Interviews
19mai 11
Affaire DSK et campagne du Front de Gauche
France-Soir Comment vivez-vous le « séisme DSK », vous qui, en plus, l'aviez combattu ?
Jean-Luc Mélenchon (Longue hésitation)… Depuis dimanche matin, je vis, comme tout le monde, un état de sidération. Comment quelqu'un passe-t-il ainsi du sommet au néant, et en quelques heures ? Les premiers commentaires m'ont consterné : personne ne se souciait de la femme de chambre. Une certaine forme d'esprit de caste s'est exprimée au travers de ce drame quasi caricatural : cette modeste femme de chambre face à un tout-puissant seigneur de la finance mondiale. On a tous été mis au pied du mur d'une société du spectacle devenue radicale. Sans échappatoire.
F.-S. Vous n'allez plus trouver en 2012 Dominique Strauss-Kahn sur votre chemin…
J.-L. M. Je vous arrête. Je suis un opposant notoire à DSK, c'est vrai. Mais je l'ai toujours combattu politiquement et seulement politiquement. Pour le reste et sans préjuger des suites de l'enquête, je dis que la violence faite aux femmes est un fait majeur de notre société. Et un fait qui n'est pas assez admis, reconnu, combattu.
F.-S. Vous avez toujours dénoncé le mélange vie publique-vie privée…
J.-L. M. Si DSK est innocent, cet énorme déballage est scandaleux. Mais s'il est coupable, alors l'onde de choc est gigantesque. Car on va penser que les hommes politiques ont une espèce de vie cachée, protégée par leur caste. D'ailleurs, l'onde de choc n'est pas que politique : elle est aussi affective et psychologique. Des milliers de gens avaient commencé à s'identifier à DSK comme le porte-parole de la gauche. Ça ne me faisait pas plaisir, mais c'était comme ça. Et ces gens, dans un premier temps, ont eu une attitude de déni. Ils ont maintenant tendance à dire : « Ah bon, les journalistes savaient, et on ne nous disait rien… » Bref, je me dis que ça va être quelque chose de terrible, car il va y avoir, pour tous les hommes publics, une exigence d'exposition de leur vie privée. Sur un mode quasiment puritain, comme aux Etats-Unis. Et j'ai peur que ceux qui ont vu qu'on se débarrassait d'un adversaire plus sûrement par le fait divers que par des millions de débats ne prennent goût à cette méthode. Jusqu'ici, la vie politique française avait une certaine tenue. Et demain ?
F.-S. Vous voulez dire que le niveau du débat politique va encore baisser…
J.-L. M. Cela tourne à une compétition sur la bobine. On ne parle plus de rien, on ne discute plus de rien. Tout le monde devient une espèce de pronostiqueur politique, comme au PMU. La décadence, c'est de ne juger les gens que sur les apparences. On y va tout droit.
F.-S. On dit pourtant que les deux vainqueurs de la « crise DSK » sont Marine Le Pen et vous-même. Les deux « hors système »…
J.-L. M. Ce serait justice, non ? Vous ne croyez pas ? Mon paradoxe à moi, c'est que je suis un homme venu du « système » et qui en est sorti. Sur un acte d'insurrection politique et moral. Eh bien, je le dis : ce système, je veux y mettre fin. Je veux une Constituante pour passer à la VIe République. Il faut un partage radicalement différent des richesses et une planification écologique. Pour le reste, dans ma vie personnelle, pardonnez-moi, je suis d'une banalité totale. Quant à DSK, je ne veux pas m'abandonner à la hargne : j'ai juste, depuis longtemps, le sentiment d'un hors-sol des oligarques. Ils ont perdu tout sens de la réalité.
F.-S. Considérez-vous, depuis l'arrestation de DSK, que vos ex-amis du PS soient à la hauteur?
J.-L. M. Les malheureux ! Ils sont sidérés. Ils n'ont rien vu venir. Ils sont perdus… Pour autant, je n'ai pas aimé quand Marine Le Pen a dit : « Tout le monde savait. » Moi, personnellement, je ne savais rien. Que Straus-Kahn ait été séducteur, oui. Mais « addicted », non. Et violeur, encore moins. A la fin, quelle piteuse image tout cela donne des hommes, et des politiques en particulier !
