Interviews
25juin 15
« Je dois travailler comme si j’allais devoir être candidat »
A six mois des élections régionales, Jean-Luc Mélenchon déplore que sa proposition de « listes citoyennes » soit encore en débat au Front de gauche. Le député européen appelle les siens à la « clarté » vis-à-vis du Parti socialiste.
Estimez-vous qu'Alexis Tsipras, le premier ministre grec, puisse encore imposer ses vues face aux créanciers de son pays sans se renier ?
Jean-Luc Mélenchon : J'ai confiance en lui ! Je connais aussi la dureté de ce qu'il affronte. La dette grecque a cessé depuis longtemps d'être une question financière : elle est exclusivement politique. Il s'agit de prouver qu'on ne peut désobéir aux libéraux. Mais si, par les violences de la Banque centrale, le système bancaire grec s'effondre, si la Grèce est mise en banqueroute, les Français devront payer 40 milliards et les Allemands 60 milliards. C'est inenvisageable. Si on trouve l'accord technique qui permet d'effacer la dette grecque par des mécanismes de rééchelonnement, tout le monde s'épargnera cette épreuve absurde. La responsabilité intégrale du danger repose sur Merkel et Schäuble [la chancelière et le ministre des finances allemands] qui ont parié sur la tension et l'inertie de Hollande.
26mai 15
« L’amour de la France est physique et pour ainsi dire charnel »
Tribune de Jean-Luc Mélenchon publiée dans Marianne le 17 avril 2015 à l'occasion de la sortie du livre posthume de Bernard Maris, économiste décédé lors de l'attaque de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015.
Je n’ai jamais conclu « vive la République ! vive la France ! » sans que les mots explosent en même temps dans mon esprit et dans mon cœur. Symbiose physique de la raison et des sentiments. L’action politique l’offre dans quelques occasions rares et pour cela même si désirées. Si j’ai du mal avec « le sang impur qui abreuve nos sillons » dont je connais pourtant le sens exact et insolent, la Marseillaise m’a toujours trouvé consentant au moment où elle commence à m’envelopper, à mesure que je la chante. Qu’on me comprenne bien, je ne parle pas de l’effet de groupe que le chant commun provoque toujours. Il joue son rôle. Mineur pour moi. Non, je parle du sentiment amoureux qu’il délivre et répand entre la chair et l’os.
L’amour de la France est physique et pour ainsi dire charnel. Il institue une relation directe entre une idée immense et tout ce que l’on est de pourtant si petit. Et pourtant cet amour ne s’attache à aucun paysage en particulier, aucun terroir, aucun terrier. Juste l’idée. Les miens ont choisi d’être français. Une passion transmise que ne peuvent peut-être pas comprendre ceux qui ont trouvé leur carte d’identité dans mille ans de banale reproduction biologique. Comme je te plains, Le Pen, de ne rien savoir d’un amour choisi ! Si tu savais quelle passion nous ressentons, nous autres les métèques de tous poils ! Nos souvenirs sont plus purs que les tiens. Ils sont consignés officiellement dans les livres d’histoires. Nos ancêtres sont donc exempts de de tous les crimes des vôtres dont notre histoire nationale est aussi faite. Nous pardonnons, à ceux des vieilles souches ! Nous autres les nouvelles branches, nous aimons tant ce pays ! Vos fautes ne sont pas suffisantes pour venir à bout de notre passion. Voyez ce jeune homme crépu aux yeux vairons et cette jeune femme aux doigts bistres, voyez moi, pâle et chevelu, que le temps passé tire par la manche : nous sommes la patrie elle-même. Nous en sommes la preuve.
La France n’est pas définie par son territoire : ses frontières ont changé tant de fois ! La France n’est pas réduite à un continent : elle existe auprès des cinq ! La France n’est pas désignée par une religion : il y en a cinq, archipel intermittent dans un océan d’agnostiques et d’athées. La France n’est pas une couleur de peau : nous sommes tellement bigarrés ! La France ce n’est pas une langue : 19 pays ont en usage commun comme langue officielle le français. Alors quoi ? La carte d’identité, un document administratif ? Oui, bien sûr. Mais quoi d’autre, ce je ne sais quoi ? Voyez le fronton de nos mairies, de nos bibliothèques, de nos tribunaux. Ils répondent de toi, Maximilien Robespierre, qui nous donna notre nom de famille : Liberté-Égalité-Fraternité.
