en 2008 avec Nicchi Vendola, avaient décidé de quitter leur formation SEL ("Gauche Ecologie et Liberté") liée aux « Démocrates » sociaux-libéraux et de rejoindre la Rivoluzione Civile. La nouvelle, conjuguée à ma présence à Rome ce jour-là, allait, selon lui, mettre la Rivoluzione Civile au premier plan dans les médias. Fabio était certain de son fait : il y aurait beaucoup de monde le soir au meeting conjoint du PGE et de la Rivoluzione Civile où j'intervenais. Fabio avait d'ailleurs décidé de faire les choses en grand, au théâtre Capranica. Ce théâtre du XVème siècle est situé en plein cœur de Rome, à deux pas de la Chambre des députés. Sur place, le responsable de notre Parti de Gauche en Italie, Guillaume Mariel, nous attend. Il est venu spécialement d'Arezzo pour nous accompagner aujourd'hui et aider à la traduction en cas de difficulté de communication. Guillaume est bien connu des camarades de Rifondazione. Il a passé l'été dernier à sillonner l'Italie avec Fabio Amato pour présenter l'expérience du Front de Gauche. Une tournée qui a visiblement porté ses fruits. Il a aussi été le suppléant de Michèle Paravicini sur la très vaste 8ème circonscription des français de l'étranger. Autour de lui et d'Hélène, une camarade du PCF, un Front de Gauche Italie s'est formé. Guillaume m'annonce que tous les camarades romains se sont mobilisés pour être présent au meeting du soir. Je suppose que ce sont eux qui lançaient les applaudissements nourris qui m’ont accueilli. Il faut dire que j’évoluais dans les rues dans une ambiance très française car les supporters de l’équipe de France de Rugby étaient nombreux en goguette, amicaux et enjoués.
En fait je suis tombé par hasard sur Antonio Ingroia dans la rue en partant déjeuner. C'était ma première rencontre avec lui. Il sortait d'une des trois conférences de presse qu'il devait donner dans la journée. Celle-ci concernait l'annonce faite le matin même par des dirigeants de SEL qu'ils rejoignaient la Rivoluzione Civile. Une bonne nouvelle qui marquait visiblement les visages de l'entourage d'Antonio. J'ai ensuite rejoint Paolo Ferrero pour le déjeuner dans un petit restaurant où la Rivoluzione Civile a ses habitudes. Le quartier général de campagne est situé deux rues plus loin. Il a fallu déjeuner en vitesse ! Misère, quelle vie ! Spaghettis à la carbonara. Paolo m’explique comment ce plat qui a des allures de met traditionnel est en fait une trouvaille des bidasses américains à la Libération. Ils le fabriquaient avec le lait, les œufs en poudre et les filaments de lardons des rations de l’armée. Puis on parle d’Antonio Ingroia, bien que nouveau venu en politique, il est fortement marqué à gauche philosophiquement. Selon Paolo, l'homme apprend vite au contact des autres maintenant qu’il est sorti de l’isolement de sa situation dangereuse de juge anti-maffia. Et plus il apprend plus il renforce ses convictions. J'en aurai la confirmation le soir même. "Nous voulons devenir plus qu'une coalition électorale, un mouvement durable comme le Front de Gauche en France" a-t-il dit. "La Rivoluzione Civile n'est pas qu'une coalition électorale, c'est un mouvement historique. Utilisons-la bien". Pour l’instant, Paolo fonce. Il a un direct sur une chaîne de télé, une heure plus tard à peine. Bon vent camarades ! Le moment venu la salle est comble. Enthousiaste. Le drapeau est relevé. Nous sommes chez nous.