F.-S. Qu'est-ce qui pose le plus problème dans notre « système » ?
J.-L. M. C'est l'extraordinaire personnalisation – grotesque, outrancière – de la vie politique. Aujourd'hui, une personne est abattue et on a l'impression que toute la gauche est orpheline.
F.-S. Mais la personnalisation, désormais, vous n'y échappez pas vous-même !
J.-L. M. La « société du spectacle », j'ai appris à évoluer dedans. C'est une preuve d'habileté. Je me dois d'être un bon chef de guerre. Sauf que cette personnalisation, elle ne me fait pas du tout plaisir. C'est plutôt une contrainte extraordinaire. Car je suis un personnage qui déclenche des passions : les uns m'adulent, les autres me haïssent. J'insiste : cette personnalisation est asphyxiante.
F.-S. Finalement, votre objectif pour 2012, c'est quoi ? Battre Marine Le Pen ou faire gagner la gauche ?
J.-L. M. J'aspire – et je pèse mes mots – à une révolution citoyenne. Je veux une rupture du type 1789. Avec un changement politique, et aussi un changement de la propriété. Je veux ramener dans la propriété collective –sociale ou nationale – des domaines tels que l'école, la santé, la finance, l'énergie. J'appelle aussi à un retournement des valeurs. Je suis contre le libre-échange, pour la solidarité et la coopération. Mais je ne veux pas, moi, sortir de l'euro : je veux juste que ce ne soit plus huit banquiers qui décident à notre place. On vous a assez vu, M. Trichet (président sortant de la Banque centrale européenne, NDLR) ! Après la bienfaisante médecine du Dr Strauss-Kahn – puisqu'il se comparait lui-même à un « bon » médecin –, les Grecs, qui empruntaient à 15 %, empruntent maintenant à 23 % ! Ils avaient 120 % de dettes par rapport à leur PIB : ils en sont à 150 %. Les voilà obligés de tout vendre : leurs ports, leurs aéroports, et même les paris sur les chevaux. Donc, oui, changer tout ça, cela s'appelle une révolution. Et une vraie révolution : un PDG ne pourra pas gagner plus de vingt fois ce que touche le plus petit salarié de son entreprise. Et personne ne pourra gagner, tous revenus confondus, plus de 360.000 € par an ; le reste, on le prendra.
F.-S. Vous rendez-vous compte que vous êtes très anxiogène ?
J.-L. M. Anxiogène ? Ça dépend pour qui. Je répands une énergie d'enfer sur les gens, et un optimisme complet. Quand je dis : « Il y a 875.000 précaires en France dans les trois fonctions publiques ; si vous m'élisez, il n'y en aura plus un le lendemain matin », il y a un ou deux technocrates qui, au fond de la salle, s'évanouissent. Mais tous les autres ont la banane …
F.-S. Comment vous y prenez-vous ?
J.-L. M. Très facile. Ça coûte 3 milliards. Or le fait d'avoir baissé la TVA dans la restauration, ça a coûté autant. Ce pays est riche comme il ne l'a jamais été. La clé, c'est le partage.
F.-S. Comment, sur de telles bases, imaginer une entente entre les socialistes et vous ?
J.-L. M. Il va falloir qu'ils progressent. Qu'ils acceptent l'idée qu'il y a, à gauche, un monde en dehors d'eux. Ils racontent partout que nous négocions avec eux des circonscriptions pour les législatives ? Nous ne négocions rien du tout. Ils salissent tout ce qu'ils touchent. Et pour le deuxième tour de la présidentielle, je ne considère pas que l'histoire soit écrite d'avance.
F.-S. Il n'y aura pas de désistement automatique pour le candidat de gauche le mieux placé ?
J.-L. M. Le peuple n'est pas un troupeau qu'on rassemble sur un coup de sifflet. De toute façon, je refuse de discuter du deuxième tour : c'est la manière, pour les socialistes, de tout ramener à eux, avec le concept du « vote utile ». Tout ça, en réalité, me fait rigoler. Il y a une semaine, DSK était le futur président de la République. Sic transit gloria mundi : ainsi passe la gloire du monde…
F.-S. Soyez franc : vous venez de perdre votre meilleur ennemi…
J.-L. M. Pardonnez-moi, je n'avais pas pris conscience du « confort » que ça m'apportait (sourire). J'ai été traîné dans la boue en une de Libération : « L'homme qui veut faire perdre Strauss-Kahn ». Je n'ai pas cessé d'entendre cela. Donc on verra le suivant. Mais il ne me fera pas plus peur que le précédent…
F.-S. Etes-vous satisfait du personnage dont on vous renvoie l'image ?