Nous sommes le peuple sans bord, sans frontières, le peuple que l’on peut combattre au nom de ses propres principes s’il y déroge ! Quand l’Allemagne écrit sur son nouveau Bundestag « Dem deutchen Volk », elle nomme l’appartenance de chacun à une ethnie. Nous, nous nommons ce qui nous permet d’appartenir à l’humanité universelle. Et ce que l’histoire a fait, la raison le répète contre ce que le sens commun suggère d’abord : en France, la République fonde la Nation et non l’inverse. D’aucuns croient que leur souche est dans leur berceau, nous savons qu’elle est dans notre volonté et dans nos actes. Parce que nous sommes libres, égaux, et solidaires ou plus exactement parce que nous voulons le devenir avec tout être humain nous sommes français c’est-à-dire républicains.
Un jour, je croise Bernard Maris et nous parlons d’économie. Peu importent quelles certitudes nous avons assénés chacun à l’autre. A la fin on se tomba dans les bras parce que nous avions nommé nos points communs : la France peut tout et parle à tous. Nous sommes la grande Nation parce que nous pouvons tout faire, tout entreprendre, tout recommencer sans cesse entre nous et avec les autres. Du désastre et de l’abaissement actuel, nous sortirons aussi. Aimer la France, c’est commencer à comprendre de quel bois est fait l’espérance d’égalité humaine.
21mai 15
« Le modèle allemand ne marche pas »
Vous tapez fort. L’Allemagne en prend pour son grade…
J’ai choisi le genre littéraire du pamphlet pour créer du débat et donner un caractère plus léger à la charge que je porte. Le but du livre n’est pas de dire du mal de l’Allemagne ni des Allemands, mais il est de dire que le modèle allemand, dont on nous rebat les oreilles, ne marche pas. C’est une façon pour moi de continuer le combat contre une certaine forme d’Europe soumise à une doctrine politique qui s’appelle l’ordolibéralisme, dont l’Allemagne est le vaisseau amiral. Mon livre poursuit la critique du capitalisme productiviste, dont je fais la démonstration que même là où il règne en maître absolu, il ne donne aucun résultat sur le plan du bonheur et du bien-être humain.
A travers divers indicateurs, vous livrez l’image d’un pays en régression sociale, eu égard notamment à la précarité des contrats de travail…
Mon travail est basé sur le travail des autres, c’est une synthèse. Les faits que je mets en avant sont toujours justes, il n’y a aucune exagération. La situation de l’Allemagne est la suivante : il y a 13 millions de pauvres dans le pays le plus riche d’Europe. Il y a des millions de gens condamnés à des travaux précaires et notamment ceux qui relèvent des minimas sociaux ou des allocations chômage qui sont contraints à accepter n’importe quel emploi et à n’importe quel prix. C’est ainsi qu’il y a des salariés à 450 euros par millions dans ce pays et des gens qui pour conserver leurs indemnités sont obligés d’accepter des jobs à 1 euro de l’heure. C’est un modèle de maltraitance sociale. Ce pays présenté comme le parangon du bonheur est un échec total, où il naît moins de personnes qu’il n’en meurt. Des journalistes ont aussi parlé de « déportation » pour parler de ces retraités qui, ne pouvant plus assurer le financement de leur survie, vont vivre dans des pays où cela coûte moins cher tout autour. Lire la suite »
19mai 15
« Le modèle allemand asphyxie toute l’Europe »
D'où vient ce titre, "Le hareng de Bismarck" ?
D'une invitation adressée à François Hollande sur les bords de la Baltique. À cette occasion, Madame Merkel lui a fait offrir un tonnelet de "harengs Bismarck". Bismarck, c'est l'homme qui a réalisé l'unité allemande en nous faisant la guerre et en faisant couronner le roi de Prusse comme premier empereur des Allemands à Versailles en janvier 1871.
La remise du "cadeau" était accompagnée d'un chant choral nostalgique sur la Poméranie, une région que se disputaient l'Allemagne et la Pologne. Lors de la réunification François Mitterrand a obligé les Allemands à reconnaître la ligne Oder-Neisse qui la coupe en deux. Ces rappels agressifs étaient délibérés. Rien n'est fait au hasard dans une visite officielle.