J.-L. M. Je porte un projet auquel je m'identifie. Mais je mets sans doute trop d'affect dans trop de choses. Jusqu'à commettre des erreurs d'attitude. Afficher un personnage rebelle qui ne baisse pas les yeux, cela a pas mal d'inconvénients aux yeux de la bonne société qui préfère les personnages lisses. Je me console en relisant Jaurès et mes amis révolutionnaires d'Amérique latine !
Par Propos recueillis par Tugdual Denis, et Dominique de Montvalon
03mai 11
Dimanche soir politique
Propos recueillis par Jean-François Achilli, Jean-Jérôme Bertolus et Françoise Fressoz
Que pensez-vous de la béatification du pape Jean Paul II et de la ferveur populaire qui l'accompagne ?
Les croyants ont parfaitement le droit de célébrer leur foi à leur manière. Je n'ai pas de réflexion à faire sur le sujet. Ce qui m'indispose et m'indigne, c'est que le premier ministre, le ministre des affaires étrangères, le ministre de l'intérieur viennent représenter notre patrie, qui n'appartient à aucune religion.
On a entendu Baroin dire que la France est la fille aînée de l'Eglise. C'est une absurdité, du folklore le plus médiocre, de l'histoire arrangée, de la récupération. Les catholiques n'ont pas demandé que le gouvernement aille faire l'intelligent et l'important à cette manifestation. Le principe de laïcité est simple : séparation entre l'Eglise et l'Etat.
En France la journée du 1er mai a été marquée par une nouvelle offensive de Marine Le Pen en direction de l'électorat populaire. N'est-ce pas inquiétant pour la gauche ?
Il y a toujours eu un socle d'ouvriers et d'employés qui votent à droite. En 1981, au moment où la gauche était au plus haut, 70 % de la classe ouvrière et des employés votaient pour le programme commun, 30 % votaient contre, contre la retraite à 60 ans, contre la 5e semaine de congés payés. C'étaient des gens en opposition absolue aux communistes et aux socialistes.
C'est cette base que Marine Le Pen a récupérée parce que Nicolas Sarkozy a ouvert les vannes entre la droite et l'extrême droite. Chaque fois qu'il y a crise du capitalisme, les partis traditionnels de la droite, croyant au libéralisme, s'étonnent que les gens n'en veuillent pas. Le rôle de l'extrême droite est d'être là pour récupérer les déçus et les ramener à la niche. Marine Le Pen joue le rôle de chienne de garde du capital.
Mais quand elle dénonce violemment le libéralisme, elle vient sur votre terrain.
Qu'est-ce que vous voulez démontrer ? Nous allons passer toute l'émission à expliquer que je suis différent de Marine Le Pen ? Il ne faut pas se contenter de dénoncer l'ultralibéralisme comme le fait Marine Le Pen. Il faut aller à la source du partage des richesses. Ce n'est pas l'immigré le problème, c'est le banquier, le financier. La préférence nationale n'a aucun sens et ne correspond à rien d'organisable. Ce qu'il faut, c'est partager les richesses de gré ou de force. La bataille s'est toujours jouée entre la gauche ouvrière et syndicale, la gauche communiste et de combat et l'extrême droite. Sur le terrain, Il n'y a que nous pour mener cette bataille.
Que voulez-vous dire ?
Les sociaux-libéraux sont pleins de compassion et d'affection pour la classe ouvrière, mais leur politique n'y répond en aucune manière. Eux disent qu'on ne peut pas faire autre chose que le pacte de stabilité européen, que la politique d'austérité… attention les déficits. Vous avez entendu Hollande, Strauss-Kahn et les autres ? Ils ne sont pas en état de répondre aux revendications ouvrières qui sont : « Augmentez notre salaire, faites disparaître la précarité. »
Nous, nous disons : les 800 000 précaires des trois fonctions publiques doivent être titularisés. On ne doit plus permettre aux entreprises, les entreprises de presse incluses, d'embaucher un nombre aussi considérable de précaires Quant aux écarts de salaires, ils doivent être réduits de 1 à 20 dans l'entreprise.