Vous croyez que les Allemands ont voulu narguer François Hollande de manière délibérée ?
Évidemment. On peut ajouter que le bateau sur lequel le président de la République avait été invité, s'appelait le Nordwind, le nom de la dernière offensive de l'armée allemande contre la France en 1945. Telle est la nouvelle génération de dirigeants allemands de droite : décomplexée et arrogante. Elle n'hésite pas à assumer les rapports de force les plus humiliants comme elle le fait avec la Grèce. Elle impose à toute l'Europe l'ordolibéralisme, une doctrine pour qui l'économie n'a pas à subir l'intrusion de la politique. En fait cela revient à protéger les intérêts dominants de son économie. Ce pays vieillissant a besoin de gros dividendes et d'un euro fort pour payer ses retraites du régime par capitalisation. Le modèle allemand asphyxie toute l'Europe.
18mai 15
« Le modèle allemand est une imposture »
Pourquoi avoir choisi cette fois d'écrire un pamphlet ?
Quand on parle d'Europe, les gens n'écoutent plus. Pour eux c’est un sujet vain, embrouillé par principe. A juste titre ! Mon livre est avant tout un objet destiné à faire penser. Il désintoxique : le modèle allemand est une imposture. Il n’y a pas de modèle capitaliste qui « réussit ». Ni de pays où la soumission sociale permet une vie heureuse épanouie. Cette démonstration est déjà faite dans des ouvrages savants français ou allemand. J’essaie d’en faire un débat public. La forme pamphlet permet de maintenir le lecteur en haleine avec ici où là une blague qui détend la gravité du récit. Et elle provoque la réplique sans laquelle il n’y a pas de débat.
Longtemps le Royaume-Uni est apparu comme l'obstacle à une Europe politique et sociale. A vous lire c'est plutôt l'Allemagne. On était dans l'erreur ?
Dans le temps long de l'histoire, les britanniques se sont toujours opposés à l’émergence d'une puissance continentale en face de leur ile. Alors on avait été surpris de leur demande de rejoindre l'Union européenne. Et dès que cela a été fait, ils ont surtout pratiqué le sabotage. On se rappelle des sketchs de Margaret Thatcher…
Angela Merkel l'a remplacée ?
L'Europe comme le capitalisme a une histoire. Entre le traité de Rome et l'Europe d'aujourd'hui, il y a certes une continuité : la foi dans le marché et le libre-échange comme organisateur suprême de la société. Mais il s'est passé aussi bien des choses. Notamment l’unification allemande. Dans un espace géopolitique qui était en train de se réorganiser, les Français ont fait le pari qu'il fallait approfondir l'union avec l'Allemagne pour contenir le risque de sa puissance. C’est le traité de Maastricht : il postule qu'en ficelant les Allemands avec nous par une monnaie et des règles de fonctionnement, un nouvel espace politique, citoyen et régulé, surgirait. C'est la grande illusion du socialisme français.
Dans les faits ce fut toute autre chose. Sur la base de l'ordolibéralisme, les dirigeants allemands ont fixé certaines limites indépassables : séparation de l’économie et de la politique, refus du protectionnisme, refus de l'harmonisation fiscale et sociale. En acceptant ça, en croyant que ce serait magiquement dépassé par les circonstances, on a mis le doigt dans l'engrenage. D'un traité à l'autre, les gouvernements allemands ont enfoncé le clou. La différence entre eux et nous c'est qu'ils sont infiniment moins inhibés.
Et puis nous avons eu deux présidents successifs qui n'assument pas la vision historique de la France sur l’Europe. Nicolas Sarkozy a commis le crime majeur de faire ratifier par le parlement le traité que les Français avaient refusé. Et François Hollande, après avoir juré qu'il allait renégocier le traité budgétaire, n'en a rien fait. Ce fut le dernier clou sur la croix ! Ces deux-là ont permis aux dirigeants allemands de comprendre que la France était dans leur main. La grande bascule s’est faite sans heurts: le passage d’un idéal bavard de construction européenne citoyenne à une réalité glauque, l'ordolibéralisme. On doit reprocher aux dirigeants allemands d'avoir poussé leur projet jusqu'au bout, mais on doit aussi reprocher aux dirigeants Français d'avoir été totalement inconséquents.