Si DSK devient le candidat des socialistes, que ferez-vous ?
Même si j'allais sur un plateau de télévision et que j'expliquais : « Allez, faut voter DSK », les gens diraient : « Tu racontes ce que tu veux, on le fera pas. » Les socialistes passent leur temps à dire : « Ne vous inquiétez pas, tout ça est réglé, Mélenchon reviendra à la maison quand il faut. » Ils me prennent pour un Vert ! Nous n'avons discuté de rien du tout.
13mai 10
Dans une interview à Libération jeudi 13 mai, Jean-Luc Mélenchon député européen et président du Parti de gauche (PG) dénonce un contrôle «eurocratique» des Etats.
Les propositions de la Commission vous conviennent-elles ?
Contrôler a priori des Etats souverains par des eurocrates nommés ? Quel régime policier ! La crise est utilisée pour constitutionnaliser le libéralisme. Seule la souveraineté populaire rend légitime une décision. A quoi servent les assemblées qui contrôlent les gouvernements nationaux ? A la limite, ces propositions seraient jouables si les Etats-nations étaient contrôlés par une assemblée européenne souveraine. Ce n'est pas le cas ! La Commission européenne ne se rend pas compte de son insolence. Lire la suite »
13avr 10
Communiqué de Jean-Luc Mélenchon suite à la diffusion des projections du Conseil d'Orientation des retraites pour 2050.
"Les premiers chiffres connus comme base de travail des travaux du Conseil d'orientation des retraites fonctionnent comme un assomoir.
Au ridicule de prévisions économiques formulées pour les 40 prochaines années, alors que nul ne connait la situation prévisible pour les trois prochains mois, s'ajoute d'étranges approximations.
L'hypothèse d'une population active stable jusqu'en 2050, le maintien au niveau actuel de l'emploi des femmes (15 points en dessous des hommes), un niveau de fécondité d'ores et déjà démenti par les faits (1,9 enfants par femme jusqu'en 2050 pour le COR alors qu'on était dès 2009 à près de 2,1 enfants par femme !), tout cela rend suspect tout le reste des affirmations et calculs de ce rapport.
Dans ces conditions, les annonces faites sur ces chiffres s'apparentent à une campagne d'affolement et de conditionnement.
J'appelle les partis du Front de Gauche à se mobiliser d'urgence pour faire la vérité et participer de toutes leurs forces aux mobilisations que les syndicats vont organiser. La bataille pour le droit à la retraite est commencée. Il faut la gagner."
13avr 10
Pourquoi ne pas créer un parti pour pérenniser le Front de gauche (alliance PG-PCF-Gauche unitaire) ?
Les dirigeants communistes ne veulent pas d’un parti commun et leur décision doit être respectée. J’ai proposé une autre formule pour montrer que le Front de gauche s’inscrit dans la durée. Ce serait d’installer une assemblée permanente du Front et d’instaurer l’adhésion directe. Chacun pourrait ainsi participer au Front de gauche sans adhérer à l’un des partis. De plus nous aurions des candidatures communes à toutes les élections des cantonales aux législatives.
Que pensez-vous de la “gauche solidaire” souhaitée par Martine Aubry ?
C’est pour l’instant une expression, rien de plus. Si ça signifie être solidaire au deuxième tour pour battre la droite, nous sommes d’accord. Si ça veut dire faire l’ornement de gauche pour la vitrine socialiste, c’est non. Quant aux primaires, on voit bien que la scène est déjà saturée par le pullulement des candidats socialistes.
Il faut donc un candidat du Front de gauche en 2012. Serez-vous celui-ci ?
Nous sommes clairement partisans d’un candidat commun au Front de gauche. Mais je n’ai jamais fait acte de candidature ; je constate que mon nom est avancé. Curieusement, cette idée a seulement été relayée par ceux qui s’y opposent. Je suis confiant : il y a peut-être une force d’évidence qui va s’imposer.